1990_MouillardM_St_Francois_de_Sales


1990_MouillardM_St_Francois_de_Sales

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Saint
FRANÇOIS
de SALES
NUMERO

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Imprimerie Typo-Offset < DON BOSCO »
78, rue Stanislas-Torrents. 1300B Marseille

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Saint
FRANÇOIS de SALES
EDITIONS DON BOSCO

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Quelques ouvrages essentiels sur Saint François de Sales :
* UN SAGE ET UN SAINT. FRANÇOIS DE SALES. A. RAVIER.
Ed. Nouvelle Cité.
FRANÇOIS DE SALES ET JEANNE DE CHANTAL
Ed. Fleurus.
ŒUVRES DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.
Ed. Pléiade.
LIVRE-CADEAU (illustré). RAVIER, DEVOS, PERRIN.
Ed. Chalet.
* SAINT FRANÇOIS DE SALES ET L'ESPRIT SALESIEN.
E.-M. LAJEUNIE.
Ed. Seuil.
* FRANÇOIS DE SALES LA VIE SPIRITUELLE DANS LE MONDE.
SADRIN.
(Dernier travail sur l'Introduction à la vie dévote modernisée.)
Ed. Téqui.
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1.5 Page 5

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présentation
Depuis le 29 juin 1989, Saint François de Sales est le nouveau Titulaire et
Patron de la Province de Lyon par une décision sollicitée du Recteur
Majeur et de son Conseil se rendant aux bonnes raisons invoquées : un lien tout
à fait spécial unit en effet la Province au « Docteur de la Charité », en Savoie,
évêque d'Annecy, mort à Lyon en 1622. De plus, l'une des œuvres capitales de
François de Sales : « L'INTRODUCTION A LA VIE DEVOTE » fut publiée,
elle aussi, à Lyon, en 1609, chez Rigaud, Editeur.
C 'est sur la demande du Provincial de Lyon que nous publions ce quatrième
fascicule composé àpartir des diverses« Lectures Salésiennes » sous la rubrique
« François de Sales ». Quelques-uns des articles 7 sur 38 sont parus
disséminés dans les trois fascicules précédents:« La spiritualité salésienne de
saint jean Bosco », « Approches de la pédagogie de saint jean Bosco », « Un
homme et un saint : Don Bosco ». Nous aurions pu y renvoyer mais, d'abord,
pour une raison pratique, ensuite, parce que chaque fascicule fait un tout, nous
avons décidé de les publier à nouveau au sein de ce quatrième ensemble.
Pour alléger et faciliter la lecture, nous avons distribué les divers articles
sous quelques rubriques qui, surtout après coup, restent quelque peu
arbitraires :
Coup d'œil....................................................................... P- 13
Spiritualité........................................................................
Un saint bien incarné.....................................................
Lueurs doctrinales.........................................................
P- 29
p. 61
p. 113
François de Sales et Jean Bosco................................ p. 133
Peut-être s'étonnera-t-on de ne rien trouver sur la Famille Salésienne. A
vrai dire, les textes des « Lectures Salésiennes » parlant de la Famille Salésienne
regardent la Famille dont leguide et l'inspirateur est saint jean Bosco. Ceci serait
sorti de notre sujet, la Famille Salésienne qui aurait trouvé sa place ici devant
embrasser toutes les personnes se référant à saint François de Sales (comme les
Oblats de saint François de Sales, les Missionnaires de saint François de Sales,
les Prêtres de saint François de Sales, etc. et aussi, bien sûr ! les Salésiens
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1.6 Page 6

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de Don Bosco). Mais qui ne voit et ne sait que lorsque nous parlons, nous, de
Famille Salésienne, nous n'avons absolument pas le prétention de l'identifier à
la bien plus large Famille Salésienne de François de Sales...
Dans le message du 22e Chapitre Général des religieux salésiens envoyé à
tous les membres de notre Famille Salésienne on pouvait lire : « En particulier
a été de nouveau affirmée la conviction que la Famille Salésienne a ses origines
en Don Bosco, à l'intérieur d'un vaste mouvement de personnes qui, de
différentes façons, travaillent pour le salut de la jeunesse. De ces forces vives, le
Recteur Majeur, successeur de Don Bosco, est le père et le centre d'unité ». Tous
nos textes de « Lectures Salésiennes » sur la Famille Salésienne sont dans cette
perspective et ne trouvaient pas leur place ici.
Au-delà de ces précisions, puisse François de Sales nous accorder encore
davantage sa protection et son inspiration afin que nous soyons toujours plus de
meilleurs... salésiens.
michel mouillard
29 juin 1990
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primeur...

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Saint François de Sales en Chablais.
(André Jacques, 1935)

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H. BAUD
françois de sales
en chablais
« Il ne fut pas, comme on l'a dit avec une injustice bien peu informée,
"mielleux et violent" ; il fut judicieux et bon. Il aurait eut le plus beau rôle dans cette
histoire si la grandeur et la beauté de l'attitude n'appartenaient pas avant tout à
ceux qui souffrent persécution pour leur foi... Sa méthode représente l'intelli­
gence modérée, sensée, l'intelligence accompagnée par le douceur. » (Fortunat
Strowsky : « Saint François de Sales », Paris, 1838.)
rt rois constatations nous permettent de dégager les traits princi-
paux de sa personnalité.
1. D'abord, tout au long de son action, je vous ai montré François
dans sa douceur, sontact, sadélicatesse, son adaptation aux personnes
et aux circonstances. C'est bien l'essentiel de son caractère, et qui
déterminera sa réussite en Chablais. Il ne faudrait pas pourtant que cette
suavité éclipse sa volonté et son énergie. « Il veut et avec obstination.
Mais il sait, lorsqu'il le faut, prendre les détours et les sentiers. C'est peut-
être un caractère de la race et du pays qui plie sans céder et revient
obstinément à son but... La volonté de saint François de Sales redoute
les orages et la lutte ouverte, mais il veut sans rémission. » Ainsi,
n'oublions pas cette fermeté et cette certitude qu’il suffit de vouloir la
vérité pourqu'elle triomphe, et il l'exprime avec un humourqui peint bien
notre personnage : « La vérité est comme la barbe. Plus on la rase, plus
elle pousse. »
2. En second lieu, nous avons vu à quel point François est, sur le
plan de la pensée, fidèle aux positions doctrinales du catholicisme
traditionnel et intolérant de son temps. Pas de compromission avec
l'erreur, et pour ramener les dévoyés il faut utiliser toutes les armes. A
Paris, tout en devenant l'ami d'Henri IV, il fréquentait le cercle des
catholiques militants de la Contre-Réforme. L'œcuménisme n'est pas
né...
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Et pourtant son action est un chef-d'œuvre de psychologie indivi­
duelle et collective. Dans sa lettre pour la reconquête catholique, il
ménage les personnes car il leur reconnaît une valeur propre, indépen­
dante de ce qu'elles pensent, de ce qu'elles croient.
Fortement attaché aux positions définies par le Concile de Trente,
rejetant la doctrine de la prédestination de Calvin, rompant des lances
pour la messe, pour la présence réelle, il a pourtant une manière de
présenter les vérités de la foi qui leur ôte ce que les théologiens
catholiques ou protestants leur confèrent d’abord de rébarbatif, de
sévère, ensuite de contradictoire, d'inconciliable entre formulation tradi­
tionnelle et formulation réformée... C'est un honneur pour saint François
de Sales, à ses débuts, d'avoir compris qu'il ne fallait pas multiplier et
grossir les dissentiments. François de Sales est ainsi un conciliateur-né,
il nous apprend à ne pas voirdans l'adversaire un ennemi à vaincre, mais
un frère à gagner. En 1608, il écrit à Mmede Chantal : « J'ai toujours dit
que qui prêche avec amour prêche assez contre les hérétiques quoique
il ne dise un seul mot de dispute contre eux. » Tenant compte du temps
et des idées, nous pouvons souscrire aux paroles de saint François de
Sales lui-même : « De notre temps, en nul lieu, tant d’hérétiques ne sont
retournés à la vrais foi, ni plus suavement, ni avec plus d'efficace. >>
(Lettres : V, 217.)
3. Enfin, cette attitude n'est pas une tactique. Elle est chez lui toute
naturelle, dictée à la fois par son tempérament, par sa nature profonde,
par son grand amour des hommes. Toute l'action de l'évêque, toutes les
pensées du docteur sont ainsi en germes et comme préfigurées dans la
mission du Chablais. Car l'attitude d'ouverture même qu'il aura tout au
long de sa vie à l'égard de tous, qu'il eut alors à l'égard des hérétiques,
c’est l'attitude et dont il fera l'article premier, le commandement essentiel
de l'Evangile salésien... Dans le catholicisme même, François de Sales
a ramené le christianisme à l'intérieur, en a fait « un christianisme de
l'âme », en l’appliquant à transformer la conscience. Il a ainsi rapproché
la vie de la religion en insérant la religion dans la vie quotidienne. Après
lui, c'est Pascal, teint pourtant de jansénisme, qui dira : « Dieu sensible
aux cœurs. »
Ainsi, dans la difficile conciliation entre l'Eglise et le monde, le ciel et
la terre, Dieu et l'homme, François de Sales a pu faire aimer Dieu sans
rien retrancher des aspirations de l'être humain.
« En ce temps-là, philosophes, théologiens et controversistes
n'avaient pas fait Dieu aimable. Ils le considéraient, un peu trop, les uns
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comme l'auteur des vérités morales, les autres comme l'auteur des
principes de l'esprit et des lois de la nature. Les mystiques avec plus de
chaleur, d'imagination, rêvaient Dieu plus vivant, mais ils lui attribuaient
une obscurité et une splendeur étranges, monstrueuses presque.
« François de Sales n'a pas découronné l'idée de Dieu, il lui
conserve ses attributs métaphysiques et moraux et son inaccessible
perfection ; mais l'image qu'il se fait de la divinité reste aimable et
gracieuse en même temps que grande. Il n'est pas de comparaison
délicate et jolie dont il ne se serve pour dire le charme de la beauté divine.
Dieu est beau. »
Le « Traité de l'amour de Dieu » s'ouvre par la glorification de la
bonté. Et la beauté qu'il attribue à Dieu n'est pas d'un ordre purement
rationnel, la définition qu'il en a donnée semble écrite par un artiste. La
variété et la splendeur infinie dans l’unité parfaite, l'harmonie irréprocha­
ble, l'éclat rayonnant et surtout la grâce qu'est « l'âme de la beauté des
choses vivantes », tels sont pour lui les éléments du Beau. Dieu est
l'amour même. Dieu aime à l'infini chaque âme en particulier, et comme
uniquement.
« L'idée de Dieu, qui est la beauté parfaite, et qui est l'amour parfait,
c'est la sainteté de saint François de Sales. Cette idée domine toute sa
vie, en est l’âme, en est la lumière. »
(Les citations sans références sont de l'op. cit. pp. 78-79 —. de Fortunat Strowsky.)
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coup d'œil

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R. SCHUTZ
O. CULMANN - E. GILSON
J. de BOURBON-BUSSET
ils ont parlé
de françois de sales
En 1967, à l'occasion du IVe centenaire de la mort du saint savoyard, ont
paru des centaines de témoignages dans la presse française. Nous en re­
cueillons quelques-uns, dont deux proviennent de protestants connus. Ils sont
riches de signification.
Roger Schutz, Prieur de Taizé :
Pour ma part, je porte une grande vénération au saint témoin du
Christ que fut saint François de Sales et, en particulier, un aspect de sa
personnalité m'a frappé. Je sais qu'il était un impétueux et un violent.
Mais, par une lente élaboration, Dieu a transfiguré en lui la violence en
douceur, en humanité, en charité sereine pour nous. Dans ma vie
personnelle, comme dans la direction spirituelle qui constitue une part
essentielle de mon ministère, je me suis souvent référé à cet aspect qui
a marqué la vie de saint François de Sales.
Des profondeurs de la peine des hommes monte aujourd'hui un
appel. Dans notre vie quotidienne, et dans notre travail, nous sommes
des êtres ordinaires; l'extraordinaire demeure caché. Le monde a besoin
d'êtres d'exception par l'attention de leur charité plus que par leurs
qualités naturelles. Saint François de Sales demeure alors pour nous le
témoin de ce mystère de Dieu en nous : par une patiente élaboration,
perceptible ou non, ce qui demeurait obscur, inquiétant même, est
traversé par la transfiguration du Christ. Lui seul atteint ces volontés
rebelles qui n'accomplissent pas ce qu'elles aiment, mais un mal qui leur
est contraire.
Plutôt que de nous laisser arrêter par les impossibilités et les
ombres, en nous-mêmes et en tous, à nous dès lors de considérer
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chaque homme dans la lumière du Christ. Avec beaucoup d'autres en
cette année, je rends donc grâces à Dieu pour ce saint témoin du Christ
qu'a été saint François de Sales, lui qui nous entraîne à marcher sur les
traces mêmes du Christ.
Oscar Culmann :
Comme protestants, nous pourrions être tentés de voir en saint
François de Sales uniquement le polémiste qui a combattu le protestan­
tisme et, par conséquent, de penser qu'il n’ait rien à nous dire. En réalité,
ce serait une attitude très superficielle à l’égard de sa riche personna­
lité. Le vrai œcuménisme nous incite à ne pas juger nos frères séparés
des siècles passés sous l’angle de leur comportement vis-à-vis de notre
Eglise, qui leur a été dicté par les idées de leur temps, mais à considérer
à la lumière de l'Evangile leur piété et les actes qu'ils ont accomplis
comme membres de leur Eglise.
Dans cette perspective, saint François de Sales nous apparaît
comme appartenant à toutes les Eglises. Tous, protestants compris,
nous avons à apprendre de lui, de même que du côté catholique on
reconnaît aujourd’hui certains aspects précieux dans la piété des Réfor­
mateurs.
Parmi les nombreuses leçons que comportent l'étude et la médita­
tion de la vie et de l'Œuvre de saint François de Sales, je ne relèverai
qu'une seule par laquelle il est l'un des grands guides spirituels, pour
nous comme pour nos frères catholiques. Sa vie intérieure, si profonde
et si riche, ne l'a pas poussé à se retirer du monde mais à apprendre aux
hommes de son temps à mettre leur piété en pratique dans la vie de tous
les jours, dans l'exercice de leur profession, dans le monde. Aujourd'hui,
catholiques et protestants s'efforcent de réaliser ce que, depuis le
Concile, on appelle « l'aggiornamento ». Saint François de Sales nous
apprend à éviter le danger que comporte cette tâche si légitime : la
tentation de sacrifier des principes fondamentaux de notre foi chrétienne
au monde. Il nous apprend à vivre dans le monde et pour le monde sans
nous conformer au monde, mais « en nous transformant par le renouvel­
lement de notre jugement », comme l'apôtre saint Paul l'écrit aux Ro­
mains (Rm. XII, 2).
Etienne Gilson, de l’Académie Française :
Je ne me sens aucun titre particulier à honorer saint François de
Sales. Par le temps auquel il appartient comme par le style de sa pensée
théologique, il se tient hors du cercle des docteurs qui me sont familiers...
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Je dirai en quoi le message de ce grand saint, plus austère au fond que
son style aimable ne le donne à penser, me paraît encore adapté aux
hommes de notre siècle, et même destiné à le rester pour ceux de tout
siècle à venir ; c'est que sa spiritualité, si on la dégage de ses formes
spéculatives, nous enseigne finalement la sanctification et le salut par la
pratique du devoir d'état ou, comme on dit souvent aussi, du devoir
quotidien. Pour le laïc engagé dans le monde, chargé de responsabilités
et de soucis pratiques qui le détournent des loisirs spirituels de la
contemplation, saint François de Sales est le consolateur et le pacifica­
teur par excellence ; il tourne l'obstacle au salut en moyen de salut et mue
en prière l'obstacle de la prière. J'ai souvent trouvé grande consolation
dans cette pensée, et je ne puis guère imaginer de siècle il serait
superflu de le rappeler.
Jacques de Bourbon-Busset :
... D'autre part, saint François de Sales attache une importance
particulière à la vie conjugale. La liberté sexuelle de notre époque ne doit
pas faire illusion. Elle prépare indirectement une réhabilitation de l'amour
conjugal, de l'union indissoluble descoeurs. François de Sales est le saint
patron de tous ceux, dont je suis, qui sont convaincus que l'amour humain
trouve son plein épanouissement dans l'amour juré, qui lie, pour le
meilleur et pour le pire, les futurs compagnons d'éternité.
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2.10 Page 20

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3 Pages 21-30

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lexique des œuvres complètes
de françois de sales
H. LEMAIRE
Le « Lexique des Œuvres complètes de François de Sales » est un des
ouvrages les plus sérieux concernant le saint évêque de Genève. Les témoigna­
ges qui suivent l'attestent... En outre, n 'avons-nous pas, aussi et d'abord, une
« source « de notre esprit « salésien » ?
Extraits de la préface de R.-L. Wagner, Professeur de Philologie
à la Sorbonne :
« Je garde très vif le souvenir de la soutenance de M. H. Lemaire,
tant l'auteur, fort modeste, avait su, au cours de nos débats, témoigner
son attachement à François de Sales et le justifier par de bonnes raisons.
Ayant encouragé M. H. Lemaire à ne pas interrompre ses recherches,
j'attendais la suite naturelle de ces estimables travaux.
« La voici : il m'est agréable de dire en quelques mots le plaisir qu'elle
me cause.
« François de Sales pensait par images, cela veut dire qu'une notion
chez lui n'est jamais pure, qu'elle résulte de l'interpénétration subtile de
deux concepts associés. A ce jeu, ce qui, de soi, était de nature
matérielle, tire de l'allègement ; les abstractions gagnent du poids , elles
s'enracinent dans un tuf nourrissant. Il n'est que d'ouvrir les thèses de M.
H. Lemaire pour s'en convaincre. Le chercheur propose aujourd'hui un
glossaire devant aider à la lecture des textes dont nul terme n'est à
proprement parler indifférent.
« A son travail profiteront, j'en suis sûr, tous ceux, lexicographes et
lexicologues qui, dans la voie ouverte par M. H. Lemaire, poursuivront
l'analyse des œuvres de saint François de Sales. Rien ne vaut un bon
lecteur sachant dépouiller un texte la plume à la main.
« Sa publication secondera donc les érudits, elle incitera aussi,
j'espère, maints non-spécialistes à découvrir, sinon à redécouvrir, l'ar­
tiste que fut saint François de Sales.
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« Je me fais l'interprète de la reconnaissance qui est due au probe,
opiniâtre, fécond labeur de M. H. Lemaire. »
Le Cardinal Garrone, Préfet de la Congrégation des Séminaires
et Universités :
« Existe-t-il quelqu'un au monde pour connaître saint François de
Sales plus parfaitement et même aussi parfaitement que M. l'Abbé
Lemaire ? Il ne faut pas hésiter à répondre : non.
« ... Personne n'a scruté, touillé, analysé avec une telle patience,
ligne à ligne, et littéralement mot à mot, l'œuvre considérable du saint,
comme ce prêtre modeste à l'érudition stupéfiante qui a voulu et su, avec
une persévérance tranquille et implacable, faire pour sa part de si
vigoureuses trouées dans l'épaisseur d'ignorance et d'indifférence qui
naguère encore enveloppait l'un des plus riches témoins de la sainteté et
de la spiritualité chrétiennes.
« L’œuvre de saint François tout entière a gardé intact son goût de
source.
« D’autres plus qualifiés auraient dit mieux que moi le bien qu’il faut
penser de cet ouvrage. J'ai accepté de dire le bien que j'en pense et la
joie qu'il m'a donnée, estimant que le plus humble concours ne peut être
refusé à un grand dessein.
« Je serais heureux si j'avais pu, si peu que ce soit, aider à faire
connaître et à faire lire saint François de Sales, et saint François présenté
par un maître. »
(Extraits de la préface du livre : « François de
Sales, ses textes essentiels présentés pour notre
temps » - 30 décembre 1967.)
M. Henri Gouhier, de l'Académie des Sciences Morales et Politi­
ques, membre de l'Institut :
« J'avais une profonde estime pour la personne et les travaux du
Chanoine Henri Lemaire. C'était un homme d'une rare modestie qui
laisse une œuvre importante dans l'histoire des idées et qui mérite la
reconnaissance de tous les « fidèles » de saint François de Sales... »
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3.3 Page 23

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Mgr Johan, évêque d'Agen, qui fut son Supérieur et son ami, a
tenu à donner son témoignage personnel :
« Le "Lexique des Œuvres complètes de saint François de Sales" de
M. l'Abbé Lemaire vient de m'arriver.
« C’est un extraordinaire monument d'endurance à l'érudition.
M. Lemaire seul pouvait s'acquitter d'une pareille somme de labeur?d'ai
lu la préface et les avant-propos et parcouru le volume. J'en reste dans
l'admiration et je retrouve l'étonnante puissance de travail d'un homme
qui, pourtant, souffrait de perpétuelles migraines.
« M. Lemaire était au sens le plus vrai homme de science, son large
savoir s'inscrit aux pages d'une belle histoire. »
N. B. On peut se procurer désormais, près de M. l'Abbé Peigney, Centre Saint-
Jean, B.P. 28 - 61500 Sées, les quatre ouvrages de M. Lemaire : « François
de Sales, ses textes essentiels présentés pour notre temps » - « Saint
François de Sales, docteur de la confiance et de la paix » - « Etudes des
images littéraires de François de Sales avec un florilège » - « Lexique des
Œuvres complètes de François de Sales », de l'Edition des Visitandines.
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3.4 Page 24

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3.5 Page 25

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Chanoine ROFFAT
à l'école
de saint françois de sales
Dans la collection « La Religieuse dans la pastorale d'aujourd’hui » (Edi­
tions Fleurus), le Chanoine Roffat a publié une précieuse étude intitulée « La
Religieuse à l’école de Saint François de Sales ». Nous vous proposons l’essen­
tiel du très riche chap. III, dans les deux articles qui suivent.
Ôui dit spiritualité dit « style de vie chrétienne ». La loi essentielle
est l'imitation du Christ Jésus, d'où découle toute sainteté ! Or,
cette sainteté s'exprime de bien des façons, parce que les
appels sont différents et les charismes aussi. Songez à saint Benoît, à
saint Dominique, à saint François d'Assise, à saint Ignace de Loyola.
Que de « regards différents, et complémentaires, sur le Christ ¡Parler de
« spiritualité salésienne »revient à se demander : d'abord, quel est le
regard essentiel de François de Sales sur le Christ ; ensuite, si ce
regard est englobant, c'est-à-dire s'il permet une imitation totale de
Jésus-Christ, à partir de l'image qu'il en reçoit. Réponse : Saint François
de Sales, qui connaît la Bible à peu près par cœur, revient constamment
sur les trois versets de saint Matthieu, à latin du chapitre XI, mais surtout
sur l'avant-dernier : « Mettez-vous à mon école. Je suis doux et humble
de cœur. » C'est à partir de qu'il construit sa spiritualité. « L'humilité
nous perfectionne envers Dieu, et la douceur envers le prochain. » (Cf.
« Introd. Vie dévote », 3e partie, Chap. VIII.)
L'humilité « nous perfectionne envers Dieu ».
C'est dire qu'elle ne se réfère pas d'abord directement aux hommes.
Autour de nous, que ceux-ci soient meilleurs ou pires n'a aucune impor­
tance. L'humilité nous situe face à la sainteté, à la sagesse, à l'infini de
Dieu. C'est ainsi que nous prenons notre véritable mesure. Une mesure
qui est, essentiellement, la reconnaissance acceptée avec amour et
non avec dépit de notre néant devant Dieu. « C'est en Lui que nous
sommes, que nous avons mouvement, que nous vivons » (S. Paul).
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« Humilité » vient du mot latin « humi », à terre, au ras du sol. En regard
du Très-Haut, voilà notre juste place. « Ce n'est pas humilité que de se
reconnaître misérable, c'est seulement n'être pas bête. Mais c'est
humilité de vouloir qu'on nous tienne et qu'on nous traite comme tels »
(Saint François de Sales).
L’humilité influe sur notre prière. La connaissance de notre misère
nous fait tout attendre, et joyeusement, de sa miséricorde, à commencer
par le pardon de nos fautes, dès lors que nous les reconnaissons
humblement. Elle éveille notre prière d'adoration et d'action de grâce,
pour assurer, en même temps, la valeur et l'efficacité de nos demandes.
La douceur « nous perfectionne envers les autres ».
Elle est la fleur de la charité. Ni simple gentillesse humaine, ni
sentimentalité, quoiqu'elle soit le contraire de la violence, elle est force et
elle suppose la maîtrise de la force, en vue d'un service désintéressé. « Il
faut avoir la douceur jusqu'à l'extrémité envers le prochain, jusque même
la niaiserie... Celui qui préviendra son prochain en bénédictions de
douceur sera le plus parfaitement imitateur de Notre Seigneur » (Saint
François de Sales). La douceur est disposition fondamentale au bon
vouloir, elle est sympathie a priori et refus de condamnation, respect de
l'autre et confiance dans ses valeurs cachées, accueil à ses besoins et
disponibilité à son Service. Vertu active, s'il en fut.
Douceur envers les autres. Certes, il s'agit d'abord de supporter
leurs défauts. Le support des imperfections constitue, dira-t-il un jour, les
trois quarts de notre perfection. Il s'agit surtout de les servir dans tous
leurs besoins, cordialement, paisiblement, amoureusement. Il écrit à la
Mère de Chantal : « Il faut avoir l'esprit d'indignation contre le mal et être
fort résolu de n'y acquiescer jamais ; il faut pourtant demeurer en grande
douceur à l'égard du prochain. »
Douceur envers soi-même. Sans doute la plus difficile.
Dans une de ses lettres : « Ne nous dépitons jamais contre nous-
même ni contre nos imperfections... En quoi font grande faute certains
qui, s'étant mis en colère, se courroucent de s'être courroucés, entrent
en chagrin de s'être chagrinés, et ont dépit de s'être dépités. Car, par ce
moyen, ils tiennent leur cœur confit et détrempé dans la colère. »
En bref, l'image la plus fidèle du Christ que François de Sales révèle
à ceux qui l'étudient, c'est « Notre Seigneur conversant parmi les
hommes » en esprit de douceur fraternelle. C'est un idéal proposé à tous.
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3.7 Page 27

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à l'école
de saint françois de Sales
Chanoine ROFFAT
La route salésienne vers la perfection de la charité, qui est humilité et
douceur, a été balisée par notre Maître spirituel. Route de l'équilibre dans la
mesure, de la paix dans la patience, de la joie dans la confiance.
L'équilibre dans la mesure.
L'équilibre n'est pas le but de la spiritualité salésienne, il en est le
climat. De la discrétion, saint François de Sales disait « qu'elle est une
vertu sans laquelle nulle vertu n'est vertu, pas même dévotion ». « Je ne
suis pas un homme extrême, disait-il de lui-même. C'était chez lui une
vertu de race. La devise de sa famille portait, en effet : « Non
excidet » : il n'excédera pas. Lui-même l'avait précisé en prenant pour
devise : « Nec plus nec minus », ni plus ni moins. Dans une page
célèbre de I' « Introduction à la Vie dévote » (3e partie, chap. 5), qu'il faut
relire, il prend position contre les excès de certains saints et se situe lui-
même dans le juste milieu : « Je ne voudrais ni faire le fol, ni faire le sage.
Car si l'humilité m'empêche de faire le sage, la simplicité et la rondeur
m'empêchent de faire le fol. Et si la vanité est contraire à l’humilité,
l'afféterie (c'est-à-dire l'excentricité) est contraire à la rondeur et à la
simplicité. »
Equilibre dans les soins du corps.
« Il ne faut pas avoirtrop de délicatesse, mais aussi il ne faut pas être
sale... Certes, le chrétien doit aimer son corps, comme une image vivante
de celui du Sauveur incarné, comme issu de la même tige avec lui, et par
conséquent, lui appartenant en parentage et consanguinité, surtout
après que nous avons renoué l'alliance par la réception réelle de ce divin
corps du Rédempteur au très adorable sacrement de l'Eucharistie. » line
s'agit donc nullement d'un culte du corps pour lui-même, mais d'un
respect fondé sur la foi en l'Incarnation, une foi qui, ne pouvant être
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3.8 Page 28

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coupée de la vie, commandera tous les gestes qui l'expriment. C'est ainsi
que François de Sales s'opposera toujours aux mortifications extérieures
excessives, capables d'épuiser les forces corporelles. « Il ne faut pas
accabler l'esprit à force de travailler le corps. Je dors fort bien, ce qui m'est
nécessaire, et je veux que vous fassiez de même », écrit-il à sainte J. de
Chantal.
Equilibre dans la recherche de la perfection, loin de tout irréa­
lisme et de l'empressement.
Ainsi, à propos du désir de la souffrance : « Ne désirez pas les croix,
sinon à mesure que vous aurez bien supporté celles qui se sont
présentées, car c'est un abus de désirer le martyr et n'avoir pas le
courage de supporter une injure» (Introduction, 3e partie, ch.37). A
Mme de Chantal, qui visait immédiatement les sommets, il conseille, dès
1605, le cheminement obscur à travers « les basses vallées ». Et puis,
« n'oubliez pas votre quenouille et votre fuseau ; filez le fil des petites
vertus, abaissez-vous aux exercices de charité. Qui dit autrement se
trompe. » A M"e de Soulour, en 1603, ce délicieux billet : « Pratiquons
certaines petites vertus propres à notre petitesse. A petit mercier, petit
panier. Ce sont les vertus qui s'exercent plus en descendant qu'en
montant, et, par suite, elles peuvent s'accommoder à nos jambes : la
patience, le support du prochain, le service, l'humilité, la douceur,
l'affabilité, la tolérance de nos imperfections. Je ne dis pas qu'il ne faille
pas monter dans l'oraison, mais pas à pas. »
Autre sujet important et délicat : la mesure dans les affections.
A M™ de Chantal, saint François de Sales se peignait ainsi à la fin
de sa vie : « Il n'y a point d’âme au monde qui chérisse plus cordialement,
tendrement, et pour le dire tout de bonne foi, plus amoureusement que
moi, car il a plu à Dieu de faire mon cœur ainsi. Mais, néanmoins, j'aime
les âmes indépendantes, vigoureuses et qui ne sont pas femelles, car
cette si grande tendreté brouille le cœuret distrait de l'oraison amoureuse
envers Dieu. Ce qui n'est point Dieu n'est rien pour nous. Comment se
peut-il faire que je sente ces choses, moi qui suis le plus affectif du
monde ? En vérité, je les sens pourtant ; et c'est merveille comme
j'accommode tout cela ensemble, car il m'est avis que je n'aime rien du
tout que Dieu, et toutes les âmes pour Dieu. » Difficile équilibre entre la
tendresse dans les affections légitimes et la force de les maîtriser au
service de Dieu.
26

3.9 Page 29

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Reste la vie quotidienne de prière. Nul plus que François de Sales
n'a insisté sur la nécessité de la prière ; mais la prière n'est pas le but de
la vie, elle n'est qu'un moyen d'union à Dieu, le meilleur sans doute en soi,
mais au service toujours de la charité. Il ira même jusqu'à recommander
à ses filles de « perdre la messe » par charité, sans nécessité absolue,
simplement pour tenir compagnie à une sœur légèrement souffrante,
« car, voyez-vous, la chanté et la douceur de notre bonne Mère l'Eglise
sont partout surnageantes ». Lui-même, accablé d'affaires, vers la fin de
sa vie, il ne prenait presque plus le temps de faire oraison, et il demandait
finalement à l'action de nourrir la contemplation.
27

3.10 Page 30

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4 Pages 31-40

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4.1 Page 31

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spiritualité

4.2 Page 32

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4.3 Page 33

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A. BRIX
approche salésienne
Sous ce titre, André Brix, oblat de Saint François de Sales, présentait dans
les « Annales Salésiennes » 2 de 1981, p. 7, l'article qui suit, il est
cocassement question de... grenouilles. Il l'introduit ainsi : « Avant de partir à
Rome ilpassera l'hiver 1598-99, François de Sales a préparé son voyage avec
Mgr Granier (XI1182) et rédige avec lui un "mémoire" dans lequel sont exposés
tous les problèmes à résoudre : entretenir les prêtres-curés dans les paroisses
du Chablais, ramenées à la foi catholique, retrouver cet argent en possession des
"Chevaliers de Saint-Lazare", demande de libération d'impôts, possibilité d'ab­
soudre les hérétiques, etc. On est étonné, parmi toutes ces questions qui concer­
nent le Chablais, de trouver une question relative à une situation curieuse Viuz-
en-SalIaz, l'évêque possède une terre pour s'y reposer, les paysans devaient
faire taire les grenouilles, nombreuses en cette partie marécageuse, pour
permettre au Seigneur-Evêque de bien dormir ! Il est à croire que Mgr Granier
souffrait beaucoup de cette situation, il est étonnant qu 'il fut obligé de recourir au
pape pour faire cesser cette pratique. «
Les références qui sont faites dans le corps de l'article renvoient aux
« Œuvres Complètes de Saint François de Sales », Editions d'Annecy.
ien des sujets ou taillables de l'évêché sont astreints à
«[) d'innombrables servitudes qui sentent plutôt le paganisme
que le christianisme : s'ils meurent sans enfants, ils ne
peuvent tester mais leurs biens reviennent à l'évêque ; ils doivent
imposer silence aux grenouilles pendant que le prélat dort, et telles autres
choses ridicules... Ces gens demeurent pour l'ordinaire abjects et misé­
rables , se privant même d'acheter à cause de leur triste condition... »
XXII 185.
Nous retrouvons le texte en latin sous cette forme : « ... Ils ne peuvent
se vêtir de drap noir ni porter le moindre ourlet de couleur... Il n'y a
personne qui ne voit combien de telles choses sont indignes d'un
chrétien » XXII 197.
Un autre « mémoire » est adressé au Nonce de Savoie, à son retour
de Rome, en avril 1599 (XXII 205), nous y retrouvons la même supplique
31

4.4 Page 34

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mais avec d'autres précisions : « D'où il résulte que ces gens-là demeu­
rent dans un très grand avilissement d'esprit et de corps ; aussi ne
peuvent-ils jamais bien réussir leur mariage. S'ils ont quelque aubaine,
ils changent de résidence et s'en vont en Allemagne ou en d'autres
provinces, afin qu'à leur décès l'évêque leur seigneur ne puisse avoir
aucun droit sur leurs biens. Que s'ils meurent dans leur patrie, ils font tout
ce qu'ils peuvent à leur mort et pendant leur vie, pour priver leur seigneur,
à force de précautions et de fraudes, de l'héritage qui lui est dû... »
XXII 207.
C'est en effet au Nonce de s'occuper de cette affaire selon ce que
l'on a dit à Rome et ce qu’en écrit François à son évêque en cet hiver
romain (XII 2).
Dans une lettre à sainte Jeanne de Chantal en juillet 1607, François,
qui peut-être a passer une mauvaise nuit à cause des grenouilles, lui
rappelle ce fait : « Je suis ici à Viuz qui est la terre de notre évêché. Or
les sujets étaient anciennement obligés, par reconnaissance formelle, de
faire taire les grenouilles des fossés et marécages voisins pendant que
l'évêque dormait. Il me semble que c'était une dure loi, et, pour moi, je ne
veux point exiger ce devoir. Qu'elles crient tant qu’elles voudront, pourvu
que les crapauds ne me mordent point, je ne laisserais pas de dormir pour
elles, si j'ai sommeil. » XIII 301.
D'après cette lettre, nous pouvons en conclure que la pratique avait
disparu, mais que "la dure loi" devait encore demeurer, puisque François
ne veut pas en faire usage !
Si François rappelle ce fait, c'est que la baronne était sujette à des
tentations ; il lui demande de ne pas s'effrayer, « d'avoir un peu de
patience à souffrir son bruit et son tintamarre aux oreilles de notre
cœur ». id.
32

4.5 Page 35

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spiritualité
de saint françois de sales
COURRIER SAVOYARD
Sous le signe de la liberté et de l'amour, saint François de Sales annonce la
Spiritualité du XXe siècle. Texte du 24 janvier 1969.
aint François de Sales avait une conception très haute et très
noble de l'existence ; d'où son enthousiasme et sa générosité
qui, loin de diminuer avec l'âge, ont connu une progression jus­
qu'à la perfection de la sainteté.
Ses écrits doctrinaux sont le reflet de sa vie, car ce qu'il écrit, il l'a
d'abord vécu. Pour François, il n'y a que ce jour d'hui qui compte. Et il est
impossible de parler de sa spiritualité sans faire ressusciter son époque,
Tellement il était de son temps, ouvert à la moindre information^sensible
à tous les problèmes, vraiment près des siens.
Serviteur de l'Eglise.
Pour lui, l'Eglise, c'est déjà, dans ses grandes lignes, la future
Société humaine. Il témoigne son amour intime pour Jésus, époux de
l'Eglise, par son action dans l'Eglise : ayant refusé tout honneur,
demeurant en son petit Annecy, jl a grandi l'Eglise et rayonné dans
l'espace et le temps.
Continuant la présence de Jésus sur la terre, il témoigne que le
monde a un sens, une destinée, et que par lui, la marche vers l'Amour
a déjà commencé.
Le cœur à cœur, centre de la pastorale salésienne.
Saint François de Sales, quand il prêchait, donnait à chacun de ses
auditeurs l'impression qu'il s'adressait particulièrement à lui. Il aimait
dire : « Qui a le cœur à tout l'homme_», c'est pourquoi il avait horreur de
tout ce qui est extérieur et superficiel.
33

4.6 Page 36

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Mais il ne faudrait pas en tirer un argument pour discréditer la
science, bien au contraire ; elle est, selon lui, la huitième sacrement du
prêtre.
Sens de l'homme.
Le prochain n'est pas seulement un moyen, un prétexte de nous
montrer le Christ, ce qui serait gravement offenser la personne humaine
aimée de Dieu. Non, le prochain est un signe de l'Amourde Dieu, comme
nous-mêmes le sommes et devons en témoigner. En l'aimant d'une
charité toute « cordiale », d'une affection grande et pleine de chaleur,
notre amour s'adresse à la personne humaine, en qui nous voyons
manifesté l'amour de Dieu, désirant sa particulière perfection. Notre
amour est de ce fait un amour de promotion.
En plein dans l'univers de Dieu et des hommes.
Parmi les manifestations variées et insondables de l'amour divin, la
Création nous concerne tout spécialement. Reprenant les conceptions
de saint Paul, le Christ est le « Grand Unisseur », carie Père voulantfaire
plaisir à son Fils, lui offrit une parure, une demeure, un palais. Il créa ainsi
le temps et l'Univers afin de mieux considérer et jouir de son amour. Ainsi
posée sur la tête de Jésus, cette parure devenait divine, et bien qu'elle
ne fût qu'une couronne d'épines, l'Amour qui la portait était si fort que ce
jour-là fut le jour de la plus grande joie. Et c'est dans ce sens que nous
parlons d'optimisme salésien : l'univers entier, le temps créé sont le fruit
de l'Amour de Dieu.
Et de ce fait, rien de ce qui est humain, c'est-à-dire de ce qui est du
monde, de l'actualité n'est étranger à François de Sales.
Une théologie simple et pratique
pour un grand docteur de l'Eglise.
Il faut parler de théologie affective, faite avec les mots de tous les
jours, parce qu'elle expose une vérité de tous les jours, avec les mots de
tous, parce que tous doivent l'entendre. Sa pensée est toujours portée
par le sentiment dont elle suit les mouvements, tous les élans.
C'est pourquoi sa théologie est aussi dynamique : elle conduit
irréversiblement vers l'action, vers le geste, vers la réponse. On ne peut
rester inactif, insensible, on est obligé d'être réveillé et de réagir.
Au centre de sa théologie, François de Sales pose l'intuition qu'il y
a correspondance, convenance, complémentarité entre le Créateur et la
34

4.7 Page 37

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créature. Il y a en l'homme une inclination naturelle d'aimer Dieu. Il n'y a
pas de coupure entre le monde naturel et le monde surnaturel. C'est
pourquoi, dans la création, le Christ est Premier. La nature humaine et
toute la création matérielle qu'elle suppose, la science, la technique,
l'Univers n'ont été_créés et voulus que pour être spécialement unis à la
nature divine dans la personne du Christ, et de tout homme.
C'est pourquoi, durant toute sa vie, François de Sales a continuel­
lement gardé présent à son attention cette tendance innée en chacun
d'aimer Dieu, pour la féconder et la faire fructifier dans la grâce, c'est-à-
dire dans l'amour.
35

4.8 Page 38

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4.9 Page 39

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A. DUVAL
grandes lignes
de la spiritualité salésienne
/.e Père Adrien Duvalest missionnaire de Saint-François-de-Sales. Lors des
« Journées Salésiennes » d'Annecy, en 1976, il a exposé les principaux axes de
la spiritualité de l'Evêque de Genève.
JT es portraits contemporains de saint François de Sales nous
g montrent un prélat au visage calme, grave, quelque peu majes­
tueux, animé d'un regard bienveillant : on devine un homme
paisible et bon qui sait se maîtriser et aborder les événements avec
sérénité.
Les dépositions des témoins de sa vie confirment cette impression.
« Le serviteur de Dieu, dira Michel Favre, son confesseur et confi­
dent, était d'un naturel jovial et gracieux, ennemi de la tristesse et
mélancolie, il avait néanmoins un maintien humblement grave et majes­
tueux, le visage doux ou serein, accompagné d'une contenance modé­
rée et grandement modeste, nullement dissolu ni désordonné en son
port, ni se répandant trop en ses allégresses. Il ne faisait jamais la triste
mine, ni le renfrogné pour importuné qu'il fût, mais recevait chacun avec
un visage égal et fort content...
En ses discours, il était un peu lent et attentif, aussi bien qu'en ses
autres actions, judicieux et considéré, ne disant jamais rien mal à propos,
ou qui témoignât de la légéreté. Sa façon de parler était doucement
grave, point enflée, ni ressentant l'affection du bien dire. Il usait toujours
des termes communs et paroles propres à se faire bien entendre, mais
jamais recherchées. Il était merveilleusement clair, en sorte qu'expli­
quant les plus obscures questions de philosophie ou de théologie qu'on
lui proposait, il les rendait intelligibles aux plus idiots(1). »
Cet homme à l'attitude calme et sereine est loin d'être un quiétiste
trouvant le repos intérieur dans la fuite des réalités. Il vit un temps de cri­
se : dans les événements qui agitent l'Eglise d'alors, il est non seulement
37

4.10 Page 40

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témoin, mais partie prenante et profondément engagé. Il est l'ami des
grands spirituels qui animent le renouveau de la piété en France : il
réforme son clergé ; il restaure la discipline des monastères ; il parcourt
son diocèse dont il visite les paroisses les plus reculées, il fait le
catéchisme, il prêche, il entend les confessions, il participe à des
missions diplomatiques et trouve le temps de composer des ouvrages de
spiritualité et de faire face à une énorme correspondance (25 lettres par
jour, dira un de ses familiers).
Beaucoup de ses contemporains lui disent leur admiration sans que
cela le trouble le moins du monde. D'autres, au contraire, l'attaquent avec
virulence. « Tantôt appelé idolâtre, séducteur, trompeur, pipeur ; tantôt
boute-feu, trouble-paix, séditieux et perturbateur du repos public..., de
telles et semblables malédictions, il avalait doux comme lait, quoique la
rougeur lui montât au visage à cause de l'honnêteté et pudeur qui lui
étaient naturelles(2). »
« Il était extrêmement doux et bénin, déposera Georges Rolland,
Chanoine de la Cathédrale de Genève, ressemblant à un vrai agneau
tant il avait peur de mécontenter aucun soit en parole soit en action(3). »
Chez un homme actif et énergique, cette attitude calme et paisible
dénote une singulière maîtrise de soi pour conserver la paix intérieure
dans un travail accablant, la sérénité face aux attaques et contradictions.
Quelle est donc la source de ce parfait équilibre ?
Il est normal et même indispensable à une recherche spirituelle ou
scientifique d'étudier séparément les éléments de la spiritualité salé-
sienne : devoir d'état, indifférence, prière, confiance, paix, sérénité,
simplicité ; d'analyser et d'étudier sur le plan littéraire comme sur le plan
théorique ou spirituel les écrits du saint et d'approfondir ainsi tous les
aspects du salésianisme.
Aujourd'hui, je voudrais prendre le chemin opposé et chercher à voir
comment tous ces éléments essentiels : amour, prière, indifférence,
simplicité se coordonnent pour former l'équilibre salésien.
AMOUR DE DIEU
François de Sales est pénétré de la révélation de saint Jean : «Dieu
est amour » <4>. Il croit à l'amour : il semble avoir reçu une lumière
particulière, un charisme de l'Esprit-Saint pour méditer la grande réalité
de l'amour divin, pour en explorer la richesse, pour en tirer toutes les
conclusions pratiques.
38

5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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Il croit à l'Amour et nous fait faire notre synthèse et, par conséquent,
notre unité de vie à partir de ce qu'il y a de plus profond et de plus essentiel
en l’homme : le cœur..
La vie spirituelle n'est pas faite d'attitudes extérieures et moralisan­
tes : « Pour moi, Philotée, je n'ai jamais pu approuver la méthode de ceux
qui, pour réformer l'homme, commencent par l'extérieur, par les conte­
nances, par les habits, par les cheveux. Il me semble, au contraire, qu'il
faut commencer par l'intérieur : Convertissez-vous à moi, dit Dieu, de tout
votre cœur ; Mon enfant, donne-moi ton cœur ; car aussi, le cœur étant
la source des actions, elles sont telles qu'il est... Bref, qui a gagné le cœur
de l'homme a gagné tout l'homme(5). »
La piété c'est aimer : « La vraie et vivante dévotion présuppose
l'amour de Dieu, ainsi elle n'est autre qu’un vrai amour de Dieu. » Cet
amour « ne nous fait pas seulement bien faire ainsi nous fait opérer
soigneusement, fréquemment et promptement(6). »
L'amour dont il s'agit est un amour engagé, tourné vers les réalités
de la vie. « C'est une erreur, ainsfqu'une hérésie. de vouloir bannir la vie
dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la
cour des princes, du ménage des gens mariés(7). »
« La dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ainsi elle perfectionne
tout et lorsqu'elle se rend contraire à la légitime vocation de quelqu'un,
elle est sans doute fausse. »
« Elle doit être différemment exercée par le gentilhomme, par
l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée ;
et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion
aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. »
Le devoir d'état est la pierre de touche d'une piété authentique. Sans
doute s'agit-il de l'accomplissement consciencieux des obligations d'une
profession ou d'une charge. Mais le devoir d'état est aussi fidélité à notre
temps en étant partie prenante, chacun à son niveau dans les problèmes
de l'Eglise et du Monde : crise de la foi et des mœurs, sécularisation, faim
dans le monde, violence, justice, etc.
C'est aussi notre devoir d'état de nous accepter nous-mêmes avec
notre tempérament et nos défauts, d'accepter la multitude des circons­
tances qui font la contexture de notre vie : santé, maladie, caractère de
notre entourage, imprévus de chaque jour.
La vie dévote, la piété estjncarnée dans le réel de notre vie et elle
n'est pas ailleurs. Saint François de Sales insiste sur ce réalisme :
39

5.2 Page 42

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« Soyons ce que nous sommes et soyons-le bien (8). »
« Soyons ce que Dieu veut pourvu que nous soyons siens(9). »
« C'est le mal des maux entre ceux qui ont de bonnes volontés qu'ils
veulent toujours être ce qu'ils ne peuvent pas être et ne veulent pas être
ce qu'ils ne peuvent n’être pas(10). »
L'amour se vit dans l'action et la réalité quotidienne : il transfigure la
vie la plus humble comme la plus chargée de responsabilités.
PRIERE
L'amour divin ne peut grandir ni même subsister sans prière : nous
avons besoin de redécouvrir les motivations de notre vie, d'identifier la
présence de Dieu qui nous parle par l'événement, de comprendre
graduellement la signification plénière des appels que Dieu nous adresse
dans la vie quotidienne.
Divers passages du Traité nous rappellent l'union indissoluble de la
prière et de l'action : « Nous avons deux principaux exercices de notre
amour envers Dieu : l'un affectif et l'autre effectif... Par celui-là nous
affectionnons Dieu et ce qiFil affectionne, par celui-ci nous servons Dieu
et faisons ce qu'il nous ordonne... L'un nous remplit de complaisance, de
bienveillance, d'élans, de souhaits, de soupirs etd'ardeurs spirituelles... ;
l'autre répand en nous la solide résolution, la fermeté de courage et
l'inviolable obéissance requise pour effectuer les ordonnances de la
volonté de Dieu (11). »
L'amour affectif « consiste principalement en l'oraison » oùja place
de l'Esprit-Saint est primordiale.
Selon François de Sales, l'oraison est un "colloque", un "devis", une
'¿conversation par laquelle l'âme s'entretient amoureusement avec Dieu
de sa très aimable bonté pour s'unir et joindre à icelle (12). »
Cette conversation commencée avec effort ira en se simplifiant.
L'Introduction nous donne une méthode très détaillée pour faire
méditation. Les pièces essentielles de la méditation seront les considé­
rations l'on pense aux choses divines, les affections qui sont des actes
de volonté (amour, désir...) et les résolutions(13).
La méditation n'est qu'un premier stade : bientôt, l'oraison se
simplifie : une place toujours plus grande est faite aux affections ; la
réflexion, les considérations deviennent difficiles et bientôt impossibles ;
l'union à Dieu se fait de plus en plus intime. L'oraison est devenue
40

5.3 Page 43

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contemplation, laquelle n'est « autre qu'une amoureuse et permanente
attention de [esprit aux choses divines (14). »
Les livres 6 et 7 du Traité décrivent l'évolution de la contemplation
grandit l'intimité avec le Seigneur.
SAINTE INDIFFERENCE
Dans l'oraison, la relation à Dieu évolue :
Elle était d'abord soumission et conformité à la volonté que Dieu
exprime dans les commandements? les conseils et les inspirations. Elle
va devenir union au bon plaisir de Dieu par la résignation et surtout par
la sainte indifférence,
« Il est fort malaisé de bien exprimer cette extrême indifférence de
la volonté humaine ». « L'âme qui est en cette indifférence... doit être dite
avoir sa volonté en une simple et générale attente ; d’autant qu'attendre
n est pas faire ou agiramsj.demeurer expose a quelqu evenement... c est
une simple disposition à recevoir ce qui arrivera ; et lorsque les événe­
ments sont arrivés ou reçus, l'attente se convertit en acquiescement(15). »
L'indifférence conduit à une confiance absolue et à une paix pro-
fonde. « Es-tu tombé dans les filets des adversités ? Hé, ne regarde pas
ton aventure ni les pièges auxquels tu es pris : regarde Dieu et le laisse
faire, il aura soin de toi : jette ta pensée sur lui et il te nourrira. Pourquoi
te mêles-tu de vouloir ou de ne vouloir pas les événements et accidents
du monde, puisque tu ne sais pas ce que tu dois vouloir et que Dieu
voudra toujours assez pour toi tout ce que tu pourras vouloir... Attends en
repos d'esprit les effets du bon plaisir divin, et que son vouloir te suffise
puisqu'il est toujours très bon (,6). »
Saint François de Sales considère l'indifférence comme le haut point
de la perfection : elle met sa marque sur la spiritualité et la vie salésienne.
Ce qui fait la valeur, la signification d'une action, ce n'est pas la
matérialisation de l'acte, mais l'amour qui motive, pénètre et transfigure
fout : on peut aimer Dieu dans toutes les circonstances ou situations
malgré les échecs et tout ce qui contrarie nos vues.
Cette manière d'envisager la vie met chaque chose à sa place
réelle : elle est la base de l’équilibre salésien.
CONFIANCE ET GENEROSITE
De cette doctrine, François de Sales tire les conclusions pratiques.
Notre faiblesse est indéniable : elle ne doit pas nous troubler. Les
41

5.4 Page 44

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premières Visitandinesposentlaquestionàleurvénéré Père : « Une âme
peut-elle, avec le sentiment de sa misère, aller à Dieu avec une grande
confiance A quoi il répond : « Non seulement l'âme qui a connais­
sance de sa misère peut avoir une grande confiance qu'elle n’ait
la connaissance de sa misère... Vous voyez do ne que tant plus nous nous
connaissons misérables et plus nous avons occasion de nous confier
en Dieu puisque nous n'avons rien de quoi nous confier en nous-
mêmes (17). »
L'humilité c’est reconnaître cette pauvreté qui est la nôtre : elle « est
une parfaite reconnaissance que nous ne sommes rien qu’un pur néant
et nous fait tenir en cette estime de nous-mêmes(18). »
L'humilité nous fait par contre grandement estimer les dons de Dieu
« qui sont lafoi¿l'espérance et le peu d'amour que nous avons comme
aussi une certaine capacité que Dieu nous a donnée de nous unir à lui
par le moyen de la grâce... Et cette estime qui fait l'humilité de tous ces
biens est le fondement de la générosité d'esprit. « Cette générosité »
nous fait dire avec saint Paul : je puis tout en celui qui me conforte. »
François de Sales ajoute : « l'humilité qui ne produit pas la générosité est
indubitablement fausse ».
La générosité a toutes les audaces, « entreprend sans rien craindre
tout ce qu'elle sait qui la peut rendre agréable à Dieu... et entreprenant
tout elle croit pouvoirtout, non d'elle-même ainsi en Dieu auquel elle jette
toute sa confiance (19). »
Cela sans impatience car le Seigneur nous laisse « souvent englués
dans nos misères afin que nous sachions que notre délivrance vient de
lui(20). »
Sans nous impatienter non plus de voir les autres cheminer lente­
ment : « cette Congrégation, dit le Saint,... n'est pas une assemblée de
personnes parfaites, mais de personnes courantes, mais de personnes
qui prétendent courir et lesquelles, pourcela, apprennent premièrement
à marcher le petit pas, puis à se hâter, puis à cheminer demi-course, puis
enfin à courir. »
Sans trouble ni étonnement, « nous voyons un chacun cheminer,
courir et voler diversement selon la diversité des inspirations et variété
des mesures de la grâce divine que chacun reçoit(21). »
François de Sales fait confiance à Dieu et respecte le charisme de
chacun ; en chaque personne il sait voir le positif_: il est prêt à aider chacun
à répondre à sa grâce personnelle et tout cela avec un humour bienveil­
42

5.5 Page 45

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lant qui lui montre gens et choses dans leur vraie dimension car il les
regarde comme jls sont vus de Dieu.
SIMPLICITE
François de Sales se rend bien compte que, pour beaucoup, la vie
n'est pas simple. De petits événements insignifiants prennent en notre
esprit des proportions énormes et nous ôtent appétit et sommeil. Nous
nous mettons en souci et nous nous torturons pour des multitudes
d'éventualités qui ne se réaliseront jamais. On vit dans une_angoisse
sans fondement. D'autres se laissent empoisonner par de vieux ressen-
jiments ou se représentent avec angoisse tout ce qui pourrait leur arriver
et n'arrivera probablement jamais. Certains vivent dans une-éternelle
^indécision et hésitent leur vie durant à entreprendre quoi que ce soit : ils
finissent par devenir un fardeau pour eux-mêmes et pour les autres à
moins que ceux-ci aient assez d'humour pour ramener les choses à leurs
réelles proportions.
Pourquoi la vie est-elle si compliquée ?
Le Traité nous répond : « La curiosité, l'ambition, l'inquiétude avec
l'inadvertance et l'inconsidération de la fin pour laquelle nous sommes en
ce monde, sont cause que nous avons mille fois plus d'empêchements
que d'affaires, plus de tracas que d'œuvres, plus d'occupation que de
besogne (23). >>
Le trouble, la complication ne viennent pas de nos occupations
normales mais d'une inconsidération de la fin pour laquelle nous sommes
en ce monde. Ce qui simplifie notre vie, c'est de n'avoir qu'une motivation,
l'amour_de Dieu ; qu'une lumière, la foi. Autrement dit, c'est vivre
pratiquement la sainte indifférence.
Au procès de canonisation, sainte Jeanne de Chantal déposera :
« Je dis que j'ai reconnu clairement par les paroles et actions de notre
Bienheureux, que son amour envers Dieu tenait une souveraine autorité
et régence sur toutes ses passions et affections... Je tiens que c'est une
vérité notoire et publique que toutes les actions de sa vie ont été des
effets et la preuve de ce saint amour divin qui dominait si puissamment
son âme (23). »
Une totale référence à l'amour divin crée l'unité de sa vie. Une
Parisienne, Jeanne de Creil, en est frappée : « Cet exercice de la
présence de Dieu, déposera-t-elle, était cause que toutes ses préoccu­
pations extérieures continuelles ne troublaient pas le repos de son âme
43

5.6 Page 46

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et qu'en la diversité de tant de choses qui lui passaient par les mains il se
maintenait en une merveilleuse égalité (24>. »
Lunité intérieure, la simplicité consiste à chercher Dieu en tout sans
se laisser bouleverser par les événements et les circonstances.
OPTIMISME, JOIE ET PAIX
La simplicité nous établit dans la paix, la joie et l'optimisme : la
tristesse n'est jamais bonne.
« Réveillez souventes fois en vous l'esprit de joie et de suavité, et
croyez fermement qu’il est le vrai esprit de dévotion (25). »
« Il faut non seulement faire la volonté de Dieu... il faut la faire
_gaiement(26). »
« Tenez votre cœur bien large devant Dieu ; allons toujours gaie­
ment en sa présence... que les ténèbres, que les tempêtes nous
environnent, que nous ayons des eaux d'amertume jusqu'au col :
pendant qu'il nous soulève le manteau, il n'y a rien à craindre (27). »
Vivez joyeuse et courageuse car Dieu est le Dieu de joie.. Vivez
joyeuse et généreuse... Dieu nous veut en cette sorte-là (28). »
H faut en tout et partout vivre paisiblement. Nous arrive-t-il de lapeine
intérieure ou extérieure, il lafaut recevoirpaisiblement. Nous arrive-t-il de
la joie, il faut la recevoir paisiblement sans pour cela défaillir. Faut-il fuir
ïe mal, il faut que ce soit paisiblement... Faut-il faire le bien, il faut le faire
paisiblement ; autrement, nous ferions beaucoup de fautes en nous
empressant. Jusque même à la pénitence il faut la faire paisible­
ment (29). »
Cet enseignement nous montre la force d'âme de François de Sales.
La paix intérieure lui paraît extrêmement précieuse : « Pour chose que ce
soit, ne perdez pas votre paix intérieure, quand bien même tout se
bouleverserait ; car qu'est-ce que toutes les choses de la vie en compa­
raison de la paix du cœur ? »
Les contemporains ont été frappés de son égalité d'âme.
François Favre, son maître de chambre, déclarera : « Ce bienheu­
reux était grand amateur de la paix, et comme il avait en lui ce trésor en
un éminent degré, il le communiquait à tous ceux qui l’approchaient et je
ne saurais dire le grand nombre de personnes qui étant venues à lui
toutes troublées s'en retournaient tranquilles. Et cette paix avait pris une
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5.7 Page 47

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si profonde racine en son cœur que rien ne le pouvait ébranler parmi les
contradictions et toutes les adversités qui lui arrivaient. »
Et saint Vincent de Paul : « Aucune injure ne pouvait le contrister,
aucun ennui l'abattre, aucune infirmité l'arrêter. Qu'on le molestât ou le
persécutât, son âme courageuse supportait tout. Les affronts, les épreu­
ves de toutes sortes, il les recevait avec joie comme gain précieux pour
Jésus-Christ(30). »
CONCLUSION
Par ses paroles, ses écrits, son exemple, François de Sales est le
docteur d'une piété dans l'amour, la simplicité, la paix, l'optimisme.
A cette lumière, nous pouvons nous demander : qu'est-ce que c'est
pour nous que d'être salésien aujourd'hui ?
Etre salésien, c'est regarder les personnes et les événements avec
optimisme, dans la certitude que Dieu pénètre tout. Cette certitude
grandit dans la prière intérieure qui reconnaît la volonté et l'amour de Dieu
en toutes circonstances.
La manière salésienne, c'est un esprit d'accueil ouvert aux joies, aux
souffrances, aux faiblesses, aux valeurs des autres. C'est un esprit
d'optimisme qui sait voir dans les événements, le sens providentiel ;dans
les personnes, le positif qui existe toujours à côté des faiblesses, la bonne
intention plutôt que la mauvaise, l'étincelle qui couve toujours sous la
cendre. C'est la sérénité que rien ne trouble, qui ne prend rien au tragique
mais ramène toute chose à ses vraies proportions. C'est la bonté
aimable, accueillante à tous, l'attention portée à chacun, la disponibilité
qui fait que l'on est tout à tous. Etre salésien, c'est surtout la piété simple
et confiante qui croit à l'amour.
(1) Premier procès.
(2) Vie par le Père de la Rivière.
(3) Premier procès.
(4) 1. Jn 4, 8.16.
(5) VD. 3, 23 Pléiade 194.
(6) VD. 1. 1 PI. 32.
(7) VD. 1, 3 PI. 37.
(8) XIII, 53.
(9) XIII, 54.
(10) XIII, 160.
(11) AD. 6, 1. PI. 607.
(12) AD. 6, 1. PI. 609.
(13) VD. 2, 1-9.
(14) AD. 6, 3 PI. 616
(15) AD. 9, 15 PI. 803
(16) PI. 802.
(17) Entr. 3. PI. 1020.
(18) Entr. 19 PI. 1271.
(19) Entr 19.
(20) Entr. 1. PI. 1007.
(21) Entr. 1.
(22) AD. 12. 4. PI. 954
(23) Premier procès.
(24) Premier procès
(25) XIII, 112.
(26) XII. 349
(27) XIII, 193.
(28) XIII, 16, 89, 93.
(29) XIII, 30, 31.
(30) Procès de Paris
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5.9 Page 49

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l'esprit
de saint françois de sales, fondateur
ANNALES SALESIENNES
Tenter de cernerles traits majeurs d'une spiritualité aussi riche que'celle du
Docteur de l’Amour divin est, pour un non-spécialiste, une entreprise risquée.
Nous suivons étroitement une étude parue dans «Annales Salésiennes »
(1974 - 2, pp. 14-16).
eux lignes de force dynamisent la poursuite de la perfection de
la charité que saint François de Sales propose à ses Visitandi-
nes et, en général, à tous ses disciples, dont nous sommes :
1) D'abord, la conformité à la volonté de Dieu.
Dans ses traités, bien connus, ses lettres et ses sermons, saint
François de Sales ne cesse d'expliquer que « la divine volonté est la
suprême raison de tout, la grande maîtresse de notre vie, le principe de
valeur de nos actes... que nous devons l’accomplir par amour en toutes
circonstances, sans inquiétude et sans réserve, avec promptitude et
abandon ».
C'est ce qu'il fait lui-même, au témoignage de sainte Jeanne de
Chantal dans ses « Dispositions pour la canonisation » : « Je dis que j'ai
connu clairement que notre Bienheureux avait une entière résignation au
bon plaisir de Dieu, duquel il dépendait absolument sans aucune ré­
serve ; il disait que chose quelconque qui lui puisse arriver ne lui ôterait
jamais la très résolue résolution qu'il avait d'acquiescer pleinement à tout
ce que Dieu voudrait faire de lui et de tout ce qui lui appartenait. » Un
exemple à l'appui : « Cinq semaines environ après qu'il euf commencé
l'établissement de notre Congrégation, je tombai malade d'une fièvre
continue dont on douta de ma vie. Il vint me visiter et me dit : « Dieu veut
« peut-être se contenter de notre essai et de la bonne volonté que nous
« avons eue de lui dresser cette petite compagnie, comme il se contenta
« de la volonté qu'eut Abraham de lui sacrifier son fils. Si donc il plaît à
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5.10 Page 50

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« sa bonté que nous nous en retournions du milieu du chemin, que sa
« volonté soit faite. » Or, je puis dire en vérité que ceci était un acte
héroïque de résignation, à cause des grands fruits qu'il prévoyait de voir
arriver aux âmes par cette manière de vie. »
Quand il exprimera quel doit être le caractère des Filles de la
Visitation, il dira que : « ce caractère est de chercher en toutes choses la
volonté de Dieu et de la suivre ». Dans un autre entretien sur la
condescendance, il dit encore : « Considérez cette volonté en votre
particulière personne, en tout ce qui vous arrivera de bien et de mal et qui
peut vous arriver hors le péché ; puis, adorez cette souveraine volonté,
exposant à sa merci et lui donnant votre personne, et celle de tous les
vôtres, et j'en suis ; enfin, concluez par une grande confiance en cette
volonté qu'elle fera tout bien pour vous et notre bonheur. »
2) Humilité et douceur.
Toujours dans ses dispositions pour la canonisation de son Bien­
heureux Père, sainte Jeanne de Chantal nous parle de ses vertus de
douceur et d'humilité : « Son humilité était cordiale, noble, véritable et
solide, qui le rendait totalement indifférent à l'honneur ou au mépris ; il
avait une très basse estime de lui-même. Il me dit une fois qu'il avait
travaillé trois ans entiers pour acquérir cette vertu qu'il aimait et estimait
souverainement. » « Je dis que la douceur de notre Bienheureux était
incomparable, et c'est la vérité !... Je ne pense pas que l'on puisse
exprimer la grande suavité et débonnaireté que Dieu avait répandues en
son âme ; il disait que l'esprit de douceur était le vrai esprit des Chrétiens.
Il me dit une fois qu'il avait été attentif trois années pour acquérir cette
sainte vertu, qui le rendait condescendant à tous, et faisait qu'il donnait
au prochain sa personne, ses moyens, ses affections, afin que chacun
s'en servit selon ses besoins. »
Un jour, au cours de ces entretiens familiers qu'il avait avec ses
premières filles, celles-ci lui demandèrent quel est l'esprit de la Visitation.
Après quelques explications sur ce que veut dire « l'Esprit d'un Ordre »,
il dit : « J'ai toujours jugé que l'esprit de la Visitation est un esprit d'une
profonde humilité envers Dieu et de douceur envers le prochain, sup­
pléant en cette maison à l'austérité des Sœurs Carmélites, des Sœurs de
Sainte Claire. »
« Aujourd'hui, la vertu de douceur n'aurait-elle pas besoin d'être
"revalorisée" ? On préfère parler de violence, et le mot a, de ce fait,
beaucoup plus cours. Le Seigneur exige les deux dans son Evangile,
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6 Pages 51-60

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6.1 Page 51

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mais toutes deux bien comprises, ce qui n'est pas commun ! S'il a dit un
jour : "Le Royaume des Cieux souffre violence et des violents le prennent
de force" (Mat. 11, 12), on ne peut pas oublier cette autre parole :
"Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux
et humble de cœur" (Mat., 11,29) ». Saint François de Sales, qui, au dire
de sainte Jeanne de Chantal, « a eu bien de la peine pour acquérir cette
vertu en vingt ans », ne confondait certainement pas douceur et mièvre­
rie. Il sait que pour arriver à la vraie douceur il faut beaucoup lutter. C'est
pourquoi il propose à ses Visitandines d'exercer la vertu de force, non
comme leurs Sœurs Carmélites ou Clarisses dans la pratique des
austérités physiques, mais dans l'acquisition de ces vertus difficiles : la
douceur et l’humilité.
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l'esprit
de saint françois de sales, fondateur
ANNALES SALESIENNES
On est religieux, religieuse, pour mieux aimer et témoigner de l'Amour de
Dieu, en Jésus-Christ, dans l'Eglise. Mais « l'esprit est prompt et la chair est
faible ». D'où la nécessité, plus que jamais vitale, d'une vraie vie de prière.
y omment vivre avec les autres, tout en n'étant plus les autres ? Par
la prière. Prier, c'est ce qui me relie à Dieu, par Jésus-Christ pour
m'accorder avec Lui. « Le joueur de luth a accoutumé d'en
tâter toutes les cordes de temps en temps, pour voir si elles n'ont point
besoin d'être rebandées ou bien lâchées, afin de les rendre bien
accordantes, selon le ton qu'il leur en veut donner ; de même, il est
nécessaire que nous tâtions et considérions toutes les affections de notre
âme, pour voir si elles sont bien accordées pour entonner le cantique de
la gloire de Dieu. » « Nous quitterons notre vie humaine pour vivre une
autre vie plus éminente, au-dessus de nous-même, cachant toute cette
vie nouvelle en Dieu avec Jésus-Christ, qui seul le voit, le connaît et le
donne. » « Il faut que tout l'homme prie, sa bouche baillante, comme
un oiselet qui attend que sa mère le vienne rassasier. »
Prière personnelle, dans un climat de communauté.
Car on peut prier partout et tout est occasion de prières. « A quoi
toutes choses nous invitent, et il n'y a écriture qui n'annonce la louange
de leur Bien Aimé ! Tout ce qui est au monde parle d'un langage muet
mais fort intelligible en faveur de leur amour ; toutes choses provoquent
à de bonnes pensées d'où naissent ensuite beaucoup d'élans et d'aspi­
rations en Dieu. » Impossible de ne pas songer ici à l'autre François,
celui d'Assise, avec son fameux cantique des créatures, ou au psau­
me : « Œuvres du Seigneur, bénissez toutes le Seigneur ».
« Tout crie aux oreilles de notre cœur : Amour, Amour. Les
faibles, comme coquilles, bouchon et tiges d'herbes, se laissent emporter
tantôt à l'affliction, tantôt à la consolation, à la merci des ondes et vagues
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de la fortune, mais les grands courages demeurent fermes et immobiles
à toutes sortes d'orages. Dieu convertira toutes les épines de votre cœur
en roses odorantes. Pour moi, j'ai eu un plaisir non pareil à penser au
grand honneur qu'un cœur a de parler seul à seul avec Dieu, à cet être
souverain, immense, infini. »
Prier et aimer avec les créatures, prier et aimer avec Dieu fait
homme : « Celui dont souvent il est écrit : « Je vis moi-même, dit le
Seigneur », a pu dire par après, selon le langage de son Apôtre : « Je vis
moi-même, non plus moi-même, mais l'homme vit en moi ; ma vie, c'est
l'homme, et mourir pour l'homme c'est mon profit ; ma vie est cachée avec
l'homme en Dieu. » Celui qui habite en soi-même habite maintenant en
nous, et Celui qui était vivant avant les siècles dans le sein de son Père
fut, par après, mortel dans le giron de sa Mère temporelle, et (demeure)
à jamais encore homme, tant l'amour de l'homme a ravi Dieu et l'a tiré à
l'extase. » « J'ai apporté, dit-il, le feu sur la terre, qu'est-ce que je
demande, sinon qu'il brûle ? Et en un autre endroit, il commande que le
feu de son amour soit toujours allumé sur l'autel de notre cœur. O Dieu,
quelle grâce est celle que Dieu vous fait ! Il vous rend apôtresses... (sic),
non en la dignité, mais en l'office et au mérite. » (Notez qu'il s'adresse à
des Religieuses.)
Mais au fond, n'est-ce pas l'idéal de tout chrétien ? Ecoutez la
réponse que fit saint François de Sales pour une fille qui voulait se faire
religieuse :
« Je sais bien que dans le monde on peut servir Dieu et faire son
salut ; mais je ne doute point que ceux que Dieu en retire n'aient
davantage de moyens de le servir et que nous ne devons pas nous arrêter
ou bien quand nous pouvons atteindre au mieux. Voilà pourquoi cette fille
vous demande, comme le plus grand bienfait, de vouer son corps, son
âme, ses pensées, ses forces, ses années et sa liberté à Celui qui lui a
donné tout ce qu'elle a. »
Avec Lui, par Lui, en Lui, vivre le Christ en pleine liberté, le révéler
aux autres, servir, témoigner, prier, aimer : telle est la vie religieuse. On
lit, aux premières lignes du Directoire de la Visitandine édition
1627 dont sont tirés les textes ci-dessus : « Que toute leur vie et
exercices soient pour s'unir avec Dieu, pour aider par prières et bons
exemples pour la Sainte-Eglise, et le Salut du prochain ».
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6.5 Page 55

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l’esprit
de saint françois de sales, fondateur
ANNALES SALESIENNES
Des « Annales Salésiennes » 1974 ((N° 2), dirigées parle P. Dannemuller,
nous extrayons quelques textes d'une savoureuse richesse qui envisagent la vie
religieuse en ses divers aspects, telle que la concevait le fondateur de la
Visitation.
ourquoi avez-vous choisi d'être religieux ? Saint François de
g Sales répond : « Par Amour ».
« Dieu ne se contente pas d'annoncer son extrême désird'être aimé,
en public. Il va même de porte en porte heurtant et frappant, protestant
que si quelqu’un ouvre il entrera chez lui et soupera avec lui ; c'est-à-dire,
il lui témoignera toutes sortes de bienveillance. » « Jésus vivra dans
votre cœur et paraîtra en vos yeux, en votre bouche, en vos mains, voire
en vos cheveux. » « Pratiquez ces humbles vertus, lesquelles, comme
les fleurs, croissent au pied de la Croix : le Service des pauvres, la
Visitation des malades. » Mieux Aimer et mieux Servir, dans le sacrifice.
Que m'apporte la vie commune ? Un cadre pour mieux vivre
mon engagement chrétien. « Entre les frères, à cause de la ressem­
blance de leurcondition, la correspondance de leuramourfaitune amitié
ferme, forte et solide. C'est pourquoi les anciens chrétiens de la primitive
Eglise s'appelaient tous frères ;de même, les religieux, pour marquer de
la sincère et vraie amitié qu'ils se doivent porter, c'est-à-dire une amitié
qui a son fondement dans le cœur. » « L'Amour désire le secret, et
quoique les amants n'aient rien à dire de secret, ils se plaisent toutefois
à le dire secrètement. Et c'est en partie, si je ne me trompe, parce qu’ils
ne veulent parler que pour eux-mêmes, et disant quelque chose à haute
voix, illeurestavisquece n'est plus pour eux seuls ; en partie, parce qu'ils
ne disent pas les choses communes à la façon commune, mais avec des
traits particuliers et qui ressentent la spéciale affection avec laquelle ils
53

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parlent. Le nom d'Ami étant dit à part, en secret, à l'oreille, il veut dire
merveilles, et à mesure qu'il est dit plus secrètement, sa signification est
plus aimable. » Communauté d'Amour, et, aussi, secret de l'oraison.
Vivre et travailler en l'Eglise, en esprit de liberté.
« Ce nest pas le propre des roses d'être blanches, ce me semble, car
les vermeilles sont plus belles et de meilleure valeur ; c'est néanmoins le
propre du lys. Soyons ce que nous sommes et soyons-le bien, pour faire
honneur au Maître ouvrier, duquel nous sommes à la besogne. » « Je
vous souhaite l'esprit de liberté, c'est-à-dire la liberté des enfants de Dieu,
et qu'est-ce ? C'est un dégagement du cœur pour suivre la vçlonté de
Dieu. Nous demandons à Dieu avant toutes choses, que son Nom soit
sanctifié, que son royaume advienne, que sa Volonté soit faite en la terre
comme au ciel (Matt. 6,9). Tout cela n'est autre chose que l'esprit de
liberté ; car pourvu que le Nom de Dieu soit sanctifié, que sa Majesté
règne en nous, que sa volonté soit faite, l'esprit se soucie d'autre chose. >>
En termes différents, c'est le « Da mihi animas » de Don Bosco. « Notre
Seigneur avait mis le feu de la charité au monde. Les Apôtres avec le
souffle de leur prédication l'avaient accru et fait courir par tout le monde.
Il faudrait peut-être rebattre de nouveau avec les clous et la lance de
Jésus-Christ pour en faire sortir un feu nouveau. » « Le vrai zèle est
enfant de la charité, car c'en est l'ardeur... L'ardeurdu vrai zèle est pareille
àcelle du chasseur, qui est diligent, soigneux, actif, laborieux et affection­
à la chasse... Le vrai zèle a des ardeurs extrêmes mais constantes,
fermes, douces, laborieuses, également aimables et infatigables. »
On dirait aujourd'hui que le « religieux » c'est la « tête chercheuse de
l'Eglise » et qu'il a un rôle de sensibilisation très aigu pour conduire le
monde vers une plus grande conscience.
Conscience de quoi ? Conscience que toute la création baigne
dans l'Amour de Dieu.
« Dieu ne dit qu'un seul mot, et par sa force, en un moment furent
faits le soleil, la lune et cette multitude innombrable d'astres, avec leurs
différences en clartés, en mouvements, en influences... Un seul mot de
Dieu remplit l'air d'oiseaux et la mer de poissons, fit éclore de la terre
toutes les plantes et tous les animaux que nous y voyons. » « Il est vrai
que Dieu acréé le monde pour l'homme avec intention qu'il usât des biens
qu'il trouverait en lui, mais non point qu'il en jouît comme si c'était sa fin
dernière. Il créa le monde avant de créer l’homme, car il voulut lui préparer
un palais, une maison et demeure dans laquelle il pourrait se loger ;
ensuite, il le déclara maître de tout ce qui est en lui, lui permettant
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6.7 Page 57

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de s'en servir, mais non point en telle sorte qu'il n’eût point d'autre désir,
car il l'avait créé pour une fin plus haute qui est lui-même. »
Pour être valable et efficace, notre témoignage suppose de re­
joindre les hommes ils sont et de les prendre tels qu'ils sont : il faut
évoluer. « Je vois la porte ouverte de la réforme religieuse. Je vous
supplie que, parce que cette porte est étroite et malaisée à passer, vous
preniez la patience de conduire par celle-ci vos sœurs, l'une après
l'autre ; car, de les y vouloir faire passer à la foule et en presse, les unes
ne vont pas si vite que les autres. » Prudence. Respect des valeurs
authentiques.
55

6.8 Page 58

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6.9 Page 59

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F. de SALES
1er juin 1603, à annessi
Cette lettre de François de Sales « à Monseigneur le Duc de Nemours,
Genevois et Chartres » a été découverte dans les archives du Carmel de
Fourvière, en octobre 1982 et jusque inédite. C'est la première publication...
On y voit l'évêque de Genève à la fois pasteur, réconciliateur et intercesseur.
Nous transcrivons d'abord, dans son orthographe originale, le texte de la
lettre avant de présenter le cliché du document.
A Monseigneur le Duc de Nemour, Genevois et Chartres.
« Pour obéir a vos commandemens, que jobserveray toute ma vie
inviolablement ; jay parlé avec Monsr Berthelot pour voir sil y aurait
moyen de le reconcilier avec tous ceux qui sembloyent avoir quelque
sujet de rancune contre luy. Il m'a respondu que quant a tous les autres,
il ne leur avoit aucune mauvaise affection, estoit bien ayse de leur
restablissement en liberté, et avoit esté (?) marri de leur affliction,
notamment du Sr de charmoysi. Mays que quant a Monsr lAbbé de
Talloyres, vostre grandeur, Monseigneur luy avoit commandé par ses
lettres de ne point y penser, et que sans un contraire commandement il
ne vouloit en façon quelconque avoir aucune cogitation d'accommode­
ment. Elle y pourvoira (?) sil luy plaît selon son accoustumee pieté affin
que l'excommunication soit evitee, et que sous l'apparence des considé­
rations humaines, la volonté de Dieu ne soit violee ; Je m'attens tous les
jours de recevoir l'ordre necessaire a la liberté de Sr de charmoysi mon
parent, puisqu'il a pieu a vostre grandeur, Monseigneur, m'en donner la
plus grande assurance que'un (?) pouvoit desirer qui (...) Inviolable
parole. Dieu vous comble, Monseigneur de toute sainte prospérité,
souhait continuel de vostre très humble très obéissant et très fidele
orateur (?) et serviteur.
1er Juin 1603
a Annessi
Françs e. de Geneve.
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6.10 Page 60

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7 Pages 61-70

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7.2 Page 62

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7.3 Page 63

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un saint
bien incarné

7.4 Page 64

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Saint François de Sales. (Restout) >

7.5 Page 65

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7.7 Page 67

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le salésianisme au XVIIe siècle
R. DEVOS
L'étude de l'origine sociale des Visitandines d'Annecy et du rayonnement
des Visitations de Paris montre que le saliésianisme semble s'être diffusé de
préférence dans les milieux qui montent de la bourgeoisie à la noblesse par les
charges et les offices, donc la fraction des classes dirigeantes qui opère une
ascension sociale dans le cadre des anciens ordres de la nation.
v a grande vague du salésianisme coïncide avec « la montée des
J grandes eaux religieuses (1), de 1520 à 1680, et son recul se
rencontre à peu de chose près avec la date du reflux de
ces grandes eaux vers 1680. En d'autres termes, l'apogée de l'influence
salésienne coïncide avec le triomphe de la réforme catholique dans notre
pays. Et ceci nous permet de souligner la place que saint François de
Sales, son exemple et son œuvre ont tenu dans ce mouvement de
rénovation de l'Eglise catholique, commencé en Italie et en Espagne dès
avant le Concile de Trente, mais qui ne s'affirme en France qu'avec la
paix retrouvée au lendemain des guerres de religion.
Il est assez facile, semble-t-il, d'expliquer cette montée du courant
salésien en concordance avec l'affirmation de la Réforme catholique.
« L'Introduction à la vie dévote », le livre salésien par excellence,
répondait à certaines aspirations précises de la société d'alors. Ces
aspirations, on peut les résumer en deux points : le besoin de réconci­
lier la religion et la vie et le besoin de civilité.
Le besoin d'une religion personnelle, consciente, adaptée à la
situation du chrétien dans le monde et à ses obligations sociales, était
ressenti depuis la fin du Moyen Age. Il se faisait plus pressant à mesure
que se dégageait une élite cultivée, qui voulait accéder aux sources de
la foi et ne se contentait plus d'un conformisme de pratique extérieure. A
sa manière, qui a été celle d'une révolution, la Réforme protestante a
répondu à ce besoin, et c'est ce qui explique en grande partie son succès,
notamment auprès des intellectuels et des classes dirigeantes... Avec un
retard certain, mais avec un dynamisme qui s'accrut après le Concile
65

7.8 Page 68

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de Trente, la réforme catholique a répondu également à ce besoin
ressenti par l'élite laïque. Elle a répondu à sa manière, c'est-à-dire par un
conservatisme doctrinal et disciplinaire, à une réforme des hommes et
des mœurs plus encore que des institutions.
Saint François de Sales s’inscrit dans ce courant comme promoteur
d'une vie chrétienne fervente, d'une sainteté accessible à tous, dans le
cadre des différents états de vie. A-t-il été le premier dans cette voie ?
Certainement pas ; il suffit de jeter un coup d'œil dans la bibliographie
religieuse de l'époque pour voircombien étaient alors nombreux les livres
de dévotion qui s'adressaient à tous. Saint Ignace de Loyola, au début du
XVIe siècle, avait déjà composé ses « exercices » à l'usage des clercs
comme des laïcs. Plus près de saint François de Sales, le dominicain
Louis de Grenade, le théatin Laurent Scupoli, prétendaient bien aussi ne
pas s’adresser qu’aux religieux. Mais ce qui fait l'originalité de « L'Intro­
duction » et explique son énorme succès, c'est la nouveauté et l'ampleur
de la synthèse chrétienne qu'elle proposait au public, ainsi que la forme
sous laquelle elle se présentait.
Le second besoin auquel répondait « L'Introduction », c’est ce
qu'on peut appeler avec les auteurs du temps, le besoin de civilité.
Après les guerres de religion, époque rude, de déchaînement des
passions et des instincts, un besoin de calme, de tranquillité, de politesse
et de raffinement dans les relations sociales se fait sentir et se traduit en
littérature par le courant de la préciosité. Saint François de Sales répond
à ce besoin en proposant un idéal de dévotion civile, c'est-à-dire la
possibilité de remplir les obligations de la vie sociale tout en menant une
vie chrétienne profonde, mais il le fait sans compromis sur la doctrine
traditionnelle. La forme est agréable, mais le fond est exigeant. On peut
dire qu'il a donné, pour son temps, une solution particulièrement adaptée
et équilibrée de cet éternel problème de Dieu et de l'homme, du ciel et de
la terre, de l'Eglise et du monde. Et c'est ce qui explique sans doute son
succès, particulièrement auprès d'une élite montante habituée à l'austé­
rité, à la gravité, à la réflexion, mais que son ascension sociale obligeait
à paraître et à jouer un rôle grandissant sur la scène du monde.
Mais qui dit « équilibre » dit en même temps quelque chose de
fragile, de nuancé, d'instable... Avant même « le reflux des grandes
eaux », la crise janséniste a fait tort à saint François de Sales. L'équilibre
salésien, cet « humanisme dévot » pour lequel un Caussin, un Camus
luttent entre 1630 et 1640, sont compromis par le jansénisme. Car,
qu'est-ce que le jansénisme, par rapport à cette dialectique de Dieu et de
l'homme, de la grâce et de la nature, sinon une tendance à nier le second
66

7.9 Page 69

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terme pour mieux affirmer le premier ? Ne semble-t-il pas alors que pour
toute une partie de l'élite la vie chrétienne fervente au milieu du monde
ne soit plus possible ? Ces graves magistrats, ces savants docteurs qui
s'enferment à Port-Royal ne sont-ils pas l'antithèse du dévot salésien
véritable ? Tout un courant pousse une partie de la haute société dans
ce sens... Alors ? « L'honnête homme contemporain de Pascal, de
plus en plus séduit par le monde et se voyant pour sa tiédeur exclu de la
communauté des saints, finira par ne plus garder qu'un vernis de religion
plaqué sur un fond d'indifférence et d'incrédulité. » (R. Badz L'homme
et son « institution » de Montaigne à Bérulle. 1543.)
(1) P. Chaunu : « La civilisation de l'Europe classique ». Paris, 1966.
67

7.10 Page 70

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8 Pages 71-80

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8.1 Page 71

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L.-J. SUENENS
saint françois de sales
et Vatican II
A l'occasion du quatrième centenaire de la naissance de saint François de
Sales ( 1567), le Cardinal Suenens a écrit ce texte. On le trouve dans un
recueil : « Saint François de Sales. Témoignages et Mélanges », publié, par
l'Académie salésienne d'Annecy, aux Editions Franco-Suisses, en 1968. Il
constitue le tome LXXX de la collection « Mémoires et Documents ».
y- es saints débordent leur temps parce qu'ils vivent de Dieu et en
K. Dieu : autant que l'action divine elle-même, ils échappent à nos
étroitesses. Leur histoire se continue dans l'histoire de l'Eglise
elle-même comme un gulf-stream s'enfonce dans la mer. Ils sont pré­
sents parmi nous, que nous le sachions ou non.
Cela me paraît très particulièrement vrai pour saint François de
Sales.
Si le contexte de sa vie est tellement différent du nôtre, on aurait tort
cependant d'en conclure qu'il a perdu son actualité pour notre temps.
Qu i voudrait déceler les traces de saint François de Sales dans la vie
de l'Eglise contemporaine n'aurait aucune peine, me semble-t-il, à
découvrir sinon son nom, du moins son influence perceptible dans
l'interligne de quelques grands textes conciliaires. J'en citerai trois
exemples qui me paraissent frappants.
Tout d'abord le chapitre V de « Lumen Gentium » consacré à l'appel
universel à la sainteté dans l'Eglise. A l'heure actuelle il nous paraît allant
de soi et évident que chaque baptisé clerc ou laïc est appelé par le
Seigneur à la même sainteté fondamentale en réponse à l'unique
commandement:« Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait ».
Cela n'était pas une évidence, loin de là, lorsque François de Sales écrivit
son livre choc, l'Introduction à la vie dévote. Ce livre était un livre d'avant-
garde, révolutionnaire. Il a fait sortir la spiritualité du cloître pour en faire
69

8.2 Page 72

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une exigence du christianisme tout court. L'étonnement que le livre
provoqua mesure la profondeur du renouveau qu’il inaugurait. Ce serait
une ingratitude de notre part que de ne pas reconnaître que saint
François de Sales a écrit, avant la lettre, le chapitre V de « Lumen
Gentium ».
Un second exemple se trouve dans la Constitution « Gaudium et
Spes » au chapitre sur le mariage. Il nous paraît bien normal aujourd'hui
de situer l'amour au cœur du mariage et d'accentuer la nécessaire
communion interpersonnelle des époux selon toutes les dimensions
spirituelles et aussi physiques qu'elle comporte. Ceux qui ont travaillé à
l'élaboration de ce texte conciliaire savent que l'amour ne figurait même
pas dans les schémas primitifs nec nominetur !et qu'il fallut quelque
ténacité pour l'y introduire et l'y maintenir en bonne place, à l'encontre
d'une conception purement juridiste du mariage.
Cette bataille aujourd'hui gagnée et acquise est le fruit d'une longue
histoire au seuil de laquelle figure à l'avant-plan le nom de saint François
de Sales, le théologien de l'Amour de Dieu et de l'amour humain.
Certaines pages de François de Sales parurent trop directes et lui
valurent des éditions expurgées. Par la lutte anti-janséniste qu'il livra,
l'Evêque d'Annecy a bien mérité de la spiritualité conjugale et familiale qui
s'épanouit sous nos yeux. Autre est celui qui sème, autre celui qui
moissonne.
Enfin—car il faut se borner—on retrouverait encore sans peine des
traces de saint François de Sales dans le combat mené au Concile pour
dégager la vie religieuse de certains carcans juridiques. Le décret
« Perfectae Caritatis » poursuit une œuvre entamée par lui. Chacun sait
que le Fondateur de la Visitation eut maille à partir avec Mgr de
Marquemont, archevêque de Lyon, et avec Louis XIII qui l'empêchèrent
d'établir l'ordre religieux de ses rêves à l'encontre du droit canon. Avec
sainte Jeanne de Chantal il plaida en vain et perdit la partie. Sans oser
dire que Vatican II marque le triomphe posthume de saint François de
Sales, il faut reconnaître qu’un pas important a été acccompli à présent
en vue de la promotion humaine, féminine et apostolique de la religieuse.
Ici encore, il fut un précurseur, un homme mené par l'Esprit.
Il me semble qu'à l'occasion de son quatrième centenaire il conve­
nait de reconnaître le dette de gratitude que notre génération lui doit. Pour
nous il est proche, vivant, actuel. Sa chaude, lumineuse et sereine
présence nous aide à comprendre et à vivre la joie anticipée de la
communion des saints.
70

8.3 Page 73

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valeurs salésiennes
et homme moderne
REVUE DES PRETRES DE SAINT FRANÇOIS DE SALES
Au cours de la Semaine Salésienne de juillet 1976, à Annecy, un numéro
spécial (février 1976) de la Revue des Prêtres de Saint François de Sales était
présenté sous le titre : « Une vie Evangélique à la Salésienne ». Nous en
extrayons les lignes suivantes :
EN MISSION : VALEURS SALESIENNES ET HOMME MODERNE
Pour guérir le monde, saint François de Sales pense qu'il faut
changer l'homme. « Sa méthode se résume par ces trois verbes :
accepter, refuser, promouvoir » dans une lumière d'Evangile : « O
combien nous devons relever nos courages pour vivre selon ce que nous
sommes et imiter le plus parfaitement qu’il se peut Celui qui est venu nous
enseigner ce que nous devions faire, afin de conserver en nous cette
Beauté et Divine Ressemblance qu’il a si entièrement réparée et embel­
lie ! » (X, 274)
Bien des traits caractéristiques de l'homme réévangélisé à la ma­
nière de saint François de Sales nous sont familiers. Méditons-les en
face des besoins de notre génération et nous découvrirons sans peine
qu'il y a là, pour la Bonne Nouvelle, un chemin parfaitement actuel vers
le cœur de l'homme. En face de cette double liste (qu'on peut réviser), à
chacun de se laisser interroger par l'Esprit, de découvrir son appel
préférentiel ou l'appel plus urgent du champ qu'il a à évangéliser...
Par exemple en allant
du sillage de François de Sales :
« Dieu est amour, en Lui et
pour nous » ; la Charité, va­
leur première, but, moyen et
sommet de la perfection ; la
à la rencontre de :
Athéisme ; restes de jan­
sénisme ; religion utilitaire ;
ascétisme égocentrique ;
moralisme étriqué ; égoïs-
71

8.4 Page 74

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Volonté de Dieu : absolu
de l'univers et du bonheur
de l'Homme...
« L’homme perfection... et
voix de l’univers... abrégé
du monde » attention à
l'homme tout entier
« image et semblance de
Dieu »... esprit de liberté
chrétienne... sens de la
vie.
L'homme intérieur : hié­
rarchie des éléments de
son être ; conscience
éveillée, lucide, loyale ;
équilibre et force.
La prière : vraie rencontre
avec Dieu, engageant la
vie, ouverte aux petites
gens...
L'humilité confiante ;
sainte indifférence, aban­
don... simplicité.
La douceur : paix, joie,
optimisme, sourire, ac­
cueil, tolérance, écoute
patiente...
72
me, esclavage du matériel
ou du confort ; idoles mo­
dernes et leurs fausses
promesses... quêtes uni­
verselle du bonheur...
Dignité, volonté de vi­
vre, responsabilité ; ab­
sence d'idéal ; condition­
nements ; conformisme,
incivisme ; volonté de puis­
sance. ..non-sens del'exis-
tence...
Morales grégaires, dé­
viées, utilitaires, à la mo­
de ¡flottements, excès in­
dividuels ou sociaux ; re­
lativisme ; tyrannie de
l'opinion... Aspiration à
l'authenticité...
Esclavage du bruit, disper­
sion, verbalismes, forma­
lismes, routines.
Orgueil, dominations di­
verses... caprices, avidité,
parti-pris, entêtement,
égoïsmes, duplicité, vani­
tés...
Violence, dureté, déses­
pérance ; morosité, cas­
tes, privilèges, fanatismes
Aspirations à la paix,
non - violence ; désir de
s’exprimer ; besoin de
dialogue ;decompterpour
quelqu'un...

8.5 Page 75

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L'a priori d'amitié, de bien­
veillance.
Le christocentrisme salé-
sien (création, incarnation,
croix, Cœur...) « C'est Lui
qui vit en moi » (la citation
préférée de saint Fran­
çois.
etc., etc.
Indifférence, individualis­
mes, agressivité , solitu­
des, clans...
Le goût des modèles...,
recherche affolée de cohé­
rence, d'unité vécues...
etc., etc.
L'esprit est en attente, au cœur des hommes, au cœur même le leurs
pauvretés et des souffrances de leurs déviations ; l'Esprit est à l'œuvre
dans les charismes de l'Eglise, pour aller à leur rencontre.
Salésiens par appel du Seigneur, ne nous revient-il pas de faire à
nouveau se rejoindre ce que saint François de Sales a appris être
l'essentiel du Cœur de Dieu et du cœur de l’homme, de tout homme ?
Partageant la confiance de l'Eglise en l'opportunité de sa méthode
apostolique, soyons-en les témoins actifs ; partout semons des valeurs
salésiennes. Nous avons mission et grâce pource chemin d'Evangile des
pauvres...
73

8.6 Page 76

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8.7 Page 77

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J. SAUVAGE
la modernité
de françois de sales
En août 1986, Mgr Jean Sauvage, ancien évêque d'Annecy, a publié les
pages qui suivent sur « la modernité de saint François de Sales ». Il définit lui-
même ce qu'il entend par « modernité » : Disons que la modernité est une
certaine façon d'envisager les questions, d'aborder les gens, de parler des
choses de la foi et de l'humanité dans un langage accessible à nos contempo­
rains, en épousant leur façon de sentir, de raisonner, de réagir. Le mot de
modernité est préférable à celui d'actualité qui tendrait à introduire un person­
nage. une époque,dans la conjoncture de notre temps et de forcer sur les
ressemblances pour les faire valoir. De toute façon, la présente réflexion suppose
l'identité de l'homme en son essence, à tous les âges. Mais spécialement dans
les périodes qui relèvent de l'humanisme.
La brochure est publiée à l'Abbaye de La Rochette - 73330 Pont-de-
Beauvoisin.
1. Dans un premier point, l'auteur traite rapidement d'une question préa­
lable : « Peut-on être de son temps au XVIesiècle et être moderne ? »
« Pour introduire la question, je me réfère à un prédicateur que j'ai
entendu à la télévision, aux fêtes du quatrième centenaire de la nais­
sance de saint François de Sales ; il défendait la thèse suivante : saint
François de Sales était bien de son temps : c’est la raison pour laquelle
il ne peut être du nôtre. Iladéfendu le spiritueldans sa pureté ;aujourd’hui
nous sommes affrontés à des questions autres et autrement difficiles : les
révisions audacieuses sinon déchirantes, les réformes de structure dans
la vie de l'Eglise et de la Société, le dialogue avec les incroyants, l’aide
urgente et massive qu’attend le Tiers-Monde pour rejoindre une meilleure
répartition des richesses matérielles et culturelles, condition d’une paix
durable entre le Nord et le Sud, comme entre l’Est et l’Ouest.
>> Il me semble que saint François de Sales sourit doucement en
écoutant cette argumentation : elle était tenue avant 1968 ! Elle a été mise
en échec par la révolution culturelle, qui est première en importance par
75

8.8 Page 78

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rapport aux révolutions socio-économiques et qui commande, en bonne
partie, les mutations religieuses et morales. >>
En élargissant la conception de la modernité, en comparant les deux
crises survenues au temps de François de Sales et à notre époque, en
montrant que Vatican II, dans « Gaudium et Spes », a été confronté au
« problème de la modernité de l'Eglise et dans l'Eglise », Mgr Sauvage
répond évidemment par l'affirmative à la question posée et poursuit :
2. Saint François de Sales moderne parce qu 'il est à l'aise dans la nature,
dans son humanité et dans son terroir.
Il aime son pays, ses lacs en particulier celui d'Annecy et ses
montagnes. Pour les montagnes, son amour est partagé et hésitant. Il les
aime surtout parce qu'elles ont des vallées qui les séparent et que dans
ces vallées il y a des braves gens à qui il s'intéresse : à leurs travaux, leurs
peines, leurs qualités, leurs défauts. Il connaît le Mont Blanc, mais il lui
montre un attachement mitigé.
Voici à ce sujet l'extrait d'une lettre qu'il écrit de Chamonix, en 1608,
à sainte Jeanne de Chantal : « J'ai vu ces jours passés des monts
épouvantables, tout couverts d'une glace épaisse de dix ou douze
piques. Je vis des merveilles en ces lieux-là : les vallées étaient toutes
pleines de maisons et les monts tout pleins de glace jusqu'au fond. Les
petites veuves, les petites villageoises, comme basses vallées sont si
fertiles et les évêques si hautement élevés en l'Eglise de Dieu, sont tout
glacés. »(1)
Il aime ses tâches d'évêque, chargé de visiter son peuple. Il
enseigne la façon d'être évêque à un jeune évêque de ses amis, Mgr
Camus, évêque de Belley.
« Comme évêque, vous êtes surintendant, sentinelle et surveillant
dans la maison de Dieu, c'est ce que signifie le nom d'évêque. C'est donc
à vous de veiller et de prendre garde à tout votre diocèse, de faire sans
cesse la ronde par vos visites, de crier : Qui va ?, jour et nuit, selon
l'avertissement du prophète (Is. 63, 6), sachant que vous avez à rendre
compte au grand père de famille de toutes les âmes qui vous sont
commises. »
« Mais vous devez principalement veiller sur deux sortes de person­
nes, qui sont les chefs du peuple : les curés et les pères de famille, car
d'eux procède tout le bien ou tout le mal qui se trouve dans les paroisses
ou les maisons. De l'instruction et de la bonne vie des curés, qui sont les
pasteurs immédiats des peuples, procède la bonne élévation en doctrine
76

8.9 Page 79

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et en vertu... L'instruction fait beaucoup, l'exemple incomparablement
davantage. Il en est ainsi des pères et des mères de famille : de leurs
remontrances et encore plus de leurs actions dépend tout le bonheur de
leurs ménages. >>
« C'est pourquoi il faut que vous fassiez instances autour de ces
personnes-là opportunément, importunément, en toute patience et
doctrine, car vous êtes le curé des curés et le père des pères de
famille. »(2)
Il aime l'homme et est attentif à son engagement dans le mouvement
de l'histoire ; il fait confiance aux découvertes et inventions de son esprit,
sachant bien que, ce faisant, il répond à la consigne du Créateur qui a dit
en le lançant dans l'existence : « croissez » et... « dominez la terre ».
Il a visité ses paroisses parce qu'il voulait rencontrer les hommes
ils vivaient, attentif à la vie matérielle des pauvres, à la dignité et à la
qualité du culte liturgique, à l'éducation de la foi des jeunes et des adultes,
à la catéchèse, à la prédication, à la connaissance de l'Ecriture, au lien
entre la croissance culturelle de ses populations et leur croissance
religieuse ; il s'est, pour cela, préoccupé de former des maîtres d'école
chargés d'enseigner dans les campagnes. Il s'est soucié de former des
chrétiens en toutes conditions : dans les châteaux, les villages, les
compagnies de militaires, les boutiques d'artisans, les milieux cultivés. Il
a été un ouvrier de concorde, parce qu'il a eu le sens de la différence.
3. Saint François de Sales moderne parce qu'il a su ce qu'était pour
l'Eglise un temps de crise.
S'il a tant circulé, c'est qu'on vivait alors des temps les choses et
les gens bougeaient beaucoup ; il savait ce qu'était une crise : celle de
la Renaissance et de la Réforme. Pour lui, une crise n'est pas un moment
de décadence. S'il est témoin d'un monde qui finit, il sait que tout ne va
pas à la perte et à la destruction. Il fait confiance à l'histoire des hommes
habités par l'Esprit-Saint : une crise suppose une évolution, des remises
en question. Par le labeur des pasteurs, elle est donnée pour une
croissance de l’Eglise et de la foi.
Il a vécu un temps beaucoup de choses ont basculé, il a accueilli
les aspects solidaires de cette mutation. Moins explicite sur les mutations
économico-sociales, il n'a pas ignoré le rôle capital de l'argent, de sa
circulation et de sa fructification par l'industrie des banquiers. Genève
n'était pas si loin et il enseigne qu'il n'est pas défendu de marier l'industrie
humaine et l'esprit de pauvreté évangélic a. Mais il a été surtout préoc­
77

8.10 Page 80

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cupé de se situer correctement dans la mutation culturelle considérable
qu'il a connue et qui avait pour signe la découverte des sciences expé­
rimentales et de l'humanisme gréco-latin. Il a appris, en s'insérant dans
ces courants, un certain sens de l'évolution humaine, il a mesuré la
distance de certains milieux par rapport aux affirmations et aux certitudes
de la foi catholique. Dans cette évolution, il a fait confiance à l'homme et
il l'a encouragé dans sa maîtrise sur l'univers et sa responsabilité pour
réformer l'Eglise.
4. Saint François de Sales moderne parce qu'il a centré ses certitudes
sur l'essentiel et que ce qu 'il croit est adapté aux besoins des hommes
de son temps et de tous temps.
Détaillons quelques-unes de ses certitudes fondamentales.
1. L'homme ça « vaut la peine » de s'y intéresser parce que Dieu l'a
créé à sa ressemblance et que le Christ a choisi l'incarnation pour
restaurer la création. Etre un homme et une femme pour saint François
de Sales, c'est mettre en œuvre la ressemblance que Dieu nous assigne
dans son dessein créateur et par le don qu'il nous fait du Christ pour que
nous soyons à son image et que nous reproduisions en nous le visage
du Père, que nous accueillons en Jésus-Christ l'amour pour lequel nous
sommes faits, dans lequel nous devons vivre, par lequel nous devons
être motivés. Et voilà pourquoi saint François de Sales fait confiance à
l'homme, dans sa responsabilité de continuer l'œuvre de la création et du
salut.
2. La destinée et la vocation de l’homme, c'est l'amitié.
Saint François de Sales présente l'amitié comme la fine fleur de
l'amour, un mouvement vital, venu de Dieu qui vivifie et donne leur sens
à toutes les relations humaines : deux époux, des parents, des enfants,
de la société. Cette amitié est une vocation universelle ; elle peut naître
même sur un terrain elle n'est pas naturellement présente. Tout amour
naturel ou surnaturel peut et doit évoluer en amitié.
Il a perçu et mis en valeur cet enseignement évangélique qui nous
dit que le Christ avait voulu être ami de l'homme. Il a souligné que l'amitié
n'était pas seulement une relation de personne à personne, mais qu'elle
se situait au cœur du message évangélique. Pour l'Evangile, le salut
spirituel est offert à tous comme une amitié à accueillir et à retrouver. Pour
Jésus, la croix est vécue et offerte comme un chemin d'amitié. On sait
l'importance majeure du passage du Traité de l'Amour de Dieu sur notre
union au Trépas du Christ par amitié(3). L'amitié avec le Christ est
78

9 Pages 81-90

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9.1 Page 81

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communion de destin avec le Ressuscité. Du point de vue de l'amitié,
on peut voir dans les apparitions après la Résurrection la délicatesse du
Christ pour ses amis. Le sens du message évangélique c'est l'amitié
donnée par le Christ pour être offerte à tous. Le ministère apostolique est
une gérance dans l'amitié des intérêts du Royaume que le Christ confie
aux apôtres. C'est une gérance pour faire naître et croître l'Eglise.
5. Le choix salésien qu'inspire l'amitié reçue et communiquée.
Par son exemple et par ses conseils spirituels, saint François de Sales
nous fait découvrir que l'homme vaut ce que valent ses choix. Le choix
du ministère sacerdotal est pour lui un choix d'être ami des hommes à
cause de Jésus-Christ. Par deux fois une grâce spéciale du Christ a
engagé saint François de Sales dans ce choix.
1. Au moment de son ordination sacerdotale, il apparaît motivé par
l'amour du Christ etcet amour est un amour transformant qui le fait « serf
de l'Eucharistie » et ministre de l'Evangile.
2. Ayant choisi, après bien des hésitations, de répondre à l'appel de
l'Eglise pour être évêque, il est au cours de son ordination épiscopale
saisi par une grâce de la Sainte Trinité, qui le rend tout entier dévoué au
Peuple de Savoie et cela à jamais. Il sera fidèle jusqu'au bout à son
Eglise, refusant toute autre promotion.
En fait, ces choix proposent de répondre à trois questions :
1. Quel Dieu annoncer ?
2. Par quel homme ?
3. Par quel ministère ?
1. Quel Dieu annoncer ?
La crise qu'a connue saint François de Sales dans sa jeunesse à
Paris et qui avait pour cause la prescience divine et sa conciliation avec
notre liberté d'hommes, l'a amené à évacuer de sa prédication le Dieu de
la spéculation scolastique pour annoncer le Dieu de la Révélation
biblique et le Dieu de Jésus-Christ : un Dieu de tendresse et d'amour qui
s'est rendu vulnérable à l'amour de l'homme, ayant non seulement
volonté mais volupté de nous offrir son amour et de le voir accueilli par
une réponse libre.
On rejoint ainsi le choix fondamental que Jean XXIII proposait à
l'Eglise entrant en Concile de Vatican II : « recourir au remède de la
miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité ». Le Dieu qui
79

9.2 Page 82

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se révèle ainsi à nous est le Dieu « maternellement paternel » que saint
François de Sales annonçait à Angélique Arnaud, l'abbesse altière et
rigoureusement exigeante dans la réforme de Port-Royal. C'est le Dieu
qui nous a créés à sa ressemblance et qui, nous ayant donné Jésus-
Christ, nous propose de nous associer à son « Trépas ».
2. Pour quel homme à former selon l'Evangile ?
21. Saint François de Sales veut éduquer un homme qui sait revenir en
son cœur parce que tout part de et que par l'homme apprend à
mieux habiter en lui-même (mieux être dans sa peau, dirait-on
aujourd'hui).
22. Dans ce cœur auquel il revient, l’homme salésien est habité par le
projet dynamique de ressembler à Dieu en continuant la création, à
repérer en lui l'attrait de l'amour de Dieu et le désir de la vie éternelle,
à se laisser prendre par le Dieu qui a volupté de l'homme, volupté de
se donner à lui et d'être accueilli par lui : bref, entendre l'appel à
l'amour créateur et responsable.
23. Saint François de Sales révèle à chacun son rôle et sa responsabilité
irremplaçable dans le dessein d'amour de Dieu sur lui et sur l’huma­
nité. On peut caractériser comme suit les diverses formes de cette
mission responsable :
Evêque, tu ne rempliras ta mission qu'en portant l'Evangile à ton
peuple dans sa condition actuelle et avec tous les moyens que Dieu
a mis à ta disposition, dans le respect de sa liberté.
Prêtre, tu es l'homme de l'Ecriture et de l'Eucharistie Nous dor­
mions », dit saint François de Sales à ses prêtres). Tu dois travailler
comme un ami qui prend à cœur de façon responsable les intérêts du
Christ.
Religieux ou religieuses, vous êtes les témoins privilégiés de l'amour
d'amitié que Dieu offre aux hommes et de la route de pauvreté qu'a
ouverte le Christ il vous appelle à sa suite.
Laïcs de toutes conditions, vous êtes appelés à aimer Dieu par­
dessus tout dans votre état de vie. Ne recherchez pas d'alibi à cet
appel unique et irremplaçable en vous disant par exemple qu'il y a les
prêtres et religieux qui seraient vos délégués aux choses de la
sainteté. Dans le jardin de Dieu toute plante doit porter fruit selon sa
semence.
80

9.3 Page 83

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24. Voici comment saint François de Sales témoigne de sa prière dans
le traité de l'amour de Dieu (4). Le titre du chapitre est : « Qu'il faut
employer toutes les occasions présentes en la pratique du Divin
Amour ».
« Il y a des âmes qui font de grands projets de faire des excellents
services à Notre Seigneur par des actions éminentes et des souffrances
extraordinaires ; mais actions et souffrances desquelles l'occasion n'est
pas présente, ni ne se présentera peut-être jamais, et sur cela pensent
d'avoir fait un trait de grand amour, en quoi elles se trompent fort souvent,
comme il appert, en ce qu'embrassant par souhait, ce leur semble, des
grandes croix futures, elles fuient ardemment la charge des présentes qui
sont moindres. N'est-ce pas une extrême tentation d'être si vaillant en
imagination, et si lâche en l'exécution ?
Eh Dieu nous garde de ces ardeurs imaginaires qui nourrissent bien
souvent dans le fond de nos cœurs la vaine et secrète estime de nous-
mêmes ! Les grandes œuvres ne sont pas toujours en notre chemin, mais
nous pouvons à toutes heures en faire des petites excellemment, c'est-
à-dire avec un grand amour... Certes, dans les bas et menus exercices
de dévotion, la charité se pratique non seulementplus fréquemment mais
aussi pour l'ordinaire plus humblement, et par conséquent plus utilement
et saintement.
Ces condescendances aux humeurs d'autrui, ce support des actions
et façons agrestes et ennuyeuses du prochain, ces victoires sur nos
propres humeurs et passions, ce renoncement à nos menues inclina­
tions, cet effort contre nos aversions et répugnances, ce cordial et doux
aveu de nos imperfections, cette peine continuelle que nous prenons de
tenir nos âmes en égalité, cet amour de notre abjection, ce bénin et
gracieux accueil que nous faisons au mépris et censure de notre
condition, de notre vie, de notre conversation, de nos actions : Théotime,
tout cela est plus fructueux à nos âmes que nous ne saurions penser,
pourvu que la céleste dilection le ménage ; mais nous l'avons déjà dit à
Philo thée. »
Cette simplicité dans la pratique quotidienne du double amour sorti
« comme jumeaux des entrailles de la miséricorde de notre Dieu »,
cette pratique quotidienne des incommodités de la vie relationnelle
préparent mieux aux grands moments d'héroïsme dans le pardon
que maints exercices imaginaires de hautes vertus.
25. Cette prière qui jaillit du cœur, saint François de Sales demande
qu'elle se nourrisse de la méditation des mystères historiques de la
81

9.4 Page 84

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vie du Christ et de la fréquentation assidue de l'Eucharistie qu'il
propose comme le sommet de la présence d'amitié du Christ : une
présence qui nous entraîne dans son T répas, une présence qui nous
est donnée sous forme de nourriture (5).
« Ceux qui font bonne digestion corporelle ressentent un renforcement
par tout leur corps par la distribution générale qui se fait de la nourriture
en toutes leurs parties. Ainsi, ma Fille, ceux qui font bonne digestion
spirituelle ressentent que Jésus-Christ, qui est leur nourriture, s'épanche
et communique à toutes les parties de leur âme et de leur corps. Ils ont
Jésus-Christ au cerveau, au cœur, en la poitrine, aux yeux, aux mains,
en la langue, aux oreilles, aux pieds. Mais, ce Sauveur, que fait-il partout
par ? Il redresse tout, il purifie tout, il mortifie tout. Il aime dans le cœur,
Il entend au cerveau, il anime dans la poitrine, il voit aux yeux, il parle en
la langue, et ainsi des autres : il fait tout en tout, et lors nous vivons, non
point nous-mêmes, mais Jésus-Christ vit en nous. O quand sera-ce ma
chère Fille ? Mon Dieu, quand sera-ce ? »
26. Et voici une parabole, tirée de la vie quotidienne qui montre jusqu'à
quel point le Chrétien doit se sentir responsable de la vie de l'Eglise
pour l'édifier et la réformer : pas question de jouer au jeu du change
de couleurs ou de report des responsabilités.
C'est un honnête jeu chacun prend sa couleur et essaie de la
garder, en rejetant le changement sur celui qui possède une autre
couleur.
« Il me semble, mes frères, qu'en Savoie, nous nous entretenons
tous au jeu du change : car si vous parlez au peuple, la noblesse aura le
change, laquelle avec sa lâcheté n'ose rien remontrer ; si l'on parle à la
noblesse, les ministres de la justice auront le change, qui se mêlent de
/'autrui ; si l'on parle aux justiciers, les soldats auront le change, qui sont
trop débordés ; si l'on parle aux soldats, les capitaines auront le change,
qui les conduisent et retiennent leurs propres payes, ou sont siavaricieux
que, pour dérober eux-mêmes, ils permettent à leurs soldats de dérober.
Parlez aux capitaines, les princes auront le change, qui ont tort de vouloir
faire la guerre sans argent, ou qui n'arrivent pas de mettre de l'ordre au
moins mal ; et aucuns crient que tout le mal vient des peuples qui ne sont
pas assez réformés. Ceux-ci sont les plus avisés, car il m'est permis de
médire sans danger, en ce temps nous sommes, de personne sinon
de l'Église, de laquelle, chacun est censeur... Que faut-il faire ? il faut
bannir le péché de nous ; Il nous faut faire la paix avec Dieu et nous
aurons bientôt la paix en la terre. » (6)
82

9.5 Page 85

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3. Par quels accents du Ministère Pastoral ?
Ceci sera explicité dans ce qui va suivre :
6. L'œuvre réformatrice postconciliaire de saint François de Sales.
Comment il a travaillé à la réception et à la mise en œuvre dn Concile
de Trente.
1. Il l'a fait dans la conviction que le Concile est une expérience
spirituelle et pastorale unique : celle d'une Eglise rassemblée dans
l'Esprit-Saint, dont les décisions et orientations doivent être reçues et
mises en œuvre. Il a travaillé comme évêque, d'abord en l'intériorisant et
en essayant d'y associer son peuple d'après les lignes directrices de
Trente : l'Evangile; l’Eucharistie, l'Eglise.
Il a fait à sa manière. Et ce ne fut pas l'action novatrice de saint
Charles Borromée qui excella dans les réformes institutionnelles. Il s'est
fait humblement le disciple de l’archevêque de Milan et, ce faisant, il n'a
pas exercé une efficacité de peu de poids dans la Réforme de l'enseigne­
ment religieux, de la catéchèse biblique, du culte eucharistique, de la vie
et du ministère des prêtres, du retour des religieux à la pauvreté et à la
communauté évangélique. Son influence originale s'est manifestée dans
un autre registre. Il fut maître en théologie spirituelle, un pasteur et un
éducateur attentif à toutes les catégories de son Peuple. Surtout, il fut un
génie humaniste et un génie de sainteté : son action sut préparer de
nouveaux progrès de l'Eglise et de la foi.
2. Il a été partiellement conscient des limites du Concile de Trente
et de son action réformatrice. L'absence d'usage de la langue vulgaire
dans la liturgie était un obstacle à la diffusion d'une piété liturgique
vraiment populaire. Il y a remédié pardes célébrations paraliturgiques
l'on parle et chante en français ; à la cathédrale d'Annecy, il admit la
participation chorale des femmes à la schola. Il fut très conscient des
limites de la Réforme pastorale à cause du manque de ressources
financières. Il n'a pas pu instituer le séminaire qu'il projetait pour la
formation des futurs prêtres.
3. Ces limites, nous les mesurons beaucoup mieux avec le recul du
temps et l'expérience d'un autre concile. Un concile est l'œuvre du Saint-
Esprit, mais il est tributaire aussi des limites culturelles des Pères qui le
composent. Ainsi Vatican II n’avait pas prévu ni le bouleversement
culturel de 1968, ni les temps de récession économique qui ont suivi la
période de croissance sur la continuation de laquelle il a fondé ses
réflexions sur l'économie.
83

9.6 Page 86

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Et ceci nous permet de comprendre ce qui s'est passé sous le
Concile de Trente. Nul ne pense à nier l'influence considérable de la
réforme tridentine : il suffit d'évoquer les grands évêques réformateurs du
XVIIe siècle français, la fondation des séminaires, la naissance ou la
rénovation des Ordres religieux contemplatifs, ou missionnaires, le
renouveau des œuvres d'éducation, l'essor de la piété populaire et des
mouvements de spiritualité. Mais le Concile de Trente dénote une limite
majeure : il s'est consacré quasi exclusivement à régler une querelle de
famille qui opposait deux fractions de la chrétienté européenne : la
Catholique et la Réformée. Cette optique a empêché les Eglises concer­
nées à prévoir et préparer l'avenir. Car si la Renaissance est une source,
le gros de la crise culturelle s'est déployé ensuite du XVIIIe au XXe siècle.
Les Encyclopédistes ont causé une fracture plus grande que celle qui
avait suivi la Renaissance. Le progrès des connaissances et des inven­
tions scientifiques ont modifié profondément les mentalités pour remettre
en cause l’adhésion aux croyances traditionnelles. On a assisté au
développement du rationalisme en tous domaines et à la contestation de
toute religion révélée, le développement du théisme rationaliste puis de
l'irréligion militante. On a vu se succéder des révolutions dont la première
fut celle de 1789 et la dernière celle de 1968 en passant par 1830,1848,
1870, 1917... C'est le développement de ces crises à rebondissements
successifs qui a amené la convocation des deux Conciles de Vatican I
(1870) et de Vatican II (1962-1965).
4. Et c'est ainsique le génie réformateur de saint François de Sales
dépasse les perspectives du Concile de Trente. Il nous introduit en pleine
modernité, révélant sa parenté avec l'esprit et la visée de Vatican II. On
peut citer comme facteurs de cette modernité le fait que sa foi ait connu
l'épreuve du doute ; surtout il a accueilli les découvertes dues aux
sciences expérimentales et les progrès de la technique qui s'ensuivent.
Il a perçu l'importance de la découverte de l'imprimerie pour la commu­
nication entre les hommes, a fait confiance aux observations de Copernic
pour admettre que la terre tourne autour du soleil. Il a autorisé l'enseigne­
ment du système de Copernic au Collège Chappuisien d'Annecy, au
moment sévissait à Rome la querelle autour de Galilée qui atant pesé
sur les relations de l'Église avec le monde scientifique. Il a suivi avec
intérêt les recherches médicales sur les mécanismes de la circulation du
sang. Il a été présent au monde culturel nouveau issu de la Renaissance
et de la découverte de la pensée païenne gréco-latine.
La source de la parenté de saint François de Sales avec notre
époque moderne, c'est l'ouverture de principe aux acquisitions de
la science qui peuvent amenerà réviser des explications exégétiques
84

9.7 Page 87

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comme ce fut le cas pour la mention, par le Livre de Josué, de l'arrêt du
soleil par le héros du Livre, usant du pouvoir que lui avait donné Yahvé.
Il a exprimé en termes non équivoques l'attitude qui fait confiance aux
progrès scientifiques et aux vérités qu'il met en évidence.
Voici un texte éclairant des Controverses qui rend saint François de
Sales tellement moderne :
« Dieu est auteur de la raison naturelle et de la lumière surnaturelle
qu 'il accorde aux fidèles par la Révélation de sa Parole. Il ne hait rien tant
que de voir se combattre, parle mauvais usage des hommes, ces deux
lumières qui sont filles d'un même père ; elles peuvent donc et doivent
demeurer ensemble comme sœurs très affectionnées. «<7)
Mais il ne s'agit pas seulement des progrès de sciences physiques
et biologiques. On peut trouver chez saint François de Sales une
ouverture à la nouveauté que découvre l'histoire humaine. On peut
discerner même une ouverture aux progrèsdes sciences expérimentales
qui étudient l'homme. Il a eu un génie d'expérimentation : ses connais­
sances sur l’homme et la femme, son attention à l'expérience spirituelle
des autres (par exemple sainte Jeanne de Chantal) sont enrichies par
une observation attentive. Il était capable d'accueillir la nouveauté qui se
révélait à l'expérience. Par s’explique que ses conseils spirituels ont
touché si juste et demeurent un trésor d'observations concrètes qui
l'empêchent de traiter l'homme comme un pur produit des sciences
déductives, un pur théorème logique, dont toutes les données seraient
fournies au départ.
Saint François de Sales est un des précurseurs de l'esprit de
Vatican II qui considère l'histoire et sa nouveauté comme un lieu nous
avons à nous laisser enseigner et la culture comme un lieu privilégié
doit s'exercer l'attention pastorale et l’action de l'Eglise. Par là, il rejoint
les constatations de Vatican II qui accordent en importance dans les
mutations en cours la priorité aux mutations culturelles.
(1) EA XIII,199.
(2) Voir Camus : « Esprit de Saint François de Sales », VII 9.
(3) L. IX, ch. XII - XIII.
(4) L. XII, ch. VI.
(5) EA XIII, 357 - 358.
(6) EA VII, 23.
(7) EA I, 1, 310
85

9.8 Page 88

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9.9 Page 89

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le message de saint françois de sales
à notre temps
Cl. LIENART
« Le message de saint François de Sales demeure-t-il, après quatre siècles,
valable pour notre temps ? Je le crois, car il est frappant de constater à quel point
la doctrine qu 'il exprime et l'esprit qui l'anime demeurentproches des orientations
données par Vatican II. »
Ces paroles du Cardinal Liénart sont tirées de « Saint François de Sales.
Académie Salésienne. Témoignages et documents » Tome LXXX, pp. 19-21.
La Doctrine
Je n'en citerai qu'un exemple. On sait que les Pères du Concile,
soucieux de mettre en lumière, sous tous ses aspects, la divine Consti­
tution de l'Eglise, ont paru presque téméraires en soulevant la question
du pouvoir collégial des Apôtres et des Evêques leurs successeurs sur
l'Eglise universelle, comme si c'était porter atteinte à l'autorité suprême
de Pierre et du Pape solennellement définie par Vatican I. Ils ont eu
raison, cependant, de reconnaître cette double autorité... Or, sur cette
question délicate saint François de Sales avait déjà de son temps la
même manière de voir. Voici ce qu'il écrivait dans son livre des « Contro­
verses », destiné à regagner à la foi catholique les habitants du Chablais
un moment entraînés dans le Calvinisme :
« Toute l'Eglise a été fondée sur tous les Apôtres et toute sur Saint
Pierre en particulier : c'est donc Saint Pierre qui est le fondement pris à
part ce que les autres ne sont pas ; car à qui jamais a été dit en
particulier : "Tu es Pierre..." ? Ce serait violer l'Ecriture, qui dirait que tous
les Apôtres en général n'ont pas été fondement de l'Eglise ; ce serait
aussi la violer, qui nierait que Saint Pierre ne l'eût été particulièrement :
il faut que la parole générale produise son effet général, et la particulière
le particulier, afin que rien ne demeure inutile et sans mystère, en de si
mystérieuses Ecritures. » (T. 1, pp. 238-239)
87

9.10 Page 90

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Et plus loin : « Tous les Apôtres semblent aller de pair... Mais en
l'autorité et gouvernement Saint Pierre a devancé tous les autres d'au­
tant que le chef surpasse les membres, car il a été constitué Pasteur
ordinaire et suprême chef de l'Eglise ; les autres ont été pasteurs
délégués et commis, avec autant et plein pouvoir et autorité sur tout le
reste de l'Eglise que Saint Pierre, sauf que Saint Pierre était le Chef de
tous et leur Pasteur, comme de tout le christianisme... »
On voit que si le style de saint François de Sales a quelque peu vieilli,
sa pensée théologique n'a rien perdu de sa valeur.
L'Esprit
Mais c'est surtout par l'esprit qui anime toute sa théologie que saint
François de Sales répond le mieux à l'attente du monde d'aujourd'hui. Il
fut dans la ligne de saint Jean, de saint Augustin, de saint Bernard, le
théologien de l'Amour divin. La grande vérité qu'il faut croire et qui éclaire
toutes les autres, c'est que Dieu est Amour, que toute son œuvre parmi
les hommes s'est révélée dans le Christ Jésus son fils comme une œuvre
d'Amour et se poursuit dans le monde par l'Esprit-Saint qui répand dans
nos cœurs la charité divine. La religion chrétienne est une religion
d'amour, car elle consiste à croire à cet Amour divin et à y répondre en
aimant à la fois Dieu comme notre Père et tous les hommes comme nos
frères, cartel est le plus grand commandement.
Cette théologie ne s'adresse pas seulement à l'intelligence de
l'homme, mais aussi à son cœur. Elle ne présente pas la vérité d'une
manière purement philosophique et abstraite, mais d'une manière vi­
vante et concrète, beaucoup plus accessible à tous. Et elle va jusqu’au
bout de sa tâche puisqu'il ne s'agit pas seulement pour elle de convaincre
mais qu'elle doit faire aimer. Avec saint François de Sales, qui dut
pourtant lutter contre les erreurs de son temps et qui sut le faire avec
vigueur, l'Eglise se manifeste aux hommes comme une messagère
d'amour et comme porteuse de « la bonne nouvelle » du salut de tous en
Jésus-Christ.
Tel est bien son vrai visage, celui que le Pape Jean XXIII a voulu, au
moyen du Concile, faire resplendir devant le monde actuel, et le message
que notre temps avait besoin d'entendre. Telle est la voie qu'en effet le
Concile nous a ouverte et dans laquelle nous nous sommes résolument
engagés. Par le décret sur l'Œcuménisme, l'Eglise a renoué les liens
avec toutes les communautés chrétiennes, douloureusement séparées
depuis des siècles, et elle est entrée avec elles en dialogue ouvert et loyal
en vue de rétablir l'unité brisée. Par le décret sur l'Eglise et le Monde elle
88

10 Pages 91-100

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10.1 Page 91

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s'est mise au service de tous les hommes pour les aider à bâtir une
société plus juste et plus fraternelle.
Depuis, les réalisations ont suivi, et c'est le Pape lui-même qui a
donné l'exemple. On a vu le Pape Paul VI aller devant l’O.N.U., mettre
l'Eglise au service de la Paix qui intéresse au plus haut point les peuples
du monde entier. Il a pris l'initiative d'aller rendre une visite fraternelle au
Patriarche Orthodoxe de Constantinople pour montrer que le Pape ne
veut être que le premier serviteur de l'Unité des chrétiens. Bref, il a suffi
que l'Amour prédomine, comme l'enseignait saint François de Sales,
pour que l'Eglise redevienne actuelle dans un monde les hommes
souffrent avant tout de ne plus savoir aimer Dieu ni s'aimer. N'est-ce pas
ainsi que se manifeste le mieux l'opportunité de son message ?
89

10.2 Page 92

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10.3 Page 93

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l'humain
dans la pastorale salésienne
M. H. DANNENMULLER
Les « Journées Salésiennes », organisées parles Oblats de Saint François
de Sales, sont l'occasion, chaque année, d'un approfondissement de la spiritua­
lité et de la sainteté du Patron de notre propre Société. Voici le texte d'une
causerie du père Dannenmuller, lors d'une session de ces « Journées ».
eette intervention, que je voudrais courte, débute forcément par
un humble retour sur moi-même qui m'amène à m'appliquer ce
propos de saint François de Sales : « L'homme est sujet à
l'orgueil et à la présomption. » (X, 67)
Il faut beaucoup d'audace, en effet, et il faudrait beaucoup plus de
science que je n'en possède pour traiter le sujet proposé. Pour deux
raisons :
D'abord, si un bon Père Bénédictin s'interroge poursavoirqui, de
Montaigne ou de Rabelais, a écrit cette phrase : « Je suis tant homme que
rien de plus » (Ghislain Lafont : « Des Moines et des Hommes », Ed.
Stock, p. 19), chacun sait, ici, quel en est l'auteur, et de plus ne s’avise
pas de la séparerde son contexte. Il semble donc que prétendre vous dire
que toute la spiritualité de notre Saint s'appuie sur une connaissance pro­
fonde de l'homme, je suis en train de vous dire que la terre est ronde.
En second lieu, c'est quand même un sujet très vaste et, malgré
tout ce qui en a été dit et très souvent très bien dit , on ne l'a pas
encore complètement exploré et je ne prétends pas apporter autre chose
qu'une toute petite pierre au monument de littérature et d'étude qui
continue de se construire en la matière et même pas grand'chose de
neuf. N'étant ni théologien ni psychologue, je voudrais simplement
essayer avec vous d'être un pratiquant de saint François de Sales et
puisque le Directoire indique ce moment de la journée pour un bref
examen de conscience, entreprendre ce petit exercice spirituel dont nous
essaierons de tirer un profit pour notre propre conduite.
91

10.4 Page 94

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« La vertu fondamentale de Saint François de Sales, écrit Pierre
Sage (Acad. Salés. - Mémoire et Documents, T. LXXX, p. 101),est la
confiance en l'homme et la confiance en Dieu. » Un optimisme réfléchi
est à la source de sa vertu d'espérance. Notre Docteur a foi en l'homme
parce qu'il a foi en Dieu : c'est la même chose. Il a confiance dans la raison
humaine, dans les impulsions foncières de l'âme dont le mouvement
incoercible est d'aller à Dieu. Il a fait sien le mot de saint Bernard, pour
qui« l'homme est une créature sublime faite pour la divinisation :"excelsa
creatura in capacitate majestatis", et il traduit : "l'homme est la perfection
de l'univers" ». Et c'est pourquoi il est, par décision, « tant homme que
rien de plus ».
Alors que d'autres auteurs spirituels auraient tendance à nous
plaindre d'être alourdis, dans notre progression spirituelle, par notre être
de chair, François commence par admirer ce complexe « corps et
âme » :
« L'union naturelle de l'âme et du corps est si excellente que tous les
philosophes n’ont point encore fini ni résolu leur admiration en voyant
comment Dieu a conjoint l'âme et le corps, mais d'une jonction tellement
étroite que le corps, sans laisser d'être corps, et l'esprit, sans laisser
d'être esprit, ne font néanmoins qu'une seule personne. Cette union
naturelle est une chose si haute qu'elle ne saurait être assez admirée,
aussi est-elle l’œuvre d'un Dieu très haut et amateur de l'unité. »(X, 61 :
Fête de la Vis., 121)
Il y aurait à tirer, pour voir comment François rend grâce à Dieu de
ce qu'il trouve d'admirable dans l'être humain, tout un florilège de ses
différents sermons sur l'incarnation, tout au long de sa vie pastorale.
Créature privilégiée, fils de Dieu, même le péché le péché originel,
le péché personnel et le péché du monde ne peut lui ôter « l'inclination
naturelle d'aimer Dieu ».
« Sitôt que l'homme pense attentivement à la divinité, il sent une
certaine douce émotion de cœur, qui témoigne que Dieu est le Dieu du
cœur humain (...) ce plaisir, cette confiance que le cœur humain prend
naturellement en Dieu ne peut certes que provenir de la convenance
qu'il y a entre cette divine bonté et notre âme ; convenance grande, mais
secrète ; convenance que chacun connaît, mais que bien peu de gens
entendent (...). Nous sommes créés à l'image et semblance de Dieu :
qu’est-ce à dire cela, sinon que nous avons une extrême convenance
avec sa divine majesté ?
92

10.5 Page 95

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« Notre âme est spirituelle, indivisible, immortelle, entend, veut, et
veut librement ; est capable de juger, discourir, savoir et avoir des
vertus, en quoi elle ressemble à Dieu. » (IV, 74 - A.D. I, XV)
« Notre âme veut librement » : c'est bien sûr qu'est tout le
problème.
De son côté, le Seigneur fait tout pour « tirer nos cœurs à son
amour » (IV, 126). « Sans doute, Théotime, nous ne sommes pas tirés à
Dieu par des liens de fer, comme les taureaux et les buffles, mais par
manière d'allèchements, d'attraits délicieux et de saintes inspirations, qui
sont en somme des liens d'Adam et d’humanité ; c'est-à-dire proportion­
nés et convenables au cœur humain, auquel la liberté est naturelle. Le
propre lien de la volonté humaine c'est la volupté et le plaisir (...). Voyez
donc comme le Père éternel nous tire : en nous enseignant, il nous
délecte, non pas en nous imposant aucune nécessité (...).
« En cette sorte donc, Théotime, notre franc arbitre n'est nullement
forcé ni nécessité par la grâce (...), cette volonté humaine demeure
parfaitement libre, franche et exempte de toute sorte de contrainte et de
nécessité. » (ibid.)
Nous voilà en plein problème : comment allons-nous user de cette
liberté ? Car, s'il est vrai que « Dieu, ayant créé l'homme à son image,
veut que comme en lui, tout y soit ordonné par l'amour et pour l'amour »
(IV, 40), il n'en reste pas moins que « nous avons deux amours, deux
jugements, deux volontés » (VI, 262).
C'est ici que, plus qu'un exposé, je voudrais orienter, si vous le
permettez, l'exercice spirituel dont je vous parlais tout à l’heure, car,
chacun et chacune nous avons et aurons toujours à lutter contre cet
ennemi de notre salut, bien ancré au fond de nous-mêmes, et qu'on
appelle l'amour-propre. Or, il semble bien que François lui déclare une
guerre implacable. A chaque instant, il le traque : on s'en rend bien
compte en l'écoutant s'entretenir avec ses premières filles.
« L'homme est tant sujet à l'orgueil et à la présomption qu'on peut lui
appliquer ce qu'Aristote, cet ancien philosophe, dit du cheval, à savoir
qu'il n’y a rien de si orgueilleux (...). Certes, ajoute notre Saint, l'homme
est grandement sujet à cette fierté et présomption, mais quand ce vice
entre dans les têtes des femmes, il y fait grandes ruines et ravages. »
(X, 7-68)
« Notre amour-propre ne dort jamais » (VI, 290).« Il y a en nous un
certain monastère dont l'amour-propre est supérieur. » (VI, 147)
93

10.6 Page 96

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Comment entreprendre la lutte ? : tout d'abord en étant réalistes.
« Il faut que nous ayons deux égales résolutions : l'une de voir croître
les mauvaises herbes en notre jardin, et l'autre d'avoir le courage de les
voir et de les arracher nous-mêmes ; car notre amour-propre ne mourra
point pendant que nous vivrons, lequel est celui qui fait ces impertinentes
productions. » (VI, 154)
Le constat de nos imperfections et défections ne doit pas nous
décourager : on sait qu'après saint Jacques, François aime à répéter que
notre misère est le trône de la miséricorde de Dieu. « Tant plus nous nous
connaissons, misérables, tant plus nous avons occasion de nous confier
en Dieu, puisque nous n'avons rien de quoi nous confieren nous-mêmes.
La défiance en nous-mêmes provient de la connaissance de nos imper­
fections. Il est bien bon de se défier de soi-même, mais de quoi servirait-
il de le faire, sinon pour jeter notre confiance en Dieu ? » (VI, 21 )
Prenons donc bien garde de nous attarder sur ce constat : c'est le
piège : « tout ce marrissement se fait par le commandement d'un certain
père spirituel qui s'appelle l'amour-propre » (VI, 261).
« Il y a une certaine simplicité de cœur en laquelle consiste la
perfection de toutes les perfections, et c’est cette simplicité qui fait que
notre âme ne regarde qu'à Dieu... (...). Elle tranche court à toutes les
interventions de son amour-propre, lequel prend une souveraine délec­
tation à faire des entreprises de choses grandes et excellentes et qui
nous font surestimer au-dessus des autres (VI, 235). Et ilfaut voir comme
il met en garde (c'est dans l'entretien de « l'Esprit des Règles ») une
religieuse de vouloir faire trop sous le meilleur prétexte : « ayant demeuré
trois heures, voire plus, dans le chœur, avec la Communauté, il est à
craindre que la part d'heure que vous y demeurerez davantage est un
petit morceau que vous donnerez à votre amour-propre » (VI, 237).
Et une autre fois : « Si vous désirez la perfection d'un désir plein
d'inquiétude, qui ne voit que c'est l'amour-propre qui ne voudrait pas que
l'on vit de l'imperfection en nous. » (VI, 339)
Soyons donc simples et raisonnables : « S'il arrive qu'une Sœur
nous requiert de faire quelque chose et que, par surprise, nous témoi­
gnons d'y avoir de la répugnance (...), il n'est pas en notre puissance
d'empêcher que notre couleur, nos yeux et notre contenance ne témoi­
gnent le combat que nous avons au-dedans, encore que la raison veuille
bien faire la chose ; car ce sont des messagers qui viennent sans qu'on
les demande et qui, encore qu'on leur dit retournez, n'en font rien pour
l'ordinaire. » (VI,163)
94

10.7 Page 97

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Rien de stérile ou de déprimant dans tout cela : nous sommes les
heureux bénéficiaires de la munificence divine; car « ce n'est point mal
de se considérer soi-même (et de reconnaître le bien qui est en nous) si
ce n’est pour glorifier Dieu des dons qu’il nous a faits » (IX, 254).
Tout doit se résoudre dans l'ordre et l'harmonie et nous en arrivons
à devoir éduquer notre volonté pour surmonter nos sursauts d'amour-
propre en choisissant celui qui est le seul Bien : « Qu'est-ce que le bien
sinon ce que chacun vaut ? et qu'est-ce que la volonté sinon la faculté qui
porte et fait tendre au bien ou à ce qu'elle estime tel ? » (IV, 40)
A nous, dans l'oraison, de chercher ce vrai Bien, de le contempler et
de saisir ses appels ; à nous la joie d'y répondre librement : « Car combien
que Dieu est tout-puissant et peut tout ce qu'il veut, si est-ce qu'il ne veut
point nous ôter la liberté qu'il nous a une fois donnée ; et quand il nous
appelle à son service, il veut que ce soit de notre bon gré que nous y
allions, et non par force ni par contrainte. »
J'ignore si vous me pardonnez de n'avoir pas exactement répondu
au titre prometteur que l'on a donné à mon intervention : j'ai cru ne pas
devoir m'en donner le ridicule... et je ne veux pas vous prendre tout votre
temps.
D'une part, je n'ai pas voulu reprendre mon propos de Bourges, il y
a deux ans. Je me suis simplemen essayé à dire ce que vous savez tous,
ce que l'on sent de plus en plus en fréquentant saint François de Sales,
à savoir que la spiritualité salésienne est un acte d'action de grâce basé
sur une profonde humilité, elle-même assise sur une meilleure connais­
sance de soi-même et un grand amour de Dieu.
Créature de choix, associée à la divinité de Celui qui a partagé son
humanité, rachetée parce que l'Agneau de Dieu a pris tout le poids de son
péché, l'homme peut être aveuglé par son seul amour-propre, qui fait
dévier notre naturelle inclination d'aimer Dieu.
Que François, par son exemple et son enseignement, nous aide à
pourfendre cet ennemi ; ce sera, avec vous, la prière qu'aujourd'huije lui
adresse.
95.

10.8 Page 98

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10.9 Page 99

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ANNALES SALESIENNES
liberté de l'homme
François de Sales fut aristocrate de naissance, très noble de nature, chez
qui aucun orgueil de classe ou de caste n'était le moindrement entretenu. Il ne
revendiquait pour lui et les autres, tous les autres qu'un seul privilège : la
liberté des enfants de Dieu.
Les lignes qui suivent sont extraites des « Annales Salésiennes », 4, de
1974.
>4 l'écoute de saint François de Sales, nous constatons que l'on se
couvre un peu trop du mot de saint Paul : « Segregatus a spiritu
sancto », que l'on traduit assez hâtivement par « séparés (des
autres) par l'Esprit-Saint », tandis que François de Sales préfère dire :
« Colloqués (c'est-à-dire réunis) pour rassembler le peuple ». En un
siècle les différentes couches de la société semblent avoir été
nettement démarquées et paraissent refuser de se mêler, François
méritera que la liturgie lui applique le mot de saint Paul (ci-devant
"pharisien", c'est-à-dire séparé) : « Je me suis fait tout à tous. »
L'éducation du jeune châtelain n'y est pas pour rien, et particulière­
ment l'influence de sa mère pendant le premier âge. Il n'est pas toujours
avec ses cousins de Sales , alors, il lui faut bien participer aux jeux des
enfants des serviteurs et des paysans d'alentour. Quand ses parents
distribuent l'aumône, il est auprès d'eux. Et il est assez longtemps le fils
unique, "presque le petit frère" d'une très jeune maman, pour que se
grave en lui le respect ému des insondables richesses de l'âme féminine.
A Padoue, c'est en faisant le catéchisme aux petits enfants d'un orphe­
linat que François occupe ses loisirs. Et l'on sait les témoignages qui vont
des bateliers du lac au roi Henri IV, nous présentant en l'Evêque de
Genève l'homme qui de tout temps a sans doute eu pour ses frères
humains, avec le grâce du gentilhomme, l'humilité du chrétien et la foi du
saint, le plus grand respect de l’homme.
« Quelle chose admirable que l'homme. » Tel est bien, en résumé,
le cri que pousse la Renaissance. La devise de l'Université de Padoue est
97

10.10 Page 100

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tout un programme : « Universis, universa, Patavina libertas », c'est-à-
dire : « Tout livrer à tous, c'est la liberté padouane ». Padoue, le seul
endroit Copernic et Galilée ont la parole sans trop d'ennuis. L'homme
apparaît comme sortant d’une chrysalide et cherchant violemment à
déployer au plus vite ses ailes pour profiter, en un vol plus ou moins
coordonné, de l'air et du soleil. François sent cette fièvre et il en vibre.
Mais tandis qu'un culte de l'homme éclate, qui frise un certain paganisme,
lui, qui a entendu, tout petit, de la bouche de son père « qu'il faut penser
à Dieu », lui dont le premier souci, à l'instar du petit Thomas d'Aquin,
est : « Oh ! Dites-le moi : qui est Dieu ? », François qui, depuis des
années, s'astreint à des heures d'étude de la théologie, et qui, surtout, a
traversé la terrible "crise de Paris", va, sous la remarquable direction du
Père Jésuite Possevius, situer l'homme dans la ligne de sa foi, de son
amour et de son invincible espérance. Sentiment d'action de grâces, et
non idolâtrie.
Tout d'abord, l'homme est l'objet d'une pensée éternelle de Dieu :
« ! Qu'étais-je lorsque je n'y étais pas ? Moi, dis-je, qui étant mainte­
nant quelque chose, ne suis qu'un chétif vermisseau de terre ? Et
cependant Dieu, dès l'abîme, de son éternité, pensait pour moi des
pensées de bénédictions ; il méditait et désignait, même déterminait
l'heure de ma naissance, de mon baptême, de toutes les inspirations qu'il
me donnerait, et, en somme, de tous les bienfaits qu'il me ferait et offrirait.
Y a-t-il une douceur pareille ? » L'homme est donc déjà existant avant sa
naissance.
Secondement, dans cette pensée éternelle, Dieu assigne à l'homme
une mission : « Afin que, comme éternellement, il y a une communication
essentielle en Dieu... de même, cette souveraine douceur fut aussi
communiquée si parfaitement hors de soi à une créature, que la nature
a créée et la Divinité, gardant chacune leur propriété, fussent néanmoins
tellement unies ensemble qu'elles ne fussent qu'une même personne. »
« Puis, la suprême Providence disposa de ne point retenir sa bonté en la
personne de son Fils Bien-Aymé. Mais de la répandre en sa faveur sur
plusieurs autres créatures... Elle fit choix de créer les hommes et les
anges comme pour tenir compagnie à son Fils, participer à ses grâces et
à sa gloire, et l'adorer et louer éternellement. » Voilà donc l'homme voulu
par Dieu : son origine, la fonction qu'il a charge d'assumer provoquent par
elles-mêmes l'admiration. Le Psalmiste, bien souvent, s'en émerveille, et
François concevra, dès lors, son propre respect de l'homme à partir du
vouloir de Dieu.
98

11 Pages 101-110

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11.1 Page 101

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Mieux encore, il modèlera ce respect sur l'exemple même du
Créateur : « Bien que Dieu voulut créer tant les anges que les hommes
avec le franc arbitre, libres d'une vraie liberté pourchoisir le bien et le mal.
Néanmoins, pour témoigner que de la part de la Bonté divine ils devaient
être dédiés au bien et à la gloire, elle les crée en toute justice originelle,
laquelle n'était autre chose qu'un amour très suave qui les disposerait...
et acheminait à la félicité éternelle. »
99

11.2 Page 102

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11.3 Page 103

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L. DUVAL
saint françois de sales
et la vie familiale
« Tout est à l'amour, en l'amour, pour l'amour et d'amour en la Sainte Eglise
de Dieu. » Tel est le cœur du message salésien. Et d'abord dans les foyers... Au
moment la Famille semble retrouver audience et sympathie, saint François de
Sales apporte sa... contribution à travers cet article du cardinal Duval.
101

11.4 Page 104

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~tr a vie familiale fut au premier plan des préoccupations apostoli-
g ques du saint évêque. Ses « Avis pour les gens mariés »
contiennent les grandes lignes de la pastorale familiale actuelle ;
le mariage, écrit-il, est la « pépinière du christianisme, qui remplit la terre
de fidèles pour accomplir au ciel le nombre des élus ; aussi, la conserva­
tion du lien du mariage est extrêmement importante à la république
(l'Etat); car c'est sa racine et la source de tous ses ruisseaux ». Nous le
voyons, dans sa correspondance, prendre part aux joies et aux souffran­
ces des familles ; c'est à l'occasion de la mort de sa sœur que, sans
cacher la souffrance de son cœur, il fait cette profession de foi qui le
dépeint au vif : « Je suis tant homme que rien plus ». De son vivant, il
intercédait auprès de Dieu pour les ménages qui désiraient des enfants,
et il était exaucé ; encore de nos jours, des couples se rendent en
pèlerinage à son tombeau pour le remercier de les avoir exaucés.
Les moralistes et les sociologues de notre temps, lorsqu'ils traitent
de la place de la femme dans l'Eglise et la Cité, s'expriment comme si, à
ce sujet, le XXe siècle avait découvert l’Amérique. Sans doute, la biologie
des siècles qui nous ont précédés était très faible sur ce point et on en
tirait des conséquences étonnantes au plan psychologique et moral.
Mais il y eut toujours des penseurs dont les intuitions spirituelles allèrent
bien au-delà de la science infime de leur temps. Loin de refuser à la
femme sa dignité dans l'Eglise, saint François de Sales adresse son
« Introduction à la vie dévote » à une femme, Philotée. On lui en fit,
d'ailleurs, grief. Pour sa défense, il eut ce mot piquant : « Les hommes ont
une âme aussi bien que les femmes ».
Le XXe siècle est le siècle de la rencontre du christianisme avec la
négation absolue des valeurs religieuses authentiques. L'Eglise est à un
carrefour extrêmement dangereux de son histoire. Comment touchera-
t-elle les esprits et les cœurs de nos contemporains ? Saint François de
Sales nous le montre par sa vie plus encore que par ses écrits. Il nous dit,
avec le Concile : « C'est l'homme qu'il faut sauver ». C'est dans la chaleur
humaine de l'amour fraternel que les hommes de notre temps découvri­
ront le mystère du Dieu-Amour. donc l'homme découvrirait-il Dieu
sinon dans son propre cœur, dans sa propre vie ? Le Concile et saint
François de Sales unissent leurs voix pour faire entendre aux chrétiens
d'aujourd'hui que c'est dans toutes les manifestations de l'humanité que
doit être rendu témoignage au Christ Sauveur.
102

11.5 Page 105

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Roger de SAINT-CHAMAS
ami de dieu
amant des hommes
C'est grâce à ce double amour, dans son comportement comme dans ses
écrits, que tout chez saint François de Sales a été harmonieusement clair,
aimable. Ouoiqu 'il nous attire vers les plus hauts sommets de la spiritualité, il est
peut-être le plus simple et le plus équilibré des saints. Et le plus actuel.
n sait que les deux ouvrages les plus célèbres de saint François
de Sales sont I' « Introduction à la Vie Dévote » et le « Traité de
l'Amour de Dieu ».
Un psychologue avisé. Le premier, attrayant comme son auteur,
parsemé d'images pittoresques et de formules vivantes, a été destiné non
seulement aux contemplatifs, mais à tous les hommes et femmes qui
restent dans le monde. Ce beau livre a surtout un objectif moral et pourrait
se résumer ainsi : la vraie dévotion présuppose l'amour de Dieu ; il faut
la rendre aimable, bienveillante pour autrui, sans retour sur soi-même ;
sans affection ni faux-semblant.
A cette fin, il faut rester simples, pour pratiquer une sincère humilité,
qui est la « porte de toutes les vertus », alors que la charité en est la fin
Humilité et charité sont reliées par « une chaîne d'or » ; toutes les autres
vertus y sont enchâssées, et nos actes les plus méritoires n'acquièrent de
valeur que si nous y mêlons au moins « une once d'amour ».
Or, qu'est-ce que l’amour s'il ne tend pas au don généreux de soi-
même, notamment à l'abdication de notre amour-propre, c'est-à-dire
l'humilité. Et à quoi servirait l'humilité si elle se bornait au mépris de soi-
même, alors qu'il s'agit de se renoncer à soi-même pour s'offrir à ceux
qu'on aime, au prochain et à Dieu ? Notre évêque était un psychologue
avisé. De même qu'il a décrit la vraie dévotion, qui doit être aimable aux
autres, il circonscrit l'humilité véritable en dénonçant ses multiples
contrefaçons. Il constate notamment que :
103

11.6 Page 106

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« Nous disons maintes fois que nous ne sommes rien, mais nous
serions bien marris qu'on nous prît au mot... Nous faisons semblant de
fuir ou de nous cacher, afin qu'on nous coure après et qu'on nous
cherche... La vraie humilité ne fait pas semblant de l'être et ne dit guère
de paroles d'humilité, car elle ne désire pas seulement de cacher les
autres vertus, mais principalement elle souhaite de se cacher soi-même. »
Pareilllement, il dénonce la fausse générosité, qui est souvent pater­
naliste, en ce sens que nous sommes portés à donner ce qui nous plaît
à offrir, au lieu de donner ce qui vraiment plaît à nos obligés :
« S'employer, voire donner sa vie pour le prochain, n'est pas tant que
de se laisser employer au gré des autres. >> Ou encore ? « Il faut
reconnaître notre néant, mais n'y faut pas demeurer. » Ce serait enfouir
lâchement « le talent » que Dieu nous avait confié... A ses moniales, qui
ambitionnent de grandes mortifications, il donne ce conseil bien simple,
mais non moins héroïque : « Ne rien demander, ne rien refuser » !
Essayons d'imaginer ce que cela représente.
Aux gens du monde : « la volonté de Dieu est que, pour l’amour de
Lui, vous aimiez franchement votre état... Ne semez pas vos désirs sur
le jardin d'autrui, cultivez seulement le vôtre ». Quant à certains esprits
inquiets, qui voudraient toujours faire autre chose et mieux, et qui
s'épuisent en conjectures : « Pensons seulement à bien faire aujour­
d’hui ; et quand le jour de demain arrivera, il s'appellera aujourd'hui, et
alors nous y penserons... Il faut faire provision de manne pour aujourd'hui
et pas plus : Dieu en pleuvera d'autre demain. » Il faut aussi prendre soin
de son corps.
Qu'est-ce que l'amour ? Mais voici l'autre ouvrage, complémentdu
premier : « Le Traité de l'Amour de Dieu » qui nous fait monter encore
plus haut puisqu'il nous explique ce qu'est cet amour. Après le psycho­
logue et le moraliste, c'est le théologien et le mystique qui nous ensei­
gnent.
Aimer quelqu'un c'est à la fois l'admirer, chercher à combler ses
désirs et lui offrir tout ou partie de soi-même. Quand il s'agit de Dieu, c’est-
à-dire de Celui qui possède à un degré infini toutes les perfections, Celui
qui étant l'Amour-même veut se répandre sur tous les hommes et sur
chacun d'eux, pour les assumer jusqu'à Lui, saint François de Sales nous
invite à l'aimer «d'un amour de complaisance», «d'un amour de
conformité et de soumission » et « d'un amour de bienveillance ».
Dans l'amour de complaisance nous contemplons les perfections
divines. Nous constatons qu'elles sont incommensurables autant qu'éter­
104

11.7 Page 107

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nelles et nous nous réjouissons de trouver en Celui qui est notre Père la
réalisation et la pérennité de toutes nos aspirations vers le Beau, le Vrai
et le Bien. « L'âme qui est en l'exercice de l'amour de complaisance crie
perpétuellement en son sacré silence : il me suffit que Dieu soit Dieu, que
sa bonté soit infinie, que sa perfection soit immense ; que je meure ou que
je vive, il importe peu pour moi, puisque mon cher Bien-Aimé vit
éternellement d'une vie toute triomphante. »
Dilatées par ma contemplation de ce cher Amour en qui elle se
complaît, l'âme en reçoit l'image, comme un vitrail reçoit la lumière du
jour ; elle tend à refléter quelque peu les perfections divines : voilà
« rAmourdeconformité ». « Tel est le doux et aimable larcin de l'amour
qui, sans décolorer le Bien-Aimé, se colore de ses couleurs : sans le
dépouiller de sa robe, sans rien lui ôter lui prend tout ce qu'il a... comme
l'air prend la lumière. La complaisance nous rend possesseur de Dieu,
tirant en nous les perfections d'Iceluy... Nous possédons des biens qui
sont en Dieu comme s'ils étaient nôtres. »
... D'où une grande joie nous envahit, qui nous pousse à l'action de
grâces, à manifester notre gratitude en cherchant à suivre en tout la
volonté et le bon plaisir du Bien-Aimé. C'est l'amour de bienveillance :
vouloir bien faire, vouloir le bien, c'est-à-dire les commandements du
Père, les conseils évangéliques du Fils, lesdouces impulsions de l'Esprit,
l'ouverture docile à la grâce pour accomplir joyeusement nos devoirs
d'état, la disponibilité amoureuse devant tout événement voulu ou permis
par la Providence. « Rien ne se fait, hormis le péché, que par la volonté
de Dieu... Ouvrons les bras de notre consentement, embrassons tout
cela amoureusement. »
Comme le soleil. Dirons-nous que tout cela est très beau, mais
presque inaccessible, car nous sommes enfoncés dans des contingen­
ces du monde ? Ce serait oublier toute la puissance de la grâce. Il faut
la demander, supplier « Marie, vaisseau d'incomparable dilection, la plus
aimable, la plus aimante et la plus aimée de toutes les créatures. » Dieu
n'attend que notre geste pour descendre en notre âme et la combler ; il
aime chacun de nous en particulier. « Notre Seigneur est comme le soleil
qui va partout... Le soleil ne regarde pas moins une rose avec mille
millions d'autres fleurs, que s'il ne regardait qu'une seule. »
Et saint François de Sales conclut : « O Dieu, la beauté de notre
sainte Foi est si belle que j'en meurs d'amour. »
R de Saint-Chamas : « L'ami des hommes et l'amant de Dieu ». Editions S.O.S.J.
105

11.8 Page 108

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11.9 Page 109

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DIVERS
l'esprit salésien vécu
Voici une série de pensées diverses et de témoignages glanés au cours
d'une retraite placée sous le signe de saint François de Sales.
Si le Bon Dieu vous a taillé cette croix, c'est qu'il vous a taillé pour
cette croix.
Nous (prêtres) risquons de parler « de technique pastorale en
techniciens » pour le peu de temps que nous nous rencontrons... Et
le reste ? et le fond ? et le spirituel et le souci de la formation des
jeunes ?
Ce n’est pas pour nous, c’est pour le Christ que nous travaillons ; il
faut éviter d'être un paravent qui cache le Seigneur.
Ce n’est pas par la grandeur de nos actions que nous plaisons à
Dieu, mais par l'amour avec lequel nous les faisons.
Alors que je ne les savais pas salésiens (prêtres de saint François
de Sales), j'ai appris l'esprit salésien par ces confrères. J'avais
découvert en eux quelque chose, un peu de ce qui frappait chez
Jean XXIII : douceur patiente dans l'écoute et la compréhension ;
surtout la discrétion au sens le plus profond de discernement et
d'aide attentive pour que chaque être se réalise pleinement dans la
grâce de Dieu.
Des personnes puisaient dans la profondeur de leur vie spirituelle et
la fidélité à leur règle de vie tout le dévouement que je connaissais
et utilisais sans en connaître la source.
J'ai découvert en saint François de Sales la discrétion humaine et
surtout le silence intérieur pour être à l'écoute de Dieu ; l'ouverture
et l'oubli de soi.
107

11.10 Page 110

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Un aumônier d'hôpital : avant tout, j'écoute mes malades ; c'est de
mon attention à leurs problèmes et à leurs souffrances qu'ils ont
surtout besoin.
J'étais vendeuse ; saint François de Sales m'a aidée à pratiquer la
patience indispensable dans mon métier.
J’ai découvert la présence de l'Esprit-Saint en moi et dans les
autres ; cela m'a rendu plus confiant et plus ouvert et m'a permis
de mettre en route des entreprises qui, normalement, me dépas­
saient.
De multiples exemples, il ressort que l'esprit salésien se caractérise
essentiellement par :
un amour profond de Dieu et du prochain dont les manifestations
visibles sont l'accueil, l’écoute, la disponibilité à Dieu et au
prochain, la patience, la douceur ; le tout basé sur l’humilité ;
confiance inébranlable en Dieu ;
foi en l'homme, œuvre de Dieu ;
ces deux derniers éléments étant la source de l'optimisme salé-
sien et de l'équilibre.
L'originalité de l'esprit salésien est caractérisée par la conviction que
tout doit être fait r? amour. Le devoir d'état devient plus facile et
nous fait vivre le mornent présent avec joie.
Le monde aujourc <iuiconnaît violence, insécurité, désespérance,
recherche des aises, mais réclame aussi profondément, parfois
inconsciemment :
le droit pour chacun à être reconnu, aimé tel qu'il est ;
le droit à vivre dans la paix, la joie.
108

12 Pages 111-120

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12.1 Page 111

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avec françois de sales
méditer l’événement
ANNALES SALESIENNES
« Depuis un certain temps déjà, bien des groupes de chrétiens pratiquent
ce qu'on pourrait appeler "une spiritualité inductive". Autrefois, toute démarche
de prière, de réflexion chrétienne prenait son point de départ dans la doctrine,
l'Ecriture, d'où l'on déduisait des lumières et des normes pour la vie. Aujourd'hui,
on préfère parfois partir d'un événement, d'un fait de vie dans lequel on tente de
voir Jésus-Christ à l'œuvre et d'écouter les appels de l'Esprit. » (Annales
Salésiennes, 1974, 4, p. 13.)
>4 vec l'auteur de l'article que nous résumons (le P. Noyer), la
question que nous posons à saint François de Sales est celle-
ci « Comment est-il possible d'écouter l'Esprit-Saint dans
les événements de la vie ? » ou bien encore : « Peut-on taire sa
méditation en lisant son journal du matin ? » Réglons d'abord un point de
vocabulaire. Pour nous, un « événement » est un fait important, et dont
on parle dans le journal ; pour François de Sales, il signifie un fait tel qu'il
arrive : ce que nous appelons « un fait de vie », si banal soit-il.
1 - L'EVENEMENT COMME FAIT
Indépendants de notre volonté, tous ces faits, grands ou petits,
heureux ou malheureux, concernent notre vie spirituelle ; ils sont issus de
la « Volonté de Bon plaisir de Dieu ». A tout bien considérer, ces faits
sont mystérieux, et comment ne le seraient-ils pas ? Ils nous renvoient au
Mystère de l'Amour de Dieu. Aussi, la seule chose dont je sois sûr, c'est
que les événements sont issus de l'Amour, même si je ne les comprends
pas. L'événement doit donc être accueilli, quel qu'il soit, comme une
expression claire ou obscure de l'Amour de Dieu ; il doit rencontrer non
seulement ma résignation (parce qu'on ne peut l'éviter), mais la sainte
indifférence, dans une action de grâce qui remonte jusqu'à Dieu, parce
que je sais que, heureux ou malheureux, cet événement est voulu par
Dieu pour mon bien spirituel. Récriminer, regretter, protester, pleurer :
109

12.2 Page 112

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tout cela peut avoir sa place tout naturellement dans les puissances
inférieures ; •’ « indifférence », l'acceptation amoureuse de l'événement
se situe d/is la fine pointe de l'âme. Rien ne serait plus éloigné de
l'attitude salésienne que l'insensibilité, la froideur, l'égoïsme.
Saint François de Sales nous donne le témoignage de la façon dont
il a accueilli la mort de sa jeune sœur : « Je sais bien que vous me direz
volontiers : Et vous ? Comme vous êtes-vous comporté ?... Hélas, ma
fille, je suis tant homme que rien de plus Mon cœur s'est attendri plus que
je n’eusse jamais pensé ; mais la vérité est que le déplaisir d'une mère
et le vôtre y ont beaucoup contribué, car j'ai un peu de votre cœur et de
celui de ma mère. Mais, quant au reste, ô divin Jésus ! je tiendrai toujours
le parti de la Providence divine : elle fait tout bien et dispose de toute
chose au mieux » (XIII, 330).
Dans une lettre à M™ de la Fléchère, il précise mieux la distinction
entre l'indifférence et l’insensibilité : « Je n'aime nullement certaines
âmes qui n'affectionnent rien et à tous événements demeurent immobi­
les ; mais cela, elles le font faute de vigueur ou de cœur, ou par mépris
du bien et du mal. Mais celles qui, par une entière résignation en la
volonté de Dieu, demeurent indifférentes, ô mon Dieu, elles en doivent
remercier la divine Majesté, car c'est un grand don que celui là. »
(XI ■, 82) Tel est, au fond, le mystère même de l'âme salésienne : une
sensibilité extrême à l'événement (le nôtre, ou celui du prochain), mais
aussi une acceptation amoureuse de tout ce qui arrive comme étant
l'aujourd'hui voulu par Dieu pour moi.
2 - L'EVENEMENT COMME SIGNE
Pour François de Sales, la volonté de Dieu nous est « signifiée » par
les commandements et les conseils, c'est-à-dire par la Révélation, mais
aussi par les inspirations. Par quels moyens l'Esprit-Saint nous envoie-
t-il ces inspirations ? La variété en est infinie : la vue des créatures, la
prédication, par exemple, mais aussi les événements. Saint François de
Sales écrit : « Ceux qui par l'ouïe des menaces célestes sur les méchants
ne se corrigent pas, apprendront la vérité par l'événement et les effets,
et deviendront sages sentant l'affliction. » L'événement donné ici en
exemple est la tribulation, l'événement qui bouscule, qui fait souffrir, qui
alerte. Mais l'inspiration peut être provoquée, évidemment, par des
événements plus calmes : la rencontre d'une image de Notre-Dame,
l'Evangile qu'on lit à une messe, le récit de la vie d'un saint, le cadavre
d'une impératrice, etc.
110

12.3 Page 113

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Pour être loyal, disons que François de Sales ignore la dimension
historique, et que, venu avant Marx et Hegel, il ne s'intéresse pas au
décryptage de l'histoire qui se fait. L'idée, si importante dans la pensée
d'aujourd'hui, que l'humanité est prise dans une grande aventure dont les
événements sont à la fois les révélateurs du sens et les lieux ce sens
peut être infléchi, retardé ou accéléré, est étrangère à la pensée salé-
sienne. Bref, l'événement ne prend son sens que par la lumière de
l'Esprit-Saint ; l'inspiration est donc une réalité subjective et individuelle.
Tous les exemples donnés par saint François de Sales sont très marqués
par cette écoute individuelle de l'Esprit. C’est un fait.
Mais les temps ayant changé, au nom de quoi refuserions-nous des
inspirations collectives dans un monde de plus en plus socialisé et tout
événement répercuté par les mass médias devient collectif ? Par exem­
ple : un conflit social, la sécheresse du Sahel, le Concile, « Gaudium et
Spes ». Voilà ce qu'un Salésien d'aujourd'hui n'a pas le droit de négliger.
La fidélité à l'Esprit-Saint est (aussi) réponse spontanée et originale aux
appels que l'Esprit-Saint nous lance, quand nous lisons notre journal.
111

12.4 Page 114

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12.5 Page 115

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lueurs
doctrinales

12.6 Page 116

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12.7 Page 117

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H. BORDES
place de la résurrection
selon saint françois de sales
Ce résumé d'une étude d'Hélène Bordes, assistante à l'U.E.R. des Lettres
et Sciences Humaines de Limoges, situe la « place de la Résurrection dans la vie
du chrétien, selon saint François de Sales ». Les références que nous y trouvons
sont faites aux Œuvres Complètes de Saint François de Sales, Ed. d’Annecy.
JT ntroduction : La Résurrection du Christ est bien évidemment
> essentielle au christianisme et à toutes les formes de la spiritualité
chrétienne.
Elle se présente comme un fait historique « scandaleux » pour la
raison humaine tout comme le fait que Dieu mourant, sur la croix, ne soit
plus l'éternel vivant.
La tonalité joyeuse de la spiritualité salésienne laisse penser que
l'accent est mis par François de Sales sur la résurrection.
Si le Christ est ressuscité, les chrétiens doivent l'être aussi :
« doivent », c'est-à-dire que leur résurrection dépend d'eux, qu'ils n'ont
pas à simplement l'attendre, qu'elle sera ce qu'ils la font.
I. Originalité de la position de François de Sales
Référence constante à saint Paul : 1re Corinthiens XV, 14... -
Colossiens III, 1,4.
Lien constant pour saint Paul et saint François de Sales entre
« l'athlète du Christ », « le soldat du Christ » et la résurrection vécue et
comme créée à chaque instant de la vie.
Donc, l'accent mis sur la résurrection est remarquable : c'est lui qui
donne leurton joyeux, victorieux, aux textes de saint Paul mort, est
la victoire ? »), saint François de Sales, mais aussi saint François
d'Assise, saint Philippe Néri ou Lorenzo Scupoli.
115

12.8 Page 118

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Ne pas cependant tomber dans l'erreur de croire que la mort, la
Passion, le Calvaire sont comme gommés : pour ressusciter, il faut
mourir, on ne saurait l'oublier ; mais il ne faut jamais s'arrêter à la mort
seule.
Equilibre mort-résurrection à préserver constamment : la mort
comme cause et moyen de la résurrection ; la mort comme « passage »,
donc comme « Pâque ».
Il Lecture des mystères par saint François de Sales
Noël - Pâques - Pentecôte : un même passage. Sermon de la messe
de minuit 1622 (Ed. d'Annecy, X - 412).
La mort du Christ : sermon du 15 octobre 1618 (IX - 210).
La Passion : VIII - 424
IX - 267.
III. La vie humaine « ressuscitée »
Les mystères vécus dans les sacrements.
Eucharistie - Ascension (VIII - 20).
L'Eucharistie comme mort et résurrection, donc comme entrée
volontaire dans le Royaume de Dieu, comme choix du plan de Dieu sur
le monde.
Le Baptême (IX -150).
La Pénitence (IX - 275).
La mortification (X - 315).
Conclusion : Joie, mais joie volontaire, « raisonnée » et complète :
rien d'un optimisme amoindrissant parce que la souffrance serait
niée ou minimisée.
La souffrance n'est pas tout, et la terre n'est pas vraiment une
« vallée de larmes » Passion et Résurrection sont unies comme dans
un même tissu. Non pas qu'elles soient les deux faces d'une même
réalité : elles sont une, contemporaines comme automatiquement
dans la spiritualité salésienne de l'instant vécu, dans l'oraison vitale,
« consubstantielles » ; choisir de bien vivre sa Passion, c'est ressusciter.
Mais ressusciter, c'est accepter que la raison ne comprenne pas, se
sente limitée à son « ordre » ; c'est donc vivre l'abandon, la « très sainte
indifférence », c'est-à-dire « avoir la foi ».
116

12.9 Page 119

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Mais accepter cela, c’est agir : ressusciter, c’est l'abandon actif de
chaque instant, l'activité ne se réduisant pas à l'abandon.
La Résurrection vécue dans l'instant n'a pas pour seul rôle de faire
ce que sera notre résurrection de la Parousie, de créer, dechoisirce que
sera notre vie éternellement, notre libre choix alors éternellement fixé tel
que nous l'aurons voulu : l'instant vécu en elle est déjà, lui, résurrection ;
c'est maintenant, la vie éternelle, nous sommes déjà ressuscités, parce
que, par l'amour de Dieu, nous sommes déjà « transfigurés ». (Traité de
l'Amour de Dieu, V - 345 - Dernier chapitre de l'ouvrage - Edition de la
Pléiade, p. 971.)
117

12.10 Page 120

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13 Pages 121-130

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13.1 Page 121

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l'esprit-saint
dans la spiritualité salésienne
J. SAUVAGE
Le 15juillet1976, aucoursdes "Journées Salésiennes", Mgr Sauvage, alors
Evêque du lieu, proposa l'homélie que nous publions, à la Visitation d'Annecy.
Chers frères et sœurs,
Il me faut accepter simplement la servitude d'un moment de fatigue
qui m'empêche d'être présent à votre messe, à la Visitation un sommet
dans les journées salésiennes. Je ne suis pas empêché pour autant de
vous confier ce que j'avais médité de vous dire.
Dans le prolongement de la conviction que je vous ai dite lors de
mon trop bref passage à Jean XXIII je souhaite que toutes les
personnes et les communautés qui se réclament de l'esprit salésien ap-
pronfondissent la place de l'Esprit-Saint dans la spiritualité salésienne.
Ce serait une bonne façon d'apporter une note originale de solidité
doctrinale, de réalisme et d'humour au mouvement actuel de renouveau
de la dévotion au Saint-Esprit.
1. Déjà, dans la Visitation en essor, se posait la question du
discernement de l'action de l'Esprit-Saint dans les personnes et les
communautés. Relisez la lettre de 1616 à la Sœur de Blonay, maîtresse
des novices à la Visitation de Lyon (17, 205 sv.). Ce qui me frappe
d'abord, c'est l'autorité apostolique que François de Sales se reconnaît
comme évêque dans ce travail de discernement. Il est docteur ès
discernement des esprits. Et il le fait pour la « consolation de sa très chère
fille,» étant bien entendu que consolation ne doit pas être pris ici en un
sens affadi, mais au sens fort d'affermissement intérieur dans la certitude
de suivre l'Esprit-Saint.
Ce qui caractérise aussi c'est la référence de saint François de Sales
aux meilleures sources sur la question (Romains VIII et Galates V). Suit
119

13.2 Page 122

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un commentaire sur l'opposition entre vivre selon l'Esprit et vivre selon la
chair. Les exemples apportés permettent d'éviter la grossière méprise
que commet plus d'un lecteur de confondre la vie selon la chair avec la
vie prisonnière des instincts charnels. Qu'est-ce donc qu'aimer selon la
chair ? C'est chérir tendrement cette sœur qui m'aime bien, m'oblige fort,
c'est vouloir du bien seulement à qui m'est tendre et agréable. Mais si j'ai
dans ma communauté une sœur rude, âpre et incivile, désireuse de
s'amender et que pour le bon plaisir de Dieu, je l'accoste, je la chéris, je
la sers, alors c'est un amour selon l'esprit.
Je note encore cet autre principe de discernement : « Vivre selon
l'esprit, c'est faire les actions, dire des paroles et faire les pensées que
l'Esprit de Dieu requiert de nous ». Et quand je dis les pensées, j'entends
des pensées volontaires. Je suis triste, je n’ai pas envie de parler ainsi
que font les perroquets et pourtant je parle puisque la charité le requiert...
les gens spirituels font ainsi.
Finalement, la fidélité à l'Esprit-Saint demande de faire ce que « la
foi, l'espérance et la charité nous enseignent, soit èschosestemporelles,
soit ès choses spirituelles ».
Fidélité doctrinale, réalisme pour observer les conditions qui nous
contraignent, de la part du Seigneur, soit dans l’accomplissement de
notre devoir d'état, soit dans le service désintéressé du cher prochain,
soit dans l'amour primordial de Dieu, fondement de tout amour pur, solide
et invariable pour les autres.
II. Toujours dans l'éducation du chrétien à la vie selon l'Esprit, je
note l'insistance de saint François sur la nécessité de suivre, toutes
affaires cessantes, la volonté de Dieu reconnue et manifestée d'ordi­
naire parles indications du devoird'état et de l'obéissance. Dans la lettre
de 1620 à la Mère de Ghastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble,
il déclare tentation manifeste sans fard ni prétexte l'attrait de Sœur
Jeanne Hélène de Gérard pour jeûner dans la solitude alors qu'elle a
promis obéissance dans la communauté de la Visitation. Le doux saint
François est sévère etterme pourdéfeodre un bien majeur, la vraie liberté
dans l'obéissance, « vouloir vivre à soy même pour mieux vivre à Dieu,
vouloir avoir l'entière jouissance de sa propre volonté pour mieux faire la
volonté de Dieu : quelles chimères ».
III. Enfin, dans cette ligne du discernement de l'action de l'Esprit-
Saint en nous, saint François de Sales insiste sur le réalisme, la prise
de distance et l'humour qui nous permet de mesurer notre misère,
vécue dans l'espérance.
120

13.3 Page 123

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C'est encore à une lettre adressée à Sœur de Chastel, en 1614, que
j'emprunte ce savoureux passage très nourri de Bible, de saint Paul et de
saint Irénée, dans l'opposition d'Eve à Marie reconnue en nous (16.242).
Sœur Péronne Marie de Chastel remplissait dans son monastère les
fonctions d'économe. Elle était très sensible aux remarques qu'on lui
faisait, à l'opinion qu'on avait d'elle. Voyez comment saint François de
Sales la livre à l'humour et à la lucidité de l'Esprit-Saint en elle, comment
il la libère du qu'en dira-t-on et du pessimisme.
Bien sûr, « nous sommes troublée et angoissée de ces impertinen­
tes tentations de chagrin et de dépit. Mais nous ne voulons quitter Dieu,
ni Notre Dame, ni notre Congrégation... Vous dites bien en vérité, ma
pauvre chère fille Péronne Marie : ce sont deux hommes, ou deux
femmes, que vous avez en vous. L'une est une certaine Péronne,
laquelle, comme fût jadis saint Pierre son parrain, est un peu tendre,
ressentante et dépiterait volontiers avec chagrin, quand on la touche :
c'est cette Péronne qui est fille d'Eve et qui, par conséquent, est de
mauvaise humeur. L'autre, c'est une certaine Péronne Marie qui a une
très bonne volonté d'être toute à Dieu et, pour être toute à Dieu, d'être tout
simplement humble et humblement douce envers tous les prochains ; et
c'est celle-ci qui voudrait imiter saint Pierre, qui était si bon après que
Notre Seigneur l'eût converti ; c’est cette Péronne Marie qui est la fille de
la gracieuse Vierge Marie et, par conséquent, de bonne affection.
Et ces deux filles de diverses mères se battent et celle qui ne vaut
rien est si mauvaise que quelquefois la bonne a bien à faire à s'en
défendre, et lors, il est avis à cette pauvre bonne quelle a été vaincue et
que la mauvaise est plus brave. Mais non, certes, ma chère Péronne
Marie, cette mauvaise n'est pas plus brave que vous, mais elle est plus
afficheuse (attachée à ses idées), perverse, surprenante et opiniâtre ; et
quand vous allez pleurer, elle est bien aise, parce que c'est toujours
autant de temps de perdu, et elle se contente de vous faire perdre le
temps quand elle ne vous peut faire perdre l'éternité. »
Quel meilleur moyen que cette docilité au Saint-Esprit pour conser-
ver fidélité à Dieu et à l'Eglise, douceur envers soi, patience et espérance,
car Dieu en a bien vu d'autres et ne rejette pas les misérables ; bien au
contraire, il s'exerce à leur faire du bien en faisant le siège de sa gloire
sur leur abjection. (Lettre de 1613 à Mme de la Fléchère, 16,68.)
121

13.4 Page 124

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13.5 Page 125

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avec saint françois de sales
à l'écoute de l'esprit-saint
A. DUVAL
Au fil des pages, nous cueillons chez François de Sales quelques réflexions
qui nous aideront à vivre, un peu mieux, la présence de l'Esprit dans la réalité
d'aujourd'hui, celle de notre âme et celle de l'Eglise.
TK yous ne pouvons comprendre ce que vit l'Eglise, sans réfléchir à
/
ce que signifie pour elle la présence de l'Esprit... A partir de la
Cène, Jésus met un accent nouveau sur l'Œuvre de l'Esprit-
Saint (Jn. 14, 15-17 - 14, 25-26 - 16, 7-15). Toute la nouvelle vie de
l'Eglise est liée à la venue de l'Esprit.
« Notre Seigneur, lorsqu'on rompait sa bénite peau sur l'arbre de la
Croix et en la colonne, il rompait avec son mérite le décret et cédule qui
nous tenait obligé au pouvoir des enfers (Col. 2, 14). O comme Jésus-
Christ mérita la venue du Saint-Esprit ! Ce fut lorsqu'il rendit l'esprit en
inclinant son chef adorable : et inclinato capito emisit spiritum. Car
donnant son dernier soupir et esprit au Père, il mérita que le Père envoya
son Saint-Esprit sur son corps mystique ».
Le récit des Actes, en effet, nous montre l'Esprit promis faisant
irruption dans l'Eglise au matin de la Pentecôte. « Voyons donc, dit saint
François de Sales, comment Dieu envoya son Esprit sur tous les
hommes qui se trouvèrent assemblés au Cénacle, lesquels étaient aux
nombre de six vingts et parlèrent tous selon ce que l'Esprit leur donnait. »
Les Apôtres l'avaient déjà reçu lorsque Notre-Seigneur, soufflant sur eux,
leur dit : « Recevez le Saint-Esprit, les constituant prélats de son Eglise
et leur donnant le pouvoir de lier et délier les âmes. Les présents sont
estimés grands selon l'amour avec lequel ils sont faits : or, celui-ci n'est
pas seulement fait avec un grand amour, (mais) c'est l'amour même qui
est donné, car le Saint-Esprit est l'amour du Père et du Fils »
123

13.6 Page 126

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Toujours présent dans l'Eglise qui s'incarne dans une réalité mou­
vante et temporelle, l'Esprit sanctifie les baptisés qui entendent sa
voix et répondent à ses appels. Saint François de Sales analyse avec
finesse cette action de l'Esprit-Saint en chacun de nous : « Nos œuvres
sont voirement extrêmement petites et nullement comparables à la gloire
en leur quantité ; mais elles lui son néanmoins fort proportionnées en
qualité, à raison du Saint-Esprit qui, habitant en nos cœurs par la charité,
les faits en nous, par nous et pour nous, avec un art si exquis que les
mêmes œuvres qui sont toutes nôtres sont encore toutes siennes, parce
que, comme il lestait pour nous, nous les faisons pour lui, et comme il les
opère en nous, nous coopérons avec lui ».
« Or, le Saint-Esprit habite en nous si nous sommes membres
vivants de Jésus-Christ qui, à raison de cela, disait à ses disciples : « Qui
demeure en moi et moi en lui, celui-ci porte beaucoup de fruits », et c'est
parce que celui qui demeure en lui participe à son divin Esprit, lequel est
au milieu du cœur humain comme une vive source qui rejaillit et pousse
ses eaux jusques en la vie éternelle ».
L'Esprit anime l'oraison : la rigidité des méthodes ne doit pas
entraver la spontanéité de son action en nous. En l'oraison, « il se passe
tant de divers mouvements intérieurs qu'il est impossible de les exprimer
tous ; non seulement à cause de leur quantité, mais aussi à raison de leur
nature et qualité, laquelle étant spirituelle, ne peut être que grandement
déliée et presque imperceptible à nos entendements... Dieu seul est
celui qui, par son infinie science, voit, sonde et pénètre tous les tours et
contours de nos esprits : il entend nos pensées de loin, il trouve tous nos
sentiers, faufilants et détours ; sa science est admirable, elle prévaut au-
dessus de notre capacité, et nous n'y pouvons atteindre ».
L'Esprit-Saint éclaire l'Eglise. controverse religieuse a rendu
saint François de Sales particulièrement sensible à une rencontre
authentique de la parole de Dieu ; elle le force à définir avec précision la
notion de tradition apostolique.
« Nous appelons Tradition apostolique la doctrine soit de foi, soit des
mœurs que Notre-Seigneur a enseignée de sa propre bouche ou par la
bouche des Apôtres ; laquelle, n’étant point écrite ès livres canoniques,
a été ci-devant conservée jusqu'à nous comme passant de main en main,
par continuelle succession d'Eglise : en un mot, c'est la parole de Dieu
vivant imprimée non sur le papier, mais dans le cœur de l'Eglise
seulement. Et n'y a pas seulement Tradition des cérémonies et de
124

13.7 Page 127

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certain ordre extérieur de bienfaisance ; mais comme le saint Concile, (il
y a) doctrine qui appartient à la foi elle-même et aux moeurs. » Le saint
Docteur ajoute :
« Nous confessons que la très sainte Ecriture est très excellente et
très utile ; elle est écrite afin que nous croyons ; rien ne peut lui être
contraire, que le mensonge et l'impiété ; mais pour établir en vérités, il ne
faut jamais détruire l'Autre. L'Ecriture est utile pour enseigner, apprenez
donc de l'Ecriture même qu'il faut recevoir avec honneur et créance les
saintes Traditions ». Enfin, l’Esprit-Saint est à l'œuvre dans les Conciles.
Comme il a assisté les autres, dans le passé, « il assistera encore les
assemblées des pasteurs pour, par leur bouche, régler nos actions et
créances ».
125

13.8 Page 128

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13.9 Page 129

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Mgr LAVALLEE
saint françois de sales
docteur de la charité
Géant de la charité, Don Bosco a mis sa plume féconde au service de Dieu
et des autres, mais toujours dans un but concret et immédiat. Il n'est pas un
théoricien... François de Sales, lui, est le docteur de l'Amour divin.
onnaissez-vous, depuis saint Augustin et dans les siècles mo-
dernes, un Docteurde la charité comparable à saint François de
Sales ? Proprement, il n'a su que cela. Il fut le troubadour, le
poète lyrique de la charité : mais il en fut aussi le théologien. Son «Traité
de l'Amour de Dieu », qui n'est pas le plus connu de ses ouvrages, mais
certainement le plus digne de l'être, est le centre de son œuvre, la source
d'où dérive tout le reste, « l'Introduction à la vie dévote », comme les
« Lettres ». S'il y a un exemple d’une vie, d'une personnalité qu i s'absorbe
dans une idée, c'est cet exemple-là. « C'est l'amour, écrit-il, qui donne le
prix à toutes nos œuvres ; ce n'est pas par la grandeur et la multiplication
de nos œuvres que nous plaisons à Dieu, mais par l'amour avec lequel
nous les faisons, et souffrir une chiquenaude avec deux onces d'amour
vaut mieux qu'endurer le martyre avec une once du même amour. » Il n'a
jamais fait autre chose que déployer l'infinie richesse de cet axiome de
la vie chrétienne. « Dieu, dit sa contemporaine, la Mère de Chaugy, avait
suscité ce saint homme en ce temps pour rendre la dévotion aimable,
facile et accostable à tout le monde. » La dévotion, c’est-à-dire l'amour
inspirant notre fidélité au devoir d'état. Saint François de Sales n'a pas
apporté une doctrine nouvelle, en publiant ce message d'amour, puisque
ce message, c'était l’Evangile même. Mais il fut suscité pour le rappeler
au monde qui l'oubliait. Au point qu'il parut un novateur, non pas
seulement dans la forme, il l'est en effet, mais dans la doctrine.
Lui aussi, il avait eu son rêve, qui était plutôt un cauchemear. Etant
étudiant à Paris, une tentation de désespérance l'avait assailli ! Il avait
alors dix-huit ans : les jugements de Dieu sont sévères ; échappera-t-iI à
leur rigueur ? Certes, il savait bien que la doctrine de Luther et de Calvin
sur la prédestination d'un certain nombre d'élus, et le rejet de tous les
autres hors du salut, était une hérésie, une nuée soulevée par l'esprit
127

13.10 Page 130

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d'erreur ; mais cette nuée soulevée faisait une ombre épaisse sur sa vie.
Il se jetait à genoux et suppliait Dieu : « Ne permettez pas, disait-il, que
jamais je ne vous maudisse. O amour, je ne jouirai donc jamais de vos
délices Jésus n'est donc pas mort pour moi ». Ce chagrin d'amour le
desséchait... quand il connut la vraie doctrine, il se mit à revivre. Mais il
sortait de cette crise avec une immense pitié de ceux qui pouvaient
souffrir du mal qu'il avait connu, un immense désir de répandre parmi ses
frères le message d'amour. Il le fit merveilleusement. M. Olier disait que
c'était « un miracle ». Quarante éditions de son « Introduction à la vie
dévote » s'écoulèrent de son vivant. Cinquante ans après sa mort, le
monde était prêt à comprendre l'apparition de la bénignité et de l'huma­
nité de notre Sauveur sous l'image d'un Cœur. Personne, je crois, n'avait
travaillé à Ty préparer autant que saint François de Sales.
Dès lors, comprenez-vous que Don Bosco, qui fondait tout l'espoir
de son Œuvre sur la vertu intime de la charité, se soit tourné vers ce
théoricien, ce docteur de la charité, qui a si bien montré le travail qu'elle
est capable de faire dans un homme, quand, une fois, elle s'est emparée
de sa vie ? Il relevait de sa doctrine ; il était son disciple, le fils de son
esprit ; il appartenait à sa famille ; et voilà pourquoi il a voulu que ses
propres enfants se rattachent à saint François de Sales comme à leur
ancêtre, et portent le nom de Salésiens.
128

14 Pages 131-140

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14.1 Page 131

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F. DE SALES
se risquer pour la justice
Les paroles de saint François de Sales sur la justice ne sont pas de pieuses
considérations... Elles sont fruit d'expérience de vie. Le milieu où a vécu François
de Sales est un milieu de luttes, d'« affaires », comme il disait, qui le « tiennent
assiégé et à la gorge » (XII-118). Face à la situation misérable des gens, aux
injustices, aux guerres..., il ne cesse d'inviter à vivre l'Evangile des Béatitudes,
c'est-à-dire à la conversion. Il agira constamment à tous les niveaux, portant un
témoignage dont l'inspiration reste encore vivante. « Se risquer pour la justice »
fut le thème des « Journées Salésiennes » 1981, à Solignac, près de Limoges.
La première en son estime :
On lui demandait un jour quelle des huit béatitudes évangéliques
était le plus à son gré ; il répondit que la dernière en rang était la première
en son estime, et qu'il ne prisait rien tant en cette vie que de souffrir
persécution pour la justice...
Notre bienheureux nous fait assez connaître dans ses Epitres (dans
ses Lettres) en combien de façons il a été traversé.
Une fois selon le jugement des médecins il fut empoisonné... On ne
sait si ce morceau venait de l'artifice des errants ou des faux frères. : car
il n'a pas manqué d’envieux au dedans non plus que d'adversaires
ouverts en dehors de l'Eglise... Les écrivains de ses actions n'ont pas
omis à remarquer qu'il y a eu des attentats ouverts sur sa vie, quoique lui-
même déclarât que ces menées ne se faisaient que pour lui faire peur..
(id. 18.39).
Il se plaint que son pouvoir d'évêque reste lié à celui des
princes :
Quelle abjection que nous ayons le glaive spirituel en main et que,
comme simples exécuteurs des volontés du magistrat temporel, il nous
faillefrapperquand il l'ordonne et cesserquand ilcommande, et que nous
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14.2 Page 132

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soyons privés de la principale clef de celles que Notre Seigneur nous a
données, qui est celle du jugement, du discernement et de la science en
l’usage de notre glaive». (XVI 217).
Il dit leschoses comme elles sont... Ildéfend son peuple contre
la négligence de ses curés :
“Je supplie donc très humblement V.S. de vouloir bien écrire à qui
de droit afin que ces si pauvres petites églises de notre pays ne soient pas
privées du secours qui peut leur revenir de ces legs... que si les susdits
curés ont été dans une ignorance crasse, ce n'est pas aux paroisses ni
aux églises à en subir le dommage et la peine..." (XI 213).
Il veut à tout prix réformer les monastères :
Jamais non plus je ne cesserai de presser, voire même de crier afin
d'obtenir par les entrailles de Jésus-Christ que l'on prenne des mesures
pour la réforme ou le changement des Religieuses des abbayes... et
d'autres encore qui sont en cette province des séminaires de scandales”.
(XI 266).
9 II y a encore des sujets “taillables et corvéables” :
"... Expose très humblement à S.S l'évêque de Genève qu'il a
plusieurs sujets ou taillables, astreints à d'innombrables servitudes qui
sentent plus le paganisme que le christianisme : ainsi, lorsqu'ils meurent
sans enfants, ils ne peuvent faire de testaments en faveur de personne ;
ils ne peuvent se vêtir de draps noir, ni porter le, moindre ourlet de drap
de couleur. Il y en a même quelques-uns dont la servitude consiste à
prendre soin durant la nuit, alors que le seigneur dort, d'empêcher les
grenouilles de coasser ; il n’y a personne qui ne voie combien de telles
choses sont indignes d'un chrétien" (XII 197).
Il réclame la liberté, de conscience pour les catholiques de
Genève :
J'ai entendu bon nombre d'hommes de ce pays se plaindre chaque
jour de ce qu'étant catholiques, ils sont empêchés par la tyrannie de la
république de Genève de remplir leurs devoirs de catholiques, d'autant
plus que cette république opprime les peuples non pas en son nom, mais
au nom du très chrétien roi de France... si le roi faisait quelques efforts
plus pressants afin d'obtenir que la République de Genève accordât dans
130

14.3 Page 133

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cette ville même ce qu’ils appellent liberté de conscience, il ne serait pas
tout à fait improbable qu'il y réussît”. (XI 270 à Clément VIII).
Il sait “proclamer aussi quand quelque chose de bien” a été
fait :
Certes, Monseigneur rien ne donne autant de douceur à la vie
humaine que la droite administration de la justice, et la justice, quoique
toujours une en elle-même, ayant sa source, comme une belle eau, en
la poitrine des princes souverains en terre, coulant par les esprits des
magistrats rudes, malpolis et raboteux, elle se rend autant nuisible qu'elle
devait être utile, et même jusque que, comme parle un sacré Prophète,
elle est convertie en absinthe.
Mais passant entre les peuples par les mains de gens doctes, bien
affectionnés et équitables, elle remplit les provinces de bonheur et de
suavité ; étant, les uns, comme un torrent impétueux qui ravage tous les
bords qu’elle accoste, et les autres, comme une douce rivière qui rend
amènes les rivages qu’elle détrempe.
C'est aussi le plus grand garant que les Princes puissent avoir...
d'avoir commis leur autorité à des gens capables de la bien manier...”
(XIV 317) pour le féliciter d'avoir choisi A. Favre comme "premier
Président du Sénat de Savoie”.
Ce que François de Sales ne peut pas faire, il n'hésite pas à le
confier à des amis ; une correspondance et sans doute des entre­
tiens s'établirent avec Mgr Camus pour préparer des interventions
aux Etats Généraux qui eurent lieu à la majorité de Louis XIII. Ils
revendiquaient tous deux la liberté pour la mission apostolique et
plaidèrent la cause des pauvres :
Pauvre peuple, qu'il ne soit pas dit que je t'ai oublié à la face des
Etats et que je n'ai pas prié et crié pour ta décharge : Bienheureux,
Messieurs, qui a soin du pauvre et du misérable ! Jusques à quand,
charge inégale, ce pauvre peuple qui n'en peut plus, qui porte le poids du
chaud et du jour, de la sueurduquel nous vivons, le fruit des mains duquel
nous nourrit, sans lequel nous ne sommes rien, car nous ne saurions ni
labourer ni mendier... il n'y a plus d'analogie ni de proportion entre les
nourrissants et les nourris, entre les pieds et le corps, entre les ouvriers
et les fainéants...
131

14.4 Page 134

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Sera-t-il dit qu'il soit toujours l'âne des études, crasseux, sale,
morfondu, mal bâté, maupiteux, portant le charbon pour échauffer, laver
et nettoyer et décrasser les autres ?
Quel monde renversé que ceux qui portent les charges n'aient rien,
et que ceux qui ne payent rien ont tout : quel partage inégal, quelle
communauté de lions !. (Camus “Homélies” Descrains 238).
132

14.5 Page 135

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français de sales
et
jean bosco

14.6 Page 136

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14.7 Page 137

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P. PICAN
connivences « salésiennes »
Lors de la “Retraite-Pèlerinage " des religieux Salésiens "aux Sources ", en
1980, l'église saint François de Sales du Valdocco, à Turin, construite par Don
Bosco, accueillit les pèlerins groupés pour l'Eucharistie. Ce fut le père Pierre
Pican, alors Provincial de Paris, qui fit l'homélie profondément inspirée de
l'environnement et par les lieux mêmes elle fut prononcée.
Accueil
Don Bosco extériorise sa dévotion à saint François de Sales de bien
des manières et il en concrétise les formes :
Vers 1842 : son œuvre de Turin fut placée dès l'origine sous le
patronage de François de Sales.
En 1852 : Don Bosco bâtit sa première église et la dédie à saint
François de Sales après la chapelle Pinardi.
Dès 1854 : les premiers disciples de Don Bosco reçoivent le titre
de « salésiens ».
En 1859 : lorsqu'il lance sa congrégation, il l'appelle la Pieuse
Société de Saint-François-de-Sales, qui demeure le patron
principal de notre Institut.
En saint François dp,Sales, Don Bo'sco a voulu voir un modèle et un
maître ; il conseillait à ses disciples de toutes conditions et de tous âges,
jeunes, élèves et religieux, de l'imiter et de l'écouter.
Homélie
1 Jn 4, 7-16
Jn 15, 9-17
En m'invitant à « présider » cette Eucharistie du retour aux Sources;
le père Mouillard me demande de laisser l'Esprit s'emparer de son ser­
135

14.8 Page 138

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viteur pour actualiser au profit de l'auditoire quelques composantes
actuelles de l'esprit salésien, tel que nous le transmet en l’incarnant saint
Jean Bosco.
Les deux textes de saint Jean nous convient à ressaisir les conniven­
ces spirituelles et apostoliques existant entre François de Sales et Jean
Bosco. Je n'en retiendrai que deux, aujourd'hui, vous laissant le soin, au
cours de la journée, d'en rechercher d'autres plus directement adaptées
à la diversité de vos démarches personnelles.
Etre « salésien », aujourd'hui, à la manière de Don Bosco, ne serait-
ce pas, tout simplement, parier pour Dieu et prendre le parti de l'homme
à la manière de Dieu, accompli en Jésus-Christ ?
1. « Opter pour Dieu »
Cela va de soi, me direz-vous, lorsqu'on a accepté d’organiser sa vie
concrète en laissant Dieu demeurer le pôle de référence ultime et
permanente de son existence. C'est encore à voir. Je suppose qu'un
parcours spirituel comme celui que vous vivez vous découvre des pans
d'existence que l’Evangile pénètre encore difficilement.
Opter pour Dieu, consiste à vivre sous régime de « vocation ».
L'Evangile nous rappelle le propos du Christ, assumé par sa réponse :
« Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis. »
François de Sales et Jean Bosco ont laissé Dieu les choisir, les modeler,
les former dans les profondeurs de leurêtre, lespénétrerde l'intérieur au
point de les doter d'une perspicacité spirituelle étonnante, d'une sagacité
évangélique inédite, d'un don de discernement prestigieux.
Leur option pour Dieu les a constitués d'une façon privilégiée, à
des époques sans doute fort différentes, bénéficiaires et destinataires de
la bonté, de la tendresse de la proximité de Dieu. Pour François comme
pour Jean, Dieu est accessible. Il a part liée avec la vie, il bascule du côté
de l'homme, il abolit les distances entre les personnes et se fait commu­
nion en Jésus-Christ.
Cette expérience accomplit l’homme. L'homme est amputé tant qu’il
n'est pas en communication vitale avec sa source. Opter pour Dieu c'est
remonter à sa source, accueillir le dynamisme de son accomplissement,
réussir pleinement son existence, en un mot : VIVRE.
Cette rencontre du Dieu vivant les a tous les deux, à leur manière
singulière, préparés àtraduire cette proximité de Dieu, à la communiquer.
Apôtres de Jésus-Christ, salésiens, mes frères, nous avons à regarder
136

14.9 Page 139

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du côté de François et de Jean pour apprendre à « dire » Dieu aux
hommes, pour oser parier du Christ aux jeunes, de l'intérieur, comme par
un mouvement de respiration vitale. Dire Dieu, oser transmettre Dieu,
avec passion, avec amour.
2. Prendre le parti de l'homme au nom de Jésus-Christ. Prendre parti
pour l'homme, l'homme qui peine, souffre, connaît l'isolement, vit écar­
telé, loin de Dieu, aux prises avec des conditions de vie exténuantes,
déboussolé et meurtri par la vie. François, évêque, s'écorche les pieds
et les mains pour rencontrer les brebis de son troupeau, prêcher la
proximité et la tendresse de Dieu, l'accomplissement de l'homme en
Christ.
Jean Bosco, à partir de la rencontre bien concrète de Barthélemy, se
porte vers les jeunes en situation, mordus par la détresse, blessés par la
vie, désorientés. Il va vers eux, pour les aimer ; c'est le mouvement inédit
et déconcertant de l'incarnation déclenché par Dieu, répercuté par les
saints, véhiculé par ceux qui se disent du Christ et qui ont mission de
rendre présente cette tendresse du cœur de Dieu. Prendre le parti de
l'homme c'est se porter de tout son cœur, de tout son esprit, vers ces
zones d'humanité parmi les jeunes qui sont menacés de dériver vers
l'inhumain, l'incomplètement humain. « Nous savons que nous sommes
passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n'aime
pas demeure dans la mort. »
Eriger l'amour pn système éducatif, c'est le défi fou et insolite
relevé par Don Bosco à l’origine de son œuvre, au moment il croyait
déjà, à l'heure nous, nous y croyons encore. Ce défi est ressaisi par
des corps veillis, taraudés par l'existence, qui s'emploient à accueillir et
¿transmettre les merveilles du cœur de Dieu pour les jeunes. « N'aimons
pas en paroles et de langue, mais en actes et dans la vérité. »
A partir de ce 8 décembre 1844, Don Bosco a trouvé un nom pour
son oratoire ; il s'appellera « de Saint-François-de-Sales ». Pourquoi ?
Don Bosco s'en explique lui-même : « Parce que la marquise avait fait
peindre le portail de ce saint à l'entrée du local. Et parce que notre activité
exigeait un grand calme et de la douceur. Nous étions placés sous la
protection de saint François de Sales pour qu'il nous obtienne son
extraordinaire mansuétude et sa passion des âmes. » (M.O., p. 141)
Pour lui révéler Jésus-Christ, présent à sa vie, aimable et acces­
sible. Ce Jésus transmis par Jean et François accomplit l'homme en joie
durable, l'instaure en dignité, lui permet d'assumer son histoire, ses
projets, ses responsabilités, sa vocation d'homme.
137

14.10 Page 140

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En Jésus-Christ l'homme se réalise.
C'est ce Jésus-Christ-là que nous avons l'exaltante mission d'ac­
cueillir et de transmettre, pour demeurer et redevenir, en permanence,
d'ardents disciples de ce Jésus qu'on appelle le Christ, à la manière de
Jean Bosco pénétré par la suave manière de François de Sales.
Amen.
138

15 Pages 141-150

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15.1 Page 141

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A. BARUCQ
deux hommes
une pensée
Salésiens, fils spirituels de saint François de Sales, tels nous a voulus Don
Bosco. En 1854, c'est décidé. La Société religieuse qui, dans une modeste
chambre du Valdocco, quartier populaire de Turin, prend alors le départ, se dit
salésienne. Ses membres seront les « Salésiens ». Est-ce un heureux hasard ?
Le « Bulletin salésien » de décembre 1967 a retracé le cheminement de la
dévotion de Don Bosco pour saint François de Sales, évêque d'Annecy (1567-
1622).
Ôue savait-il de l'évêque d'Annecy ? Ce qu'une vénération bien
ancrée dans le diocèse de Turin, à Chieri même il fit ses étu­
des et son séminaire, avait pu lui en apprendre. Don Bosco n'a
vraisemblablement pas eu beaucoup de contacts avec la littérature spi­
rituelle de saint François de Sales qui fait encore notre émerveillement.
D'autres cheminements ont incliné son cœur à reconnaître dans le prélat
savoyard du XVIIe siècle des affinités de pensée et de cœur dont il a voulu
faire un programme de vie pour ses fils.
Origines différentes...
Issu de noblesse paysanne, François de Sales s'était aisément senti
de plain-pied avec les petites gens «les domestiques de la maison, les
terriens du domaine paternel ou de la paroisse, puis, plus tard, avec les
Chablaisiens, citadins ou montagnards, avec les enfants du catéchisme
d'Annecy et le menu peuple qui se joignait à eux.
De son côté, le paysan de souche qui était Jean Bosco ne se sentait
pas en complexe d'infériorité dans la compagnie des grands, des gens
en place, en de très hautes places parfois, qu'il eut à aborder.
Cette aisance, ils la devaient tous deux à une commune simplicité
de cœur et d'esprit, à un humanisme profond que l'amour de Dieu ne
chassait pas mais universalisait.
139

15.2 Page 142

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Si le qualificatif de « saints » n'était venu les coiffer d'une auréole un
peu impressionnante, on aurait dit qu'ils étaient « d'heureux caractères ».
François de Sales attribuait à un patient labeur son équilibre humain.
Jean Bosco semble l'avoir eu d'origine. Toujours est-il que la joie, l'en­
gouement, un optimisme jugé parfois trop tolérant chez l'un comme chez
l'autre expliquent assez leur commun succès auprès des jeunes et des
adultes.
... mais aventure apostolique identique
Une générosité quelque peu téméraire les a lancés tous deux dans
l'aventure apostolique. Promis aux succès mondains par sa naissance,
sa culture, le charme de sa personne et surtout par l'ambition paternelle,
François opte pour l'état ecclésiastique. Les honneurs l'y attendent. Il ne
les accepte qu'en réclamant aussi les charges les plus lourdes, en
premier lieu celle de la reconversion du Ghablais devenu calviniste. On
lui impose une véritable lutte. Il y met son énergie mais aussi tant de
profonde et courtoise charité que de ses adversaires, même vaincus, il
se fait des amis. L'aventure apostolique de Don Bosco se joue sur un
autre plan. Il a aussi à lutter, mais son respect des personnes est tel qu'on
est toujours obligé de l'estimer.
L'un comme l'autre, ces « salésiens types » se montrent sensibles
à deux impératifs de leur temps : l'apostolat des jeunes et celui de la
presse. La figure de François de Sales catéchiste est passée dans la
légende. On connaît moins son initiative de fonder à Thonon, revenue au
catholicisme, une « maison des Lettres et des Arts » pour l'éducation
religieuse, culturelle et professionnelle de jeunes gens désemparés dans
une contrée s'affrontaient des antagonismes religieux et politiques.
Sur ce terrain, Don Bosco ira beaucoup plus loin que l'apôtre du Chablais,
appelé, dans l'épiscopat, à d'autres tâches. Une réaction commune
décèle en tous cas l'affinité des cœurs.
Par l'écrit et la parole
Dans le domaine de la presse l’un et l'autre voient l'importance de
l'écrit pour informer, parfois réfuter. A partir des feuilles glissées sous les
portes dans les rues de Thonon et des bourgs voisins, François de Sales
entreprendra une tâche littéraire qui en fera un des maîtres spirituels les
plus lus et un des stylistes les plus réputés. Il deviendra ainsi directeur
spirituel de la bourgeoisie d'Annecy, de Dijon ou de Paris, tout autant que
des moniales les plus humbles de la Visitation.
140

15.3 Page 143

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Don Bosco ne suit pas le même itinéraire. Il écrit beaucoup, mais ses
« Lectures Catholiques » sont pourlepeupledes simples, ses élèves, ses
anciens. Sa spiritualité s'exprime plus aisément en des entretiens fami­
liers qu'en des traités. Il refuse d'en écrire.
Les festivités du quatrième centenaire de la naissance de saint
François de Sales sont achevées. Seraient-elles passées quelques peu
inaperçues pour nous que ce serait encore aujourd'hui une occasion de
nous souvenir de notre filiation spirituelle authentiquement « salé-
sienne ».
Comment mieux raviver ce souvenir qu'en reprenant en main le
captivant numéro du « Bulletin Salésien » déjà signalé. Tel mot du
savoureux évêque de Genève est encore capable de stimuler une
réflexion chrétienne et sa pointe d'en montrer l'actualisation. Laissons-
nous gagner par son charme, sa profondeur et son à-propos.
141

15.4 Page 144

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15.5 Page 145

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saint françois de sales
se fait le maître de don bosco
G. BOSCO
Il s'agit d'un “songe"de Don Bosco, entre tant d'autres; mais ce n'est sans
doute pas le plus connu. Il eut lieu le 9 mai 1879. Nous possédons, de la main de
Don Bosco, la minute de ce songe.
I POUR LES VOCATIONS
Grande et longue bataille d'adolescents contre des guerriers d'as­
pect divers, avec des armes étranges. Très peu de ces pauvres garçons
eurent la vie sauve. Une seconde bataille plus acharnée et plus horrible
s'engagea entre des monstres de taille gigantesque et des hommes de
haute stature, bien armés et bien exercés. Ceux-ci avaient un étendard,
très haut et très large, au centre duquel était peint en lettres d'or : « Maria
Auxilium Christianorum ». Le combat fut long, sanglant. Mais ceux qui
suivaient l'étendard furent comme invulnérables et demeurèrent maîtres
d'une vaste plaine. A ceux-ci se joignirent les jeunes gens qui avaient
survécu à la bataille précédente, et ils se regroupèrent tous en une sorte
d'armée, chacun ayant pour arme dans la main droite le Crucifix et, dans
la main gauche, un petit étendard de Marie Auxiliatrice.
Les nouveaux soldats firent des manœuvres nombreuses dans
cette vaste plaine; ils se divisèrent ensuite en plusieurs groupes et
partirent les uns vers l'Occident, d'autres vers l'Orient, quelques-uns vers
le Nord et beaucoup vers le Midi. Ces premières troupes disparues, les
mêmes combats recommencèrent, les mêmes manœuvres et les dé­
parts dans les mêmes directions.
J'ai connu moi-même certains de ces premiers combattants ; ceux
qui vinrent après eux m'étaient inconnus, mais eux me donnaient à
penser qu'ils me connaissaient et ils me posaient beaucoup de ques­
tions. (Cette première partie du songe évoque les luttes soutenues par
les “giovanetti” appelés à entrer dans la Congrégation, et par les
143

15.6 Page 146

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salésiens eux-mêmes, non seulement pour le présent [en 1875, en
dehors de l'Italie, ils ont commencé à travailler seulement en France et
en Argentine], mais aussi pour l'avenir. Les nombreux partant pour le midi
représentent probablement l'expansion dans toute l'Amérique Latine.)
(P. Aubry.)
Il - POUR LA CONGREGATION
Peu après il se produisit une pluie de petites flammes brillantes et
de diverses couleurs. Il tonna, puis le ciel se rasséréna, et je me trouvai
dans un jardin très agréable. Un homme qui avait la physionomie de saint
François de Sales m'offrit un petit livre sans dire un mot. Je lui demandai
qui il était. « Lis dans le livre », répondit-il. J'ouvris le livre et j'avais de la
peine à lire, pourtant je pus relever ces paroles précises :
Aux novices : Obéissance et diligence en toutes choses. Par
obéissance ils mériteront les bénédictions du Seigneur et la bienveillance
des hommes. Par la diligence ils combattront et vaincrons les embûches
des ennemis spirituels.
Au profès : Garder jalousement la vertu de chasteté. Aimer le bon
renom des confrères et promouvoir l'honneur de la Congrégation.
Aux directeurs : Tout le soin et toute la fatigue (nécessaires) pour
observer et faire observer les Règles selon lesquelles chacun s'est
consacré à Dieu.
Au supérieur : Holocauste absolu pour gagner à Dieu soi-même et
ses sujets.
Beaucoup d'autres choses étaient imprimées dans le livre, mais je
ne pus en lire davantage parce que le papier paraissait bleu comme de
l'encre.
Qui êtes-vous ? demandai-je de nouveau à cet homme qui me
considérait avec calme.
Mon nom est connu de tous les gens de bien, et je suis envoyé
pour te communiquer certaines choses futures.
Lesquelles ?
Celles qui t'ont été exprimées et celles que tu demanderas.
Que dois-je faire pour promouvoir les vocations ?
Les salésiens auront beaucoup de vocations grâce à leur con­
duite exemplaire, en traitant les élèves avec charité, en insistant sur la
communion fréquente.
144

15.7 Page 147

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Que doit-on observer dans l'acceptation des novices ?
Exclure les paresseux et les gourmands.
Pour l'admission aux vœux ?
Veiller si l'on a la garantie de la chasteté.
Comment pourra-t-on promouvoir le mieux le bon esprit dans nos
maisons ?
Ecrire, visiter, recevoir et traiter avec bienveillance, et cela très
fréquemment, de la part des supérieurs.
Quelle règle devons-nous suivre pour les Missions ?
Envoyerdes individus de moralité sûre ; rappelerceux sur lequel
pèserait, sur ce point, un doute grave, et cultiver les vocations indigènes.
Notre Congrégation marche-t-elle bien ?
« Que celui qui est juste devienne encore plus juste. Ne pas
avancer, c'est reculer. Celui qui persévérera sera sauvé. » (Texte en
latin).
Se répandra-t-elle beaucoup ?
Elle croîtra aussi longtemps que les supérieurs feront leur devoir,
et rien ne pourra arrêter sa diffusion.
Cela durera-t-il longtemps ?
Votre Congrégation durera tant que ses membres aimeront le
travail et la tempérance. Si l'une de ces colonnes vient à manquer, votre
édifice tombera en ruines, en entraînant les supérieurs, les inférieurs et
ceux qui les suivent.
A ce moment apparurent quatre individus portant un cercueil et se
dirigeant vers moi.
Pour qui est-ce ? dis-je.
Pour toi.
Bientôt ?
Ne questionne pas, pense seulement que tu es mortel.
Que voulez-vous me signifier par ce cercueil ?
Que tu dois faire pratiquer durant ta vie ce que tu désires que tes
fils pratiquent après toi. Voilà l'héritage, le testament que tu dois laisser
à tes fils ; mais tu dois le préparer et le leur laisser bien complet et bien
pratique.
145

15.8 Page 148

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Faut-il s'attendre à des roses ou à des épines ?
Il y aura beaucoup de roses, des consolations nombreuses ;
mais voici venir des épines très piquantes qui causeront à tous amertune
et chagrin.
Devons-nous aller à Rome ?
Oui, mais lentement, avec une très grande prudence, et des
précautions raffinées.
La fin de ma vie mortelle est-elle imminente ?
Ne te soucie pas de cela. Tu as les Règles, tu as des livres, fais
ce que tu enseignes aux autres. Sois vigilant.
Je voulais poser d'autres questions, mais éclata un violent coup de
tonnerre avec des éclairs, la foudre, pendant que quelques hommes, ou
plutôt d'horribles monstres, s'avançaient vers moi pour me déchirer. En
cet instant, une obscurité profonde m'enveloppa et je ne vis plus rien.
Je me croyais mort et je me mis à crier frénétiquement.
Je m'éveillai, et je me trouvai encore vivant ; c'était 4 h 45 du matin.
S'il y a quelque chose qui puisse être utile, acceptons-le.
Qu'en toutes choses soient honneur et gloire à Dieu pour les siècles
des siècles !
(M.B. XIV 123-125)
Traduction : J.-B. Halma.
146

15.9 Page 149

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Mgr LAVALLÉE
saint françois de sales
et saint jean boscoœ
Le 22 avril 1939, au cours du Triduum de la Bienheureuse Mazzarello, Mgr
Lavallée, Recteur des Facultés catholiques de Lyon, donna une conférence dans
laquelle il comparait le saint savoyard et le saint piémontais. Elle n'a rien perdu
de sa saveur.
ourquoi saint Jean Bosco a-t-il mis sa famille religieuse sous le
patronage de saint François de Sales ? « Il n'y a aucun doute,
c’est une affinité, profondément sentie par Don Bosco, de son
âme avec celle du saint évêque, une parenté, un lien de famille qui les a
rapprochés.
On ne voit pas bien d'abord quel est ce lien : car, à les regarder par
l’extérieur, on n'est pas frappé par un air de famille, mais plutôt par les
contrastes de leurs physionomie. François, fils des seigneurs de
Sales et de Boisy et de Françoise de Sionnas qui, selon une généalogie
bien établie, se rattachait à Charlemagne ; et le petit « Boschetto », du
pauvre fermier des Becchi et de la paysanne illettrée de Capriglio,
Marguerite Occhiena. Quelle distance, sur le plan social, entre la ri­
chesse qui, autour du berceau de dentelle de l'un mit des serviteurs
empressés; puis, quand s'ouvrit la période de l'éducation, lui donna un
précepteur particulier et les leçons des collèges et des universités de
Paris et de Padoue ; et, d'autre part, la pauvreté, le dénuement la mort
du chef de famille plongea la ferme des Becchi, ne laissant à la veuve que
la vigueur de ses bras pour gagner le pain d'une belle-mère infirme,
clouée au lit, et de trois garçons ! J'imagine François en petit page faisant
ses révérences au salon du château, et Jeannot avec sa blouse et ses
cheveux rebelles sur les yeux, conduisant sa vache au pré. Quel
contraste !
Contraste de l'allure. Aristocrate né, et enveloppé dans les rites
des belles manières, puis prévôt du Chapitre, puis évêque, François de
147

15.10 Page 150

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Sales a la gravité que sa grande naissance et son épiscopat compor­
taient, même si la nature ne l'y avait pas prédisposé. Or la nature l'y avait
prédisposé. Son ami, Camus, évêque de Belley, nous dit qu'il était « lent
et pesant de son naturel, et marchait à pas de plomb en toutes choses,
se hâtant tout bellement, selon la devise de César », qu'il aimait à citer.
Il se laissait piquer par un taon, à faire couler le sang, sans un geste
pour « l'émoucher », suivant son mot. Nous disons, au bas de l’autel, une
parole de David : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes
lèvres une porte de circonspection ». Il se félicitait beaucoup que Dieu eût
mis une porte à sa bouche, parce que, disait-il, pendant qu'il l’ouvrait, il
avait le loisir de penser à ce qu’il disait. Un jour, parmi ses pénitentes, il
rencontra la promptitude personnifiée. «... votre esprit étant si actif et
mouvant qu'il ne peut s'arrêter, il faut pourtant l'arrêter et allentir à petits
mouvements, afin qu’il fasse ses œuvres doucement et tranquillement...
Par exemple, vous avez besoin de manger, selon la misère de cette vie :
il faut que vous vous asseyiez tout bellement et que vous demeuriez
assise, jusqu'à ce que vous ayez bien réfectionné votre corps. Vous vous
couchez : dépouillez-vous tranquillement. Vous vous devez lever : faites-
le paisiblement, sans un mouvement déréglé, sans crier et presser celles
qui vous servent ». C'est-à-dire sans bousculer sa femme de chambre.
Voilà, certes, une spiritualité qui n'est pas vertigineuse, mais on devine,
à la complaisance qu'il met à l'évoquer, toute son admiration pour une
sage lenteur. La nature en coulant du plomb dans ses allures, et le
pontificat en jetant une cape sur ses épaules, avait fait de lui le symbole
de Son Excellence la gravité.
On ne le voit pas bien, évidemment, comme Jean Bosco, en match
de souplesse avec un saltimbanque... Même prêtre et directeur de l’Ora­
toire, il a des inventions de clown pour mettre sa troupe en mouvement
et en gaieté... jusqu'à ce que ce petit monde, harassé, se déclare à bout
de souffle. Il aurait fallu voir Monseigneur de Genève, « lent et pesant
de son naturel et marchant à pas de plomb ».
Si nous juxtaposons leur portrait physique, même contraste. Nous
avons des portraits de l'un et de l’autre. Ils avaient, sur cette question de
se laisser peindre, la même pensée : ils se sont volontiers prêtés au
pinceau ou à l'appareil photographique. Il peut y avoir de la vanité à se
faire peindre, mais il peut y avoir de l'humilité aussi, quand on n'a pas une
idée avantageuse de son visage : ce qui est rare évidemment, mais ce
qui n'est pas au-dessus de la vertu des saints. Mme de Granier, pénitente
de l'évêque de Genève, voulait avoir l'image de son père spirituel. Elle mit
dans son jeu le confesseur du Saint, Michel Favre, qui fut chargé
148

16 Pages 151-160

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16.1 Page 151

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de représenter à son illustre pénitent qu'il était cause de plusieurs péchés
véniels de murmure, par son obstination à ne pas se laisser peindre. Il
n'était pas si obstiné qu'elle le croyait, car nous avons une vraie petite
galerie de portraits du saint évêque. Quand à Don Bosco, il se laissait tirer
et dévorer par les photographes comme par tout le monde. Il n'attachait
pas assez d'importance à sa tête pour se défendre.
Or, sauf révélation, ici et là, d'une personnalité une impression de
puissance et de bontéje ne m'essaierai pas à trouver dans leur visage,
ce miroir de l'âme pourtant, cette parenté d'âme que je prétends exister
entre eux. L'évêque a le front chauve, et tout le bas de son visage se perd
dans une barbe de patriarche. Il nous regarde de biais, pour corriger le
strabisme de ses yeux ; car cet homme simple et droit louchait ; je trouve
qu'il a ainsi l'air un peu défiant et sévère. Lui qui voulait que l'on mit un
sourire même sur ses souffrances, il ne sourit pas.
Il y a beaucoup de souplesse et de vie dans les images de Don
Bosco. Et c'est le mérite d'abord de la photographie... Je sais bien que
par elle les choses ne sont que ce quelles sont, mais c'est précisément
ce dont je lui sais gré. Elle nous montre les mèches rebelles de la
luxuriante chevelure frisée de Don Bosco, tombant sur son front, sans les
relever d'un coup de peigne. Les yeux profonds, cernés par la fatigue et
avivés par la flamme de la vie intérieure, sourient doucement ; et les rides
mêmes, dont le travail a sillonné ce visage rasé de prêtre romain,
s'harmonisent à ce sourire qui semble apporter aux hommes un message
de bonté. Le portrait, en somme, est très peuple, comme celui qui en est
l'objet. Et voilà encore le contraste dont j'ai parlé.
Les ressemblances
Mais peuple, seigneur ; fortune, pauvreté, distinction héritée de la
race et abandon des allures, tout cela est à la surface de nous-mêmes !
C'est l'habit qui enveloppe l'homme, ce n'est pas l'homme. Il y autant de
différence qu'il est possible entre le hennin superbe des dames du XVe
siècle et le « polo » plat d'une « jeune fille 39 ». Pourtant, je suis persuadé
que, par-dessous ces différences des modes, les familles d'âmes se
continuent, et que, qui pourrait établir une comparaison trouverait parmi
nous des femmes qui ressembleraient, à s'y méprendre, aux contempo­
raines des manuscrits enluminés de Froissart. « Vous ne pouvez pas, dit
l'Evangile, ajouter un doigt à votre taille. » Comme c'est vrai ! Dans un
berceau de dentelle quelle pauvreté humaine peut se trouver couchée ;
et, dans le «crouet » de la ferme, quelle richesse ! Les classements
149

16.2 Page 152

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sociaux sont superficiels. La nature s'en moque. Pas plus qu'elle
je veux dire Dieu ne départit aux fleurs écloses dans le parc d’un
château plus d'éclat qu’à celles qui s'épanouissent dans le potager clos
par une haie de buissons, pas davantage elle ne tient compte de nos
classements pour distribuer la force et la beauté du corps, ou la noblesse
et les qualités de la conscience et du caractère. Elles ne connaît que des
familles d'âmes.
150

16.3 Page 153

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Mgr LAVALLÉE
saint françois de salles
et saint jean bosco(2)
L'audace des méthodes. - Ils se sont insurgés tous deux contre des
habitudes qui gênaient l'expansion de la charité. Ce n'est pas un des moindres
traits de leur ressemblance.
^taint François de Sales a vigoureusement réagi contre le préjugé
¿y qui faisait de la dévotion le monopole des gens d'église. Il a des­
siné une offensive vigoureuse pour abattre les murailles l'on
prétendait cerner la charité, et pour lui ouvrir des voies nouvelles ; et,
remarquez-le, des voies de pénétration dans le monde des humbles.
C'est la raison pour laquelle une de ses grandes admirations fut cette
modeste mercière de La Roche-sur-Foron, qui tout bonnement cherchait
la perfection dans l'accomplissement de ses devoirs à l’égard de son
mari, de ses enfants, de ses domestiques. Il fit écrire une biographie
d'elle, après sa mort, et l'envoyait partout comme un modèle à imiter,
même dans les monastères.
C'est la raison pour laquelle il aurait voulu laisser tomber, pour ses
filles de la Visitation, la « clausure » des murailles et des grilles. Dans son
projet, elles quitteraient leur maison pour aller soigner les malades. Il n'y
aurait plus de séparation totale entre le monastère et le monde. Et, à
condition que le monastère n'en souffrit pas, le monde aurait beaucoup
à y gagner : le parfum de la vertu religieuse se répandrait jusque vers lui.
« Tâchez, écrit-il à une de ses filles, de rendre la bonne odeur parmi le
prochain, vous êtes, afin qu'on loue le Parfumier céleste en la
boutique duquel vous vivez. » C'était, encore ici, le même dessein de
pénétration du peuple chrétien. Il était en avance sur son temps. Il se
heurta à des préjugés de bonne foi : il parut un novateur.
Don Bosco, lui bouscula de ses fortes épaules, les barrières de tous
ordres qui s'opposaient à la réalisation de son rêve. Le « patro », dans le
151

16.4 Page 154

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langage des garçons, c'est le local ou la cour ils se réunissent. Quand
sa troupe indésirable, chassée de partout, n'eut plus ni cour ni local, il
inventa le patronage en plein air, sans autre toit que le ciel, ni terrain que
la grande route. « Quand il avait un sou, il s'engageait pourdeux », dit un
de ses amis. Et lorsqu'il s'agit d'acheter la maison Pinardi, il s'engagea
pour 30.000 francs, 500 francs d'épingles pour Mme Pinardi : paiement
comptant dans les quinze jours, et, en cas de dédit, 100.000 francs
d'indemnité. Et il n'avait pas alors un écu. Autourde lui, on disait : « Il est
fou ». Et un beau jour, deux bons chanoines très sages se firent un devoir
de le conduire dans une asile d'aliénés. On sait comment il flaira le piège
et le déjoua.
Au fond, on ne setrompait que sur la nature de la folie de Don Bosco.
N'a-t-il pas dit lui-même : « J'étais fou alors » ? C'est-à-dire qu'il ne se
conduisait pas uniquement d'après les règles de la prudence humaine,
mais d'après les inspirations de la charité.
Quand le Père Chevrier, à Saint-André, pensant à vivre la pauvreté
de son divin Maître, fit appeler son menuisier, lui donna sa belle table
sculptée en lui demandant, en échange, une table de bois blanc il ne
raboterait pas les nœuds, cet homme alla trouver le vicaire de semaine
et, se mettant les doigts sur le front, il lui déclara que son confrère avait
besoin d'être soigné. Quand François d'Assise quitta la riche maison
paternelle, en habits de mendiants, pour aller au rendez-vous de sa
fiancée, Dame Pauvreté, les enfants le montraient du doigt en criant :
« Le fou ! » Et là-dessus, le bon Père Chevrier, qui rappelle ce trait,
ajoute : « Et lui, le Christ, n'était-i I pas fou, quand il s'est livré pour nous ?
C'est le propre de l'amour d'être fou.
Le monde a besoin de ces fous, qui vivent l'Evangile, comme le
châtelain de Sales et le paysan Bosco. Avec un cœur immense.
152

16.5 Page 155

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Mgr LAVALLÉE
saint françois de sales
et saint jean bosco(3)
« L'optimisme est la conséquence et la condition même de l'amour. »
« L'amourcroittout, ditl'apôtre ; Il espère tout, ilportetout.. » Et l'Imitation ajoute :
« qu'il n'allègue jamais qu'une chose soit impossible parce qu'il croit que tout lui
est possible ».
~ar e ne sais, disait saint François de Sales, ce que m'a fait cette
Æ pauvre vertu de prudence, j'ai de la peine à l'aimer ; et, si je
l'aime, ce n'est que par nécessité. » C'est que la prudence est
une défiance ; elle limite sa confiance. Tandis que sa confiance était
illimitée. Il se sentait plein d'indulgencepour ses ennemis. « Mais qui ne
l'aimerait ce cher ennemi, écrit-il. A dire la vérité, nous ne sommes pas
obligés le mot est plaisant d'aimer son vice, sa haine ni l'inimité qu'il
nous porte. Mais il faut séparer le péché du pécheur. » Et voilà comment,
à condition de protester silencieusement contre le mal, il pouvait, en
sûreté de conscience, céder à son désir d'embrasser le malfaiteur. « Je
ne sais pas comme j'ai le cœur fait, j'ai un tel plaisir à aimer mes ennemis,
j'y ressens une suavité si délicieuse et si particulière, que si Dieu m'avait
défendu de les aimer, j'aurais eu bien de la peine à lui obéir. » Heureu­
sement que l'Evangile s'était mis, par avance, d'accord avec lui ; sans
cela, il aurait eu bien de la peine à se mettre d'accord avec l'Evangile.
« Optimiste impénitent », a-t-on dit de Don Bosco. Il n'a jamais
désespéré de ses enfants. Quand ils coupaient les dahlias de la Marquise
de Barolo, quand ils épouvantaient la poule couveuse de la gouvernante
de Don Tesio, laquelle les traitait de garnements et de voyous, quand les
meuniers de la Doire signifiaient à la police municipale d'avoir à les
débarrasser de ces escarpes, quand Maman Marguerite ejle-même,
devant ses légumes écrasés et l'herbe de ses lapins pilée, devant les
chausses trouées, et les chemises en loques, voulait, découragée, s'en
153

16.6 Page 156

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retourner aux Becchi, lui, il disait les paroles et faisait les gestes de
consternation que les circonstances commandaient ; mais son opti­
misme rêvait de bâtir une grande église qui pourrait recevoir toute sa
famille qui se multipliait, et d'une loterie qui en couvrirait les dépenses.
«J'aime, il faut que j'espère », disait un poète. L'optimisme qui est
commun à nos deux saints ne tut que l'etfloraison dans leur vie de leur
commune charité.
Cet optimisme rayonnait sur leur visage. Saint François de Sales
disait qu'un saint triste est un triste saint. Son style, d'ailleurs, est tout
fleuri, ce qui est la gaîté du langage : « Ma sœur Paul Hiéromma est une
très bonne fille, propre à tout, de bon esprit et de meilleur cœur, elle a
autant de propriétés que la sauge. » Il n'en est pas tout à fait de même
de « Ma sœur N..., qui a un moule à part, auquel elle tait des péchés
mortels ». C'est-à-dire qu'elle est scrupuleuse, incorrigible, qu'il traite par
la moquerie et aussi par des corrections il met, dit-il, « autant de
vinaigre que d'huile ». Voilà un moraliste en belle humeur.
Quand à Don Bosco, c'est un boute-en-train des jeux du patronage ;
et même quand sa réputation de sainteté aura mis autour de sa tête une
auréole de sainteté, il ne perdra jamais le sourire. Une dame qui lui
reconnaît toutes les vertus, lui demanda conseil pour ses placements
d'argent, il tend ses deux mains ouvertes pour lui indiquer le meilleur des
placements. Une autre, plus désintéressée, lui présente une carte en le
priant d'y écrire une pensée ; elle veut emporter un autographe. Il écrit :
« Reçu de Mme X... la somme de deux mille francs pour mes œuvres ».
Et il lui remet le reçu contre le versement de la somme.
Revenons à saint François de Sales. Il ne voulait de mal qu'au péché.
Et encore, il lui trouvait une vraie utilité pour qui savait en profiter ; et l'on
a pu écrire, d'après saint François de Sales, un « Art d'utiliser ses
fautes ».
154

16.7 Page 157

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françois de sales et don bosco :
une rencontre
W. N IGG
Les lignes qui suivent sont extraites de l'ouvrage, publié en français (l'original
est en allemand) par « l'Apostolat des Editions » et intitulé : « DON BOSCO. UN
SAINT DE TOUS LES TEMPS » (pp. 89-95). L'auteur y évoque les affinités
spirituelles de deux saints aux « vibrations » intérieures nombreuses et analo­
gues.
.. Mais Don Bosco avait un autre modèle qui l'attirait encore davan­
tage, saint François de Sales, dont il voyait chaque jour le portrait dans
la chapelle du grand séminaire de Chieri. Quelles étaient ses pensées
quand il contemplait cette image ? On aimerait le savoir car il y a des
physionomies éloquentes, qui font naître l'enthousiasme mieux qu'un
long panégyrique. Toujours est-il que le jeune séminariste était profon­
dément intéressé par le grand saint de la Savoie, province voisine de son
Piémont natal. L'image de saint François de Sales était celle d'un homme
enjoué, d'un optimisme convaincu. En cette qualité, il devait avoir la plus
heureuse influence sur le destin de Don Bosco.
Léon Bloy a. commenté en ces termes l'œuvre du saint évêque de
Genève : << Saint François de Sales a barbouillé l'Eglise des pieds à la tête
avec le miel onctueux de son Introduction à la Vie Dévote. Après quoi,
il lui a enduit les cheveux de sa pommade séraphique. » C'est un
échantillon parfait du'Style de Bloy, de ses préjugés et de son humeur
frénétique. Se fier à lui pour juger saint François et son œuvre, c'est se
vouer à l'erreur. L'auteur du roman « Le Désespéré » ne peut être pris au
sérieux quand il parle de saint François et de son miel. Il est homme à
confondre le nard au parfum délicieux, présent de Marie Madeleine, avec
le cosmétique frelaté des coiffeurs.
L'évêque de Genève avait un don tout particulier pour la connais­
sance des âmes avec le charisme de la direction spirituelle. Il distinguait
155

16.8 Page 158

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par intuition les nuances les plus délicates de la psychologie féminine, de
même que Don Bosco devinait chaque pensée, chaque émotion de 'as
jeunes élèves. Avec une tendresse sagement contrôlée, saint François
de Sales savait exercer sur ses ouailles une emprise chaleureuse, tout
en évitant d'aller trop loin sur la voie du sentiment. Il entretenait des
liaisons spirituelles délicates, en combinant l'intimité avec la réserve ;
c'était le caractère particulier de ses rapports avec le prochain. Sa
correspondance témoigne d’une ardente charité ; c'est une mine inépui­
sable de sages pensées, naturelles et surnaturelles.
François de Sales avait fait siennes les aspirations humanistes de
son époque ; mais il leur avait enlevé l'exaltation du Moi propre à la Re­
naissance, pour les faire refleurir en terre chrétienne. C'est ainsi qu'il est
devenu le fondateur de l’humanisme religieux, l'une de ces créations
bienfaisantes. Quiconque s'est pénétré de l'humanisme religieux sans
parti-pris ne pourra plus s'en écarter. Il n'éprouvera que honte et
amertune en entendant d'qutres hommes repousser avec mépris les
aspirations culturelles. Il existe une culture religieuse de haute qualité ;
la renier, c'est accepter une déchéance de l'esprit. L’humanisme chrétien
est donc indispensable à l'Européen de l'Ouest ; et s'il abandonne le
caractère religieux de sa culture, il lui reste à choisir entre une société
purement mercantile ou une économie marxiste à direction politico-
syndicale. Ces deux formulesaboutissent à une société moralement
inféconde et paralysée, comme notre époque en montre trop d'exemples.
Il faut une culture religieuse pour rendre possible l'épanouissement
complet d'un groupement humain à l'image de Dieu. L'écrivain français
Ernest Hello a fait la remarque suivante à propos de saint François de
Sales et de la manière de vivre préconisée et observée par lui ; « Le
langage de saint François a le charme et le parfum des prairies non pas
à l'automne et au printemps, et moins encore à l'hiver ; mais à midi au
temps des récoltes. Son œuvre tout entière a la chaleur des mois d'été. »
Notre époque commence à peine à faire de l'humanisme chrétien une
réalité ; et nous ne pouvons y aboutir que suivant l'esprit d'un saint Justin,
qui parlait des semences du Verbe de Dieu disséminées sur toute la terre.
Le but que nous nous proposons est de vivre suivant la foi chrétienne ;
mais sans renoncer à notre humanisme. Partagés entre ces deux
éléments, nous sommes résolus à vivre l'humanisme chrétien ainsi que
saint François de Sales nous en a donné l'exemple le plus parfait.
A la lumière de l'humanisme chrétien, François de Sales a pu
formuler le principe suivant : la piété peut être vécue avec ferveur non
seulement dans les cloîtres, mais encore dans le monde. De son temps
156

16.9 Page 159

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c'était une innovation, une découverte qui l'a mené sur des chemins
nouveaux, dans une perspective inconnue de la chrétienté médiévale.
Certes, nous admirons les monastères en tant que forteresses de Dieu,
mais s'en méconnaître l'importance des réalités de ce monde, parce que
leur gestion appartient aux hommes suivant la volonté de Dieu. C'est
pourquoi les croyants vivants dans le monde ne sont pas des chrétiens
de second ordre ; dans leurs travaux de tous les jours il leur appartient de
réaliser en ce monde l'imitation du Christ. Don Bosco a entrepris de le
faire, et c'est dans ce but qu'il a fondé son Oratoire. Il enseignait à ses
jeunes élèves une forme de la piété qu'ils pouvaient mettre en application
dans le monde sans éprouver le besoin de chercher refuge dans un
cloître.
Si l'humanisme chrétien était réalisable pour un saint François de
Sales, ainsi que l'observation fidèle d'une vie fervente dans le monde,
c'est grâce à la douceur évangélique qui l'animait : celle dont il est dit
suivant l'Ecriture : « Portez mon joug et suivez mon exemple, car je suis
doux et humble de cœur. Ainsi vos âmes seront en paix, car mon joug est
doux et mon fardeau léger. » La douceur prescrite par Notre Seigneur n'a
rien de commun avec la mollesse ; sans quoi elle ne ferait pas partie de
son enseignement. Mais elle est la négation de la dureté et de la cruauté,
dont tant d'hommes ne cessent pas de se rendre coupables. Tous les
enseignements du Christ tendent à faire régner la douceur et la généro­
sité dans les paroles comme dans les actes, parce qu'il se tient dans la
lumière révélatrice du mont Thabor, symbole de sa doctrine. La bonté, la
compréhension, le pardon inspirent l'enseignement de saint François de
Sales. Il n'y a pas trace de fanatisme dans son caractère, ni de zèle
outrancier dans son apostolat. Il n'était pas homme à suspecter derrière
chaque geste innocent une secrète inclinaison au mal. Mais il reconnais­
sait comme saint Paul : « Notre cœur s'est élargi. » Dans ses œuvres, la
théologie, avec ses définitions savantes et ses raisonnements subtils,
laisse la place a une piété rayonnante d'amour, qui mérite le nom de
mystique, « parce que la controverse en est exclue, parce que Dieu et le
croyant s'y entretiennent cœur à cœur ; parce que leur communication ne
se révèle à personne d'autre. » Dans l'œuvre de saint François de Sales,
la psychologie recevait le baptême ; elle se trouvait douée d'une sensi­
bilité délicate à l'excès pour mettre à nu la conscience d'un autre homme.
Le gentilhomme savoyard, en prévision du jugement de Dieu, aurait
volontiers choisi de se montrer trop indulgent à l'égard de son prochain,
pour ne pas être trop sévère. C'est un précepte que Don Bosco observait
fidèlement. « Doux dans l'action, intraitable dans les principes », aurait
dit le Turinais. Le chrétien juge avec modération les fautes et les imper­
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16.10 Page 160

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fections de son prochain parce que le précepte du Christ, dans le Sermon
sur la Montagne, est toujours présent à sa conscience : « Ne jugez pas,
afin que vous ne soyez pas jugés. »
Cette application du précepte évangélique à la vie des hommes
répondait aux dispositions personnelles les plus intimes de Don Bosco.
Entre François de Sales et lui, il s'est produit une véritable rencontre
spirituelle : un saint s'est incliné devant un autre saint. Et Don Bosco n'en
est pas resté là, il a fait sienne la sainteté de son illustre modèle ainsi que
son apostolat, en remaniant celui-ci comme il le jugeait nécessaire pour
l'adapter aux besoins de son époque.
Il faut insister sur le fait suivant, qui n'est pas douteux : DOn Bosco
a choisi saint François de Sales comme modèle comme s'il était encore
de ce monde ; il a fait sienne la prière suivante, et prononcé le vœu qu'elle
exprimait : « Seigneur donnez-moi des âmes, je renonce à tout autre
bien. » Cependant, malgré son profond respect pour saint François, il n'a
jamais songé à copier. Il y aurait quelque chose de naïf, pour ne pas dire
de ridicule, dans l'imitation aveugle d'un saint tel que François de Sales.
En tant que chrétien, Don Bosco pouvait et devait chercher une inspira­
tion dans la vie de l'homme qu'il admirait tout particulièrement, mais en
adaptant la spiritualité de son modèle à ses propres conditions de vie.
C'est dans cet esprit qu'il fit revivre la piéié salésienne sous une forme
entièrement nouvelle, dans le cadre tout différent de Turin au XIXe siècle.
Cependant le moment venu de trouver un nom pour la Congrégation qu'il
fondait, il n'hésita pas dans son choix : ses disciples s'appelleraient les
Salésiens. Donner à l'Oratoire son propre nom était loin de sa pensée ;
saint François lui servirait de modèle et de protecteur. On voit par
clairement combien Don Bosco était loin de toute vanité comme de toute
prétention au mérite personnel. Il était complètement détaché de ce qui
le concernait ; l'œuvre que Dieu lui avait confiée, et dont il avait fait
l'hommage au saint évêque de Genève, avait seule de l'importance. «
L'amour et la bonté de saint François de Sales me serviront de modèles
en toutes circonstances. » Tel était le mot d'ordre qu'il s'était donné et qu'il
a fidèlement suivi.
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17 Pages 161-170

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tout à dieu avec le christ
pour les âmes
F. DE SALES - J BOSCO
« La Sagesse d'en-haut est d'abord pure, puis pacifique, indulgente, bien­
veillante, pleine de pitié et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie. Un fruit
de la justice est semé dans la paix pour ceux qui produisent la paix. »
(Jacq. 3, 17-18)
Saint François de Sales
« Soyons bien tout à Dieu, ma très obère tille, parmi les tracas que
la diversité des choses mondaines nous présente. Comment voulons-
nous mieux témoigner notre fidélité qu'entre les contrariétés ? Hélas, la
solitude a ses assauts, le monde a ses tracas ; partout il faut avoir bon
courage, puisque partout le secours du ciel est prêt pour ceux qui ont
confiance en Dieu et qui avec humilité et douceur implorent sa paternelle
assistance.
« Gardez-vous bien délaisser convertir votre soin en troublement
et inquiétude ; et tout embarquée que vous êtes sur les vagues et parmi
les vents de plusieurs tracas, regardez toujours au ciel et dites à Notre
Seigneur : “O Dieu, c'est pour vous que je vogue et navigue, soyez mon
guide et mon rocher. Et puis, consolez-vous : que, quand nous serons
au port, les douceurs que nous y aurons effaceront les travaux pris pour
y aller. Or, nous y allons parmi tous les orages, pourvu que nous y ayons
le cœur droit, l'intention bonne, le courage ferme, l'œil en Dieu, et en lui
toute notre confiance.
« Que si la force de la tempête nous émeut un peu quelquefois
l'estomac et nous fait un petit peu tourner la tête, ne nous étonnons point ;
mais soudain que nous pourrons, reprenons haleine, et nous animons à
mieux faire. Vous marchez toujours entre vos saintes résolutions, je m'en
assure ; ne vous fâchez donc point de ces petits assauts d inquiétudes
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17.2 Page 162

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et de chagrins que la multitude des affaires domestiques vous donne :
non, ma très chère fille, car cela vous sert d'exercice à pratiquer les plus
chères et aimables vertus que Notre Seigneur nous ait recommandées.
Croyez-moi, ta vraie vertu ne se nourrit pas dans le repos extérieur, non
plus que les bons poissons dans les eaux croupissantes des marais. Vive
Jésus ».
Saint Jean Bosco
« Avant tout, si nous nous préoccupons du vrai bonheur de nos
garçons et de les rendre aptes à exercer pleinement leurs responsabilités
personnelles, vous ne devez jamais oublier que vous êtes comme les
parents de nos chers enfants pour qui j'ai sans cesse travaillé avec
affection, peiné, et rempli les charges de mon sacerdoce et pas moi
seul, mais toute la compagnie salésienne. Dans une vie pourtant longue,
je n'ai eu que des occasions de me convaincre combien cela est
important ! Il est plus facile de se mettre en colère que de supporter, de
menacer l'enfant que de le persuader ; je dirai même que notre impa­
tience et notre orgueil se trouvent mieux d'imposer les punitions aux
récalcitrants plutôt que les redresserfermement, et de les supporter avec
douceur. Pourtant, c'est lacharité de Paul que je vous recommande, celle
qu'il avait pour les convertis de fraîche datç, et qui allait jusqu’aux larmes
et à la supplication quand il les trouvait trop peu dociles ou inaccessibles
à son amour.
« Prenez garde d'agir par impulsion. En punissant, il est difficile de
conserver cette égalité d'âme qui est nécessaire pour qu'on ne croie pas
que nous agissons pour faire montre de notre autorité ou pour donner
libre cours à notre emportement. Regardons-les comme des fils sur
lesquels nous avons un pouvoir à exercer. Faisons-nous leurs serviteurs,
exactement comme Jésus qui est venu pour obéir et non pour comman­
der. N'ayons pas honte de dominer à sa manière à lui, et ne les dominons
que pour mieux les servir.
« C'est ce que faisait Jésus avec les Apôtres, qui étaient ignorants
et grossiers ; bien plus, il les soutenait lorsqu'ils n'étaient pas assez
fidèles, et il montrait une bonté et une amitié familière avec les pécheurs,
si bien que certains en étaient stupéfaits, d'autres scandalisés et que
d'autres, enfin, en venaient à espérer le pardon de Dieu. C'est pourquoi
il nous a commandé d'être doux et humbles de cœur. »
« Pour le salut des âmes, Seigneur,tuasvoulu que l'évêque sa/nf
François de Sales devienne le serviteur de tous en toutes choses. Fais
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17.3 Page 163

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que, soutenus par son exemple, nous donnions une preuve de douce
charité en nous dévouant pour nos trères ».
« Dieu, qui as suscité saint Jean Bosco pour donner à la
jeunesse un maître et un père, inspire-nous le même amour qui nous fera
chercher le salut de nos frères en ne servant que toi seul ».
« Suivez l'Esprit de Dieu, et vous n'obéirez plus à la poussée de
vos instincts.
« Voici les fruits de l'Esprit : Amour, joie, paix, patience, amabilité,
bonté, fidélité, douceur et maîtrise de soi. »
« Puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Es­
prit ».
(Gai. 5, 16-25).
161

17.4 Page 164

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17.5 Page 165

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apologue

17.6 Page 166

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17.7 Page 167

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P. SOUDAN
voyages d'un cœur
Il nous a semblé intéressant de vous faire part de l'article de Pierre Soudan,
paru dans le « MESSAGER » de Haute-Savoie : « Les grands et périlleux voyages
du cœur de Saint François de Sales »... En cette année 1983 le voyage de Don
Bosco en France était rappelé avec quelque publicité, il n 'était pas indifférent,
pour les membres de la Famille Salésienne, de s'intéresser à un autre voyage,
raconté ici, et qui regarde le Patron que saint Jean Bosco a voulu donner à celle-
ci. Cela faisait partie aussi du Retour aux Sources...
ZI y aura, ce 29 janvier (1982), 360 ans qu'au terme d'une longue
cérémonie, célébrée dans l’église annécienne faisant fonction
de cathédrale et ayant, depuis, droit à ce titre, que François de
Sales était inhumé dans la chapelle de la Visitation. Sa mort remontait au
28 décembre (1622). C'est à Lyon, dans la loge du jardinier du couvent
de l'ordre, à Bellecour—une caserne de gendarmerie maintenant qu'il
avait rendu son dernier soupir.
Le corps du prince-évêque de Genève fut âprement disputé. Les
Lyonnais voulaient le garder en prétextant que la logique l'exigeait. Les
Annéciens le réclamaient en assurant qu'il ne pouvait pas reposer
ailleurs qu’au milieu de ses diocésains.
Georges Rolland, le valet, galopa vers la Savoie afin de se rensei­
gner sur les volontés dernières de son maître. Jean-François de Sales,
frère et successeurdu défunt, donna lecture du testament : si la ville était
rendue à la foi de Rome, l'évêque souhaitait d'être inhumé à Genève. Si
tel n'était pas le cas et que la mort survienne à Annecy, il demandait la
Visitation de cette ville. Décédant hors de son diocèse, il laissait aux
personnes de sa suite le soin de décider du lieu de sépulture.
Trois envoyés officiels de l’évêque et du conseil de ville s'en allèrent
à Lyon pour appuyer la réclamation du valet. Turin intervint auprès de
Paris et il fut décidé que François de Sales reposerait dans le « Nessi »
cher à son cœur.
165

17.8 Page 168

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Si le corps fut bien rapatrié, le cœur, prélevé au moment de la mise
en bière, fut, lui, laissé à Lyon. Si Jeanne de Chantal était satisfaite, car
elle avait juré qu'elle ferai tout pour « retirer le corps de son saint Père de
la gueule de ce grand Lyon », Marie-Aimée de Blonay, la supérieure de
Bellecourt, le fut aussi car François de Sales, peu avant d'expirer, lui avait
dit : « Ma fille, je vous laisse mon esprit et mon cœur. »
La Visitation d'Annecy a toujours en garde les restes de l'évêque
canonisé et docteur de l'Eglise. En revanche, Lyon, depuis la tourmente
révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle, ne détient plus le cœur. Emporté
clandestinement, cet organe, symbole de l'amour, n'a jamais repassé la
frontière. Il faut, pour apercevoir le reliquaire qui le contient, contourner
Venise et grimper sur une petite colline au Nord de Trevise.
Pour échapper aux Français...
L'Etat religieux ayant été officiellement supprimé par le nouveau
pouvoir le 13 février 1790, les fouilles succédant aux inventaires, les
Visitandines de Bellecour firent demander par l'intermédiaire de leurs
sœurs de Strasbourg un asile sur une terre d'Empire. Vienne accéda à
la requête en proposant Mantoue.
En 1793, le couvent, malgré les difficultés quotidiennes, se mainte­
nait encore. Quand il lui fut ordonné de‘livrer à la Nation les objets
précieux, il céda la châsse d'or offerte par Louis XIII de France qui
attribuait au cœur de François de Sales sa guérison d'une pleurésie, en
1630, à Lyon. Le cœur, en revanche, ne fut pas abandonné aux mains
de l'évêque Lamourette, venu le chercher à la tête d'un cortège de prêtres
jureurs.
Avisées par un ami efficace infiltré dans le club jacobin que les
choses allaient se gâter, les religieuses décidèrent de s'expatrier. Répar­
ties en trois groupes d'une douzaine de personnes, conduites par
Catherine Bevrieux, une jeune femme astucieuse et courageuse, les
Visitandines, via Nantua et le Pays de Gex, déjouant les factionnaires du
parcours, parvinrent, eneivilbiensûr, ¿rejoindre Genève. ViaSion, Milan
et Crémone, elles gagnèrent Mantoue. Le cœur, enfermé dans une boîte
de fer, fut du dernier voyage. Tout au long de son parcours en Suisse et
en Italie, il fut vénéré au cours de cérémonies organisées par les
évêques.
Pour échapper aux Français approchant de Mantoue, en mai 1796,
les Visitandines —et le cœur mirent le cap sur Klagenfurt, en Autriche.
Les envahisseurs étant aux portes, elles gagnèrent la Haute-Styrie, puis
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17.9 Page 169

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Linz et Prague. En 1801, avec des arrêts à Vienne, à Klagenfurt et à
Trévise, elles firent le chemin inverse avec pour destination Venise.
Le cœur de François de Sales ne devait pas connaître un nouvel
exode quand les troupes napoléoniennes s'emparèrent de la Sérénis-
sime République. Eugène de Beauharnais, promu vice-roi d'Italie, accor­
da sa protection aux religieuses françaises qui, dans l'ombre de leur
monastère, avaient ouvert un pensionnat pour jeunes filles. Lors de la
révolution de 1848 et du bombardement de Venise par les Franco-
Piémontais, en 1859, la relique fut mise à l'abri mais les hostilités
épargnèrent le couvent.
En 1885, l'évêque de Mantoue, Joseph Sarto - le futur saint et pape
Pie X devint patriarche de Venise. L'école des Visitandines ne
répondant plus aux nécessités pédagogiques, il suggéra sa suppression
et la réunion avec les religieuses de Trévise de celles de la lagune qui,
en souvenirde l'origine française de leur maison, pratiquaient toujours la
langue des héritières de Jeanne de Chantal et de Marie-Aimée de
Blonay. Des reliques des deux mères avaient d’ailleurs été insérées dans
le reliquaire abritant le cœur salésien.
C'est en 1913, que s'effectua le départ pour la nouvelle résidence.
Deux ans plus tard, le cœur préservé de la furie française se trouvait à
proximité de la ligne de feu austro-italienne.
Dans la paix verdoyante du coteau trévisan, les Visitandines vénè­
rent toujours la relique et distribuent des images et des brochures
expliquant le long cheminement de ce cœur savoyard.
Nul n’a jamais songé à demander un rapatriement. Mais, n'est-ce
pas tout près de là, dans la vénérable université de Padoue, que M. de
Genève rassembla des armes juridiques et théologiques pour son
combat spirituel ? Son portrait y est bien en vue dans une mosaïque
évoquant les plus illustres des anciens étudiants.
A Thorens aussi
En Savoie même, non loin du château natal, la famille de Roussy de
Sales, depuis 1959, conserve aussi une parcelle du cœur !
Ce sont les Visitandines de Bellecour qui firent don de la relique à
Marie-Béatrice d'Este, duchesse de Modène. Cette princesse de 15 ans
qui envisageait d'entrer en religion fut détournée de sa vocation par le
pape lui-même, Clément X, à l'instigation de Louis XIV. Dans l'intérêt
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supérieur de la catholocité, il valait mieux qu'elle devint l'épouse du duc
d'York, le futur roi d'Angleterre James II. Allant consommer son sacrifice
à Londres, Marie-Béatrice s’arrêta à Lyon pour prier devant le cœur.
Enchâssé dans un reliquaire d’argent en forme de nécessaire à
ciseaux, une pièce d'orfèvrerie anglaise décorée par des rinceaux de
feuillage, des oiseaux et des anges, le cadeau des religieuses lyonnaises
est clairement identifié par une inscription gravée : « Le cœur de saint
François de Sales ». Ce reliquaire, vendu par le descendant d'une famille
de l'armorial français à un antiquaire, fut racheté par un Genevois.
« Tenez, dit ce dernier au comte Jean-François de Roussy de Sales, voici
une contribution au musée salésien de Thorens. Et il précisa : « La
contribution d'un hérétique ! »
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