Souvenirs (MO) 3. Décienne



Don Bosco MO Souvenirs Autobiographiques

TROISIÈME DÉCENNIE

1846-1856







La nouvelle église.


Bien qu'en vérité cette nouvelle église fût bien mesquine, toutefois, louée sur contrat en bonne forme (1)1, elle nous libé­rait (du souci) de devoir à chaque instant émigrer d'un lieu à un autre au prix de très graves ennuis. Pour moi, il me semblait que c'était bien l'endroit où, en rêve, j'avais vu écrit: Haec est domus mea, inde gloria mea, bien que le ciel en ait disposé assez différemment (2)2. La maison près de laquelle s'installait notre oeuvre présentait de graves inconvénients : c'était une maison de débauche. Difficulté encore du côté de l'auberge de la Jardinière, aujourd'hui maison Bellezza, rendez-vous, aux jours de congé surtout, de tous les bambocheurs de la ville. Nous pûmes cependant surmonter tous (ces handicaps) et commencer à tenir régulièrement nos réunions. /149/

Les travaux terminés, l'archevêque, à la date du [10] avril, nous concédait l'autorisation de bénir et de consacrer au culte le modeste local. Cela se fit le dimanche [12] avril 1846 (3)3. Pour nous témoigner sa satisfaction, le même archevêque renouvela la permission, déjà accordée lorsque nous étions au Refuge, d'y chanter la messe, d'y prêcher des triduums, des neuvaines, des retraites, d'y préparer à la confirmation et à la sainte communion et même de pouvoir y satisfaire au précepte pascal pour tous ceux qui fréquentaient notre institut. La stabi­lité du local, les marques d'approbation de l'archevêque, la solennité des cérémonies, la musique, le bruit d'une cour de récréation, tout cela attirait les enfants de toute part. Plusieurs ecclésiastiques commencèrent à revenir. Parmi ceux qui prê­taient leur concours on peut noter les prêtres Trivero Joseph, le théologien Carpano Jacinthe, Jean Vola, Robert Murialdo et l'intrépide théologien Borelli.

Voici comment se déroulaient les cérémonies religieuses. Les jours fériés, de bon matin, on ouvrait l'église et on com­mençait à confesser jusqu'à l'heure de la messe. Elle était fixée à huit heures. Mais pour satisfaire la foule de ceux qui vou­laient se confesser, il n'était pas rare qu'elle fût repoussée à neuf heures et même davantage. Lorsqu'il se trouvait des prê­tres (dans l'assemblée), l'un d'eux surveillait et dirigeait les prières vocales réparties en deux choeurs. Au cours de la messe, ceux qui s'étaient préparés s'approchaient de la table de com­munion. La messe terminée, une fois déposés les ornements sacerdotaux, je montais sur une petite estrade pour l'explica­tion de l'évangile, qui alors changea (de forme) et donna nais­sance à un exposé continu de l'histoire sainte. Les récits rame­nés à une présentation simple et populaire, parés de (couleur locale) : coutumes, lieux, noms géographiques et leurs empla­cements actuels, tout cela plaisait énormément aux petits, aux adultes et même aux ecclésiastiques qui se trouvaient là. A ce sermon succédait la classe qui durait jusqu'à midi. /150/

A une heure de l'après-midi, les jeux commençaient. On jouait aux boules, aux échasses, avec des fusils et sabres de bois, et avec les premiers agrès de gymnastique. A deux heures et demie, c'était la leçon de catéchisme. L'ignorance était géné­ralement très grande. Plusieurs fois il m'arriva d'entonner le chant de l'Ave Maria. Sur environ quatre cents jeunes présents pas un n'était capable de répondre, encore moins de continuer si je me taisais.

Après le catéchisme, comme alors nous ne pouvions encore chanter les vêpres, nous récitions le chapelet. Plus tard nous apprîmes à chanter l'Ave Maris Stella, puis le Magnificat, le Dixit (Dominus), ensuite les autres psaumes et finalement une antienne. En un an nous devînmes capables de chanter les vêpres de la Madone en entier. A ces pratiques de piété j'ajoutai brièvement un petit sermon, le plus souvent un apo­logue où se trouvaient personnifiés un vice ou quelque vertu. Le tout se terminait par les litanies (de la Sainte Vierge) et la bénédiction du Très Saint Sacrement.

Sortis de la chapelle, temps libre. Chacun pouvait s'occu­per à son gré. Les uns se rendaient encore au catéchisme, d'autres à la classe de chant ou de lecture. La plupart employaient leur temps à courir, sauter et se divertir en toutes sortes de jeux et de cabrioles. Tous les exploits en fait de course, de saut, de tours de passe-passe, de corde, de bâton que j'avais appris jadis des saltimbanques, étaient exécutés sous ma direction. De cette façon j'arrivais à discipliner cette masse (d'enfants) de qui, pour la plupart, on pouvait dire: Sicut equus et mulus, quibus non est intellectus (4)4.

Je dois dire d'autre part qu'en cette profonde ignorance, il y avait un grand respect pour les choses d'église, pour les ministres sacrés et une grande ardeur pour apprendre ce qui concernait la religion.

Je profitais souvent de ces récréations effrénées pour glis­ser à l'oreille de l'un ou de l'autre, au beau milieu des jeux, /151/ un mot qui leur parlât de religion et les incitât à fréquenter les sacrements. Dans le creux de l'oreille je conseillais à l'un d'être plus obéissant ou plus fidèle au devoir d'état : je disais à celui-ci d'être assidu au catéchisme, à cet autre d'aller à confesse, et choses semblables. Les jeux m'offraient ainsi une occasion opportune de me gagner une foule de garçons qui, le samedi ou le dimanche matin, venaient se confesser avec toute leur bonne volonté.

Il m'est arrivé d'en arracher à leurs débats pour les amener au confessionnal quand je les sentais quelque peu réticents à l'égard de cet important devoir (religieux). Un fait entre bien d'autres. J'avais plusieurs fois invité un jeune à venir faire ses Pâques. Chaque dimanche il promettait de venir, mais ne tenait jamais parole. Un jour de fête, la cérémonie terminée, il se lance dans une partie des plus endiablées. Il tourbillonnait de côté et d'autre, courant et bondissant. trempé de sueur et le visage empourpré. I1 ne savait trop s'il vivait en ce monde ou dans quelque autre. Je l'arrêtai en pleine course et le priai de m'accompagner à la sacristie pour m'aider dans une petite affaire. I1 voulait venir comme il était, en bras de chemise. « Non, lui dis-je, prends ta veste et viens. » Je l'emmenai à la sacristie, puis derrière l'autel : « Agenouille-toi sur ce prie­Dieu. » Il le fit, mais voulut changer de place le prie-Dieu. « Non, lui dis-je. laisse les choses comme elles sont.

- Que voulez-vous donc de moi ?

- Te confesser.

- Je ne suis pas prêt.

- Je sais.

- Alors ?

- Alors prépare-toi, ensuite je te confesserai.

-Ah! bon, bon!... J'en avais bien besoin, j'en avais un rude besoin. Vous avez bien fait de vous y prendre ainsi avec moi ; autrement, par peur de mes compagnons, je ne serais pas encore venu me confesser. »

Pendant que je récitais une partie de mon bréviaire, il se prépara quelque peu. Puis, de bon gré, il fit sa confession et une pieuse action de grâces. A dater de ce jour il fut constam­ment des plus assidus à accomplir ses devoirs religieux. I1 /152/ racontait souvent l'incident à ses compagnons et concluait : « Don Bosco avait employé la bonne astuce pour mettre le merle en cage. »

A la tombée de la nuit, sur un signal de clochette, tous se réunissaient à l'église. On y faisait une petite prière ou bien on récitait le chapelet et l'Angelus et tout s'achevait sur le chant du cantique Lodato sempre sia etc.

Au sortir de l'église, je me mêlais à eux et les accompa­gnais tandis qu'ils chantaient et chahutaient. Nous montions ainsi jusqu'au Rondò (5)5. Là, on chantait encore une ou deux strophes d'un cantique, on se donnait rendez-vous pour le dimanche suivant, et, après nous être mutuellement souhaité la bonne nuit à haute voix, chacun s'en allait de son côté.

Le départ de l'Oratoire était vraiment original. Sortis de l'église, ces garçons n'en finissaient plus de se dire mille bon­soirs. Ils n'arrivaient pas à se séparer. J'avais beau leur dire : « Mais filez donc chez vous, il fait nuit, vos parents vous attendent », rien n'y faisait. Il fallait que je les laisse se rassem­bler. Alors six des plus solides formaient, de leurs bras entre­croisés, une espèce de sedia sur laquelle, comme sur un trône, je devais à toute force m'asseoir. Un cortège s'organisait alors. en plusieurs files, avec Don Bosco assis sur ces bras comme sur un pavois, dominant de la tête les plus grands. Chantant et criant on atteignait ainsi le carrefour dit communément le Rondò. Là, encore quelques cantiques et tout se clôturait par le chant solennel du Lodato sempre sia. Dans le plus profond silence, je leur souhaitais le bonsoir et une bonne semaine. De toute leur voix tous répondaient « Bonsoir ! » On me déposait alors de mon trône et chacun rentrait en famille. Entouré de quelques-uns des plus grands, je regagnais mon logis, à moitié mort de fatigue (6)6. /153/



Encore Cavour. - Au Conseil Municipal. - Des agents de police.


Malgré l'ordre, la discipline et la tranquillité qui régnaient à notre Oratoire, le marquis Cavour, préfet de police de la ville, prétendait mettre fin à nos rassemblements qu'il estimait dangereux. Quand il sut que j'avais toujours agi avec l'assenti­ment de l'archevêque, il convoqua la Ragioneria à l'archevê­ché. L'archevêque était alors souffrant.

Cette Ragioneria était composée d'hommes choisis parmi les principaux conseillers municipaux. Ils détenaient entre leurs mains tous les pouvoirs d'administration civique. Le chef de cette Ragioneria, appelé Mastro di Ragione, premier décurion ou préfet de la ville, possédait des pouvoirs dépassant ceux du maire.

« Quand je vis ces grands personnages entrer dans cette salle, racontait plus tard l'archevêque, je me demandais si ce n'était pas le jugement universel. » On débattit beaucoup le pour et le contre. Finalement on conclut qu'il fallait à tout prix empêcher ces rassemblements et les disperser. Ils compro­mettaient la tranquillité publique.

De cette Ragionera faisait partie le comte Provana de Collegno, alors ministre du budget et des finances auprès du roi Charles Albert. Plusieurs fois déjà il m'avait envoyé des secours soit en son nom personnel, soit au nom du souverain. Ce prince aimait beaucoup entendre parler de notre Oratoire. Quand nous célébrions quelque fête, il en lisait volontiers le compte rendu que je lui envoyais ou celui que le comte Pro­vana lui en faisait oralement. Il me fit dire plusieurs fois qu'il estimait beaucoup ce genre de ministère ecclésiastique (auquel je m'adonnais). Il le comparait à celui des missions étrangères. Il exprimait son désir qu'en toute ville et contrée de ses États on puisse faire fonctionner de telles oeuvres. A titre d'étrennes, il ne manquait pas de m'envoyer chaque année une somme de trois cents lires avec ces mots: « Pour les gamins de Don Bosco. » /154/

Quand il vint à savoir que la Ragioneria voulait disperser nos réunions, il chargea le comte Provana de faire savoir sa volonté en ces termes. « Il est dans mes intentions de voir développer et protéger ces réunions des jours de congé. S'il y avait quelque danger de désordre, qu'on étudie le moyen de le prévenir ou de l'empêcher. »

Le comte Collegno avait gardé le silence pendant toute cette vive discussion. Quand il s'aperçut qu'on en venait à proposer un ordre de dispersion et de dissolution définitive, il se leva et demanda la parole. Il communiqua alors les inten­tions du souverain et la protection que le roi entendait appor­ter à cette microscopique institution.

A ces mots le préfet de police et la Ragioneria n'eurent plus qu'à se taire. En hâte le préfet me fit de nouveau appeler. Il reprit son ton menaçant et me traita d'obstiné. Il conclut par ces mots plutôt bienveillants: « Je ne veux de mal à per­sonne. Vous travaillez avec de bonnes intentions, mais ce que vous faites est plein de dangers. Comme je suis obligé de veiller à la tranquillité publique, je vous ferai surveiller, vous et vos réunions. Au moindre incident qui puisse vous compromettre, je ferai immédiatement disperser vos gamins et vous, vous me rendrez compte de tout ce qui pourra s'en suivre. »

Fut-ce en raison des troubles qui l'affectèrent, fut-ce en raison de quelque malaise qui le minait déjà, le fait est que ce fut la dernière fois que le préfet Cavour se rendit à l'Hôtel de Ville. Assailli par la goutte, il eut beaucoup à souffrir et, en quelques mois, parvint à la tombe (1)7.

Mais, pendant les six mois qu'il vécut encore, chaque dimanche il envoyait des gardes et des agents de police qui restaient toute la journée avec nous. Ils surveillaient tout ce qui se disait et ce qui se faisait soit à l'église soit au dehors (2)8. /155/

- Eh bien ! dit un jour le marquis à un de ces gardes. Qu'avez-vous vu et entendu au milieu de cette marmaille ?

- Monsieur le marquis, nous avons vu une immense multitude de garçons s'amusant de mille façons. A l'église nous avons entendu des sermons à faire peur. On y a raconté tant de choses sur l'enfer et sur les démons que ça m'a donné envie de me confesser.

- Et la politique"

- On n'a pas du tout parlé de politique. Ces enfants n'y comprendraient rien. Je crois qu'on y traiterait plus efficace­ment de pagnottes. Et là, chacun serait en mesure de tenir le premier rôle.

Après la mort de Cavour, il ne se trouva plus personne au conseil municipal pour nous causer des ennuis. Au contraire, chaque fois que l'occasion s'en présenta, la munici­palité de Turin nous fut favorable, jusqu'en 1877.



Cours du dimanche. - Cours du soir.


A Saint-François-d'Assise déjà, j'avais pu constater la nécessité d'une école. Certains enfants, assez avancés en âge, sont cependant tout à fait ignorants des vérités de la foi. Pour eux, un enseignement purement verbal demanderait du temps et serait nécessairement ennuyeux. C'est pour cela qu'ils ne viennent plus. On essaya de faire un peu de classe, mais on n'y réussissait pas faute de local et de maîtres qualifiés qui veuillent bien nous aider. Au Refuge, puis à la maison Moretta commença l'école du dimanche de façon stable, et une fois au Valdocco, l'école du soir, régulière. /156/

Pour obtenir quelque bon résultat, on ne prenait qu'une matière à la fois. Par exemple, un dimanche ou deux, on pre­nait l'alphabet et on le faisait répéter, puis on commençait à épeler lettres et syllabes. Tout de suite après on prenait le petit catéchisme, occasion de le faire lire et épeler, jusqu'à ce que (les enfants) soient en mesure de lire une ou deux des premiè­res questions. C'était le programme de la semaine. Le diman­che suivant on faisait répéter la même matière en y ajoutant d'autres questions et réponses. De cette façon, en huit jours de congé, j'ai pu obtenir que certains arrivent à lire et à étudier tout seuls des pages entières du catéchisme. Ce fut un gain de temps considérable. En effet, les plus grands auraient dû fré­quenter le catéchisme durant presque des années, avant d'être assez instruits pour s'approcher du seul sacrement de péni­tence.

Les essais de cours du dimanche étaient très avantageux pour beaucoup, mais ça ne suffisait pas. En effet, un grand nombre, parce que peu doués et lents, oubliaient totalement ce qu'ils avaient appris le dimanche précédent. On institua alors les cours du soir. Commencés au Refuge, ils se tinrent plus régulièrement à la Maison Moretta, et mieux encore dès que l'on put s'établir de façon stable au Valdocco. Les cours du soir avaient deux bons résultats: ils incitaient les jeunes gens à venir s'instruire de la bonne langue: ce dont ils ressen­taient un grand besoin ; en même temps on avait toute facilité de les instruire de la religion et c'était là le but (essentiel) de notre sollicitude.

Mais où trouver tant de maîtres alors que chaque jour il fallait ajouter de nouvelles classes ? Pour y pourvoir je me mis à faire classe moi-même à un certain nombre de jeunes gens de la ville. Je leur donnais des leçons gratuites d'italien, de latin, de français, d'arithmétique, moyennant l'engagement à venir m'aider à enseigner le catéchisme et à assurer les cours du dimanche et du soir. Mes jeunes maîtres, huit ou dix, virent leur nombre augmenter et ainsi commença la section des étu­diants.

Quand j'étais encore au Convitto Saint-François-d'Assise, j'eus parmi mes élèves Jean Coriasco, maintenant patron /157/ menuisier; Vergnano Félix, maintenant négociant en passe­menterie; Delfino Paul. Ce dernier est maintenant professeur d'école technique. Au Refuge, j'eus Melanotte Antoine, main­tenant droguiste; Melanotte Jean, pâtissier; Ferrero Félix, courtier; Ferrero Pierre, typographe ; Piola Jean, menuisier, petit patron. Vinrent se joindre à eux: Genta Louis, Mogna Victor et d'autres qui ne continuèrent cependant pas de façon stable. Je devais dépenser beaucoup de temps et beaucoup d'argent, et généralement au moment où j'en avais le plus besoin, la plupart m'abandonnaient.

A ceux-ci se joignirent d'autres messieurs de Turin, pieux et sérieux. MM. Gagliardi Joseph, quincaillier, Fino Joseph, de même profession, Ritner Victor, orfèvre et d'autres furent fidèles. Des prêtres m'aidaient spécialement pour la célébra­tion de la sainte messe, la prédication, les classes de catéchisme aux adultes.

La question des livres était une difficulté énorme. Une fois terminée (l'étude du) petit catéchisme, je n'avais plus aucun livre de texte. J'eus beau passer en revue toutes les petites Histoires Saintes qu'on utilise habituellement chez nous dans les écoles, je n'en trouvai aucune qui puisse répon­dre à mes besoins : pas assez populaires, faits mal choisis, chapitres longs et mal à-propos, c'en étaient les défauts les plus communs. Bien des faits étaient exposés de telle façon qu'ils faisaient courir un danger à la moralité des jeunes (1)9. Et puis, tous se souciaient fort peu de mettre en relief les points qui doivent servir de fondement aux vérités de la foi. On peut en dire autant de tout ce qui se rapporte au culte extérieur, au purgatoire, à la confession, à l'eucharistie, etc.

Dans le but de pourvoir à ce domaine de l'éducation que les temps appelaient absolument, je m'attelai sérieusement à rédiger une Histoire Sainte qui, simple de langue et d'un style /158/ populaire, serait de plus exempte des défauts signalés. Voilà la raison qui me poussa à écrire et à publier l'Histoire Sainte à l'usage des écoles (2)10. Je ne pouvais garantir l'élégance de l'oeuvre, mais j'ai travaillé avec une entière bonne volonté de venir en aide à la jeunesse.

Après quelques mois de classe, nous avons pu donner publiquement quelques spécimens (des résultats) de notre école du dimanche. Nos élèves furent interrogés sur toute l'his­toire sainte, la géographie qui s'y rapporte et toutes questions jugées opportunes. Les examinateurs étaient le célèbre abbé Aporti (3)11, Boncompagni, le théologien Pierre Baricco, le pro­fesseur Joseph Rayneri. Tous applaudirent cet essai.

Encouragés par les succès obtenus dans les écoles du dimanche et du soir, on ajouta à la lecture et à l'écriture les classes d'arithmétique et de dessin. C'était la première fois que, dans nos pays, se tenait ce genre d'école. Partout on en parlait comme d'une grande nouveauté. Fréquemment, de nombreux professeurs et autres personnages distingués, venaient nous rendre visite. La municipalité elle-même, avec à sa tête le commandeur Dupré, envoya une commission spé­ciale pour vérifier si les résultats, tant vantés, des cours du soir correspondaient bien à la réalité. Ils posaient eux-mêmes des questions sur la prononciation, la comptabilité, la décla­mation. Ils ne pouvaient s'expliquer [que les jeunes gens], tout à fait illettrés jusqu'à dix-huit et même vingt ans, puissent, en quelques [mois], progresser de telle façon en éducation et en instruction. A la vue du nombre imposant de jeunes adultes qui, le soir, venaient s'instruire au lieu de courir les rues, ces messieurs repartirent enthousiasmés. Ils en firent un rapport devant la municipalité au complet qui nous octroya, à titre de récompense, une annuité de trois cents francs. Elle /159/ nous fut versée jusqu'en 1878 quand, on ne sait trop pourquoi, ce subside nous fut enlevé et donné à une autre institution.

En ce temps, le chevalier Gonella, dont le zèle et la charité laissèrent à Turin une glorieuse et impérissable mémoire, était directeur de l'oeuvre de l'École des indigents (4)12. Plusieurs fois il vint, lui aussi, nous rendre visite. L'année suivante (1847), il introduisit les mêmes cours et adopta les mêmes méthodes dans l'oeuvre qui lui était confiée. De plus, après un rapport détaillé, qu'il fit aux administrateurs de cette oeuvre, à l'unani­mité ils allouèrent un prix de mille francs à nos écoles. Le conseil municipal emboîta le pas et en peu d'années les écoles du soir se propagèrent dans toutes les principales villes du Pié­mont.

Un autre besoin se fit jour, celui d'un livre de prières adapté à notre époque. I1 y en a (certes) d'innombrables. Rédi­gés par des plumes expertes ils sont entre toutes les mains. Mais, en général, ces livres sont faits pour des personnes culti­vées, des adultes, et ils peuvent aussi bien servir pour les catholiques, les juifs et les protestants (5)13. Voyant comment l'hérésie se glissait chaque jour plus insidieusement, je me suis mis en devoir de rédiger un livre adapté à la jeunesse, en rapport avec ses idées religieuses, appuyé sur la Bible, et expo­sant, avec autant de clarté que de brièveté, les fondements de la religion catholique. Ce fut La Jeunesse instruite (6)14.

Il me fallait quelque chose de semblable pour l'enseigne­ment de l'arithmétique et du système métrique. Sans doute le système métrique n'était pas obligatoire jusqu'en 1850, mais /160/ on commença à l'introduire dans les écoles en 1846 (7)15. Même introduit légalement dans les écoles, il n'y avait pas de livre de texte. J'y ai pourvu par un opuscule: Le système métrique réduit à sa plus simple expression, etc.



Maladie. - Guérison. - Projet d'établissement au Valdocco.


Les nombreux engagements que j'avais dans les prisons. à l'hôpital Cottolengo, au Refuge, à l'Oratoire et dans les clas­ses, faisaient que, pour rédiger les opuscules dont j'avais abso­lument besoin, je devais travailler la nuit (1)16. En conséquence, ma santé, déjà précaire par elle-même, se détériora à un teI point que les médecins me conseillèrent de suspendre toute occupation. Le théologien Borelli, qui m'aimait beaucoup. m'envoya, pour mon bien, passer quelque temps chez le curé de Sassi. Je me reposais pendant la semaine et le dimanche j'allais travailler à l'Oratoire. Mais ce n'était pas suffisant. Les garçons venaient me voir en foule et ceux du village se joigni­rent à eux. Si bien que j'étais plus dérangé qu'à Turin et je compliquais terriblement la vie de mes petits amis.

Et ce n'était pas seulement ceux qui fréquentaient l'Ora­toire qui accouraient, tous les jours peut-on dire, à Sassi. mais même les élèves des Frères des Écoles chrétiennes. Parmi bien /161/ d'autres, voici un épisode vécu. A l'école Sainte-Barbe on don­nait alors une retraite aux élèves de cet établissement dirigé par ces mêmes religieux. Habitués à se confesser à moi en grand nombre, ces enfants vinrent en groupe me chercher à l'Oratoire lorsque la retraite toucha à sa fin. Ne m'y ayant pas trouvé, ils partirent pour Sassi, distant de quatre kilomètres de Turin. Il pleuvait. Ne connaissant pas le chemin, ils erraient par les prés, les champs, les vignes, à la recherche de Don Bosco. Ils arrivèrent enfin, au nombre d'environ quatre cents, tous épuisés par la route et la faim, trempés de sueur, tout crottés, couverts de boue et demandèrent à se confesser. « Nous avons fait la retraite, disaient-ils, désirant devenir de bons garçons, nous voulons tous faire une confession générale et nous sommes venus ici avec la permission de nos supé­rieurs. »

Je leur dis de retourner au plus tôt au collège pour tirer de leurs transes maîtres et parents, mais ils répondirent obsti­nément qu'ils voulaient se confesser. Entre le (prêtre) institu­teur, le curé, le vicaire et moi on en confessa le plus possible. Mais il aurait fallu une quinzaine de confesseurs.

Et puis comment restaurer cette foule, ou mieux, apaiser (quelque peu) son appétit ? Le bon curé (c'est l'actuel théolo­gien Abbondioli) donna à ces voyageurs tout son garde­manger: pain, polenta, haricots, riz, pommes de terre, fro­mage, fruits, tout fut préparé et servi.

Imaginez la déception des prédicateurs, des maîtres, des quelques personnages invités à assister à la clôture de la retraite, lorsqu'à la messe et pour la communion générale il ne se trouva pas un seul élève dans le collège! Ce fut une belle confusion. Et l'on pourvut de manière efficace à ce que cela ne se reproduise plus.

Lorsque je revins à la maison, j'étais à bout de forces et l'on me porta au lit. La maladie se précisa; c'était une bron­chite avec toux et violente inflammation. Au bout de huit jours on crut ma fin toute proche. J'avais reçu le saint Viatique et l'extrême-onction. Il me sembla qu'en ce moment j'étais prêt à mourir. Je regrettais d'abandonner mes jeunes gens, /162/ mais j'étais content de finir mes jours après avoir donné une forme stable à l'Oratoire.

La nouvelle de la gravité de ma maladie s'étant répandue, ce fut une consternation générale. Elle était si vive qu'on n'eût pu en imaginer de plus grande. A chaque instant des bandes de garçons, en larmes, venaient frapper à la porte demandant des nouvelles de mon mal. Plus on leur en donnait, plus ils en demandaient. J'entendais leurs dialogues avec mon domes­tique et j'en étais ému. Je sus par après ce que l'affection avait fait faire à mes jeunes. Spontanément ils priaient, jeûnaient, assistaient à des messes, communiaient. Ils se relayaient pour passer la nuit et le jour en prière devant l'image de Marie Consolatrice. Le matin ils allumaient spécialement des cierges et, jusque tard dans la soirée, ils venaient en nombre impor­tant prier et conjurer l'auguste Mère de Dieu de bien vouloir leur conserver leur pauvre Don Bosco.

Plusieurs firent voeu de réciter le rosaire en entier pendant un mois, d'autres pendant un an, quelques-uns pendant toute la vie. Il y en eut qui promirent de jeûner au pain et à l'eau pendant des mois, des années et même toute leur vie. Je sais que plusieurs apprentis maçons jeûnèrent au pain et à l'eau des semaines entières sans pour autant rien relâcher de leur pénible travail, du matin au soir. Et même, s'ils avaient quel­que peu de temps libre, ils allaient en toute hâte le passer devant le Très Saint Sacrement.

Dieu les écouta. Un samedi soir on croyait que cette nuit serait pour moi la dernière de ma vie. C'était l'avis des méde­cins venus en consultation. J'en étais persuadé moi aussi, car je me trouvais totalement privé de forces en raison d'hémorra­gies continuelles. Assez tard dans la nuit j'eus envie de dormir. Le sommeil s'empara de moi et je m'éveillai hors de danger. Le docteur Botta et le docteur Caffasso venus me voir le matin me dirent d'aller remercier la Madone de la Consolata pour la grâce reçue.

Mes enfants ne voulaient rien en croire tant qu'ils ne m'auraient pas vu. De fait, ils me virent peu après, appuyé sur ma canne, me rendant à l'Oratoire avec l'émotion que chacun peut imaginer mais non pas décrire. On y chanta un /163/ Te Deum. Mille acclamations (fusèrent) dans un enthousiasme indescriptible.

Une des premières choses que je fis, ce fut de commuer en actes réalisables les voeux et les promesses que beaucoup avaient faits sans trop de réflexion au moment où ma vie était en péril.

Cette maladie me frappa au début de juillet 1846, juste­ment quand je devais quitter le Refuge et m'installer ailleurs.

J'allai passer quelques mois de convalescence en famille, chez moi, à Murialdo (2)17. J'aurais prolongé davantage mon séjour au pays natal, mais les enfants commencèrent à venir me voir par bandes, à tel point qu'il n'était plus possible de jouir de quelque repos et d'être tranquille. Tous me conseil­laient de passer au moins quelques années hors de Turin, en un lieu ignoré, pour essayer de reconquérir ma santé première. Don Caffasso et l'archevêque étaient de cet avis. Mais comme cela me causait trop de chagrin, on me permit de venir à l'Oratoire avec obligation de ne plus participer, pendant deux ans, ni aux confessions, ni aux prédications. J'ai désobéi. Revenu à l'Oratoire, j'ai continué à travailler comme avant et, pendant vingt-sept ans (3)18, je n'ai eu besoin ni de médecins ni de médicaments. Cela m'a convaincu que ce n'est pas le travail qui ruine la santé du corps.



L'Oratoire élit définitivement domicile au valdocco.


Après quelques mois de convalescence en famille, je me crus capable de retourner auprès de mes chers enfants. Plu- /164/ sieurs venaient chaque jour me voir ou m'écrivaient m'inci­tant à revenir vite parmi eux. Mais où loger, puisque j'étais congédié du Refuge ? Avec quels moyens entretenir une aeuvre qui devenait chaque jour plus fatigante et plus coûteuse ? De quoi pourrais-je vivre, moi et avec moi les personnes qui m'étaient indispensables ?

A ce moment deux chambres devinrent libres dans la maison Pinardi. Je les louai pour y habiter avec ma mère. « Maman, lui dis-je un jour, je devrais aller habiter au Val­docco. Mais, vu la qualité des gens qui occupent cette maison, je ne puis prendre avec moi d'autre personne que vous. » Elle comprit l'importance de mes paroles et répondit aussitôt: « Si tu penses que c'est le bon plaisir du Seigneur, je suis prête à partir sur-le-champ. » Ma mère faisait un grand sacrifice. En famille, sans même être très aisée, elle était la maîtresse de tout, elle était aimée de tous. Petits et adultes la considéraient comme une reine.

Nous expédiâmes par avance quelques objets de première nécessité. Avec ce qu'il y avait au Refuge, on les dirigea sur notre nouvelle habitation. Ma mère remplit un panier de linge et autres objets indispensables. Je pris mon bréviaire, un mis­sel, les quelques [livres] et cahiers les plus nécessaires. C'était toute notre fortune. Nous partîmes à pied des Becchi pour Turin. Nous fimes une courte halte à Chieri et le soir du 3 novembre 1846 nous arrivâmes au Valdocco (1)19.

A nous voir dans ces chambres dépourvues de tout, ma mère dit en plaisantant: « Chez moi, j'avais tant de soucis pour administrer, pour commander. Ici je suis plus tranquille, je n'ai plus rien à manier, plus personne à commander. »

Mais comment vivre, comment manger, comment payer son terme et subvenir aux besoins d'un tas d'enfants qui, à tout moment, demandaient du pain, des chaussures, des habits /165/ ou des chemises, ce sans quoi ils ne pouvaient se rendre au travail ? Nous avions fait venir de chez nous un peu de vin, de maïs, de haricots, de grain et choses semblables. Pour faire face aux premières dépenses, j'avais vendu un lopin de terre et une vigne. Ma mère s'était même fait apporter son trousseau de noces, qu'elle avait jusqu'alors jalousement gardé entier. Quelques-uns de ses vêtements servirent à faire des chasubles ; avec le linge on fit des amicts, des purificatoires, des surplis, des aubes et des nappes d'autel. Tout passa par les mains de madame Marguerite Gastaldi (2)20, qui depuis cette époque pre­nait sa part des besoins de l'Oratoire.

Ma mère avait aussi un anneau (de mariage), une petite chaîne d'or. Elle les vendit bien vite pour acheter des galons et des garnitures pour les ornements sacrés. Un soir, ma mère, toujours de bonne humeur, me chantait en riant :

Malheur au monde s'il se moque de nous, étrangers qui n'avons pas un sou!

Une fois réglées en quelque façon les affaires domestiques, je louai une autre chambre que je destinai à devenir une sacris­tie. Comme nous ne pouvions pas avoir de local pour les classes, je dus les faire pendant quelque temps à la cuisine ou dans ma chambre. Mais les élèves, fleur de polissons, ou bien abîmaient tout. ou mettaient tout sens dessus dessous. On commença à faire quelques classes à la sacristie, derrière l'autel ou en d'autres endroits de l'église. Mais les éclats de voix, les chants, les allées et venues des uns dérangeaient ce que les autres voulaient faire. Quelques mois plus tard on put louer deux autres chambres et. par suite, mieux organiser nos cours du soir (3)21. Durant l'hiver 1846-1847, nos classes obtinrent /166/ d'excellents résultats, comme je l'ai dit plus haut. Elles comp­taient en moyenne trois cents élèves chaque soir. En plus des matières scientifiques, nous avions, pour animer nos classes, le plain-chant et la musique vocale, qui, chez nous, furent toujours en honneur.



Règlement pour les Oratoires. - Compagnie et fête de saint Louis.

Visite de Mgr Fransoni.


Une fois solidement implantes au Valdocco, je me préoc­cupai de toute mon âme de pourvoir à ce qui pouvait assurer l'unité d'esprit, de discipline et d'administration. En premier lieu j'élaborai un règlement où je codifiai tout simplement ce qui se pratiquait à l'Oratoire en vue d'instaurer une unité d'action (1)22. Comme il fut imprimé à part, chacun peut le lire à son gré. Le bienfait de ce petit règlement fut considérable. Chacun savait ce qu'il avait à faire. Comme j'avais l'habitude de laisser à chacun la responsabilité de sa charge, chacun aussi s'ingéniait à bien connaître sa tâche pour la bien remplir. Évê­ques et curés me le demandèrent. Ils l'étudièrent et l'adoptè­rent pour implanter l'oeuvre des patronages dans les régions et les villes de leurs diocèses respectifs.

Ainsi les bases organiques de discipline et d'administra­tion de l'Oratoire étaient assurées. Il fallait maintenant pro­mouvoir la piété à l'aide de pratiques stables et uniformes. Ce /167/ fut fait par l'institution de la compagnie de Saint-Louis (2)23. J'en élaborai le règlement selon les normes qui me parurent les mieux adaptées pour la jeunesse. Je les présentai à l'arche­vêque qui les lut et les communiqua à d'autres avec mission de les étudier et de lui en rendre compte. Finalement il en fit l'éloge, les approuva et concéda certaines indulgences en date du [ 12 avril 1847] (3)24.

On peut lire ce règlement en tiré à part.

La compagnie de Saint-Louis suscita un grand enthou­siasme parmi nos jeunes. Tous voulaient s'y inscrire. Pour cela deux conditions étaient nécessaires: donner le bon exem­ple à l'église et au dehors ; éviter les mauvais propos et fré­quenter les sacrements. De là une sensible amélioration des bonnes mceurs.

Pour inciter tous les jeunes à célébrer les six dimanches (préparatoires à la fête) de saint Louis, on acheta une statue du saint, on fit faire une bannière, et l'on donna aux garçons la possibilité de venir se confesser à n'importe quelle heure du jour, du soir et de la nuit. Et comme presque aucun d'entre eux n'avait reçu la confirmation, on les y prépara pour la fête de saint Louis. Immense affluence! On put cependant les y /168/ préparer grâce au concours de divers ecclésiastiques et laics. Tout était en place pour le jour de la fête. C'était la première [fois] qu'une telle cérémonie se déroulait à l'Oratoire et c'était aussi la première fois que l'archevêque venait nous rendre visite.

Devant la petite chapelle on installa une sorte de pavillon où l'on reçut l'archevêque. Je lus quelques mots de circons­tance. Quelques jeunes gens présentèrent une courte comédie intitulée: Un caporal de Napoléon. Ce n'était autre chose qu'une caricature de caporal qui, pour exprimer son admiration devant cette solennité, se livrait à mille facéties. On rit beaucoup. Le prélat se divertit agréablement et confia n'avoir jamais tant ri de sa vie. Il voulut répondre à tous et exprimer la grande consolation que lui causait cette institution. I1 en fit l'éloge en nous encourageant à persévérer, et il remercia pour l'accueil cordial que nous lui avions ménagé.

Il célébra la sainte messe durant laquelle il distribua la communion à plus de trois cents jeunes gens ; puis il donna la confirmation. Ce fut en cette occasion que l'archevêque. au moment où on lui imposait la mitre, ne réfléchissant pas q u 'il n'était pas dans sa cathédrale, releva vivement la tête et heurta le plafond de l'église. L'incident le fit bien rire ainsi que tous les assistants (4)25. L'archevêque aimait à rappeler très souvent cet épisode, évoquant ces réunions que l'abbé Rosmini compa­rait à celles qui se tiennent dans les pays et les églises de mis­sion.

Il est bon de noter que, à cette cérémonie, participèrent deux chanoines de l'église métropolitaine comme assistants de l'archevêque, ainsi que de nombreux autres ecclésiastiques. A la fin on en dressa une sorte de procès-verbal, où l'on notait le nom de celui qui avait conféré le sacrement, le nom et le prénom du parrain avec l'indication des jour et lieu. On recueillit ensuite les certificats qui, répartis selon les diverses paroisses (des confirmés), furent remis à l'archevêché pour être transmis aux curés concernés. /169/



Débuts de l'internat. - Premières inscriptions déjeunes gens.


Pendant que se mettaient en place les moyens de faciliter l'instruction religieuse et littéraire (des jeunes), un autre besoin, immense, nous apparaissait. I1 requérait des mesures urgentes. Beaucoup de jeunes, turinois ou étrangers, [étaient] pleinement désireux de mener une vie honnête et laborieuse. Maïs, encouragés à s'y adonner, ils répondaient qu'ils n'avaient ni pain, ni vêtements, ni logement où trouver un abri, du moins pendant quelque temps. Pour en loger au moins quelques-uns qui ne savaient où se réfugier le soir, on avait préparé un fenil où l'on pouvait passer la nuit sur un peu de paille. Mais, à plusieurs reprises, les uns déguerpirent avec les draps, d'autres avec les couvertures. Finalement la paille elle-même fut enlevée et vendue.

I1 advint (un jour) que, par une pluvieuse soirée de mai, très tard, un jeune homme d'une quinzaine d'années se pré­senta, trempé jusqu'aux os. Il demandait pain et asile. Ma mère l'accueillit dans la cuisine, l'installa près du feu, et, pen­dant qu'il se réchauffait et faisait sécher ses habits, elle lui donna potage et pain pour se restaurer. Pendant ce temps je lui demandai s'il était allé à l'école, s'il avait ses parents; quel métier il exerçait. II me répondit : « Je suis un pauvre orphelin venu de Val di Sesia pour chercher du travail. J'avais trois francs, ils ont été dépensés avant que je puisse en gagner d'au­tres. Maintenant je n'ai plus rien et ne suis rien pour personne. - As-tu déjà fait ta première communion ?

- Non, pas encore.

- Et la confirmation ?

- Je ne l'ai pas encore reçue.

- Es-tu déjà allé te confesser'

- J'y suis allé quelquefois.

- Et maintenant, où comptes-tu aller ?

- Je ne sais pas. Je demande, par charité, de pouvoir pas­ser la nuit en quelque coin de cette maison. »

A ces mots, il se mit à pleurer. Ma mère aussi pleurait. J'étais ému : « Si je savais que tu n'es pas un voleur, j'essaierais de t'arranger. Mais d'autres m'ont emporté une partie de mes couvertures et toi tu pourrais bien m'emporter le reste.

- Oh non, monsieur! Soyez tranquille. Je suis pauvre mais je n'ai jamais rien volé.

- Si tu veux, reprit ma mère, je l'installerai pour cette nuit, et demain Dieu pourvoira!

-Où?

- Ici, dans la cuisine.

- I1 va vous emporter même les casseroles.

- Je veillerai à ce que ça n'arrive pas.

- Allez-y.

La bonne dame, aidée par l'orphelin, sortit donc, ramassa quelques briques et, dans la cuisine, en fit quatre supports, y posa quelques planches sur lesquelles elle mit une paillasse. Ainsi elle prépara le premier lit de l'Oratoire. Et puis ma bonne maman lui fit un petit sermon sur la nécessité du travail, de la probité, de la religion. Enfin elle l'invita à réciter ses prières. « Je ne les sais pas, répondit-il.

- Tu les réciteras avec nous, » lui dit-elle. Ainsi fut fait.

Puis, pour que tout soit en sûreté, on ferma la cuisine à clef pour ne l'ouvrir qu'au matin.

Ce fut le premier garçon de notre internat (1)26. Un autre vint bientôt se joindre à lui, puis d'autres. Mais cette année, par manque de place, nous dûmes nous limiter à deux (2)27. C'était au cours de l'année 1847. /171/

Comme je m'apercevais que, pour beaucoup d'enfants, toute fatigue demeurait inutile si on ne leur trouvait pas un gîte, je m'empressai de louer d'autres chambres, puis d'autres encore, même à des prix exorbitants. Ainsi, en plus de l'inter­nat, on put commencer des cours de plain-chant et de musique vocale.

C'était la première fois (1845) qu'existaient des cours publics de musique, la première fois que la musique était enseignée en classe à de nombreux élèves à la fois. Aussi l'af­fluence fut extraordinaire. Des maîtres fameux comme Rossi Louis, Blanchi Joseph, Cerutti, le chanoine Louis Nasi, venaient à l'envi assister à toutes mes leçons. C'était en contra­diction avec l'évangile qui dit que l'élève n'est pas au-dessus du maître, alors que moi, qui ne savais pas la millionième partie de ce que savaient ces célébrités, je jouais au savant au milieu d'eux. Ils venaient d'ailleurs pour voir comment fonc­tionnait la nouvelle méthode, la même qu'aujourd'hui nous employons dans nos maisons. Jadis tout élève qui désirait apprendre la musique devait trouver un maître qui lui donne des leçons particulières.



L'Oratoire Saint-Louis. - La maison Moretta. - Le ter­rain du séminaire.


Plus on se préoccupait de promouvoir la formation sco­laire, plus le nombre des élèves grandissait. Aux jours fériés on n'en pouvait accueillir qu'une partie soit à l'église pour les cérémonies, soit dans la cour pour les récréations. Alors, tou­jours en accord avec le théologien Borelli, afin de pourvoir à ce besoin croissant, on ouvrit un nouvel Oratoire dans un autre quartier de la ville. Dans ce but, on loua une petite /172/ maison à Porta-Nuova, Avenue Royale, dite communément Avenue des Platanes, en raison des arbres qui la bordaient ! (1)28.

Pour avoir cette maison il fallut mener une lutte très acharnée contre les occupants. C'étaient plusieurs lavandières. qui crurent venue la fin du monde dès lors qu'il s'agissait pour elles de devoir quitter leur vieille demeure. Prises par les senti­ments et moyennant quelque indemnité, on put entrer en com­position sans que les belligérants en viennent aux hostilités.

Le local et le jardin destiné à la récréation appartenaient à M. Vaglienti, qui, dans la suite, laissa comme héritier le chevalier Joseph Truvano. Le loyer était de quatre cent cin­quante francs. Cet Oratoire prit le nom de Saìnt-Louis-de­Gonzague, nom qui est resté jusqu'à présent.

Nous en fîmes l'inauguration, le théologien Borelli et moi, le jour de l'Immaculée-Conception 1847. Ce fut une extraordinaire affluence d'enfants qui éclaircirent ainsi les files trop compactes de ceux du Valdocco (2)29. La direction de cette ceuvre fut confiée au théologien Jacinthe Carpano, qui y tra­vailla bénévolement durant quelques années. Le règlement rédigé pour l'institut du Valdocco fut appliqué à celui de Saint­Louis, sans aucune modification.

La même année, pour abriter une foule de garçons en quête d'un gîte, on acheta toute la maison Moretta. Mais quand nous nous mîmes à l'oeuvre pour l'adapter à nos besoins, on s'aperçut que les murs ne tenaient pas. On préféra alors la revendre, d'autant plus qu'on nous en offrait un prix très avantageux.

Nous fîmes alors l'acquisition d'une journée de terrain (trente-huit ares) appartenant au séminaire de Turin. C'est là que par la suite fut construite l'église de Marie-Auxiliatrice et le bâtiment où se trouvent actuellement les ateliers de nos apprentis. /173/



1848. - Accroissement du nombre des apprentis.

Pro­gramme de leurs journées. - Le petit mot du soir.

Pri­vilèges accordés par l'archevêque. - Retraite.


Cette année-là, sur la scène politique et dans la conscience publique se jouait un drame dont l'issue ne peut encore se prévoir. Charles-Albert avait concédé la Constitution (1)30. Beaucoup s'imaginèrent qu'avec cette constitution, on avait aussi concédé la liberté d'agir bien ou mal, à sa guise. Cette façon de penser s'appuyait sur le fait de l'émancipation des juifs et des protestants. Cela étant, prétendait-on, il n'y avait plus à distinguer entre catholiques et (gens) d'autres confes­sions. C'était vrai politiquement parlant, ça ne l'était pas sur le terrain de la religion (2)31.

En même temps, une sorte de frénésie s'empara des esprits des jeunes gens eux-mêmes. Rassemblés aux quatre coins de la ville, dans les rues, sur les' places, ils jugeaient de bon goût tout affront fait aux prêtres ou à la religion. Je fus assailli plusieurs fois, soit chez moi soit dans la rue. Un jour, pendant que je faisais le catéchisme, une balle d'arquebuse pénétra par une fenêtre, traversa ma soutane entre le bras et la poitrine, et endommagea sérieusement le mur (opposé). Une autre fois, un individu bien connu, s'élança sur moi, un couteau à la main, alors qu'en plein jour je me trouvais au milieu d'un groupe d'enfants. C'est un miracle que j'aie pu m'en tirer en courant de toutes mes jambes me réfugier dans ma chambre. Le théologien Borelli put, lui aussi, échapper on ne sait com­ment à un quidam qui, le prenant pour un autre, déchargea sur lui son pistolet et brandit son poignard. C'était très difficile de mater cette jeunesse déchaînée. Au milieu d'une telle per­version d'opinions et d'idées, alors qu'on eut bien de la peine à trouver d'autres chambres, le nombre des apprentis aug­- /174/ menta. On en eut jusqu'à quinze, tous plus abandonnés et plus exposés les uns que les autres. 1847.

Une grande difficulté surgissait alors. Nous n'avions encore aucun atelier dans la maison. Nos élèves allaient au travail ou aux cours à Turin, et cela au grand préjudice des bonnes moeurs. Les compagnons qu'ils rencontraient, les conversations qu'ils entendaient, ce qu'ils voyaient, tout cela rendait vain ce que nous pouvions faire ou dire à l'Oratoire. C'est alors que je commençai à leur adresser une brève exhor­tation, le soir, après les prières (3)32. Son but était d'exposer ou de confirmer quelque vérité (de la foi) qui, d'aventure, aurait pu être contredite durant la journée.

Ce qui se passait chez les apprentis était aussi à déplorer chez les étudiants. Selon les diverses classes auxquelles ils appartenaient, il fallait les envoyer (ceux des classes de gram­maire) chez le professeur Joseph Bonzanino ; les rhétoriciens chez le professeur Don Matteo Picco. Ces cours étaient excel­lents, mais l'aller et le retour étaient semés d'embûches. En 1856 les classes et les ateliers furent fort avantageusement et définitivement établis chez nous, à l'Oratoire.

A cette époque-là se fit jour une telle perversion d'idées et de moeurs, que je ne pouvais plus me fier aux personnes de service (4)33. Ma mère et moi faisions tous les travaux domesti­ques. La cuisine, la préparation de la table, le balayage, aussi bien que couper du bois, tailler et confectionner des culottes, /175/ des chemises, des pantalons, des vestes, des essuie-mains, des draps et faire toutes les réparations nécessaires, relevait de ma compétence. Tout cela comportait, de plus, un énorme avan­tage moral. Tandis que je leur distribuais du pain, du potage ou autres choses, je pouvais fort aisément adresser un conseil ou un mot d'amitié aux jeunes gens.

Et puis, j'éprouvai la nécessité d'avoir à l'Oratoire quel­qu'un qui puisse m'aider dans les travaux de la maison ou de l'école. Je commençai alors à emmener avec moi quelques (élèves) soit à la campagne, soit en villégiature à Castelnuovo, mon pays natal. J'en invitai certains à dîner avec moi, d'autres venaient le soir pour lire ou écrire quelque temps, ceci toujours dans le but de les immuniser contre les idées empoisonnées du jour. Je fis ainsi, avec plus ou moins de fréquence, de 1841 à 1848. J'utilisais aussi tous les moyens pour atteindre un but bien particulier que je m'étais fixé : étudier, connaître, sélec­tionner certains jeunes qui aient quelque aptitude et quelque disposition à mener une vie commune, puis les prendre avec moi, à la maison.

Dans le même but, cette année-là (1848), je fis l'expérience d'une petite session d'exercices spirituels. J'accueillis une cin­quantaine (de jeunes) à l'Oratoire: ils mangeaient tous avec moi ; mais comme il n'y avait pas de lits pour tous, une partie d'entre eux allait dormir en famille et revenait le lendemain matin. Ces allées et venues, matin et soir, faisaient planer un risque sur ce qu'on était en droit d'attendre des sermons et instructions que l'on donne à cette occasion. (Les entretiens) commençaient le dimanche soir et prenaient fin le samedi soir. Ce fut une bonne réussite (5)34. Beaucoup, pour qui on avait /176/ longuement travaillé en pure perte, s'engagèrent pour de vrai dans une vie vertueuse. Plusieurs se firent religieux. D'autres demeurèrent dans le monde mais devinrent des modèles d'as­siduité dans les patronages. Je compte parler de tout cela spé­cialement dans l'histoire de la Société Salésienne.

Ce fut encore cette année que plusieurs curés, notamment ceux de Borgodora, du Carmel et de Saint-Augustin, allèrent de nouveau se plaindre auprès de l'archevêque de ce qu'on administrait les sacrements dans nos Oratoires. L'archevêque en prit occasion pour mander un décret aux termes duquel il nous concédait ample faculté de préparer et de présenter les enfants à recevoir la confirmation, la sainte communion, faculté aussi de satisfaire (chez nous) au devoir pascal pour tous ceux qui fréquentaient nos ceuvres. Il renouvelait aussi la permission d'accomplir toute cérémonie religieuse que l'on accomplit d'habitude dans les paroisses. « Ces églises, disait l'archevêque, serviront d'église paroissiale pour ces enfants, étrangers et abandonnés pour toute la durée de leur séjour à Turin (6)35. »


10º


Progrès des cours de musique. - Procession à la Conso­lata.

Subsides accordés par la ville et « L'Œuvre-des­ Indigents ».

Le Jeudi Saint. - Le lavement des pieds.


Les dangers que rencontraient les jeunes gens dans le domaine de la religion ou des bonnes moeurs, exigeaient de gros efforts de protection. Aux cours du soir et à ceux de la journée, aux leçons de musique vocale, on jugea bon d'adjoin­dre des cours de piano, d'orgue et même de musique instru­mentale. Je me trouvais donc maître de musique vocale et instrumentale, de piano et d'orgue, sans même en avoir été /177/ vraiment élève. La bonne volonté tenait lieu de tout. Quand quelques (garçons aux) voix jeunes et belles furent bien prépa­rés, ils commencèrent à participer aux cérémonies à l'Oratoire, puis à Turin, à Rivoli, à Moncalieri, Chieri, et autres lieux. Le chanoine Louis Nasi, Don Michelange Chiatellino, se prê­taient de très bon gré à exercer et à accompagner nos musiciens et à les diriger dans les cérémonies publiques en diverses locali­tés. Comme jamais encore on n'avait entendu, aux tribunes (de nos églises), des voix argentines en solos, duos et choeurs, il y avait là une telle nouveauté que partout on parlait de notre groupe musical, et c'était à qui inviterait nos (petits) chanteurs pour les diverses solennités. Le chanoine Louis Nasi et Don Chiatellino Michelange étaient généralement les accompagna­teurs de notre société philarmonique embryonnaire.

Chaque année nous allions, en pèlerinage, célébrer la messe à la Consolata. Cette année-ci, nous nous y rendîmes en procession depuis l'Oratoire. Les chants, en cours de route, la musique, à l'église, attirèrent une foule innombrable. On célébra la messe, et, après la communion, je fis un petit sermon de circonstance dans la crypte. Pour terminer, les Oblats de Marie nous servirent à l'improviste un merveilleux petit déjeuner dans les cloîtres du sanctuaire. Ce faisant, on brisait le respect humain et on rassemblait des jeunes gens à qui, au moment opportun et avec grande prudence, on inculquait un esprit de (saine) moralité, de respect des autorités, et que l'on amenait à fréquenter les sacrements. En tout cas, de telles innovations faisaient grand tapage.

Cette année encore, la municipalité de Turin envoya une autre délégation composée du chevalier Pierre Ropolo del Capello, dit Moncalvo, et du commandeur Dupré, pour véri­fier (le bien-fondé) de ce que la rumeur publique colportait vaguement. (Ces messieurs) furent très satisfaits, et, sur un rapport dûment rédigé, on nous décerna une prime de mille francs accompagnés d'une lettre très flatteuse. A partir de cette année, la municipalité nous alloua un subside annuel qui fut payé jusqu'en 1878, année où on nous retira les trois cents francs que les sages administrateurs (municipaux) de Turin virèrent au profit de l'éclairage d'une école du soir (créée) en faveur des enfants du peuple. /178/

L'OEuvre-des-Indigents, qui, adoptant notre méthode, avait ouvert elle aussi des cours du soir et des classes de musi­que, envoya à son tour une délégation dirigée par le chevalier Gonella, en visite chez nous. En signe de satisfaction ils nous firent parvenir une autre prime de mille francs.

Le Jeudi Saint, chaque année, nous avions l'habitude d'al­ler en groupe visiter les reposoirs. Mais en raison de certains quolibets qu'on peut dire méprisants, beaucoup n'osaient plus se joindre à leurs compagnons. Pour encourager toujours plus nos jeunes à fouler aux pieds le respect humain, cette année, pour la première fois, on alla faire ces visites en procession au chant du Stabat Mater et du Miserere en musique. On vit alors, tout au long de la procession, des jeunes gens de tout âge et de toute condition, rivaliser à qui mieux mieux pour se joindre à nos rangs. Tout se passa dans l'ordre et la tranquilli­té (1)36.

Le soir on fit, pour la première fois, la cérémonie du Lavement des pieds. On choisit à cet effet douze garçons que l'on appelle habituellement les douze apôtres. Après la céré­monie rituellement accomplie, j'adressai une petite exhorta­tion morale aux assistants. Puis les douze apôtres furent invi­tés tous ensemble à un souper frugal. Chacun reçut ensuite un petit cadeau, que, tout heureux, il porta à la maison.

Cette année également, on érigea régulièrement un che­min de croix et on en bénit les stations en grande solennité. A chaque station on prononçait un petit mot (d'explication) suivi d'un motet en musique sur le même thème (2)37.

Ainsi s'affermissait de plus en plus notre humble Ora­toire. Pendant ce temps se déroulaient de graves événements qui devaient changer l'aspect politique de l'Italie et peut-être du monde. /179/


11º


L'année 1849. - Fermeture des séminaires. - La mai­son Pinardi. –

Le denier de Saint-Pierre. - Les chape­lets de Pie IX.

L'Oratoire de l'Ange Gardien. - Visite de députés.


Cette année est vraiment mémorable. La guerre du Pié­mont contre l'Autriche, déclenchée l'année précédente, avait bouleversé toute l'Italie. Les écoles publiques suspendirent leurs cours ; les séminaires, spécialement ceux de Chieri et de Turin, furent fermés et occupés par l'armée. Ainsi, les sémina­ristes de notre diocèse ne trouvèrent plus ni maîtres ni locaux pour les accueillir. Ce fut alors que, pour nous donner au moins la consolation d'avoir fait tout le possible pour atténuer les misères publiques, on loua toute la maison Pinardi. Les locataires jetèrent les hauts cris. Ils menacèrent et moi, et ma mère et le propriétaire. Il fallut consentir un grand sacrifice pécuniaire, mais nous obtînmes que tout le bâtiment soit mis à notre disposition (1)38. Ainsi ce foyer d'immoralité, qui, depuis vingt ans, était au service de Satan, resta en notre pouvoir. Il occupait tout l'emplacement qui forme aujourd'hui la cour située entre l'église de Marie-Auxiliatrice et la maison qui est au chevet.

De cette façon nous pûmes accroître le nombre de nos classes, agrandir l'église et doubler l'espace destiné aux récréa­tions. Le nombre des garçons fut alors porté à trente. Mais le but principal (de cette opération) était de pouvoir accueillir, comme il fut fait, les séminaristes du diocèse (2)39. On peut dire que la maison de l'Oratoire fut le séminaire diocésain pendant presque vingt ans. /180/

A la fin de 1848, les événements politiques contraignirent le Saint-Père, Pie IX, à quitter Rome et à se réfugier à Gaète. Ce grand pontife nous avait déjà, à maintes reprises, marqué sa bienveillance. Comme on parlait beaucoup de la détresse financière dans laquelle il se trouvait, on ouvrit alors à Turin une souscription que l'on désigna sous le nom de Denier de Saint Pierre. Une commission composée du chanoine Fran­çois Valinotti et du marquis Gustave Cavour vint à l'Oratoire. Notre quête rapporta trente-cinq francs (3)40. C'était peu de choses. Nous nous efforçâmes de la rendre agréable au Saint Père en y joignant un petit mot qui lui plut beaucoup. Il exprima sa gratitude par une lettre adressée au cardinal Anto­nucci, alors nonce à Turin et maintenant archevêque d'An­cône, en le chargeant de nous faire savoir quelle consolation lui avait procurée notre offrande et plus encore les sentiments qui l'accompagnaient. Enfin, avec sa bénédiction apostolique, il nous faisait parvenir un paquet de soixante chapelets qui furent distribués solennellement le 20 juillet de cette année : voir l'opuscule imprimé à cette occasion et différents jour­naux ; la lettre du cardinal Antonucci, alors nonce à Turin (4)41.

En raison de l'accroissement du nombre des externes qui fréquentaient les Oratoires, on dut songer à (trouver) un autre gîte. Ce fut l'Oratoire du Saint-Ange-Gardien à Vanchiglia, à peu de distance de l'endroit où, par les soins de la marquise Barolo, s'éleva depuis l'église Sainte-Julie.

Un prêtre, (Don) Jean Cocchis avait, depuis plusieurs années, fondé cette oeuvre dans un but assez semblable au nôtre. Mais, enflammé d'amour patriotique, il crut bon de former ses élèves au maniement du fusil et de l'épée pour se mettre à leur tête et marcher contre les Autrichiens. Ce qu'il fit d'ailleurs. /181/

Cet Oratoire demeura fermé une année durant. Ensuite nous l'avons pris en charge et la direction en fut confiée au théologien Jean Vola, de vénérée mémoire. Il demeura ouvert jusqu'à la fin de l'année 1871 où il fut transféré près de l'église paroissiale. La marquise Barolo fit un legs en sa faveur à la condition que le local et la chapelle soient destinés aux enfants dépendant de la paroisse, ce qui se fait encore.

A cette époque eut lieu à l'Oratoire la visite officielle d'une commission de députés et autres personnalités du ministère de l'Intérieur venus nous honorer de leur présence. Ils voulu­rent voir tout et tous. De cette visite, plutôt amicale, ils firent une ample relation à la chambre des Députés. Ce fut l'occasion d'une longue et vive discussion dont on peut voir le compte­-rendu dans la Gazette Piémontaise du 29 mars 1850. La Cham­bre des Députés octroya trois cents francs à nos jeunes gens. Urbain Ratazzi, alors ministre de l'Intérieur, nous alloua une somme de deux mille francs. On pourra consulter les docu­ments.

Je pus enfin voir un de mes élèves revêtir l'habit ecclésias­tique, Savio Ascanio, l'actuel directeur du Refuge. Ce fut le premier séminariste de l'Oratoire. Il prit la soutane à la fin de cette année (5)42.


12º


Fêtes nationales.


Un fait étrange vint, ces jours-là, troubler passablement nos réunions. On voulait que notre humble Oratoire participe aux manifestations publiques que l'on multipliait dans les vil­les et les villages sous le nom de fêtes nationales. Ceux qui y prenaient part, et voulaient par là se dire de vrais patriotes, /182/ portaient les cheveux séparés sur le front et rejetés, bouclés, en arrière, un pourpoint collant de couleurs variées, et arboraient le drapeau national, avec médaille et cocarde bleue sur­la poitrine. Ainsi attifés ils défilaient, comme en procession. en chantant des hymnes à l'unité nationale (1)43.

Le marquis Robert d'Azeglio, principal promoteur de ces manifestations, nous y invita formellement. Malgré mon refus, il nous fournit tout ce qu'il fallait pour que nous puissions y figurer honorablement. Un emplacement nous était préparé place Vittorio, à côté d'autres institutions de quelque nom, but et condition qu'elles soient. Que faire ? M'y soustraire. c'était me déclarer ennemi de l'Italie ; y consentir, cela signi­fiait l'approbation de principes dont je prévoyais les funestes conséquences (2)44. « Monsieur le marquis, répondis-je au sus­nommé d'Azeglio, ces jeunes gens, ma famille (en quelque sorte), qui se réunissent ici de toute la ville, ne sont pas une entité morale. Je ferais rire de moi si je prétendais faire mienne une institution qui n'existe que par la charité de mes conci­toyens.

- Précisément. Il faut que la charité de vos concitoyens sache que cette oeuvre naissante n'est pas contraire aux institu­tions modernes. Tout cela vous sera bénéfique : les offrandes augmenteront, la municipalité, moi-même, nous serons prodi­gues de nos largesses en votre faveur.

- Monsieur le marquis, j'ai pour règle constante de me tenir à l'écart de quoi que ce soit qui se rapporte à la politique. Jamais pour, jamais contre.

- Que voulez-vous donc faire ?

- Faire le peu de bien que je peux à des jeunes gens aban­donnés, m'employant de toutes mes forces à ce qu'ils devien­nent de bons chrétiens pour ce qui est de la religion, d'honnê­tes citoyens pour ce qui est de la société civile.

- Je comprends bien. Mais vous vous trompez. D'ailleurs si vous persistez dans cette manière de voir, vous serez aban­donné de tous et votre oeuvre deviendra inviable. I1 faut ouvrir les yeux sur le monde, le connaître et élever les institutions, anciennes ou modernes, à la hauteur des temps.

- Je vous remercie de vos bonnes intentions et des conseils que vous me donnez. Invitez-moi à quelque (engage­ment) que ce soit où un prêtre ait à exercer la charité. Vous me verrez alors prêt à sacrifier ma vie et mes biens. Mais j'entends être, maintenant et toujours, étranger à la politi­que (3)45. »

Cet illustre patricien me quitta avec satisfaction. A partir de ce jour, nous n'eûmes plus entre nous de relations d'aucune sorte. Après lui, d'autres personnalités laïques et ecclésiasti­ques m'abandonnèrent. Et même je demeurai à peu près seul après le fait que je vais raconter. /184/


13º


Un fait singulier.


Le dimanche qui suivit la fête mentionnée plus haut, à deux heures de l'après-midi, j'étais à la récréation, avec mes jeunes. Tout près, un individu lisait l'Armonia (1)46. A ce moment, des prêtres qui venaient habituellement m'aider dans le saint ministère, se présentent, en groupe, avec médaille, cocarde et drapeau tricolore et qui plus est avec un journal vraiment immoral: Opinione (2)47. L'un d'eux, très res­pectable en raison de son zèle et de sa doctrine, s'avance vers moi et, s'apercevant qu'il y avait près de moi quelqu'un qui avait en main l'Armonia, se met à dire: « Quelle honte! Il est temps d'en finir avec ces mièvreries. » Ce disant, il lui arrache la feuille des mains, en fait mille morceaux, les jette par terre, crache dessus, les écrase et les piétine avec acharnement. Après ce premier éclat de ferveur patriotique, il s'avance vers moi : « Ça, c'est un bon journal, me dit-il en me mettant devant le nez l'Opinione. Tous les vrais et honnêtes citoyens devraient lire celui-là et nul autre. »

Je restai éberlué de cette façon de parler et d'agir. Désireux de ne pas voir se multiplier les scandales en un lieu où l'on devait donner le bon exemple, je me contentai de le prier, lui et ses collègues, de venir parler de ces questions en privé, entre nous. « Non monsieur, reprit-il, il ne doit plus y avoir rien de privé ni de secret. Tout doit être mis en pleine lumière. »

A ce moment la clochette appela tout le monde à l'église. C'était justement un de ces ecclésiastiques qui devait faire une petite causerie morale à ces pauvres garçons. Cette fois-là, elle fut vraiment immorale. Liberté, émancipation, indépendance /185/ (furent les mots) qui résonnèrent pendant toute la durée du sermon (3)48.

J'étais à la sacristie, impatient de pouvoir prendre la parole et mettre un frein au désordre. Mais le prédicateur sortit de l'église aussitôt (fini le sermon) et, à peine la bénédiction avait-elle été donnée qu'il invita prêtres et jeunes gens à le suivre. Chantant à gorge déployée des hymnes nationaux, agi­tant frénétiquement le drapeau, ils se dirigèrent en cortège vers le Mont des Capucins. Là on promit solennellement de ne plus aller à l'Oratoire à moins d'y être invités et reçus selon les formes nationales.

Tout ceci se passait sans que je puisse, de quelque façon que ce soit, avancer ni raisons ni réflexions. Mais rien qui s'opposât à mon devoir ne m'effrayait. Je fis dire à ces prêtres qu'il leur était sévèrement interdit de revenir avec moi. Quant aux jeunes gens, ils durent se présenter un par un avant de réintégrer l'Oratoire. L'affaire eut pour moi un heureux résul­tat. Aucun des prêtres ne s'avisa de revenir. Les jeunes gens vinrent s'excuser, affirmant qu'on les avait trompés et promet­tant obéissance et discipline.


14º


Nouvelles difficultés. - Une consolation.

L'abbé Ros­mini et l'archiprêtre Pierre De Gaudenzi.


En tout cas j'étais seul. Les jours fériés, je devais commen­cer à confesser de bonne heure, célébrer la messe à neuf heures, /186/ puis prêcher, faire classe de chant et de langue (italienne) (1)49 jusqu'à midi. A une heure de l'après-midi: récréation, puis catéchisme, vêpres, instruction, bénédiction (du Saint­Sacrement), et ensuite récréation, 'chant et classe jusqu'à la nuit.

En semaine, je devais travailler tout au long du jour pour mes apprentis (2)50, donner des cours d'enseignement secon­daire à une dizaine de jeunes ; le soir, classe de français, d'arithmétique, de plain-chant, de musique vocale, de piano et d'orgue: voilà ce dont je devais m'occuper. Je ne sais pas comment j'ai pu tenir. Dieu m'a aidé! En ces moments-là, je trouvai un grand réconfort et un sérieux appui en la personne du théologien Borelli. Quel merveilleux prêtre! Bien que sur­chargé par les multiples occupations de son ministère, il utili­sait la moindre parcelle de son temps à me venir en aide. Il n'était pas rare de le voir dérober des heures au sommeil pour se mettre au confessionnal. Pour venir prêcher il refusait tout repos à son corps fatigué. Cette situation critique dura jusqu'à ce que je puisse être un peu soulagé par les abbés Savio, Bellia, Vacchetta. Et encore, j'en fus très vite privé. En effet, cédant aux suggestions d'autres personnes, sans même m'en parler, ils m'abandonnèrent pour entrer chez les Oblats de Marie.

L'un de ces jours fériés, je reçus la visite de deux prêtres dont je crois devoir dire les noms. Au moment de commencer le catéchisme, je me démenais pour organiser mes classes, et voici que se présentent deux ecclésiastiques qui, humbles et respectueux, venaient me féliciter et chercher des informations sur l'origine de cette institution et ses méthodes. Pour unique réponse je leur dis : « Veuillez avoir la bonté de m'aider. Vous, venez derrière l'autel, dans l'abside, vous aurez les plus grands. A vous, dis-je à l'autre, de plus haute taille, je vous confie /187/ cette classe; ce sont les plus dissipés. » M'apercevant qu'ils faisaient le catéchisme à la perfection, je demandai à l'un d'adresser un petit mot à nos garçons, et à l'autre de nous donner la bénédiction du Saint-Sacrement.

Le plus petit des deux prêtres était l'abbé Antoine Ros­mini (3)51, fondateur de l'Institut de la Charité ; l'autre était le chanoine archiprêtre De Gaudenzi, actuellement évêque de Vigevano. Depuis lors, l'un et l'autre ont toujours témoigné leur bienveillance à la maison et en sont même des bienfai­teurs.


15º


Acquisition de la maison Pinardi et de la maison Bellezza. - L'année 1850.


L'année 1849 fut épineuse, stérile, bien qu'elle nous ait coûté de grandes fatigues et d'énormes sacrifices. Mais c'était une préparation à l'année 1850, moins orageuse et beaucoup plus féconde en bons résultats. Commençons par la maison Pinardi. Ceux qui en avaient été délogés ne se tenaient pas pour battus. « N'est-il pas révoltant, disait-on à l'envi, qu'une maison destinée à l'amusement et au plaisir tombe aux mains d'un prêtre, et d'un prêtre intolérant ? »

Entre temps on avait [proposé] à Pinardi un loyer deux fois plus fort que le nôtre. Mais il avait quelque sérieux remords à accroître son profit par des moyens malhonnêtes. Aussi m'avait-il plusieurs fois fait des propositions de vente, au cas où j'aurais voulu acheter. Mais ses prétentions étaient exorbitantes. Il demandait quatre-vingt mille francs pour un bâtiment qui devait en valoir le tiers. Dieu voulut montrer qu'il est le maître des coeurs, et voici comment. /188/

Un jour de congé, pendant le sermon du théologien Borelli, je me tenais à la porte de la cour pour empêcher ras­semblements et désordres. Voici que se présente M. Pinardi. « Finissons-en! dit-il. II faut que Don Bosco achète ma mai­son.

- Finissons-en! Mais il faut que M. Pinardi me la cède pour son prix. Alors je l'achète immédiatement.

- Bien sûr que je vous la donne pour son prix.

- Combien ?

- Au prix que (vous) demanderez (1)52.

- Je ne puis faire d'offre.

- Offrez toujours.

- Je ne puis.

- Pourquoi?

- Parce que (votre) prix est exagéré. Je ne veux pas offen­ser le demandeur.

- Offrez ce que vous en voulez.

- Mais, vous me la cédez pour sa valeur ?

- Parole d'honneur que je la cède!

- Serrez-moi la main et je fais l'offre.

- De combien ?

- Je l'ai fait estimer par un ami commun. Il m'a assuré que, dans l'état actuel, elle devait se négocier entre vingt-six et vingt-huit mille francs. Et moi, pour conclure le marché, je vous en donne trente mille.

- Vous ferez bien cadeau d'une broche de cinq cents francs à ma femme ?

- Je ferai ce cadeau.

- Vous me paierez comptant ?

- Je paierai comptant.

- Quand établissons-nous le contrat ?

- Quand il vous plaira.

- Dans quinze jours à partir de demain, mais en un seul versement. /189/

- Entendu selon vos désirs.

- Cent mille francs d'amende à qui se dédit.

- D'accord!

L'affaire fut traitée en cinq minutes ; mais où trouver une telle somme en si peu de temps ? Alors, magnifiquement, la divine Providence s'en mêla. Le soir même Don Caffasso, contrairement à ce qu'il faisait habituellement aux jours fériés, vint me rendre visite. Il me dit qu'une personne pieuse, la comtesse Casazza-Ricardi, l'avait chargé de me remettre mille francs à dépenser de la façon que je jugerais la plus apte à procurer la gloire de Dieu. Le jour suivant, un religieux Rosmi­nien qui se trouvait à Turin pour placer la somme de vingt mille francs, vint me demander conseil. Je lui proposai de contracter moi-même cet emprunt pour (l'achat de) la maison Pinardi. Ils vinrent grossir la somme que je recherchais. Les trois mille francs de frais supplémentaires furent ajoutés par le chevalier Cotta. Ce fut d'ailleurs dans sa banque que fut établi le contrat tant désiré.

Maintenant que cet immeuble était acquis, notre atten­tion se porta sur (la maison) dite la Jardinière. C'était une guinguette, où, les jours de congé, se rassemblaient les bambo­cheurs. Tout au long de la journée ce n'était que vacarme d'orgues de barbarie, fifres, clarinettes, guitares, violons, bas­ses, contrebasses et chansons. Et même, assez souvent, ils s'y mettaient tous pour (offrir) leur concert. Comme ce bâtiment, la maison Bellezza, n'était séparée de notre cour que par un mauvais mur, il arrivait fréquemment que les cantiques chan­tés dans notre chapelle soient couverts et même étouffés par le tapage que faisaient instruments et bouteilles à la Jardinière. Sans compter le va-et-vient continuel de la maison Pinardi à la Jardinière. On peut aisément s'imaginer tout ce que cela provoquait de trouble et de danger pour nos jeunes.

Pour nous libérer de tels inconvénients, j'ai essayé de l'acheter. Sans réussir (2)53. Je tentai de la louer ; la propriétaire /190/ y consentait, mais la tenancière de la guinguette réclamait des dédommagements fabuleux. Alors je proposai de remonter l'auberge, d'en assumer la location et d'acheter tout le mobi­lier: matériel de chambres, de tables, de cave, de cuisine. etc. En payant chaque chose à son gros prix, je réussis à devenir maître du local dont je changeai bien vite ladestination. Et, de la sorte, disparaissait ce second foyer d'immoralité qui sub­sistait encore au Valdocco, à côté de la maison Pinardi.


16º


L'église Saint-François-de-Sales.


Délivrés des inconvénients moraux que représentaient la maison Pinardi et la Jardinière, il fallait maintenant penser à (se procurer) une église plus décente pour le culte et plus adap­tée aux besoins toujours croissants. L'ancienne, il est vrai. avait été quelque peu agrandie. Elle correspondait à l'emplace­ment actuel du réfectoire des supérieurs (1875). Mais elle était très incommode: trop petite et trop basse (1)54. Pour y accéder il fallait descendre deux marches. En hiver et en période plu­vieuse, nous étions inondés. En été, par contre on y étouffait en raison de la chaleur excessive et des mauvaises odeurs. On passait rarement un jour de fête sans qu'un enfant ne s'éva­nouisse et ne doive être évacué quasi asphyxié. Il était donc urgent de s'employer à bâtir un édifice proportionné au nom­bre des jeunes gens, plus aéré et salubre.

Le chevalier Blachier dressa un plan dont l'exécution devait donner l'église actuelle de Saint-François et le bâtiment /191/ qui entoure la cour contiguë. L'entrepreneur en était M. Frédé­ric Bocca (2)55.

On creusa les fondations et le 20 juillet 1851 on procédait à la bénédiction de la première pierre. Le chevalier Joseph Cotta la scella et le chanoine Moreno, économe général (3)56, la bénit. Le célèbre Père Barrera, ému à la vue de la foule accou­rue à la cérémonie, se hissa sur un monticule et improvisa un admirable discours de circonstance. Il commença, textuelle­ment, par cet exorde : « Messieurs, cette pierre qui vient d'être bénite et placée comme fondement de cette église, a deux gran­des significations. Elle fait penser au petit grain de sénevé destiné à devenir un arbre mystique auprès duquel viendront se réfugier beaucoup d'enfants. Elle signifie aussi que cette œuvre s'appuie sur la pierre angulaire qu'est le Christ Jésus et contre laquelle seront vains tous les efforts faits par les enne­mis de la foi pour l'abattre. » Ensuite il développa ces deux thèmes à la grande satisfaction des auditeurs prêts à considérer comme inspiré l'éloquent prédicateur.

- Voici le compte rendu. On transcrit le compte-rendu de cette solennité (4)57 -.

Ces solennités firent du bruit et attirèrent de toutes parts des jeunes externes. Mais tandis qu'à chaque heure du jour beaucoup venaient ici, d'autres demandaient instamment un abri. Le nombre (des pensionnaires) dépassa cinquante cette année-là. On commença aussi à ouvrir quelques ateliers à la maison car les dangers que comportait la sortie en ville des apprentis s'avéraient toujours plus funestes.

Déjà sortait de terre cet édifice sacré tant désiré, quand je m'aperçus que les finances étaient totalement épuisées. /192/ J'avais mis de côté trente-cinq mille francs produit de la vente de quelques immeubles. Ils fondaient comme glace au soleil. L'Administration alloua neuf mille francs, à ne verser qu'à l'achèvement de l'ouvrage. L'évêque de Biella, Mgr Pierre Losana, comprenant que ce nouvel édifice et notre institution toute entière, contribuaient spécialement au bien des apprentis maçons originaires de son diocèse, envoya une circulaire à ses curés pour les inviter à concourir (à son érection) par leur obole. En voici le texte.

Très Révérend Monsieur (le Curé),

L'excellent et pieux prêtre qu'est Don Bosco, animé d'une charité vraiment angélique, s'efforce de recueillir, les jours fériés, tous les enfants qu'à Turin il rencontre, abandonnés, errants sur les places et dans les rues, dans l'immense et popu­leux quartier qui va de Borgo Dora au Martinetto. Il s'emploie à les recueillir dans un local approprié soit pour les récréer honnêtement, soit pour les instruire et leur procurer une édu­cation chrétienne. Son saint zèle fut tel que la chapelle de l'endroit devint vraiment trop étroite. Actuellement elle ne suffirait pas à contenir plus d'un tiers des six cents enfants, et plus, qui s'y rendent. Mû par un amour qui le pousse à réaliser toujours plus de bien, il s'attela à la tâche ardue de la construc­tion d'une église qui corresponde aux exigences de son pieux dessein. I1 se tourne donc vers la charité des catholiques fidèles pour l'aider à faire face aux lourdes dépenses nécessaires à son accomplissement.

Dans un sentiment de confiance toute particulière, il recourt à la charité de cette province et de ce diocèse par mon intermédiaire. Sur les six cents enfants qui se groupent autour de lui et fréquentent son patronage, plus du tiers (plus de deux cents) sont des jeunes de Biella. Parmi ceux-ci plusieurs restent même à demeure chez lui. Ils y reçoivent, tout à fait gratuite­ment, nourriture et vêtement et toutes facilités pour apprendre un métier. Cet appel, il nous l'adresse non seulement au nom de la charité, mais au titre de la justice. Je prie donc Votre Révérence d'informer vos bons paroissiens de ce cas si intéres­sant. Frappez à la porte des plus fortunés, consacrez-lui la quête d'un dimanche qui sera faite dans ce but dans votre /193/ église. Veuillez la faire parvenir soigneusement à l'évêché avec indication de la somme contenue dans l'envoi et du lieu d'où elle provient.

Tandis que les enfants des ténèbres s'efforcent de bâtir un temple (5)58 où ils enseigneront l'erreur pour la perte de leurs frères, les heureux fils de lumière ne seraient-ils pas capables de bâtir une église où sera enseignée la vérité pour leur salut, celui de leurs frères, particulièrement celui de leurs compatrio­tes ? Dans l'espoir très vif que, grâce à ces offrandes, je pourrai apporter une aide réconfortante à l'entreprise de cet homme de Dieu si digne d'éloges et, en même temps, lui donner un témoignage public de la piété éclairée et reconnaissante de mes diocésains à l'égard d'une oeuvre aussi sainte qu'utile, et même nécessaire par les temps qui courent, je profite de cette occa­sion pour vous assurer à nouveau de mon estime et de mon affection.

Biella le 13 septembre 1851

Votre très dévoué serviteur t Jean-Pierre, évêque.

La quête me rapporta mille francs. Ce n'étaient que quel­ques gouttes d'eau sur un terrain desséché. J'eus l'idée d'orga­niser une loterie avec des objets provenant de petits cadeaux (6)59. C'était la première fois que je recourais à la /194/ charité publique de cette façon. On lui fit un accueil très favo­rable. On recueillit trois mille trois cents lots. Le Souverain Pontife, la Reine Mère, la Reine Consorte, et en général toute la Cour se distinguèrent par leurs offrandes. La vente des bil­lets, à cinquante centimes l'un, une fois achevée, au moment même où se faisait le tirage public à l'Hôtel de ville, il y avait encore des gens pour en rechercher. Ils en offraient cinq francs l'un et n'en trouvaient plus.

On peut donner ici le programme et le règlement de cette loterie:

1° On recevra avec reconnaissance tout objet d'art ou manufacturé : travaux de broderie, de tricot, tableaux, livres, draps, tissus et autres.

2° Lors de la consignation de ces objets, il sera remis un reçu où seront inscrits la qualité du don et le nom du donateur, à moins que celui-ci ne veuille garder l'anonymat.

3° Le nombre des billets émis sera proportionnel à la valeur des objets, et dans les limites fixées par la loi, c'est-à­dire ne laissant une marge bénéficiaire que d'un quart.

4° Les billets seront détachés d'une souche et porteront la signature de deux membres de la commission. Leur prix est de cinquante centimes.

5° Une exposition publique des lots aura lieu en mars prochain et restera ouverte pendant au moins un mois. Un avis sera inséré dans la Gazette Offcielle du royaume, indi­quant la date et le lieu où se fera cette exposition. On y indi­quera aussi le jour où l'on procédera au tirage officiel des numéros gagnants.

6° Les numéros seront tirés l'un après l'autre. Si par hasard on en tirait deux à la fois, on n'en donnera pas connais­sance mais tous deux seront remis dans l'urne.

7° On tirera autant de numéros qu'il y a de lots à gagner. Le premier numéro sortant gagnera le lot correspondant au numéro 1 ; de même pour le second et ainsi de suite jusqu'à ce que soient tirés autant de numéros qu'il y a de lots à gagner. /195/

8° La liste des numéros gagnants sera publiée dans le Journal Officiel du Royaume et la distribution des lots com­mencera trois jours après.

9° Les lots non retirés après trois mois seront considérés comme cédés au bénéfice de l'Oratoire.

Beaucoup de ceux qui gagnèrent un lot se firent un plaisir de le laisser au profit de l'église. Ce fut une autre source de rapport. A vrai dire, les dépenses (d'organisation) ne furent pas minces. On en retira cependant le bénéfice net de vingt-six mille francs.


17º


Explosion de la poudrière. - Gabriel Fascio.

Bénédic­tion de la nouvelle église.


Au cours de l'exposition publique des lots, survint l'explo­sion de la poudrière située près du cimetière de Saint-Pierre­aux-Liens (26 avril 1852). La secousse qu'elle provoqua fut horriblement violente. Beaucoup de maisons proches, et même éloignées, furent ébranlées et subirent de graves dom­mages. Vingt-huit travailleurs en furent victimes. Le désastre eût été bien plus considérable si un sergent, un nommé Sacco, n'avait empêché le feu de se communiquer à un stock de poudre important, au péril de sa vie. La ville de Turin aurait pu être entièrement détruite. La maison de l'Oratoire, de mau­vaise construction, eut beaucoup à souffrir. Les députés nous firent parvenir un don de trois cents francs pour aider aux réparations.

A ce propos je veux vous raconter un fait qui se rapporte à un de nos jeunes apprentis nommé Gabriel Fascio. Il était tombé malade l'année précédente et fut réduit à toute extré­mité. Dans la violence de son mal il répétait sans cesse: « Mal­heur à Turin ! Malheur à Turin ! » Ses compagnons lui deman­dèrent : « Pourquoi? /196/

- Parce qu'elle est menacée d'un grand désastre.

- Lequel ?

- Un tremblement de terre épouvantable.

- Quand se produira-t-il ?

- L'année prochaine. Oh! malheur à Turin le 26 avril.

- Que devons-nous faire ?

- Prier saint Louis de protéger l'Oratoire et ses habi­tants. »

C'est alors, qu'à la demande de tous les garçons de la maison on ajouta aux prières du matin et du soir un Pater, Ave et Gloria en l'honneur de ce saint. De fait, notre maison subit peu de dégâts, relativement à l'importance du danger couru. Les pensionnaires ne furent pas personnellement tou­chés.

Et les travaux de construction de l'église Saint-François­de-Sales avançaient à une allure incroyable. En onze mois elle était achevée. Le 20 juin 1852 elle fut consacrée au culte divin avec une solennité plus unique que rare chez nous. On dressa un arc de triomphe d'une hauteur colossale à l'entrée de la cour. On y inscrivit en gros caractères: En lettres d'or - nous écrirons partout - que vive éternellement ce jour.

De partout résonnaient ces vers, mis en musique par le maestro Joseph Blanchi, d'heureuse mémoire :

L'astre du jour, saignant à l'Occident,

Peut retourner aux brumes du Levant

Le fleuve bleu, près de la mer mouvante,

Peut remonter à la source qui chante,

Mais ne pourra s'effacer de nos cœurs

Le souvenir de ce jour de bonheur (1)60.

On déclama et on chanta cette poésie:

Comme l'oiseau, de rameau en rameau

Cherche pour ses petits un abri salutaire etc. (2)61. /197/

Beaucoup de journaux parlèrent de cette fête.

Le 1er juin de la même année, on fonda une société de secours mutuel, pour empêcher nos jeunes gens de se faire inscrire dans la société dite « des ouvriers », qui, dès le début afficha des principes tout autres que religieux. On peut se référer au livret imprimé (3)62. Cela servit merveilleusement notre dessein. Plus tard la même société se changea en une « conférence annexe de Saint-Vincent-de-Paul » qui subsiste encore (4)63.

Une fois l'église terminée, il fallait du mobilier de toute sorte. La charité turinoise ne fit pas défaut. Le commandeur Dupré se chargea de l'ornementation d'une chapelle dédiée à saint Louis et acheta un autel de marbre qui, actuellement, pare cette église. Un autre bienfaiteur fit faire la tribune où l'on plaça le petit orgue utilisé pour (les cérémonies) des exter­nes. M. Michel Seannagatti acheta un jeu complet de chande­liers. Le marquis Fassati fit faire l'autel de la Madone, le pour­vut d'une série de candélabres de bronze et plus tard d'une statue de la Madone. Don Caffasso paya toute la construction de la chaire. Le maître-autel est un don du docteur François Vallauri et son fils prêtre, Don Pierre (Vallauri) en compléta (l'aménagement). Ainsi, en peu de temps, la nouvelle église fut pourvue de tout ce qui était nécessaire pour les cérémonies ordinaires et solennelles.


18º


L'année 1852.


Avec la nouvelle église Saint-François-de-Sales, la sacris­tie, le clocher, on pouvait donner satisfaction aux jeunes qui désiraient participer aux offices les jours fériés, et aux classes, /198/ du soir comme de la journée (1)64. Mais comment venir en aide à la multitude de pauvres enfants qui, à tout instant, deman­daient à être logés ? Et puis, l'année précédente, l'explosion de la poudrière avait presque disloqué l'ancien édifice. En cette heure d'extrême nécessité, on décida d'élever une nouvelle aile de bâtiment. Pour permettre d'utiliser les anciens locaux pen­dant les travaux, on commença à construire sur un emplace­ment séparé qui s'étendait depuis le fond du réfectoire actuel jusqu'à la fonderie des caractères d'imprimerie.

Les travaux progressèrent très vite et bien que l'automne fût déjà bien avancé, on parvint cependant à la hauteur de la toiture. La charpente avait été mise en place, les voliges clouées, les tuiles déposées en tas sur les travées supérieures, prêtes à être fixées, quand une pluie diluvienne fit interrompre les travaux. L'eau tomba à verse pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Ruisselant et suintant à travers les poutres, dégouttant des voliges, elle s'attaqua au mortier tout frais, rongeant et enlevant tout. Des murs il ne restait plus que les briques et les cailloux délavés.

Il était environ minuit, tous reposaient, lorsqu'on enten­dit un bruit formidable, qui s'amplifiait de minute en minute, devenant de plus en plus épouvantable. Tout le monde se réveille ne sachant de quoi il s'agissait. Rempli de frayeur, chacun s'enveloppe dans ses couvertures et ses draps, s'enfuit du dortoir et, dans la confusion, court à l'aveuglette, unique­ment préoccupé de s'éloigner d'un danger, qu'on imaginait aisément. Le désordre et le vacarme vont croissant. L'arma­ture du toit, les tuiles se mêlent aux matériaux constituant les murs et tout s'écroule dans un fracas assourdissant.

Comme cette construction s'appuyait sur le mur de l'an­cien bâtiment, bas et vétuste, on pouvait craindre que tous /199/ (ses habitants) ne soient écrasés sous les ruines croulantes. Mais on en fut quitte pour un horrible vacarme, sans nul dommage personnel.

Dès le matin, il y eut une visite d'ingénieurs envoyés par la municipalité. Le chevalier Gabbetti, remarquant un énorme pilastre qui, ébranlé à sa base, pendait (en déséquilibre) au-des­sus d'un dortoir, s'écria: « Allez bien vite remercier la Madone de la Consolata. Ce pilastre tient debout par miracle. S'il était tombé il aurait enseveli sous les ruines Don Bosco et les trente jeunes gens du dortoir d'en-dessous. » La construction étant à forfait, la perte la plus grande fut celle que subit l'entrepre­neur (2)65. Nos dommages furent évalués à dix mille francs. Cet accident survint la nuit du 2 décembre 1852.

Au milieu des misères continuelles qui accablent la pau­vre humanité, la main du Seigneur qui adoucit nos malheurs se fait toujours sentir. Si ce désastre était survenu deux heures plus tôt, nos élèves des cours du soir eussent été ensevelis. Leurs classes se terminaient à dix heures. A la sortie, il y en avait eu encore près de trois cents à lambiner pendant plus d'une demi-heure à travers le dédale des constructions. Peu après, c'était l'effondrement.

La saison avancée ne nous permettait plus, je ne dis pas de terminer, mais même de commencer les travaux dans le bâtiment en ruine. En attendant, nous voilà à l'étroit, qui y pourvoira ? Que faire au milieu de tant de jeunes avec si peu de place et un local à moitié démoli ? On fit de nécessité vertu. On consolida les murs de l'ancienne église et on en fit un dortoir. Les classes furent transférées dans la nouvelle. Elle servait donc d'église aux jours fériés et de collège en semaine.

Cette année encore le clocher attenant à l'église Saint­François-de-Sales fut construit (3)66. Un bienfaiteur, M. Michel /200/ Scannagatti, nous procura une série d'élégants chandelierspour le maître-autel qui constituent encore un des plus beaux ornements de cette église.


1853.


Dès que la saison le permit, on mit la main à la reconstruc-tion de la maison effondrée. Les travaux marchèrent bon train et, au mois d'octobre, le bâtiment était achevé. Dans l'extrème besoin de locaux où nous étions, nous nous hâtâmes de l'occu-per. Je me rendis le premier dans la chambre que Dieu m'ac-corde d'occuper encore aujourd'hui (4)67. Classes, réfectoire. dortoir purent se mettre en place et s'organiser. Le nombre des élèves fut porté à soixante-cinq.

Les dons de nos bienfaiteurs continuèrent à affluer. Le chevalier Joseph Dupré fit installer, à ses frais, la table de communion de l'autel de saint Louis, toute en marbre. Le marquis Dominique Fassati fit don de la petite table de com­munion de l'autel de la Vierge, avec, pour le même autel, un jeu de chandeliers en bronze doré. Notre insigne bienfaiteur. le comte Charles Cays, président de la compagnie de saint Louis pour la seconde fois, paya pour nous une dette de mille deux cents francs à notre boulanger qui commençait à nous faire des difficultés pour nous livrer le pain. Il acheta aussi une cloche, occasion d'une fête charmante. Le théologien Gat­tino, notre curé, d'heureuse mémoire, vint la bénir. Il fit ensuite un sermon de circonstance à la nombreuse assistance venue de la ville. Après la cérémonie, (nos enfants) représentè­rent une comédie qui déchaîna le fou rire chez tous. Le même comte Cays nous procura un bel antipendium (pour l'autel). l'actuel baldaquin et d'autres objets de culte.

La nouvelle église était ainsi pourvue des choses les plus nécessaires au culte. On put donc, pour la première fois. Repon- /201/ dre au désir de chacun en instaurant l'exposition (du Saint Sacrement) pour les Quarante-Heures. Il n'y avait guère de riches tentures, mais il v eut un extraordinaire concours de fidèles. Pour favoriser cette ardeur religieuse et donner à cha­cun toute facilité de satisfaire sa propre dévotion, je fis suivre ces Quarante-Heures d'une octave de prédications. De tout ce temps les confessionnaux ne désemplirent pas. En raison de ce concours de peuple peu commun, on continua, les années suivantes, à faire l'exposition des Quarante-Heures, avec pré­dications régulières, fréquentation des sacrements et autres exercices de piété.


Les « Lectures catholiques ».


Au mois de mars de cette année les Lectures Catholiques commencèrent à paraître périodiquement. Quand, en 1847, les juifs et les protestants eurent obtenu leur émancipation, il devint nécessaire de mettre entre les mains de chrétiens fidè­les, des jeunes particulièrement, un antidote. Il semblait bien, que, ce faisant, le gouvernement entendait seulement octroyer la liberté de croyances, mais pas au détriment du catholicisme. Les protestants eux ne l'interprétèrent pas ainsi. Ils se mirent à faire de la propagande par tous les moyens en leur pouvoir. Trois journaux (La Bonne Nouvelle, La Lumière évangélique, Le Piémontais impertinent), de nombreux livres, bibliques ou non, de larges subventions, l'offre d'emplois, de travail, la distribution d'argent, d'habits, d'aliments à ceux qui fréquen­taient leurs écoles, leurs conférences ou simplement leur tem­ple étaient autant de moyens dont ils se servaient pour faire des prosélytes.

Le gouvernement était au courant, mais laissait faire et, par son silence, les protégeait efficacement. Ajoutez à cela que les protestants étaient organisés et dotés de tous les moyens (d'action), matériels et moraux, tandis que les catholiques, se reposant sur les lois civiles qui les avaient protégés jusque-là, possédaient à peine quelques journaux, quelques livres classi­ques ou érudits, mais aucun journal, aucun livre à mettre entre les mains du petit peuple.

Ne prenant conseil que de la nécessité, je commençai alors à présenter quelques tableaux synoptiques (résumant) ce qui intéressait l'Église catholique. Puis je composai d'autres tracts intitulés Rappels pour les Catholiques et je m'ingéniai à les répandre parmi les jeunes gens et les adultes, spécialement à l'occasion des retraites et des missions. Ces feuillets ou opus­cules étaient accueillis avec grande avidité. En peu de temps on en diffusa des milliers et des milliers. Je fus ainsi convaincu de la nécessité (de créer) un moyen, populaire, pour rendre aisée la connaissance des principes fondamentaux du catholi­cisme. Un petit livret intitulé Avertissements aux catholiques fut alors imprimé. Il mettait la puce à l'oreille des catholiques et leur évitait de se laisser prendre dans les filets des héréti­ques. L'écoulement en fut considérable. En deux ans on en diffusa plus de deux cent mille exemplaires. Les bons jubi­laient. Mais les protestants devinrent furieux contre moi, eux qui se considéraient les seuls maîtres en matière d'évangile.

Je m'aperçus alors qu'il était urgent de préparer et de faire imprimer des livres adaptés pour les gens du peuple et je proje­tai ce que l'on appela les Lectures Catholiques. Quelques fasci­cules étaient déjà prêts et je voulais les publier au plus tôt quand surgit une difficulté inattendue et insoupçonnée. Aucun évêque ne voulut les couvrir de son nom. Ceux de Vercelli, Biella, Casale s'y refusèrent prétextant qu'il était dangereux d'entrer en guerre contre les protestants. Monseigneur Fran­soni, alors en résidence à Lyon, approuvait, recommandait, mais personne n'en voulait assumer la révision ecclésiastique. Le chanoine Joseph Zappata, vicaire général, fut le seul, qui, à la requête de l'archevêque, prit connaissance de la moitié d'un fascicule ; puis il me renvoya le manuscrit en me disant: « Reprenez votre travail. Moi, je ne me sens pas de donner ma signature. Les affaires de Ximenès et de Palma sont trop récentes (5)68. Vous, vous défiez l'ennemi de front; moi, je pré­fere battre en retraite en temps utile. » /203/

D'accord avec le vicaire général, j'exposai la situation à l'archevêque qui me répondit en me remettant une lettre à faire parvenir à Mgr Moreno, évêque d'Ivrea. Il y priait ce prélat de prendre sous sa protection la publication envisagée, et de la garantir du visa de censure et de son autorité. Mgr Moreno s'exécuta volontiers. Il délégua l'avocat Pinoli, son vicaire général pour la révision, entendu qu'on tairait le nom du réviseur. Le plan de l'oeuvre fut bientôt mis sur pied et, le 1er mars 1853, sortit le premier numéro du Catholique instruit, etc. (6)69.


Année 1854.


Les Lectures Catholiques furent accueillies aux applaudis­sements de tous et le nombre des lecteurs fut extraordinaire. Mais alors la colère des protestants se déchaîna. Ils essayèrent de les combattre par leurs propres journaux, leurs Lectures évangéliques. Mais ils ne trouvèrent pas de lecteurs. D'où tou­tes sortes d'attaques contre le pauvre Don Bosco. Tantôt les uns, tantôt les autres venaient discuter, persuadés, disaient-ils, que personne ne pouvait résister à leurs arguments. Les prêtres catholiques étaient tellement niais, qu'en deux mots on pou­vait les confondre.

Alors ils vinrent m'assaillir: tantôt un, tantôt deux, tantôt plusieurs ensemble. Je les ai toujours écoutés, leur recomman­dant de faire part à leurs ministres des difficultés auxquelles ils ne pouvaient trouver de solution, et d'avoir l'obligeance de me communiquer ensuite leurs réponses. Vinrent ainsi Amé­dée Bert, puis Meille, l'évangéliste Pugno et d'autres, et d'au­- /204/ tres. Ils ne purent obtenir de moi que je cesse ni de raconter, ni de publier nos entretiens, ce qui les remplit de rage. Je crois utile de rapporter quelques faits relatifs à ces colloques.

Un dimanche soir du mois de janvier on m'annonça deux messieurs qui voulaient me parler. Ils entrèrent et après moult compliments et flatteries, l'un se prend à me dire: « Vous, monsieur le théologien, vous avez reçu de la nature un don admirable, celui de vous faire comprendre et de vous faire lire du peuple. En conséquence nous voudrions vous prier de bien vouloir employer ce don précieux en choses utiles à l'huma­nité, à l'avantage de la science, des arts, du commerce.

- Mes préoccupations sont précisément orientées vers les Lectures Catholiques et j'entends bien m'en occuper de toute mon âme.

- Vous feriez bien mieux de vous occuper de quelque bon livre pour la jeunesse, par exemple une histoire ancienne, un traité de géographie, de physique, de géométrie, et non pas des Lectures Catholiques. /205/

- Pourquoi pas de ces Lectures ?

- Parce que c'est un travail tellement rebattu.

- De semblables travaux ont déjà été faits par bien des gens, c'est vrai, mais dans les ouvrages érudits, pas pour le peuple, but que je me propose dans les Lectures Catholi­ques.

- Mais ce travail ne vous est d'aucun avantage. Si, au contraire, vous vous consacriez à ceux que nous vous recom­mandons, vous pourriez faire matériellement du bien au mer­veilleux institut que la Providence vous a confié. Prenez, voici déjà quelque chose (c'était quatre billets de mille francs), ce ne sera pas notre dernière offrande. Bien plus, vous en aurez de plus importantes.

- Pourquoi tant d'argent ?

- Pour vous encourager à entreprendre les travaux auxquels nous avons fait allusion et pour vous venir en aide dans (votre) institut qu'on ne saurait trop louer.

- Excusez-moi, messieurs, si je vous rends votre argent. Pour le moment je ne puis entreprendre d'autre travail scienti­fique que celui qui intéresse les Lectures Catholiques. /205/

- Mais si c'est un travail inutile...

- Si c'est un travail inutile, pourquoi vous en préoccuper ? Pourquoi dépenser cet argent pour me le faire abandonner ?

- Vous ne réfléchissez pas à ce que vous faites. En refu­sant vous faites du tort à votre oeuvre, vous vous exposez à certaines conséquences, à certains dangers...

- Messieurs, je comprends très bien ce que vous voulez me signifier. Mais je vous dis tout clair que, au service de la vérité, je ne crains personne. Quand je me suis fait prêtre, je me suis consacré au bien de l'Église et à celui de la pauvre humanité et j'entends bien continuer, au prix de mes modestes fatigues, à répandre les Lectures Catholiques.

- C'est mal ce que vous faites, ajoutèrent-ils en se levant, la voix sourde et le visage décomposé, c'est bien mal. Pour nous, c'est une insulte. Et puis, qui sait ce qui peut vous arri­ver, ici et (prenant un ton menaçant), si vous sortez, serez-vous bien sûr de rentrer ?

- Vous messieurs, vous ne connaissez pas les prêtres catholiques. Tant qu'ils vivent, ils travaillent pour accomplir leur devoir. S'ils devaient mourir au milieu de leurs travaux et à cause d'eux, ce serait pour eux le plus grand bonheur, la plus grande gloire. »

A ce moment ils me parurent tous deux si furieux que je craignis qu'ils ne me tombent dessus. Je me levai, mis ma chaise entre eux et moi et leur dis: « Si vous vouliez employer la force, je ne craindrais pas vos menaces. Mais, la force du prêtre, c'est la patience et le pardon. Sortez d'ici. »

Contournant alors la chaise, j'ouvris la porte de la cham­bre : « Buzzetti, dis-je, reconduis ces messieurs jusqu'au por­tail, ils ne connaissent pas bien l'escalier. » A cet ordre, ils demeurèrent tout confus. « Nous nous retrouverons à un moment plus opportun, » dirent-ils. Et ils partirent le regard et le visage enflammés de colère.

Certains journaux, spécialement l'Armonia, rapportèrent l'incident. /206/


Attentats personnels.


Il semblait bien que, secrètement, un complot se tramait contre moi, ourdi par les protestants et la franc-maçonnerie. Brièvement, je vais raconter quelques faits.

Un soir, pendant que je me trouvais à faire classe au milieu des jeunes gens, deux messieurs arrivent, me deman­dant d'aller au plus vite auprès d'un moribond, au Coeur d'Or (7)70. Je m'y rendis aussitôt, mais je voulus être accompa­gné par quelques-uns de mes grands. « Pas besoin de déranger vos élèves, me dirent-ils. Nous allons vous conduire près du malade et nous vous ramènerons chez vous. La présence de ces jeunes pourrait gêner le malade.

- Ne vous préoccupez pas de cela, leur dis-je. Mes élèves feront ainsi une petite promenade et s'arrêteront au bas de l'escalier pendant que je serai près du malade. »

Mais arrivés à l'auberge du Coeur d'Or, ils me dirent: « Venez par ici. Reposez-vous un moment pendant que je vais prévenir le malade de votre arrivée. » Ils me conduisirent dans une salle du rez-de-chaussée où se trouvaient quelques bons vivants qui, après leur dîner, mangeaient des châtaignes. Ils m'accueillirent avec force compliments et félicitations, voulu­rent que je me serve et mange de leurs châtaignes. Je n'en goûtai pas, prétextant que je venais à peine d'achever de dîner. « Vous boirez au moins un verre de notre vin. Il ne vous déplaira pas. Il vient de la région d'Asti.

- Ça ne me dit rien ; je n'ai pas l'habitude de boire en dehors des repas, cela me ferait du mal.

- Un petit verre ne vous fera certainement aucun mal. »

Et, ce disant, ils versent du vin à tout le monde. Lorsque vint mon tour, l'un des convives alla prendre une bouteille et un verre rangés à part. Je me rendis compte alors de leurs intentions criminelles. Néanmoins je pris le verre, portai un toast avec eux, mais au lieu de boire je fis le geste de remettre /207/ le verre sur la table. « Ne faites pas cela, c'est un affront, dit l'un d'entre eux.

- C'est une insulte, reprit un autre. Ne nous faites pas ce refus.

- Ça ne me dit rien, je ne puis, je ne veux pas boire.

- Il faut que vous buviez à tout prix! » Ceci dit, l'un me saisit l'épaule gauche, l'autre l'épaule droite, en ajoutant: « Nous ne pouvons supporter une telle injure. Buvez, de gré ou de force.

- Si vous voulez que je boive, je vais le faire. Mais laissez­-moi libre. Comme je ne puis boire, je vais offrir le verre à un de mes garçons. Ils boiront à ma place. » Sur cette feinte, je marchai droit sur la porte, l'ouvris et invitai mes jeunes gens à entrer. « Non, non, il ne faut pas que d'autres boivent. Soyez bien tranquille. Nous allons tout de suite prévenir le malade. Que ceux-ci restent au bas de l'escalier. » Je n'aurais évidem­ment pas tendu ce verre à d'autres. J'agissais ainsi pour mieux démasquer leur complot. Ils voulaient me faire boire du poi­son.

On me conduisit dans une chambre du second étage. Et là, au lieu d'un malade, je trouvai, alité, l'homme qui était venu me chercher. Il répondit à quelques-unes de mes ques­tions puis, éclatant de rire, il me dit: « Je me confesserai demain matin! » Je retournai rapidement à mes affaires.

Un ami mena une enquête (pour savoir) qui m'avait appelé et dans quel but. Je pus apprendre qu'un individu leur avait payé un copieux dîner à la condition qu'ils s'arrangent pour me faire boire un peu du vin de sa préparation.


Encore une agression. - Coups de bâton.


Les attentats dont je vous parle peuvent vous paraître de pures affabulations. Ce sont pourtant de douloureuses réalités et qui eurent de nombreux témoins. Voici encore un fait, et plus étrange.

Un soir du mois d'août, vers six heures du soir, je me trouvais à côté de la grille qui donne sur la cour de l'Oratoire, /208/

quand soudain un cri retentit : « Un assassin ! un assassin ! » Un individu que je connaissais très bien pour lui avoir rendu service, en bras de chemise, un couteau à la main, courait vers moi comme un fou furieux en criant: « Je veux Don Bosco! je veux Don Bosco! » Tous s'enfuirent en débandade. L'autre poursuivait sa course après un abbé qu'il prenait pour moi. Quand il s'aperçut de sa méprise, furieux, il se reprit à courir vers moi. Je n'eus que le temps de me réfugier dans les escaliers de la vieille maison et la serrure de mon bureau n'était pas encore fermée à clef qu'arriva le malheureux. Il tapait, il criait, il mordait les poignées de fer pour ouvrir, mais inutilement. J'étais en sûreté. Mes jeunes gens voulaient se jeter sur ce misérable et le lyncher, mais je m'y opposai constamment (8)71 et ils m'obéirent. On avertit la Sûreté, le commissaire, les gendarmes, mais on ne put avoir personne jusqu'à neuf heures et demie du soir. Alors seulement deux agents capturèrent le malandrin et le conduisirent à la gendarmerie.

Le lendemain, le préfet de police m'envoya un agent pour me demander si je pardonnais à mon agresseur. Je répondis que je pardonnais cette violence et bien d'autres, mais que, toutefois, au nom de la loi, je priais les autorités de mieux protéger les personnes et les demeures des citoyens. Qui le croirait ? Le lendemain, à l'heure même où avait eu lieu cette agression, mon adversaire attendait, à peu de distance, que je sorte de chez moi.

Un de mes amis, voyant qu'on ne pouvait aucunement compter sur la protection des autorités, entreprit de parler à ce misérable. « Je suis payé, répondit-il. Qu'on me donne autant que les autres et je m'en vais tranquillement! » On lui versa quatre-vingts francs pour payer son loyer échu et quatre­vingts autres pour une caution en vue d'un autre logement loin du Valdocco. Ainsi prit fin cette première comédie!

Il n'en alla pas de même de la seconde que je vais raconter. /209/

Un dimanche soir, environ un mois après le fait dont je viens de parler, on vint m'appeler d'urgence à la maison Sardi, près du refuge, pour confesser une malade soi-disant à toute extrémité. En raison des faits précédemment advenus, j'invitai plusieurs de mes plus grands garçons à m'accompagner. « Pas besoin, me disait-on. Nous vous accompagnerons nous­mêmes. Laissez ces jeunes gens à leurs ébats. » C'était suffisant pour que je n'aille pas seul. Je laissai quelques-uns (des gar­çons) dans la rue, en bas de l'escalier. Joseph Buzzetti et Jacin­the Arnaud restèrent sur le palier, au premier étage, à peu de distance de la porte de la chambre de la malade.

J'entrai et vis une femme haletant à souhait comme quel­qu'un qui va rendre le dernier soupir. J'invitai les quatre assis­tants à quitter la chambre pour que je puisse parler (des choses de) la religion.

« Avant de me confesser, se mit à dire la malade d'une voix puissante, je veux que ce brigand qui se trouve en face de moi rétracte les calomnies qu'il a fait courir sur mon compte.

- Non, répondit un autre.

- Silence! répliqua un autre en se dressant. » - Tous se levèrent alors de leur siège. « Oui! non! prends garde! je t'étrangle ! je t'égorge ! »

Les cris, mêlés à d'horribles imprécations, faisaient un tintamarre infernal dans cette chambre. Au milieu de ce chari­vari les lumières s'éteignent. Le vacarme augmente et c'est une pluie de coups de bâtons qui s'abat dans la direction où j'étais assis. Je compris tout de suite le jeu. Il s'agissait de me faire fête. A cette minute, n'ayant le temps ni de penser ni de réflé­chir, la nécessité me porta conseil. Je m'emparai d'une chaise, je m'en coiffai la tête et sous ce pare-trique, je m'avançai vers la porte. Toutefois, les coups de bâton pleuvaient avec fracas sur la chaise.

Sorti de cette forge satanique, je me jetai dans les bras de mes garçons qui, alertés par les cris et les hurlements, vou­laient à tout prix pénétrer dans la maison. Je m'en tirai sans blessure sérieuse, si ce n'est qu'un coup de bâton m'atteignit /210/ au pouce de la main gauche qui tenait le dossier de la chaise. Il m'emporta l'ongle ainsi que la moitié d'une phalange du doigt. J'en porte encore la cicatrice. Il y eut plus de peur que de mal.

Je n'ai jamais pu savoir le vrai motif de telles vexations. Il semble que tous ces coups aient été montés pour attenter à ma vie et m'amener à renoncer à calomnier, disait-on, les pro­testants.


Le chien gris.


Le chien gris (grigio) fut l'objet de bien des racontars et de bien des suppositions. parmi vous, il y en a pas mal qui l'ont vu et même caressé (9)72. Laissons de côté toutes les sornet­tes que l'on raconte sur ce chien. Je vais relater la pure vérité.

Les attaques fréquentes auxquelles j'étais en butte me conseillaient de ne jamais sortir seul lors de mes allées et venues dans la ville de Turin. A cette époque l'hôpital psychia­trique était le dernier bâtiment en direction de l'Oratoire. A partir de là il n'y avait plus qu'un terrain vague encombré de buissons et d'acacias.

Par une soirée obscure, assez tard, je rentrais chez moi, seul, non sans quelque appréhension. Tout à coup, je vois près de moi un gros chien. A première vue il me fit peur. Mais comme il ne manifestait aucune attitude hostile, que bien au contraire il me faisait des cajoleries comme si j'étais son maî­tre, nous sommes entrés en bonnes relations et il m'accompa­gna jusqu'à l'Oratoire. Ce qui se produisit ce soir-là arriva encore de nombreuses autres fois. Ainsi je puis dire que le grigio m'a rendu d'éminents services. En voici quelques exem­ples. /211/

Sur la fin de novembre 1854, par une nuit brumeuse et pluvieuse, je revenais de la ville. Pour ne pas cheminer seul, je descendis la rue qui mène de la Consolata au Cottolengo. A un certain point du trajet je m'aperçois que deux hommes marchent à peu de distance devant moi, ralentissant ou accélé­rant le pas selon que je ralentissais ou accélérais le mien. Quand je changeai de côté pour éviter de les rencontrer, adroi­tement ils venaient se placer devant moi. Je tentai de rebrous­ser chemin, mais trop tard. Faisant subitement deux bonds en arrière, gardant un profond silence, ils me jetèrent un manteau sur le visage. Je fis tous mes efforts pour ne pas me laisser entortiller, mais inutilement. L'un même essayait de m'obtu­rer la bouche à l'aide d'un mouchoir. Je voulais crier, mais je ne le pouvais plus. A ce moment apparut le grigio. Hurlant comme un ours, il s'élança, les pattes contre l'un, la gueule ouverte près de la figure de l'autre, de sorte qu'ils se trouvaient dans l'obligation d'entortiller le chien avant moi. « Rappelez ce chien, se mirent-ils à crier tout tremblants.

- Bien sûr que je vais le rappeler. Mais laissez les passants en liberté.

- Rappelez-le tout de suite, » criaient-ils.

Le grigio continuait à hurler comme un loup ou un ours enragés. Les autres reprirent leur chemin et le grigio, toujours à mes côtés, m'accompagna jusqu'à ce que j'entre à l'CEuvre Cottolengo. Remis de mon épouvante, et restauré d'une bois­son que ce charitable hôpital sait trouver au moment oppor­tun, je retournai à la maison sous bonne escorte.

Tous les soirs où je n'étais pas accompagné, une fois passé les maisons, je voyais surgir le grigio d'un côté ou de l'autre de la rue. Les jeunes de l'Oratoire le virent souvent. Une fois ce fut une vraie comédie. Les jeunes gens de la maison le virent entrer dans la cour. Les uns voulaient le frapper, les autres lui jeter des pierres. « Ne le maltraitez pas, dit Joseph Buzzetti, c'est le chien de Don Bosco. » Alors chacun se mit à le caresser de mille façons et ils l'accompagnèrent chez moi. J'étais au réfectoire, soupant avec quelques abbés, quelques prêtres et ma mère. A cette apparition inattendue, tous furent effrayés. « N'ayez pas peur, leur dis-je, c'est mon grigio, laissez-le /212/ venir. » Et le chien, contournant largement la table, s'approcha de moi et me fit fête. Je le caressai, lui présentai de la soupe, du pain, quelques aliments, il refusa tout. Il ne voulut même pas flairer ce que je lui donnais. « Mais qu'est-ce que tu veux ? » lui dis-je. Il se contenta de remuer les oreilles et d'agi­ter la queue. « Ou tu manges, ou tu bois; ou alors amuse-toi avec moi. » Il continua à donner des signes de satisfaction, appuya la tête sur la nappe, près de moi, comme s'il voulait me parler et me souhaiter le bonsoir. Puis les enfants l'accom­pagnèrent à la porte, dehors, à la fois étonnés et joyeux. Je me souviens que, ce soir-là, je rentrai tard à la maison et qu'un ami m'avait ramené dans sa voiture (10)73.

La dernière fois que je vis le grigio, ce fut en 1866 quand je me rendis de Murialdo à Moncucco, chez mon ami Louis Moglia (11)74. Le curé de Buttigliera voulut m'accompagner un bout de chemin, ce qui fit que la nuit me surprit à mi-route. « Ah! si j'avais mon grigio, me disais-je, cela me serait bien utile! » Ceci dit, je gravis la pente d'un pré pour jouir des derniers éclats du jour. A ce moment le grigio gambada autour de moi tout en fête et m'accompagna pendant les trois kilomè­tres de route qui restaient à parcourir. Arrivé à la maison de mon ami, où j'étais attendu, on me fit signe de passer à l'écart pour que mon grigio n'aille pas se battre avec les molosses de la maison. « S'ils venaient à s'affronter, ils se déchireraient mutuellement » me dit Moglia. On bavarda beaucoup avec toute la famille, puis on se mit à table pour le souper. Mon compagnon fut laissé dans un coin de la salle pour s'y reposer. Après le repas, mon ami me dit: « Il faudrait bien faire manger votre chien aussi. » On prit un peu de nourriture pour la lui porter. On le chercha dans tous les coins de la salle et de la maison, mais plus de grigio.! Tous furent très étonnés car or. n'avait ouvert ni porte ni fenêtre et les chiens de la famille /213/ n'avaient en rien signalé sa sortie. On fouülla de nouveau les étages supérieurs, mais personne ne put le retrouver. Ce fut la dernière fois que j'eus des nouvelles de ce chien gris objet de tant de recherches et de discussions. Je n'ai jamais pu en connaître le maître. Je sais seulement que cet animal fut pour moi une véritable providence au milieu des dangers que j'ai rencontrés (12)75. /214/








Notes

1 ( I ) Don Bosco ne put. Hélas !. s'en rendre acquéreur qu'en 1884 grâce à une générosité spéciale de son grand ami le comte Colle, de Toulon.

2 (2) Don Bosco avait bien de la peine à reconnaître dans cette bicoque la merveil­leuse église vue en rêve. 11 lui fallait attendre encore un peu avant de reconnaître que ses rêves ne l'avaient pas trompé (cf. plus haut p. 147 note 1).

3 (3) C'était ledit anche de Pâques. Le rapprochement s'impose entre deux Pâques, celle de la bénédiction de cette humble chapelle, en 1846, et celle de la canonisation solennelle du saint. Pâques 1934. Les dates données ici ont été laissées en blanc par Dun Bosco. <)n a pu les preciser grâce à d'autres documents.

4 (4) « Semblables à un cheval ou à un mulet sans intelligence. »

5 (5) Le Rondò était un carrefour célèbre, à Turin. qui se trouvait à quelques minutes de l'Oratoire, au croisement de deux grandes avenues. Célèbre il l'était à cause de sa destination, car c'était là que l'on pendait les condamnés à mort. toujours assistés par Don Caffasso, aumônier des prisons, et accompagnés au lieu du supplice par la plus célèbre des Compagnies religieuses de Turin. celle des Confrères de la Miséricorde. Ceux-ci, l'exécution terminée, se rendaient dans leur propre église. ou ils assistaient à une messe et récitaient l'office des défunts.

6 (6) On notera que le dernier paragraphe reprend le précédent en l'amplifiant

7 (1) Les souvenirs historiques de Don Bosco sont un peu brouillés: ce fut trois ans et demi après, qu'expira le marquis de Cavour.

8 (2) A bien des années de là, Don Bosco confiait à un de ses fils préférés, le Père Barberis : « Quel joli tableau que celui de plusieurs centaines de garçons, assis, atten­tifs, suspendus à mes lèvres, tandis que six agents de police, en grand uniforme, droits, au garde-à-vous, impassibles, à trois points différents de l'église, écoutent, eux aussi, mon instruction religieuse. tout en m'aidant, sans le vouloir, à surveiller ces gamins. De temps à autre l'un d'eux écrase d'une main furtive une larme au coin de l'oeil. parce que la parole de Dieu l'a remué, et, parfois même. un autre quitte son attitude rigide pour venir se mêlera la file de mes pénitents. touché qu'il a été par la gràce. »

9 (1) Qui ne sait que la lecture de certaines pages de la Bible, pour être intelligible et profitable, requiert quelque initiation et ne peut se faire qu'avec l'aide de commen­taires. L'Église catholique, surtout depuis Vatican II, a exorcisé le tabou qui, au temps de Don Bosco et longtemps encore après lui, frappait la lecture de l'Ancien Testament. La multiplication des traductions en langue vulgaire, catholique, oecuménique, la vulgarisation de commentaires, les adaptations liturgiques et autres, a favorisé chez les chrétiens la fréquentation profitable de la parole de Dieu.

10 (2) L'Histoire Sainte composée par saint Jean Bosco à l'usage de la jeunesse est une de celles qui ont eu longtemps le plus de succès en Italie.


11 (3) Les abbés Aporti et Rayneri étaient deux professeurs de pédagogie remarqua­bles ; ce dernier enseignait à l'Université de Turin. A ses élèves il disait fréquemment: « Si vous voulez apprendre pratiquement ce qu'est la pédagogie, allez chez Don Bosco. » Très lié avec le saint, il consentit, pendant un certain temps, à venir donner des cours de sa branche aux jeunes religieux salésiens.

12 (4) Nous avons ainsi traduit le nom véritable de cette oeuvre : la Mendicità istruita, « La Mendicité instruite. » Cette institution, fondée en 1743 par l'abbé de Garessío et le Frère Fontana, oratorien. avait été confiée, en 1824, par le roi Charles­Félix, aux Frères des Écoles Chrétiennes. appelés par luì de Paris.

13 (5) Sans doute Don Bosco reproche-t-il à ces livres de n'être qu'un recueil de prières fort générales sans trop de préoccupation de formation doctrinale. Le Jeunesse instruite de ses devoirs... dont il va être question, tout en étant un livre de prières, va combler cette lacune.

14 (6) Ce livre de piété eut un succès fabuleux. La première édition fut de 1847: et il y en eut deux dans l'année. Du vivant du saint les éditions successives atteignirent le chiffre de 122, et chacune était de 50 000 exemplaires.

15 (7) Le système métrique décimal fut imposé au Piémont par décret royal du septembre 1845 ; mais son application légale ne devait commencer qu'au Il' 1850. Il était temps que cette régularisation intervînt. car les unités de mesure dont se servaient les États sardes étaient d'une diversité telle que, d'un village à l’autre les paysans n'arrivaient pas à s'entendre. C'est même sur ce cafouillage commercial - surtout les jours de foire- résultant de la multiplicité de ces unités de mesure. Don Bosco bâtit une comédie désopilante, en trois actes, qui, de l'aveu des pedagogues, fit plus que tous les décrets royaux pour assurer le triomphe du système métrique décimal.

16 (1) Cette toute petite phrase nous donne une idée de la prodigieuse activité du saint.

17 (2) Cette convalescence dura du mois d'août au mois de novembre, pendant lesquels l'abbé Borelli et quelques amis de Don Bosco firent marcher l'Oratoire comme ils purent.

18 (3) C'est-à-dire jusqu'à la grave maladie qu'il fit en 1871-1872.

19 1) On ne sait quoi le plus admirer dans cette page, de la simplicité du récit ou de l'émotion qu'il dégage, sans parler de ce sacrifice spontané et complet de la mere. Dans la sacristie de la basilique Notre-Dame-Auxiliatrice une grande fresque repré­sente l'arrivée au Valdocco de ce couple qui demeurera célèbre dans l'histoire de la sainteté catholique.

20 (2) Mère du chanoine Gastaldi devenu plus tard archevêque de Turin.

21 (3) Le premier biographe du saint nous a dépeint ces cours du soir, dont le pittoresque dépassait tout : « Spectacle merveilleux qu'offre chaque soir la maison Pìnardi, éclairée à toutes ses fenêtres, pleine à craquer de garçons de tout âge. moyens et grands. Dans un local. on en vovaìt debout autour d'une carte murale, déchiffrant quelque chose : d'autres étaient penchés sur leurs cahiers et travaillaient ferme, tandis que plusieurs, accroupis sur !es petits bancs de la sacristie. s'efforçaient de reproduire les grosses lettres de l'alphabet. De temps en temps. Don Bosco entrait, montait au pupitre, donnait un coup d'oeil à l'ensemble, puis descendait se mêler à ces multiples divisions, que leurs maîtres faisaient travailler. » (J. B. Lemoyne, Memorie biografìche... II, 560-561

22 (1) Esquissé en 1,847, ce règlement. modifié considérablement au cours des années suivantes, fut rédigé en 1852, et revu de nouveau dans les années 1854 et 1855. De ce règlement, Don Bosco a dit : « Il forme l'ensemble des observations, ordres et avis, que plusieurs années d'expérience nous ont dictes. Pour le composer, nous avons entrepris plus d'un vovage, visité de nombreux collèges, instituts. asiles de charité, de secours aux indigents, étudié leurs propres remarques, et pris l'avìs des meilleurs educateurs. Tout ce qui pouvait concourir à l'établissement de ce texte. nous avons ,onscience de l'avoir recueilli et d'en avoir tiré profit. »

23 (2) La sainte audace de Don Bosco alla, en cette occasion, jusqu'à inscrire comme membres d'honneur de la « Compagnie de Saint-Louis-de-Gonzague » de hautes per­sonnalités civiles et religieuses, comme le philosophe Rosmini, fondateur des Rosmi­niens, le Chanoine de Gaudenzi. plus tard évêque de Vigevano, le Cardinal Antonucci, archevêque d'Ancóne, le Cardinal Antonelli, sous-secrétaire d'État, le pape lui-même, Pie IX, et les deux frères Cavour. Le plus illustre des deux, Camille, le grand homme d'État, apparaît assez bien dépeint sous la plume de Don Bosco dans une note secrète conservée aux archives de la Congrégation Salésienne. Elle fut écrite au soir d'une des onze perquisitions dont le saint fut la victime. « L'honorable député, qui nous rendit plusieurs fois visite, aimait à s'entretenir, sur la cour, avec nos enfants. Il lui arrivait même de prendre part à nos cérémonies ; plus d'une fois il suivit, cierge en mains, la procession de Saint-Louis. Si je manifestais le désir de lui parler, il exigeait que je le fisse à sa table, partageant son repas. » Le jugement de l'homme de Dieu sur l'homme d'État n'en est pas moins sévère : « La vie de cet homme politique est connue de tous, écrit-il : belles promesses, sourires distribués à gauche et à droite, mais, à peine le dos tourné, de bien vilaines choses. » Son frère Gustave était, lui, un franc et zélé catholique. Cavour, en astucieux politique comptait, sans nul doute, se servir un jour de l'habileté de Don Bosco, pour l'aider à régler les rapports difficiles surgis entre le Vatican et le Quirinal.

24 (3) Don Bosco a laissé la date en blanc. Celle que nous donnons est celle que porte le document cité.

25 (4) Ce fut à propos de cet incident que l'archevêque y alla de ce mot « Il faut se garder de manquer de respect à ces garçons et leur parler la tête découverte verte. »

26 (1) Le fait arriva en mai 1847. et le garçon ne demeura avec Don Bosco que jusqu'en novembre. On lui chercha du travail, on l'hébergea à fond, et, avec l'hiver. le travail ayant cessé, il retourna à son village et on ne le revit plus.

27 (2) Ce second pensionnaire, Don Bosco le trouva sur le cours Reine-Marguerite. II pleurait, la tête appuyée à un arbre. Il était orphelin de père : sa mère était morte la veille, et le propriétaire l'avait mis à la porte. après s'être emparé de tout ce que contenait le logis, pour payer le loyer en retard. Don Bosco le confia à sa mère et. comme il était de nature plutôt fine, il lui chercha et lui trouva un poste d'employé dans un magasin. Ce protégé du saint finit par se créer une jolie situation, et se montra toujours digne de son grand bienfaiteur. Que de tels gestes se rencontrent encore dans l'action d'éducateurs salésiens, on en trouvera la preuve encourageante dans « Don Bosco aujourd'hui " (Bulletin salésien français), numéro de mars-avril 1977: « Dos­sier: Adolescents de banlieue. par Bruno du Pouget.

28 (1) A cette époque, l'immense quartier qui entoure la gare principale de Turin n'existait pas. C'était des terrains vagues, où s'ébattaient des nuées d'enfants. On se trouvait à la périphérie d'une ville qui, selon toutes les apparences, allait se développer dans cette direction-là.

29 (2) La seconde église que construisit Don Bosco, Saint-Jean-l'Évangéliste, vaste et des plus fréquentées, couvre totalement l'espace qu'occupait alors ce patronage avec sa petite chapelle.

30 (1) Elle fut promulguée le 4 mars 1848.

31 (2) Des décrets qui accordaient pleine liberté de culte aux Vaudois et aux Israéli­tes, datent des 17 et 29 mars 1848. La pétition qui les réclamait était d'ailleurs signée d'une centaine de membres du clergé séculier et régulier.

32 (3) Voilà la véritable origine du « petit mot du soir » chez Don Bosco. Elle n'est pas ailleurs, de l'aveu même de son créateur, qui en faisait ainsi l'éloge : « Tous les soirs, finies les prières, et avant que les élèves ne gagnent leurs lits, le Directeur ou son remplaçant adresse quelques bonnes paroles, quelque bon conseil sur le bien à faire ou le mal à éviter. Autant que possible on s'inspirera pour ce bref avis des faits arrivés au cours du jour, à la maison ou dehors. Cela ne dépassera pas trois minutes. Cette pratique est la clef de la moralité, de la bonne marche de la maison, et du succès en éducation. »

33 (4) En 1874, Don Bosco revenait sur ce déboussolement des esprits en 1848, narrant les souvenirs suivants: « En ce temps-là un vent de folie souffla sur les Ordres religieux, les Congrégations, le clergé, toutes les autorités de l'Église ; cette campagne de rage eut comme conséquence immédiate un abaissement sensible de la moralité, de la piété, du goût pour la vocation ecclésiastique. Tandis que, d'un côté, les Ordres religieux allaient s'amenuisant de plus en plus, les prêtres étaient vilipendés, empri­sonnés, condamnés souvent à résidence forcée. Comment dès lors pourrait-on voir surgir de nouvelles vocations ? C'est vers cette époque-là que le Seigneur fit connaître, de façon claire, qu'il pensait recruter un nouveau genre de milice, levée non plus, comme jadis, au sein des familles aisées qui, envoyant leurs fils aux collèges d'État ou aux écoles publiques, exposaient, de ce fait, des vocations possibles au péril de l'étouffement, mais ailleurs, dans le monde des petits, des ouvriers, des artisans, des paysans, où l'appel de Dieu les prendrait pour les mener jusqu'aux autels. » C'est bien ce que fit Don Bosco, dès ses premières années d'apostolat, au milieu de ce petit peuple.

34 (5) Même sur ce terrain-là Don Bosco fut un homme d'avant-garde, un précur­seur. Ce fut une véritable nouveauté que cette retraite fermée, ou presque, pour jeunes ouvriers, en 1847.

35 (6) Don Bosco appelait lui-même sa chapelle : la paroisse des enfants laissés pour compte.

36 (1) Cette procession du Jeudi Saint, la maison de Don Bosco la maintint jusqu'en 1866.

37 (2) C'est à l'érection de ce chemin de croix, qui est du ler avril 1847, que remonte le pieux usage longtemps en vigueur dans les maisons salésiennes de le faire publique­ment chaque vendredi de Carême.

38 (1) Elle fut louée au prix de mille cent cinquante lires, bail de trois ans, du 1er avril 1849 au 31 mars 1852. Le locataire était l'abbé Borelli ; Don Bosco signa, comme témoin, l'acte notarié.

39 (2) C'est la première. mais ce ne sera pas la dernière fois que nous verrons Don Bosco faire passer les intérêts de son diocèse avant les siens propres. Pour lui. l'oeuvre des vocations sacerdotales demeurera toujours la première.

40 (3) Exactement trente-trois, si nous nous reportons aux listes de souscriptions.

41 (4) 11 y eut en outre un article de Gustave Cavour, frère du grand homme d'État sur l'Arrnonia, de Turin ; Rohrbacher, luì-méme, dans sa volumineuse Histoire de l'Église fait allusion à ce don touchant. « Fait plus remarquable encore : certains jeunes gens, très pauvres, des ouvriers. parvinrent. en économisant sou à sou, à réunir la somme de trente-trois francs et à l'envoyer au secrétaire de l'Association. accompa­gnée d'une lettre à tirer les larmes des yeux. »


42 (5) Cet abbé obtint de ses supérieurs la permission de rester à l'Oratoire, avec Don Bosco, durant ses études théologiques. Il faisait partie du groupe de jeunes qu'avait particulièrement suivis le saint, décelant en eux des signes de vocation sacer­dotale.

43 (1) « Pour frapper les imaginations, écrit le premier biographe du saint, des batail­lons d'enfants défilaient en tunique et pantalon de velours noir, feutre arme d une plume en tête. d'où sortaient d'épaisses chevelures frisées. Poignard à la ceinture et, sur la poitrine, pendant au gousset par une chaînette, une médaille representant l'Italie. » On a revu cela depuis: Rien de nouveau sous le soleil !

44 (2) Don Bosco aimait profondément sa patrie ; mais par ses relations. surtout grâce aux entretiens fréquents qu'il avait avec son archevêque, il voyait ce que d' autres ne voyaient pas, quelles batailles se préparaient contre l'Église, sous le couvert de ces mouvements patriotiques. D'où sa réserve et son extrême prudence. La politique de parti, jamais Don Bosco ne voulut en faire. « Aucun parti ne pourra me compter dans ses rangs, » disait-il souvent.

45 (3) Un grand évêque italien, Mgr Bonomelli, de Crémone. rapporte dans un de ses livres un bout de conversation qu'il eut avec Don Bosco : «Avec sa façon toute simple, mais empreinte d'un sens pratique rare, il me dit ces paroles précises que je n'oublierai jamais : Je me suis aperçu en 1848, que, si je voulais faire un peu de bien, je devais m'abstenir de toute politique. En agissant de la sorte, non seulement je suis arrivé à certains résultats, je n'ai pas trouvé d'obstacles sérieux sur ma route, mais j'ai même trouvé aide et secours là d'où je les attendais le moins. » On pourra se faire une juste idée de la politique du moment, nettement anticléricale, utilisée pour ses fins de déchristianisation par la maçonnerie en lisant les pages consacrées au « climat politique et religieux du Piémont de 1848 à 1860 » et « Don Bosco et le nouvel État italien » par F. Desramaut dans Don Bosco et la vie spirituelle, p. 30-31 et 50-52. Quand le service de l'Église et le bien des âmes l'exigèrent il ne se refusa pas à des démarches politiques entre l'État italien en crise de croissance et le Saint-Siège outré de ses ingérences dans la vie de l'Église. Sa conciliation permit de pourvoir de pasteurs de nombreux évêchés restés vacants après la mort de leurs titulaires par suite des tensions politiques entre Église et État.

46 (1) L'Armonia était un journal de combat catholique à la tète duquel était un écrivain de talent, l'abbé Margotti. II cessa sa publication en 1859 pour faire place à l'Unità Cattolica qu'il dirigea jusqu'à sa mort en 1877.

47 (2) Plutôt qu'immoral, au sens courant du terme, le journal était anticlérical.

48 (3) Le jeune clergé, impatient de tout joug ou faussé dans son esprit par la lecture des livres de Gioberti ou par une générosité d'âme parfois trop candide, se laissait souvent emporter par l'ivresse générale. Quand Don Bosco traite « d'immoral » le sermon du trop fougueux abbé, c'est dans ce sens qu'il faut l'entendre. Il se laisse d'ailleurs prendre par l'antinomie moral-immoral.

49 (1) Don Bosco écrit « de littérature » ; il ne s'agit évidemment pas de la discipline que nous mettons sous ce mot. Il apprend simplement à s'exprimer correctement en langue italienne à ses jeunes piémontais plus à l'aise dans leur dialecte ou l'argot des rues.

50 (2) Entre la recherche du travail pour ses apprentis, les visites qu'il leur faisait dans leurs ateliers ou leurs boutiques, celles qu'il rendait aux garçons malades, la coupe et la confection de leurs habits, faide qu'il apportait à la cuisine, et la récitation de son bréviaire, le pauvre abbé n'avait guère le temps, en semaine, de souffler.

51 (3) C'était le grand philosophe italien, fondateur de la Congrégation des Rosmi­niens. Don Bosco l'avait en particulière estime, quoiqu'il ne partageât pas certaines de ses opinions métaphysiques.

52 (1) Le laconisme du dialogue rend ambigus les mots de M. Pinardi : al prezzo richiesto, « au prix demandé » : par qui ? II en avait demandé, lui, quatre-vingt mille francs, prix jugé exorbitant par Don Bosco qui le redira plus loin. II semble donc qu'ici Pinardi invite son interlocuteur à faire lui-même une offre, ce à quoi, Don Bosco, diplomate, fait semblant de se refuser.

53 (2) Comme nous l'avons déjà dit, elle ne put être achetée définitivement qu'en 1884, à la mort du propriétaire, au prix non de cent quatre-vingt mille francs que demandaient les héritiers, mais de cent mille. Le comte Colle solda l'achat. Pendant quarante ans, elle servit à divers usages, puis fut abattue.

54 (1) La chapelle de la maison Pinardi céda la place à une salle d'études. puis au réfectoire des supérieurs de la maison. C'est à cet endroit que Pie X, alors chanoine Joseph Sarto, s'assit, et un jour aussi Pie XI, abbé Achille Ratti. Elle est maintenant redevenue chapelle, à l'usage de la communauté de l'Oratoire Saint-François-de­Sales.

55 (2) Avant de se lancer dans cette importante construction, il prit l'avis de la Très Sainte Vierge en se rendant en pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame-d'Oropa, le plus célèbre des sanctuaires piémontais.

56 (3) Chargé auprès du gouvernement royal de l'administration des bénéfices ecclé­siastiques vacants.

57 (4) Les premiers mots de cette annotation ont été ajoutés en marge du manuscrit, la suite est insérée dans le récit. Une note de l'édition de Don Ceria précise que le document cité ne comporte pas le texte de ce procès-verbal et qu'on n'a pu en retrou­ver aucune trace.


58 (5) L'évêque fait ici allusion au temple vaudois que les protestants de Turin construisaient aux abords de la gare. C'est pour arrêter cette propagande qu'un jour Don Bosco bâtit l'église Saint-Jean-l'Évangéliste.

59 (6) La loterie était alors le grand moyen de recueillir le nerf de la guerre pour les grandes oeuvres. Don Bosco pour son compte en lança onze. Ce moyen fit ensuite place aux kermesses. C'est à propos du lancement de cette première loterie qu'on peut saisir sur le vif le sens éminemment pratique de l'homme de Dieu. Il n'aban­donna rien au hasard. Son premier soin fut de constituer des groupes de zélateurs et zélatrices dans tous les rangs de la société : aristocratie, bourgeoisie, artisanat, peuple, composés surtout de tempéraments dynamiques. A la tête de l'entreprise une commis­sion de vingt membres aux noms imposants qui se chargea d'abord d'obtenir l'autori­sation du Ministère, ensuite de diffuser un appel à toutes les couches de la société. Puis une immense salle, assez centrale, fut choisie pour l'exposition des lots, sollicités de la charité publique et obtenus assez facilement. Enfin, un fascicule de 300 pages fut mis en vente chez les deux plus grands libraires de Turin, au prix dérisoire de cinquante centimes. I1 contenait l'appel ci-dessus mentionné, le programme de tirage et surtout la description de chacun des lots numérotés : il y en avait 3 251. Un des visiteurs de la salle d'exposition fut Camille Cavour, reçu par Don Bosco lui-même.

60 (1) Nous utilisons la traduction donnée par le P. Auffray dans Quarante années d'épreuves, p. 244. Le commentateur italien note ici : « Espérons que la musique était meilleure que les vers'. »

61 (2) Ce cantique fut composé par Don Bosco et il n'est pas besoin d'en souligner la signification !

62 (3) Voici une initiative qui démontre la créativité de Don Bosco en matière d'organisation sociale. Le livret auquel il est fait allusion parut à Turin en 1850.

63 (4) Don Bosco et Silvio Pellico contribuèrent à implanter les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul en Piémont. La « conférence annexe » fut constituée en 1857.

64 (1) A cette construction, achevée en 1852, tout le petit peuple des enfants du saint concourut. Déjà avancé en âge le Cardinal Cagliéro dit un jour à Rome. d'un air triomphant, au P. Auffray : « Et moi aussi j'ai porté des tuiles pour couvrir le toit de la chapelle Saint- François-de-Sales ! » Cette humble chapelle, capable tout de même de contenir quatre cents enfants, fut le témoin des prières et des extases de saint Dominique Savio. Si les murs pouvaient parler, ils raconteraient des choses étonnantes. incroyables.

65 (2) L'avait-il volé ? - En effet, en 1928, au cours de certains travaux de réfection. on s'aperçut que les murs-maîtres, de cet édifice avaient été malhonnêtement cons­truits avec les gros cailloux du Pô et un minimum de chaux.

66 (3) Don Bosco a déjà mentionné l'existence de ce clocher au début du chapitre.

67 (4) Cette chambre, Don Bosco l'occupa jusqu'en 1861. A cette date, devant l' affluence des visiteurs qui demandaient chaque matin audience, elle devint anticham­bre, et le Père se reporta sur la chambre contigue, à l'arrière de celle-ci.

68 (5) L'abbé Ximenès, directeur d'un journal catholique, Le Contemporain, publié à Rome, fut assassiné. Mgr Palma, nonce pontifical et rédacteur à ce journal, mourut d'un coup de fusil dans les salles mêmes du Quirinal.

69 (6) Le Catholique instruit de sa religion... Entretiens d'un père de famille avec ses enfants sur les besoins des temps, condensés par le prêtre Jean Bosco. Cette publication parut de mars au mois d'août en six fascicules. C'était un traité populaire de la vraie religion qui réfutait, en passant, toutes les erreurs et les impiétés colportées par les protestants vaudois et démontrait la mauvaise foi des propagandistes. De ce livre la Civiltà cattolica disait: « Petit de format, riche de substance. »

70 (7) Le local de cette auberge existait toujours en 1951, exhaussé d'un étage. Il était à deux pas de la maison de Don Bosco. De telles maisons louches pullulaient alors dans ce quartier isolé.

71 (8) Sans doute les jeunes de Don Bosco menacèrent-ils plusieurs fois le vaurien pendant les trois heures que la police mit à intervenir.

72 (9) C'était la couleur de son poil qui l'avait fait dénommer ainsi. Ce devait être un chien-loup. D'aspect vraiment formidable, tel que, la première fois que maman Marguerite le vit, elle s'exclama: « Oh ! la sale bête ! » ; le museau allongé, oreilles droites, hauteur presque un mètre.

73 (10) N'ayant pas trouvé son protégé en chemin, le chien était venu s'assurer qu'il était bien rentré.

74 (11) La dernière fois pour l'époque où Don Bosco écrivait ce récit. Mais il retrouva une autre fois le mystérieux animal en 1883, dans l'obscurité d'un soir d'hiver en se rendant de Vintimille à Vallecrosia. En diverses circonstances il en parla, spécialement une fois, entre amis, à Nice ; était présent le Dr d'Espiney, son premier biographe français, qui le racontait à qui voulait l'entendre.

75 (12) Don Bosco ne chercha jamais à savoir à qui il appartenait: « Qu'est-ce que ça peut bien faire ? disait-il. L'important est qu'il soit mon bon ami! » Comme en 1883, Don Bosco contait à Marseille, chez les Olive, vieille famille du cru, sa récente apparition, quelqu'un hasarda: « Mais, Don Bosco, votre « gris » avait passé deux ou trois fois l'âge normal des chiens. - Possible ! Possible! Alors ç'aura été son fils, ou plutôt son petit-fils. » D'un sourire, le bon saint éludait la question.


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Troisième décennie 1835-1845