Obéissance


Obéissance

DON BOSCO AUX CONFRÈRES SALÉSIENS*


(*) Regole o Costituzioni della Società di S. Francesco di Sales, Turin 1885, introdu­zione, p. 3-46, passim.


Très chers fils en Jésus-Christ, nos Constitutions ont été définitive­ment approuvées par le Saint-Siège le 3 avril 1874.

Nous devons saluer cet événement comme un des plus glorieux pour notre Congrégation, comme un acte qui nous assure que dans l'observance de nos Règles, nous reposons sur des bases solides, inébranlables et pour ainsi dire infaillibles, puisqu'il est infaillible le jugement du Chef suprême de l'Église qui les a sanctionnées.

Mais quelle que soit la valeur de cette approbation, elle servirait de peu si ces Règles n'étaient pas connues et fidèlement observées. C'est pour que tous puissent facilement les connaître, les lire, les méditer, et par suite les observer, que j'ai jugé à propos de vous les présenter, en une fidèle traduction [...].


Mais je crois bon de vous signaler d'abord quelques détails prati­ques qui vous apprendront à connaître l'esprit qui anime ces Rè­gles et vous aideront à les observer avec soin et amour. Je parle le langage du cœur et j'expose brièvement ce dont l'expérience m'a démontré l'opportunité pour votre profit spirituel et pour le bien de toute notre Congrégation.


Les vœux

La première fois que le Souverain Pontife Pie IX daigna parler de la Société salésienne, il prononça ces paroles: "Dans une congréga­tion ou société religieuse, les vœux sont nécessaires, afin que tous les membres soient unis à leur supérieur par un lien de conscience, et que le supérieur reste, avec ses religieux, uni au chef de l'Église et par conséquent à Dieu lui-même".

On peut donc, en quelque sorte, appeler nos vœux tout autant de liens spirituels par lesquels nous nous consacrons au Seigneur, et remettons au pouvoir du supérieur notre volonté, nos biens, nos forces physiques et morales, afin de former tous ensemble un seul cœur et une seule âme, pour travailler à la plus grande gloire de Dieu selon nos Constitutions. C'est à quoi nous invite l'Église quand elle demande à Dieu, dans ses prières: "Que nos œuvres soient animées d'une même foi et d'une même piété".

Les vœux sont une offrande généreuse qui accroît considérable­ment le mérite de nos actions. Saint Anselme enseigne qu'une œu­vre bonne, mais indépendante d'un vœu, est comme le fruit d'un ar­bre. Celui qui fait cette œuvre en vertu d'un vœu offre à Dieu l'arbre lui-même. D'après saint Bonaventure, faire une bonne œuvre en dehors de tout vœu, c'est offrir le revenu, mais non le capital; la faire d'après un vœu, c'est offrir à Dieu revenu et capital. En outre, l'enseignement unanime des Pères est que toute action faite d'après un vœu a un double mérite: d'abord le mérite de la bonne œuvre, et en second lieu celui de l'accomplissement du vœu.

L'acte lui-même de l'émission des vœux de religion, selon la doc­trine de saint Thomas, nous rend l'innocence baptismale, c'est-à­-dire nous met dans l'état de celui qui vient de recevoir le baptême. Les docteurs de l'Église ont coutume de comparer les vœux reli­gieux au martyre; ils disent que le mérite attaché à l'émission des vœux égale le mérite du martyre; en effet, ajoutent-ils, ce qui dans les vœux manque à l'intensité est remplacé par la durée.

Mais s'il est vrai que les vœux augmentent à ce point le mérite de nos œuvres et les rendent si chères à Dieu, nous devons veiller avec le plus grand soin à les bien observer. Celui qui ne se sentirait pas le courage de les garder, doit, ou ne pas les émettre, ou du moins en différer l'émission jusqu'à ce qu'il trouve dans son cœur la ferme résolution de les accomplir. Sinon il ferait à Dieu une pro­messe folle et infidèle qui ne pourrait que lui déplaire. "Car, dit l'Esprit-Saint, une promesse infidèle et imprudente déplaît à Dieu" (Qo 5,3).

Préparons-nous donc bien à cette héroïque consécration, mais quand nous l'aurons faite, efforçons-nous d'y rester fidèles, même au prix de longs et rudes sacrifices: "Soyez fidèles aux promesses que vous avez faites au Très-Haut" (Ps 49,14), comme il nous l'or­donne lui-même.



Dans la vraie obéissance, dit saint Jérôme, se trouve l'ensemble de toutes les vertus. Toute la perfection religieuse consiste, au témoignage de saint Bonaventure, dans la suppression de la volonté propre, ce qui veut dire dans la pratique de l'obéissance. L'homme obéissant, dit le Saint-Esprit, publiera ses victoires (Pr 21,28). Saint Grégoire le Grand conclut que l'obéissance conduit à la pratique de toutes les vertus et les conserve toutes (Moral. 1,35).

Mais cette obéissance doit être conforme à celle du divin Sauveur, qui la pratiqua dans les choses les plus difficiles et jusqu'à la mort de la croix (Ph 2, 8). Nous devrions être disposés nous aussi, si la gloire de Dieu le demandait, à obéir jusqu'au sacrifice de notre vie.


Que l'on obéisse donc de bon cœur, soit aux ordres formels des su­périeurs, soit aux règles de la Congrégation ainsi qu'aux coutumes spéciales de chaque maison. Et si parfois il arrive de manquer à cette vertu, que l'on sache s'excuser de la manière la plus convena­ble auprès du supérieur auquel on a désobéi. Cet acte d'humilité est d'un immense secours pour obtenir le pardon de la faute commise, ménager la grâce du Seigneur pour l'avenir, et nous tenir sur nos gardes afin de ne plus retomber.


L'apôtre saint Paul, en recommandant cette vertu, ajoute: Obéis­sez à vos supérieurs et soyez soumis à leurs ordres; car ils doivent veiller comme ayant à rendre compte à Dieu de vos âmes. Obéis­sez volontiers et promptement afin qu'ils puissent accomplir leur of­fice de supérieurs avec joie et non en gémissant (He 13,17).

Retenez bien ceci: ne faire que ce qui nous plaît et nous est agréa­ble, ce n'est pas une obéissance vraie: c'est suivre sa volonté pro­pre. La véritable obéissance qui nous rend chers à Dieu et à nos su­périeurs consiste à faire de bon cœur tout ce qui est prescrit par nos Constitutions ou par nos supérieurs, car, dit saint Paul: "Dieu chérit celui qui donne avec joie" (2 Co 9,7). Elle consiste encore à nous montrer dociles, même dans ce qui est difficile ou qui contrarie no­tre amour-propre, et à l'accomplir au prix de n'importe quelle peine et de n'importe quel sacrifice. Dans ces circonstances l'obéissance coûte davantage, mais aussi elle est bien plus méritoire et nous conduit à la possession du royaume des cieux, selon ces paroles du divin Rédempteur: "Le royaume des cieux souffre violence et ce sont les violents qui l'emportent" (Mt 11 ,12).

Si vous pratiquez l'obéissance de la manière que j'ai indiquée, je vous assure, au nom du Seigneur, que vous aurez dans la Congrégation une vie réellement tranquille et heureuse. Mais en même temps, je dois vous avertir que, du jour où vous voudrez agir non pas selon l'obéissance, mais selon votre volonté, vous commence­rez dès lors à ne plus vous trouver contents de votre état. Si dans les divers instituts on trouve bon nombre de mécontents, des per­sonnes à qui la vie commune est lourde à supporter, qu'on y fasse attention, et l'on verra que cela vient du défaut d'obéissance et de l'attachement à la volonté propre. Au jour de votre mécontente­ment, réfléchissez sur ce point et sachez y remédier.


Pauvreté

Si nous ne laissons pas le monde par amour, nous devrons un jour le laisser par force. Ceux qui, dans le cours de leur vie mortelle, l'abandonnent spontanément, auront le centuple de grâces en cette vie et la récompense éternelle dans l'autre. Ceux, au contraire, qui ne savent pas se résoudre à faire volontairement ce sacrifice, devront le faire par force, au moment de la mort, mais alors sans récompense, et avec obligation de rendre un compte ri­goureux de tous les biens qu'ils ont pu posséder.

Il est vrai que nos Constitutions permettent la possession et l'usage de tous les droits civils; mais une fois entré dans la Congrégation, on ne peut plus disposer de ses biens ni les administrer qu'avec le consentement du supérieur et dans les limites fixées par lui.

Aussi, dans la Congrégation, le salésien est-il considéré comme ne possédant absolument rien, parce qu'il s'est fait pauvre pour deve­nir riche avec Jésus-Christ. Il suit l'exemple du Sauveur qui naquit pauvre, vécut dans la privation de tout et mourut dépouillé sur la croix.

Écoutons, en effet, ce que dit le divin Maître: "Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple" (Lc 14,33). Quelqu'un lui ayant demandé de se mettre à sa suite: "Va, lui dit-il, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, puis viens, suis-moi, et tu auras un trésor dans le ciel" (Mt 19,21).

Il disait à ses disciples de ne pas posséder plus d'un vêtement et de ne point se préoccuper de ce qui leur serait nécessaire pendant le temps de leurs prédications. De fait, nous ne lisons nulle part que Notre Seigneur, ni ses apôtres, ni quelqu'un des disciples aient possédé en propre des champs, des maisons, des meubles, des habits, des provisions, ou d'autres choses semblables. Et saint Paul dit clairement que ceux qui suivent le Christ, doivent, en tout pays et dans tout genre de ministère, se contenter de ce qui est né­cessaire pour se nourrir et se vêtir: « Si nous avons la nourriture et le vêtement, ne désirons pas davantage" (1 Tm 6,8).

Tout ce qui est en plus des aliments et des vêtements est pour nous superflu et contraire à la vocation religieuse. Il est vrai que nous au­rons parfois à endurer quelques privations dans les voyages ou dans nos occupations, bien portants ou malades. Plus d'une fois, la nourriture ou le vêtement ne seront pas de notre goût. Mais c'est précisément alors que nous devrons nous souvenir que nous avons fait profession de pauvreté, et que si nous voulons en avoir le mérite et la récompense, nous devons en supporter les consé­quences. Tenons-nous en garde contre un genre de pauvreté hau­tement blâmé par saint Bernard. Il y en a, dit-il, qui se glorifient d'être appelés pauvres, mais qui n'acceptent pas les compagnons de la pauvreté. D'autres acceptent d'être pauvres, pourvu que rien ne leur manque.

Que si notre état de pauvreté devient pour nous l'occasion de quel­que gêne ou de quelque souffrance, réjouissons-nous avec saint Paul, qui se disait au comble de la joie dans toutes ses tribulations (2 Co 7,4). Imitons aussi les apôtres, qui étaient au comble du bon­heur, en sortant du sanhédrin, "parce qu'ils y avaient été jugés dignes de souffrir et d'être méprisés pour le nom de Jésus" (Ac 5,41). C'est précisément à ce genre de pauvreté que le divin Sau­veur non seulement promet, mais assure le paradis en disant: "Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux" (Mt 5,3).

Bien plus, vivre en cet état de pauvreté, habiter volontiers une chambre incommode ou pauvrement meublée, porter des vêtements usés, se nourrir frugalement, tout cela honore grandement celui qui a fait voeu de pauvreté, parce qu'il se rend semblable à Jé­sus-Christ. C'est encore pratiquer la pauvreté que de ne rien dété­riorer, avoir soin des livres, des vêtements, des chaussures, comme aussi de ne point rougir d'avoir à son usage des objets de peu de valeur ou de porter des habits déjà vieux et rapiécés.


Chasteté

La vertu éminemment nécessaire, vertu grande, vertu angélique, qui resplendit au-dessus de toutes les autres, c'est la chasteté. Ce­lui qui possède cette vertu peut s'appliquer ces paroles du Saint-­Esprit: "Tous les biens me sont venus avec elle" (Sg 7,11).


Le Sauveur assure que tous ceux qui possèdent ce trésor inestima­ble deviennent, même dès cette vie mortelle, "semblables aux anges" (Mt 22,30).

Mais ce lis éclatant de blancheur, cette rose précieuse, cette perle inestimable est en butte aux attaques de l'ennemi de nos âmes, parce qu'il sait que, s'il réussit à nous la ravir, nous pouvons regar­der l'affaire de notre sanctification comme perdue. La lumière se change en ténèbres, la flamme en noir charbon, l'ange du ciel en démon, et par suite toute vertu s'évanouit.

C'est pour ce motif, ô mes chers fils, que je crois très utile pour vos âmes de vous donner certains avis, dont la mise en pratique vous procurera de grands avantages ; il me semble même pouvoir vous assurer qu'ils vous aideront à conserver cette vertu. et toutes les autres.

Retenez donc ceci:

1. N'entrez pas dans la Congrégation sans avoir demandé conseil à une personne prudente, qui vous juge capable de ne point faillir à cette vertu.

2. Evitez toute familiarité avec les personnes de l'autre sexe, et ne contractez jamais d'amitiés particulières avec les enfants que la divine Providence confie à nos soins. Ayez de la charité envers tous, mais jamais d'attachement sensible pour aucun. Ou n'aimez personne, ou bien aimez tout le monde également, dit saint Jérôme à ce sujet.

3. Après la prière du soir, gagnez sur-le-champ votre chambre, et évitez toute conversation jusqu'au matin après la sainte messe.

4. Veillez à la garde de vos sens. Le Saint-Esprit dit que le corps appesantit l'âme (Sg 9,15). C'est pour ce motif que saint Paul s'efforçait de le dompter par de dures austérités, bien que ce corps fût accablé de travaux. Il écrivait: "Je châtie mon corps et le réduis en servitude" (1 Co 9,27).

Je vous recommande particulièrement la tempérance dans le boire et le manger; le vin et la chasteté ne peuvent demeurer ensemble.

5. Les plus terribles écueils de la chasteté sont les lieux, les personnes et les choses du siècle. Fuyez-les avec grand soin, et tenez-vous en éloignés, non seulement de corps, mais même d'esprit et de cœur. Il ne me souvient pas avoir lu ou entendu dire qu'un religieux soit allé dans son pays et en ait rapporté quelque avantage spirituel. Au contraire, on en compte par milliers, qui, n'ayant pas voulu le croire, ont désiré en faire l'expérience; ils ont éprouvé d'amères désillusions, et un assez grand nombre d'entre eux a été malheureusement victime de son imprudence et de sa témérité.

6. Pour triompher de tout vice et garder fidèlement la chasteté, rien n'est plus efficace que l'observance de nos saintes Règles, surtout des vœux et des pratiques de piété. C'est avec raison que la religion chrétienne est comparée à une ville forte, selon ces paroles d'Isaïe: "Notre ville forte, c'est Sion; le Seigneur y mettra un mur et un avant-mur" (Is 26,1).

En effet, les vœux et les Règles d'une communauté religieuse sont comme autant de forts avancés. La muraille ou le bastion de la reli­gion, ce sont les commandements de Dieu et de l'Église; pour les faire violer, le démon met en œuvre toutes sortes de ruses et d'arti­fices. Mais pour amener les religieux à les transgresser, il cherche d'abord à abattre l'avant-mur et le fort avancé, c'est-à-dire les Rè­gles ou Constitutions de leur institut. Quand l'ennemi veut séduire un religieux et le pousser à violer les préceptes divins, il commence par lui faire négliger les petites choses, puis de plus grandes; après cela, il l'induit très facilement à la violation de la loi du Seigneur comme pour vérifier l'oracle du Saint-Esprit: "Celui qui néglige les petites choses tombera peu à peu" (Si 19,1).

Donc, ô mes chers fils, demeurons attachés à l'exacte observance de nos Règles si nous voulons être fidèles à accomplir les pré­ceptes divins, surtout le sixième et le neuvième. Mettons ensuite une sollicitude constante et empressée à observer ponctuellement les pratiques de piété, qui sont le fondement et l'appui de tous les instituts religieux, et nous vivrons chastes comme des anges.

Charité fraternelle


On ne peut aimer Dieu sans aimer son prochain. Le même précepte qui nous prescrit l'amour de Dieu nous commande l'amour de notre semblable. Nous lisons en effet, dans la première épître de saint Jean l'évangéliste, ces paroles: "C'est Dieu lui-même qui a ordonné que celui qui aime Dieu aime aussi son frère". Au même endroit saint Jean déclare menteur quiconque prétend aimer Dieu, tout en détestant son frère. "Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, celui-là est un menteur" (1 Jn 4, 20­-21 ).


Lorsque dans la communauté règne la charité fraternelle, que tous les confrères s'aiment mutuellement, et que chacun jouit du bien de l'autre comme si c'était son bien propre, alors cette maison devient un paradis, et on touche du doigt la justesse de la parole du Psal­miste : "Oh! qu'il est bon et agréable pour des frères de vivre en­semble dans l'union !" (Ps 132,1). Mais dès que l'amour propre do­mine et que naissent des discordes et des dissentiments entre confrères, cette maison devient plutôt comme l'enfer. Le Seigneur se plaît grandement à voir des frères vivre dans une maison "in unum", c'est-à-dire unis dans une même volonté de servir Dieu et de s'aider avec charité les uns les autres. C'est l'éloge que saint Luc fait des premiers chrétiens, à savoir qu'ils s'aimaient au point de faire croire "qu'ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme" (Ac 4, 32).


Ce qui nuit beaucoup aux communautés religieuses, ce sont les murmures directement contraires à la charité. "Le murmurateur souillera son âme et sera odieux à tous" (Si 21,28). Au contraire, quelle édification répand un religieux qui parle en bien de son pro­chain et sait à l'occasion excuser ses défauts! Évitez donc toute pa­role de murmure, en particulier contre vos confrères et surtout con­tre vos supérieurs; c'est aussi du murmure et pire encore, que d'in­terpréter en mal les actions vertueuses ou d'y déceler une mau­vaise intention.


Gardez-vous pareillement de rapporter aux confrères le mal que d'autres ont pu dire d'eux; car c'est de là que naissent parfois des inimitiés et des rancunes qui durent des mois et des années. Oh! quel compte auront à rendre à Dieu ceux qui, dans les communau­tés, se laissent aller au murmure! « Le semeur de discordes est un objet de haine et d'abomination devant Dieu » (Pr 6,16.19). Si on a mal parlé devant vous sur le compte de quelqu'un, suivez le conseil du Saint-Esprit: ''As-tu entendu une parole contre ton prochain? Fais-là mourir en toi" (Si 19,10).

Ne vous permettez pas de piquer quelqu'un de vos confrères, même par plaisanterie. Les plaisanteries qui déplaisent au pro­chain et l'offensent sont contraires à la charité.

Vous serait-il agréable d'être moqués et tournés en dérision en pré­sence des autres, comme vous le faites pour votre frère?

Fuyez aussi les querelles. Quelquefois pour des bagatelles insigni­fiantes, on en vient à des contestations qui dégénèrent en discus­sions pénibles et en injures, lesquelles détruisent l'union et bles­sent la charité de manière profondément déplorable.

En outre, si vous aimez la charité, montrez-vous affables et doux avec tout le monde. La douceur est une vertu très chère à Jésus-­Christ. « Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux » (Mt 11,29). Dans vos paroles et dans vos relations soyez doux, non seulement avec vos supérieurs, mais avec tout le monde et surtout avec ceux qui, dans le passé, vous ont offensés ou qui actuellement vous regardent de mauvais œil. "La charité supporte tout" (1 Co 13,7) ; d'où il suit que celui-là n'aima jamais d’une charité véritable qui ne veut pas supporter les défauts d'autrui. Sur cette terre il n'est pas un homme, pour vertueux qu'il soit, qui n'ait ses défauts. Si donc vous voulez que les autres supportent vos défauts, commen­cez donc par supporter les leurs. C'est ainsi que vous accomplirez la loi de Jésus-Christ: « Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ », dit saint Paul (Ga 6,2).


Venons-en à la pratique. Appliquez-vous par-dessus tout à répri­mer la colère si facile à s'allumer dans certaines occasions de dis­sentiment. Abstenez-vous des paroles blessantes et plus encore des manières hautaines et dures; quelquefois les procédés gros­siers blessent plus que les paroles injurieuses.

S'il arrivait parfois qu'un confrère, après vous avoir offensé, vînt vous demander pardon, n'allez pas le recevoir avec froideur ou lui répondre d'un ton sec; soyez au contraire poli, affectueux et bien­veillant.


S'il vous arrivait par contre d'avoir offensé quelqu'un, hâtez-vous de l'apaiser et d'extirper de son cœur tout le ressentiment qu'il pourrait garder. Et selon l'avis de saint Paul, que le soleil ne se couche pas sans que vous ayez pardonné de bon cœur, et que vous vous soyez réconciliés avec votre frère (Ep 4,26). Et cela faites-le sans tarder, en réprimant la répugnance que vous pourriez éprouver.

Ne vous contentez pas d'aimer vos confrères du bout des lèvres; rendez-leur tous les services qui sont en votre pouvoir, comme le recommande saint Jean, l'apôtre de la charité: "N'aimons pas seu­lement en paroles et avec notre langue, mais en actes et en vérité" (1 Jn 3, 18). C'est encore de la charité que de condescendre aux demandes raisonnables; mais le meilleur acte de charité consiste à avoir du zèle pour le bien spirituel du prochain.


Quand l'occasion vous est offerte de faire du bien, ne dites jamais: Cela ne me regarde pas, je ne veux pas m'en mêler: c'est la ré­ponse de Caïn, qui eut l'effronterie de répondre au Sei­gneur: « Suis-je le gardien de mon frère ? »(Gn 4,9). Tout le monde doit s'appliquer, lorsqu'il le peut, à sauver son prochain de la ruine. Dieu lui-même "a ordonné que chacun prît soin de son prochain" (Si 17,14). Cherchez donc à rendre service à tout le monde, autant que vous le pouvez, par vos paroles, par vos œuvres et surtout par votre prière.


Un puissant stimulant de la charité, c'est de voir Jésus-Christ dans la personne de son prochain et de se souvenir que le divin Sauveur, d'après ses propres paroles, regarde comme rendu à lui-même le service rendu à un semblable: "En vérité, je vous le dis: Toutes les fois que vous avez fait quelque bien à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait" (Mt 25,40).

D'après ce que nous venons de dire, vous voyez combien la charité est nécessaire et combien elle est belle. Pratiquez-la donc et vous mériterez d'abondantes bénédictions du ciel.


Pratiques de piété

Si le corps a besoin de nourriture pour se soutenir et se fortifier, il faut aussi à l'âme les pratiques de piété pour la nourrir et la rendre forte contre les tentations. Tant que nous aurons du zèle pour ac­complir nos pratiques de piété, nos cœurs seront en bonne harmonie avec tout le monde, et on verra le salésien heureux et content dans sa vocation. Au contraire, il commencera à en douter, il éprou­vera de violentes tentations, quand la négligence et la tiédeur dans les pratiques de piété commenceront à se glisser dans son âme.

L'histoire de l'Église nous apprend que tous les ordres religieux et toutes les congrégations ont prospéré et procuré le bien de la religion tant que la piété y est restée en honneur. Par contre, nous en avons vu un assez grand nombre déchoir, d'autres disparaître, lorsque l'esprit de piété se fut affaibli, et que chaque membre se mit "à s'occuper de ses intérêts au lieu de penser à ceux de Jésus­-Christ" (Ph 2,21), comme certains chrétiens dont se plaignait déjà saint Paul.


Ainsi, mes très chers fils, si la gloire de notre Congrégation nous est à cœur, si nous désirons la voir se propager et se conserver floris­sante pour le bien de nos âmes et celles de nos frères, soyons bien attentifs à ne jamais omettre la méditation, la lecture spirituelle, la visite quotidienne au très Saint-Sacrement, la confession hebdomadaire, la communion fréquente et fervente, le chapelet, la petite abstinence du vendredi, etc. Bien que chacune de ces prati­ques prise séparément ne semble pas grand'chose, elle contribue néanmoins efficacement à élever l'édifice de notre perfection et de notre salut. Voulez-vous croître et grandir aux yeux de Dieu? dit saint Augustin, commencez par les plus petites choses.

La partie fondamentale des pratiques de piété, celle qui, en une certaine manière, les résume toutes, consiste à faire chaque mois l'Exercice de la bonne mort et chaque année les Exercices spirituels.

Celui qui ne pourra faire l'Exercice de la bonne mort avec la com­munauté devra le faire en son particulier. Celui qui, en raison de ses occupations, ne pourra y consacrer la journée entière, se contente­ra d'une partie, renvoyant à un autre jour le travail qui ne serait pas strictement obligatoire. Mais que tous se conforment à peu près aux règles suivantes:

1. Outre la méditation habituelle du matin, on doit faire encore, ce jour-là, une demi-heure de méditation ou une conférence le soir; cette conférence portera sur l'une des fins dernières.

2. Que la confession, que tous doivent faire ce jour-là, soit plus soignée que de coutume, comme si elle devait être la dernière de la vie; et qu'on reçoive la sainte communion comme si c'était en viatique.

3. Qu'on réfléchisse pendant au moins une demi-heure sur ses progrès ou ses reculs dans la vertu durant le mois écoulé, en particulier relativement aux résolutions de la retraite et à l'observance des saintes Règles, et qu'on prenne les résolu­tions qui s'imposent.

4. Qu'on relise aussi, ce jour-là, les Règles de la Congrégation, en entier ou au moins en partie.

5. Il sera également bon de choisir, ce jour-là, un saint ou une sainte pour protecteur du mois que l'on commence.


Je crois qu'on peut regarder comme assuré le salut d'un religieux qui, chaque mois, s'approche des sacrements et règle sa conscience comme s'il allait réellement quitter cette vie pour l'éter­nité.

Si donc nous tenons à l'honneur de notre Congrégation, si nous dé­sirons le salut de nos âmes, observons ponctuellement nos Règles, même ce qui est d'une importance secondaire, car "celui qui craint Dieu, ne néglige rien de ce qui peut contribuer à sa plus grande gloire" (Qo 7,19).


1 Des redditions de compte et de leur importance

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La confiance envers les supérieurs est une des choses qui aident le plus à la bonne marche d'une Congrégation religieuse, en même temps qu'à la paix et au bonheur de chacun de ses membres.

Grâce à cette confiance, les sujets ouvrent leur âme à leur supé­rieur, et par là leurs peines intérieures sont soulagées; les anxiétés qu'ils pourraient éprouver dans l'accomplissement de leurs obliga­tions s'évanouissent. Les supérieurs peuvent prendre les disposi­tions nécessaires en vue d'éviter à chacun toute peine, tout mécon­tentement. Ils peuvent aussi connaître les forces physiques et mo­rales de leurs sujets et, en conséquence, leur confier des emplois plus en rapport avec leurs aptitudes. Enfin, si par hasard quelque désordre venait à s'introduire, ils sont à même de le découvrir sur-le-champ et d'y porter un prompt remède.

Il a donc été établi qu'au moins une fois le mois, chacun aurait un entretien particulier avec son supérieur. A ce sujet, nos Constitu­tions disent que chaque confrère doit manifester avec simplicité et promptitude les manquements extérieurs commis contre la sainte Règle, les progrès qu'il a réalisés dans la vertu, les difficultés qu'il rencontre et tout ce qu'il croirait avoir besoin de faire connaître, afin qu'il puisse recevoir conseils et encouragements. Les points sur lesquels doivent principalement porter les redditions de compte sont les suivants:


1. Santé.

2. Étude ou travail.

3. Si l'on peut s'acquitter convenablement de son emploi et quelle diligence on y apporte.

4. Si l'on a toutes les facilités pour accomplir ses pratiques religieuses et avec quelle diligence on s'en acquitte.

5. Comment on fait les prières et les méditations.

6. Avec quelle fréquence et quelle dévotion on s'approche des sacrements.

7. Comment on observe les vœux et si l'on n'a point de doutes sur sa vocation. Mais que l'on remarque bien que la reddition de compte porte seulement sur les choses extérieures, et n'a point trait à la confession.

8. Si on a des ennuis ou des troubles intérieurs, ou de la froideur envers quelqu'un.

9. Si on a connaissance de quelque désordre auquel il pourrait être remédié, surtout quand il s'agit d'empêcher l'offense de Dieu.


Voici quelques mots de saint François de Sales au sujet des reddi­tions de compte: "Tous les mois, ils découvriront leur cœur som­mairement et brièvement au supérieur, et, en toute simplicité et fidèle confiance lui en feront voir tous les replis avec la même sincéri­té et candeur qu'un enfant montrerait à sa mère ses égratignures, ses furoncles, ou les piqûres que les guêpes lui auraient faites; et par ce moyen rendront compte tant de leur avancement et progrès que de leurs pertes et défauts ès exercices de l'oraison. des vertus et de la vie spirituelle, manifestant encore leurs tentations et peines intérieures, et non seulement pour se consoler, mais aussi pour se fortifier et humilier. Bienheureux seront ceux qui pratiqueront naïvement et dévotement cet article qui enseigne une partie de la sacrée enfance spirituelle que Notre-Seigneur a tant recomman­dée, de laquelle provient et par laquelle est conservée la vraie tran­quillité de l'esprit".

On recommande instamment aux directeurs de ne jamais manquer de recevoir ces redditions de compte. Que tous les confrères sa­chent aussi que s'il les font bien, en toute franchise et humilité, ils y trouveront un grand soulagement pour leur cœur, un secours puis­sant pour avancer dans la vertu et qu'il procureront à la Congréga­tion de très grands avantages.

Le point sur lequel je recommande la plus grande sincérité est celui qui regarde la vocation; n'en faisons pas mystère au supérieur. De tous les sujets, celui-ci est le plus important, parce que la vie entière en dépend. Il est bien à plaindre celui qui cache ses doutes sur sa vocation ou prend la résolution de quitter la Société avant d'avoir consulté un sage conseiller et sans l'avis du directeur de sa conscience ! Il s'expose à mettre en danger son salut éternel.

La première raison de l'importance et de la nécessité de procéder avec cette franchise auprès de ses supérieurs, c'est de leur fournir un moyen plus facile de gouverner et de diriger leurs sujets. Le su­périeur est obligé de les conduire et de les diriger, parce que c'est sa charge et que c'est là être directeur et supérieur. Or, s'il ne les connaît pas parce qu'ils ne s'ouvrent pas à lui, il en résulte qu'il ne pourra ni les diriger, ni les aider de ses lumières et de ses conseils.

La seconde raison, qui fait encore mieux comprendre la précé­dente, c'est que plus les supérieurs connaîtront tout ce qui concerne leurs sujets, plus ils pourront apporter de soins et de dé­vouement à les aider et à préserver leurs âmes de toutes les diffi­cultés et de tous les dangers auxquels ils pourraient être exposés, s'ils étaient placés en tel ou tel endroit, en telle ou telle occasion.

La troisième raison de l'importance de cette franchise et de cette confiance vis-à-vis des supérieurs, c'est qu'ainsi ils peuvent mieux ordonner et régler ce qui convient à la Congrégation tout entière, dont le bien et l'honneur, comme le bien et l'honneur de chacun, leur sont confiés en vertu de leur charge. Ainsi, quand vous leur ou­vrez votre cœur et leur rendez un compte exact de l'état de votre âme, vos supérieurs, tout en ayant grand souci de votre honneur et sans vous compromettre le moins du monde, peuvent procurer le bien général de la Congrégation tout entière. Mais si vous n'avez pas une entière ouverture de cœur avec eux, vous risquez votre honneur et votre âme, et même l'honneur de la communauté qui dépend du vôtre.

Oh ! quelle joie et quelle satisfaction éprouve un religieux qui s'est totalement confié à son supérieur, et lui a manifesté tout ce qui trou­ble son âme ! Qu'on lui confie un emploi, il peut s'abandonner en toute confiance à Dieu qui l'aidera et lui épargnera tout ennui: "Sei­gneur, pourra-t-il dire, ce n'est pas moi qui ai choisi cet emploi, ni ce poste: j'ai même fait connaître mon insuffisance et mon peu de ca­pacité pour un tel emploi: c'est vous, Seigneur, qui m'y avez placé et me l'avez imposé: à vous donc de suppléer à ce qui me manque". Plein de cette confiance, il dira avec saint Augustin: "Seigneur, donnez-moi ce que vous commandez, et commandez-mol ce que vous voulez". Il lui semble avoir mis Dieu dans l'obligation de lui ac­corder ce qu'il demande. Mais celui qui n'a point ouvert son cœur, qui a même négligé de faire connaître ses faiblesses, quelle conso­lation pourra-t-il avoir? Ce n'est pas Dieu qui l'envoie faire telle chose, ce n'est pas l'obéissance; il s'ingère et s'entremet de sa pro­pre volonté; c'est un intrus, ni appelé, ni mandaté: il ne réussira pas.


Cinq défauts à éviter


L'expérience a fait connaître cinq défauts que l'on peut regarder comme les cinq vers rongeurs de l'observance religieuse et la ruine des Congrégations. Ce sont: la manie de la réforme, l'égoïsme, le murmure, la négligence de ses devoirs et l'oubli que l'on travaille pour Dieu.


1. Gardons-nous d'abord de la manie de la réforme. Appliquons-nous à observer nos Règles sans nous préoccuper de les amé­liorer ou de les réformer. "Si les salésiens, disait notre grand bienfaiteur Pie IX, sans prétendre améliorer leurs Constitutions, s'appliquent à les observer ponctuellement, leur Congrégation sera toujours plus florissante".

2. Préservons-nous de l'égoïsme. En conséquence, ne cherchons jamais notre avantage privé, mais employons-nous avec le plus grand zèle au bien commun de la Congrégation. Nous devons nous aimer, nous entraider par le conseil et par la prière, soute­nir la réputation de nos confrères, non comme si c'était le bien d'un seul, mais comme le noble et essentiel héritage de tous.


3. Il ne faut pas murmurer contre ses supérieurs, ni désapprouver les dispositions qu'ils prennent. Vient-il à notre connaissance quelque chose qui nous paraît matériellement ou moralement mauvais? Il faut l'exposer humblement à ses supérieurs. C'est à eux que Dieu a confié le soin de veiller sur les personnes et sur les choses; dès lors ce sont eux, et non les autres, qui auront à rendre compte de leur gouvernement et leur administration.

4. Que nul ne néglige son emploi. Les salésiens considérés en­semble forment un seul corps, c'est-à-dire la Congrégation. Si tous les membres de ce corps font leur devoir, tout marchera avec ordre et de manière satisfaisante. Dans le cas contraire, il se produira des désordres, des secousses, des scissions, un commencement de destruction et enfin la ruine du corps entier. Que chacun donc remplisse la charge qui lui est assignée. Mais qu'il la remplisse avec zèle, avec humilité et confiance en Dieu, sans se déconcerter s'il a quelque pénible sacrifice à faire. Qu'il se console dans la pensée que sa fatigue deviendra profitable à cette Congrégation au bien de laquelle nous nous sommes tous consacrés.

5. Dans nos emplois et nos travaux, dans nos peines et nos ennuis, n'oublions jamais qu'étant consacrés à Dieu, c'est pour lui seul que nous devons nous fatiguer et de lui seul aussi attendre notre récompense. Il veut bien tenir compte des plus petites choses faites pour son saint Nom; et il est de foi, qu'au jour marqué, il nous récompensera dans la plus large mesure. A la fin de notre vie, quand nous nous présenterons à son divin tribunal, nous regardant avec amour, il nous dira: "Courage, bon et fidèle servi­teur, tu as été fidèle en de petites choses, je t'établirai sur de grandes, entre dans la joie de ton Seigneur" (Mt 25,21).



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