Vita_Preghiera_Don_IVO_fr.doc

2.2 LA VIE COMME PRIÈRE

Père Ivo COELHO

Conseiller pour la Formation

Dans sa présentation des documents du CG 27, parlant de la « grâce d'unité », le Recteur Majeur écrit : « La grâce d'unité est le chemin pour répondre avec générosité et être nous-mêmes : Salésiens consacrés, frères au service des jeunes. Dans l'accueil de ce don, nous rencontrerons un trait caractéristique de notre spiritualité qui est l'union avec Dieu ; elle permet l'unification de notre vie : prière et travail, action et contemplation, réflexion et apostolat » (CG 27, p. 12). Le Chapitre lui-même a choisi l'Icône de la Vigne et des Sarments comme symbole de l'unité profonde entre le fait d'être mystiques dans l'Esprit, prophètes de la fraternité et serviteurs des jeunes. Nous souhaitons offrir la présente réflexion pour aider à cette unification qui nous fait devenir contemplatifs dans l'action (cf. C 12), des personnes avec « un projet de vie d'une profonde unité », comme celui de notre Père Don Bosco (C 21).

Indubitablement, notre vie est caractérisée par le travail inlassable, dans la fidélité à la devise « travail et tempérance », et surtout par l'exemple de notre Père Don Bosco. Mais ce travail, ne devient-il pas bien souvent un grand risque, un obstacle à notre prière ? Nous ne pensons pas seulement aux prières [« les prières] entendues comme pratiques de piété, mais surtout .i' l'union avec Dieu qui doit caractériser toute notre vie. En nous souvenant de la belle phrase de sainte Thérèse de Jésus, selon laquelle « l'oraison mentale n'est pas autre chose que de l'amitié, s'agissant bien souvent d'être toutes seules avec Celui dont nous savons qu'Il nous aime »,2 la question est la suivante : comment faire de notre vie l'expérience de Dieu, une rencontre d'amour avec Lui ? Et comment notre mission pourrait-elle donner « à toute notre existence son allure concrète » (C 3), de manière que la vie devienne prière ?

Notre Règle de Vie, dans sa première section où l'on présente l'identité fondamentale du Salésien, déclare :

« Quand il travaille au salut de la jeunesse, le Salésien fait l'expérience de la paternité de Dieu et ravive continuellement en lui-même la dimension divine de son activité : "Sans moi, vous ne pouvez rien faire" (Jn 15,5). Il entretient son union avec Dieu, conscient qu'il faut prier sans cesse, en un dialogue simple et cordial avec le Christ vivant et avec le Père qu'il sent tout proche. Attentif à la présence de l'Esprit et faisant tout par amour de Dieu, il devient, comme Don Bosco, contemplatif dans l'action » (C 12).

Comment pouvons-nous transformer cet idéal en réalité ? Il convient d'apporter ici une clarification nécessaire : il ne s'agit pas d'enlever leur importance aux pratiques sacramentelles et de piété, à travers lesquelles se concrétise notre dialogue avec le Seigneur. Au-delà de ces pratiques, nous nous demandons, au contraire, comment notre vie et notre travail pourraient devenir expérience de Dieu.

« La vie comme prière » : identité de l'oraison salésienne

Il me semble qu'à cette question, essentielle pour notre vie d'apôtres consacrés, répond d'une manière extraordinairement riche l'article 95 de nos Constitutions qui a pour titre, en effet : « La vie comme prière » :

« Plongé dans le monde et les soucis de la vie pastorale, le Salésien apprend à rencontrer Dieu à travers ceux à qui il est envoyé. S'il découvre les fruits de l'Esprit dans la vie des hommes, spécialement des jeunes, il rend grâce en toute chose ; quand il partage leurs problèmes et leurs souffrances, il invoque pour eux la lumière et la force de Sa présence. Il puise à la charité du Bon Pasteur dont il veut être le témoin, et participe aux richesses spirituelles que sa communauté lui offre. Le besoin de Dieu perçu dans l'engagement apostolique le porte à célébrer la liturgie de la vie jusque dans l'"activité infatigable sanctifiée par la prière et l'union à Dieu, qui doit être la caractéristique des fils de Don Bosco" »3.

Pour souligner quelques éléments de ce très beau texte, je voudrais me reporter à la version préalable des Constitutions ad experimentum du Chapitre Général Spécial (1972). Le texte exprimait alors plutôt la problématique de la synthèse entre prière et travail : « Au Salésien, plongé dans le monde et les préoccupations de la vie apostolique, rencontrer Dieu dans la liberté et la spontanéité d'un fils peut s'avérer difficile parfois ». C'était sans aucun doute une constatation réelle et concrète, mais en même temps elle impliquait une certaine dichotomie qui revenait de nouveau à la fin lorsque l'on disait : « Le besoin intérieur de Dieu nous porte à vivre en Lui la liturgie de la vie, en nous offrant nous-mêmes dans le travail quotidien, "comme sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu" (Rm 12,1) » (C 67, 1972). Cela aussi est vrai et reflète toute la tradition spirituelle de l'Église, mais nous pouvons nous demander : n'est-ce pas trop générique, et cela ne peut-il pas s'appliquer à toute sorte de travail et à tous les types de spiritualité ?

Mais l'article actuel essaye de dépasser cette éventuelle dichotomie dans sa racine même : c'est-à-dire dans la manière de comprendre salésiennement le rapport entre notre travail et l'union avec Dieu. Nous pouvons ajouter que cela n'a pas été facile : en effet, le processus d'élaboration de cet article - un vrai joyau de , spiritualité salésienne - n'a trouvé une synthèse réussie et lumiz neuse que dans sa dernière rédaction, vers la fin du Chapitre. Qp: le voit dès le début de l'article qui présente un contraste explicite avec le texte précédent : « Plongé dans le monde et les soucis de la vie pastorale, le Salésien apprend à rencontrer Dieu à travers ceux à qui il est envoyé ». Et à la fm, est soulignée la même idée : « Le besoin de Dieu perçu dans l'engagement apostolique... ».

Je voudrais vous inviter à une lecture attentive et soignée de cet article pour y découvrir quelques éléments précieux constituant une critériologie qui nous aide à discerner si notre action devient vraiment prière, expérience de Dieu. En même temps, cette critériologie nous offre les « conditions de possibilité » pour le réaliser.

1. En premier lieu, nous trouvons un élément essentiel et indispensable : le fait d'être au milieu des jeunes et avec eux. Cette « présence active et amicale » (C 39), que nous appelons « assistance », n'a rien à voir avec celle d'un gendarme qui se préoccupe seulement de maintenir l'ordre ; elle ne constitue pas non plus seulement une « base » qui permette de faire ensuite des choses plus importantes. Nous sommes appelés non pas à « faire beaucoup de choses » mais à être comme Jésus épiphanie, révélation, visage du Père. Notre mission consiste à être « signes et porteurs » de son amour (C 2). La présence salésienne constitue une médiation concrète de la présence du « Dieu-avec-nous » ; et en quelque sorte, nous pouvons dire qu'elle est une anticipation de ce que Jésus a demandé au Père pour nous tous : « Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi » (Jn 17,24). Cet « être-avec » constitue le noyau de la vie éternelle : être avec Dieu et avec tous nos frères et soeurs.' Nous ne pouvons pas ignorer qu'il s'agit là d'un des aspects où nous sommes tous appelés à grandir : nous tous, et pas seulement les jeunes confrères (appelés parfois d'une manière significative « assistants »).

  1. Notre présence doit avoir une caractéristique très concrète : la conscience de la mission. Le texte constitutionnel ne dit pas simplement « à travers les personnes » pas plus que « à travers les jeunes » seulement, mais explicitement « à travers ceux à qui il [le Salésien] est envoyé ». Malgré notre bonne volonté, nous ne trouverons pas le Seigneur si nous ne le cherchons pas en ceux à qui Lui-même nous envoie. Cela constitue un des éléments essentiels de l'obéissance salésienne, entendue comme la recherche constante et passionnée de la volonté de Dieu, à l'exemple de Jésus : « Ma nourriture, c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé » (Jn 4,34). Ce n'est pas toujours facile, en particulier lorsque le travail n'est pas « gratifiant ».

  2. Dans ce mouvement vers les jeunes à qui nous sommes envoyés, nous trouvons une dialectique intéressante : Dieu nous attend en ces destinataires de notre mission ; mais en même temps nous sommes appelés à leur apporter son amour salvifique : une dialectique qu'en un certain sens nous trouvons aussi dans les paroles de Jésus, en Mt 25,31-46. Cela me semble l'élément central si la vie salésienne doit devenir prière. Cela peut se résumer dans la phrase « quitter Dieu pour Dieu » pourvu qu'elle soit bien com-' prise et que ce ne soit pas simplement une excuse bienvenue per abandonner la « prière » pour le « travail » ou vice-versa.

  3. L'action éducative et pastorale en faveur des jeunes présuppose une analyse de la réalité sur la base de la foi et de la mission salésienne : elle implique de regarder la réalité des jeunes avec le regard de Jésus, Bon Pasteur, dans le style de Don Bosco. Cette « lecture » déterminera si une action est vraiment salésienne ou si nous en sommes réduits à être, comme le répète le Pape François, une simple O.N.G. qui travaille pour la promotion de la jeunesse. Ce « regard pastoral » — avec « l'attention sereine, qui sait être pleinement présent à quelqu'un sans penser à ce qui vient après » (Laudato Si', 226) — nous permettra de discerner les priorités évangéliques dans notre travail et de reconnaître en même temps « l'action de l'Esprit » dans la vie des jeunes : autrement nous courrions le risque de travailler beaucoup mais en négligeant la mission — un danger bien réel, vu la complexité de la réalité des jeunes.

  1. Une caractéristique de la prière salésienne, soulignée dès le début de notre Règle de Vie, est son rapport inséparable d'avec la vie, à l'exemple de Don Bosco qui « a vécu l'expérience d'une prière humble, confiante et apostolique, qui unissait spontanément l'oraison et la vie » (C 86). Le même article se termine en affirmant que la prière salésienne « adhère à la vie et se prolonge en elle » : sommet et source, comme le dit le Concile Vatican II en parlant de l'Eucharistie.

Il ne s'agit donc pas de « laisser à la porte de la chapelle » nos soucis, nos projets pastoraux, nos enthousiasmes et nos désillusions. Dans ce cas, qui entrerait pour dialoguer avec Dieu ? une personne vide, sans identité, sans histoire, sans motifs pour rencontrer le Seigneur... Comme nous l'avons vu, l'article 95 parle explicitement du « besoin de Dieu, perçu dans l'engagement apostolique ».

  1. En essayant de rendre ce point encore plus concret, le même article indique, d'une manière brève mais très importante, comment les différentes « formes » de prière naissent de la situation vitale de nos jeunes : « S'il découvre les fruits de l'Esprit dans la vie des hommes, spécialement des jeunes, [le Salésien] rend grâce en toute choses; quand il partage leurs problèmes et leurs souffrances, il invoque pour eux la lumière et la force de Sa présence ». La prière de louange et de remerciement naît de la contemplation de l'action de l'Esprit en nos jeunes (on a de nouveau besoin ici du regard de foi du Bon Pasteur : nous devons nous rappeler que Jésus loue et remercie le Père même après l'insuccès de sa prédication dans les villes du lac ! — Mt 11,25-30). La prière de demande et de supplication surgit de la participation à leurs problèmes et difficultés ; et il me plairait d'ajouter une forme de prière typique du médiateur-apôtre, parfois trop oubliée : la prière d'intercession (« afm que le dessein du Père s'accomplisse en chacun d'eux » — C 86) et même la prière de réparation (dans son sens le plus authentique).

  2. Enfin, parmi de nombreux autres aspects, je voudrais souligner la dimension communautaire de notre prière : « (Le Salésien) participe aux richesses spirituelles que sa communauté lui offre » (C 95). A la lumière de tout ce que nous venons de dire, ne pourrait-on pas entendre également cette dimension comme un partage communautaire de l'expérience de Dieu de chaque confrère ? Comme il serait beau si, dans la communauté, nous pouvions exprimer et partager la manière dont chacun de nous « découvre Dieu » chez nos destinataires ! Je pense à l'icône d'Eramaüs : parmi ceux qui sont restés à Jérusalem et ceux qui se sont rendus dans ce village, il y a un échange réciproque de « rencontres avec Jésus Ressuscité », qui culmine avec la présence du Seigneur lui-même ! (cf. Le 24,33-35).

Concrètement...

Tout cela constitue indubitablement un idéal, un objectif que nous n'atteignons pas toujours dans notre vie quotidienlié. D'autre part, il s'agit d'un élément-clé de notre spiritualité, un des éléments fondamentaux, comme on le disait au début : la « grâce d'unité », l'appel à devenir « mystiques dans l'Esprit » et « contemplatifs dans l'action ». C'est aussi, me semble-t-il, le point d'arrivée de la vie comprise en clé de formation permanente ; je voudrais donc souligner un mot-clé qu'intentionnellement je n'ai pas mentionné jusqu'à présent : « le Salésien apprend à rencontrer Dieu... ». Ce mot indique qu'un apprentissage est indispensable, un apprentissage de l'effort personnel en premier lieu, mais sûrement aussi un apprentissage du temps, de l'accompagnement, d'expériences qui rendent possible ce fait d'« apprendre ». Il ne faut pas croire que chaque rencontre et chaque travail avec les jeunes deviennent automatiquement prière et rencontre avec Dieu. En d'autres termes, après avoir réfléchi sur le « quoi », il est nécessaire d'insister aussi sur le « comment ».

Cependant, avant de continuer, je voudrais faire remarquer que le « quoi » dont il a été question plus haut est largement pratiqué et, en ce sens, est déjà un « comment ». « Notre être dépend de la manière de voir et de la mesure dont cette vision devient stable dans notre intentionnalité. Nous n'arrivons pas à voir, cependant, à travers le simple acte de regarder mais à travers un entraînement de notre vision à l'aide des métaphores et des symboles qui constituent nos convictions centrales »6. Par conséquent, quel que soit l'effort de changer notre vie, acquérir une vision correcte est beaucoup plus important que l'exercice, si diligent soit-il, de la force de volonté. Jésus — nous devrions nous en souvenir — faisait abondamment usage d'images. « La force de volonté est n'est pas un moteur fiable sur lequel s'appuyer pour obtenir l'énergie intérieure ; une image correcte, au contraire, silencieusement et inexorablement, nous entraîne dans le domaine de la réalité qui est en même temps le domaine de l'énergie »7. Le chemin vers la vie comme rencontre avec Dieu ou, mieux, l'union avec Lui, comporte une formation de notre vision qui ne peut être sous-évaluée.

Il revient à chaque Province, et à chaque communauté locale, de trouver les moyens les plus adaptés pour s'orienter vers cette « identité salésienne ». Mais nous pouvons également retourner à la « critériologie » proposée plus haut qui nous offre en même temps aussi « des conditions pour pouvoir » arriver à ce point.

Le premier critère est une condition nécessaire (mais non suffisante !) : si nous ne faisons pas l'effort d'être avec les jeunes, il n'y a pas de possibilité de découvrir l'action de la grâce en eux. Nous constatons aujourd'hui, en différentes parties de la Congrégation, une certaine « prise de distances » d'avec les jeunes de la part de nos confrères — jeunes ou non — et surtout une certaine dévaluation de l'assistance : comme si nous avions « des choses plus importantes à faire ». Nous courons le risque de perdre la rencontre avec les jeunes réels (parfois trop difficiles à gérer) et nous nous réfugions dans la rencontre virtuelle, à travers de nombreux moyens modernes de communication — même si quelquefois nous pourrions arriver à « l'offrir à Dieu » ! — Mais ce n'est pas la bonne voie, ce n'est pas cela qui nous fera devenir « de bons pasteurs des jeunes » à l'exemple de Don Bosco. Il est donc indispensable d'offrir à nos confrères jeunes l'expérience d'être avec les jeunes, en les éduquant (ceci est indispensable !) au vrai sens de l'assistance salésienne : et cela se fait non seulement en paroles mais aussi par l'exemple.

Le second, le troisième et le quatrième critères comportent, en fait, une rééducation de notre façon de voir : la conscience de la mission, la conscience de la dialectique entre Dieu qui nous attend dans les jeunes et notre vocation comme épiphanie, le « regard pastoral ». Il ne suffit pas d'« être avec les jeunes » : il, faut le faire avec le sens de la mission, qui dérive directement de l'obéissance comprise comme recherche et accomplissement dia volonté de Dieu. Il est nécessaire de rechercher des stratégiés et des lignes d'action pour renforcer ce sens « de la foi » dans le travail avec eux, en évitant tout type d'individualisme ou de « choix purement personnels » dans l'action éducative et pastorale. Il ne suffit pas de faire de « bonnes choses », ou même de « découvrir Dieu » en chaque personne. Nous sommes appelés à trouver Dieu précisément dans la « jeunesse pauvre, abandonnée, en péril » (C 26), « en priorité [en] la jeunesse masculine » (R 3) et non pas en n'importe quelle personne.

Le cinquième critère est la dialectique entre « prière » et vie. Il y a un rapport vital entre les « pratiques de piété ». — communautaires et personnelles — et la vie. Jésus lui-même a senti le besoin de passer de longs moments en prière. L'amour est avant tout un état plutôt qu'un acte. Mais il a besoin d'actes, de moments spéciaux qui le révèlent, l'affirment, le célèbrent, le partagent, le fortifient. Il est important de dépasser une attitude de dichotomie. Le Dieu que nous découvrons en ceux à qui nous sommes envoyés est le même Dieu que nous invoquons, célébrons et remercions dans nos temps de prière formels et informels.

Le Salésien a besoin de moments de silence pour revoir et revivre sa journée, pour rendre grâce et pour intercéder. Il ne peut pas se permettre de négliger les moments de tranquillité imbriqués dans la structure de la vie communautaire. Ces pratiques et ces moments sont des éléments importants dans la dialectique de notre parcours vers l'union d'amour qu'est la vie comme prière. Notre vie et notre travail entrent dans ces moments, nos intentions se purifient, nos yeux s'ouvrent et notre vision s'éclaire pour voir l'oeuvre de Dieu dans la vie de ceux à qui nous avons été envoyés.

C'est le moment de prêter attention à l'invitation de nos Chapitres Généraux récents et de soigner particulièrement la prière personnelle et la méditation où chacun exprime « dans l'intimité sa façon personnelle d'être fils de Dieu, de lui manifester sa reconnaissance, de lui confier ses désirs et ses préoccupations apostoliques », en se souvenant que pour Don Bosco, l'oraison mentale était « une garantie de persévérance joyeuse dans la vocation », car « elle renforce notre intimité avec Dieu, nous préserve de la routine, sauvegarde la liberté de notre coeur et nourrit notre dévouement » envers ceux à qui nous sommes envoyés (C 93 et 88).

Comme communautés provinciales et locales, nous avons besoin de prêter une attention renouvelée aux récollections mensuelles et à la retraite spirituelle annuelle, qui sont « des occasions particulières d'écoute de la parole de Dieu, de discernement de sa volonté et de purification du coeur », et qui « redonnent à notre vie spirituelle sa profonde unité dans le Seigneur Jésus et maintiennent vivante en nous l'attente de son retour » (C 91).

On devrait ajouter ici également l'accompagnement spirituel qui « éduque » notre regard, qui nous aide à développer l'intelligence de la contemplation et la capacité de discerner la présence de Dieu et l'action de grâce chez nos destinataires (voir CG 27, 67,2). Ainsi en sera-t-il également de l'accompagnement pastoral au cours des premières années de ministère — et ici, les Maîtres des novices, les Directeurs et les Guides spirituels des postnovices, des stagiaires et des jeunes confrères en formation spécifique ont une responsabilité tout à fait spéciale. Dans les premières années de la formation particulièrement, nous apprenons et nous sommes aidés à reconnaître la dimension divine de notre activité. Nous découvrons « qu'il faut prier sans cesse, en un dialogue simple et cordial avec le Christ vivant et avec le Père » ; nous apprenons à être attentifs « à la présence de l'Esprit », et à faire « tout par amour de Dieu » (C 12).

Il n'est pas nécessaire de présenter à la suite la sixième condition. Mais il vaut la peine de s'arrêter sur la septième, la dimension communautaire, car elle répond à l'insistance de nos Chapitres Généraux récents sur les formes communes de prière, aussi bien anciennes que nouvelles. Une des difficultés quant à la prière communautaire est le partage fraternel, en particulier de notre expérience de Dieu. Il n'est pas facile de nous « rééduquer » sur ce point. Il est sans aucun doute plus facile de le faire avec les jeunes confrères au début de la vie salésienne, mais même-dans leur cas, on ne peut considérer la chose comme acquise. Il est nécessaire de trouver des temps appropriés de partage communautaire (y compris la lectio divina), pour les éduquer (et nous éduquer nous-mêmes) à prier ensemble en partant des expériences de notre travail éducatif et pastoral : prière de remerciement, de demande, d'intercession, de réparation... De plus, ces expériences renforcent et approfondissent d'une manière extraordinaire la vie fraternelle, à en devenir presque un thermomètre : là où il n'y a pas de communication en profondeur, le niveau de vie communautaire est très superficiel et parfois presque inexistant.

Je demande que le Directeur de chaque communauté, après avoir personnellement étudié et médité cette réflexion que je pro‑

' pose, invite chacun de ses confrères à faire la même chose, et rende possible un temps communautaire d'échange et de dialogue, en s'appuyant sur les questions suivantes ou d'autres semblables : Quels aspects me frappent le plus ? Dans quels aspects aurais-je / aurions-nous besoin de croître ? Quelles étapes pourraisje/pourrions-nous franchir dans cette direction ?

J'invite particulièrement les Maîtres des novices, les Directeurs et les Guides spirituels à tous les niveaux de formation à imaginer des moyens d'accompagner les jeunes confrères, en tant que personnes individuelles et en tant que communautés, dans leur cheminement vers la vie comme prière.

Chers confrères, invoquons ensemble l'assistance de la Vierge Marie, « modèle de prière et de charité pastorale » (C 92), de saint Joseph, « maître de la vie intérieure », de notre Père Don Bosco et d'une multitude de confrères, grands et petits, parmi lesquels le bienheureux Artémide Zatti et le vénérable Simon Srugi, qui ont vécu la grâce d'unité et intercèdent maintenant pour nous.


NOTE

1 “Que no es otra cosa oraci6n mental, a mi parecer, sino tratar de amistad, estando muchas veces tratando a solas con quien sabemos que nos ama" (S. Teresa de JesCis, Vida 8, 5).

2. Alors que l'union avec Dieu est le thème de C 12, l'article C 95 sur la vie comme prière occupe une place tout à fait spéciale dans les Constitutions, venant précisément à la fin même, non seulement du chapitre VI (et au début du chapitre VII) « En dialogue avec le Seigneur » mais aussi de la Deuxième Partie de nos Constitutions : Envoyés aux jeunes en communautés — à la suite du Christ. Le CG 22 était extrêmement sensible à la structure des Constitutions, et la place de C 95 fait une sorte de synthèse non seulement de notre vie de prière mais aussi de toute notre vie. Il traite précisément de la vie comme prière.

3. Il vaut la peine de s'arrêter sur la présence salésienne comme anticipation de la vie éternelle et essentiellement comme une manière d'être avec Dieu et avec tous nos frères et soeurs. Sur le premier point, cf. J. Ratzinger, "My Joy is to Be in Thy Presence: On the Christian Belief in Eternal Life", in J. Ratzinger, God is Near Us: The Eucharist, the Heart of Life (San Francisco: Ignatius Press, 2003). Sur le second point, cf. la suggestion saisissante de J. Alison que « la joie proposée à [Jésus] » (Hb 12,2) était précisément « la possibilité d'être pour toujours dans la joie dans une grande célébration, avec une multitude de personnes, les bons, les mauvais, les dépressifs, mais tous des êtres humains et donc des personnes aimées ». Cf. J. Alison, Raising Abel: The Recouery of the Eschatological Imagination (New York, Crossroad, 1996), 189. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur » (Mt 6,21). Le Coeur de Jésus est sans aucun doute centré sur le Père et sur nous tous, ses frères et soeurs.

4. L'article constitutionnel cite Ep 5,20 ; j'ajouterais, pour ma part, Ph 4,6 (le texte paulinien de la Messe de Don Bosco).

5. "We are as we corne to see and as that seeing becomes enduring in our intentionality. We do not corne to see, however, just by looking but by training our vision through the metaphors and symbols that constitute our central convictions." Stanley Hauerwas, Vision and Virtue (Notre Dame: University of Notre Dame Press, 1981), 2.

6. "Willpower is a notoriously sputtery engine on which to rely for internai energy, but a right image silently and inexorably pulls us into its field of reality, which is also a field of energy." Eugene H. Peterson, Under the Unpredictable Plant: An Exploration in Vocational Holiness (Grand Rapids: William B. Eerdmans / Leominster: Gracewing, 1992), 6.