1988_MouillardM_Un_homme_et_un_saint_Don_Bosco


1988_MouillardM_Un_homme_et_un_saint_Don_Bosco

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un homme
et un saint
DON BOSCO

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Imprimerie Typo-Offset «DON BOSCO»
78, rue Stanislas-Torrents - 13006 Marseille

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UN HOMME
ET UN SAINT
DON BOSCO
ÉDITIONS DON BOSCO

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Quelques ouvrages ogiographiques sur Don Bosco :
* SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES. DON BOSCO.
Ed. Apostolat des Editions. Paris.
* SAINT JEAN BOSCO. A. AUFFRAY.
Ed. Don-Bosco. Bruxelles, Lyon, Paris.
* DON BOSCO. T. BOSCO.
Ed. Don-Bosco.
* UN SAINT DE TOUS LES TEMPS. V. NIGG.
Ed. Médiaspaul.
* JEAN BOSCO, L'AVENTURE ET LA JOIE. J.-P. JUNG.
Ed. Marne.
* DON BOSCO AVEC DIEU. E. CERIA.
Ed. Apostolat des Editions.
* DIVERSES BANDES DESSINEES SUR DON BOSCO.
Chez Dupuis, Fleurus, Univers-Media, Médiaspaul - Don Bosco.

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présentation
1988, année anniversaire de lentrée dans la Maison du Père de
saint Jean Bosco, était tout indiqué pour regrouper les principaux
articles des « Lectures Salésiennes » tournant autour de la « figure »
de Don Bosco. Nous indiquons par ailleurs les principaux ouvrages
bibliographiques sur ce saint de l’Eglise... Ce qui est présenté ici
na pas dautre but que de donner envie den savoir plus tout en four­
nissant une somme d’informations, rapides et variées, et en intéres­
sant le lecteur par la diversité des styles et des points de vue.
Ce troisième fascicule de la collection, après « La Spiritualité
Salésienne de Saint Jean Bosco » et « Approches de la Pédagogie
de Saint Jean Bosco», propose huit chapitres pour faciliter la lec­
ture et le déchiffrage de ce « portrait » :
Le visage de Don Bosco ..................................... p. 9
Lettres de saint Jean Bosco ............................. p. 37
Flashes sur une existence .................................. p. 57
Quelques traits de vertu ................................... p. 103
Don Bosco, saint du Peuple deDieu ................ p. 155
Saint Jean Bosco et saint Françoisde Sales .. p. 167
Don Bosco et la jeunesse ................................... p. 177
Don Bosco aujourd'hui ....................................... p. 211
LEvangile, lu par Jean Bosco et annoncé aux jeunes, est devenu
source dun témoignage riche et rayonnant. C’est le témoin de Jésus
qui a dit : « Laissez les jeunes sapprocher de moi » que nous avons
voulu présenter ici.
michel mouillard
31 janvier 1988
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seuil...

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I est un de ces saints, comme on dit, à qui on donnerait le Bon Dieu
[sans confession.
Il est un de ces saints, comme on dit, à qui on donnerait le Bon Dieu sans
[confession.
(Et je n'en dirais pas autant de tous les patentés et volontaires de la même
[profession.)
On voit tout de suite que ce n’est pas seulement un saint, mais un honnête
[homme.
Il est clair comme un matin de mai, il est rond comme une pomme.
J’aime ces épais cheveux frisés sur son front et cette impression qu il donne
[de force et d’agilite.
Partout ce Don Bosco met la main, on sent qu’il y a autorité.
Autorité et douceur, amour de Dieu et amour de ces enfants sans père qui
[sont à lui.
Partout il y a des enfants pauvres, c’est à lui.
Cette Jeunesse, toute cette pauvreté, avec l’étoile du matin sur le front.
Voilà, c’était l’Eglise qu’il souhaite.
Une Eglise à grands coups de scie et de marteau puisqu’elle croit, qui
[travaille et qui chante à tue-tête !
Et lui se tient au milieu d’eux comme Moïse, plein de sagesse et d’ordre et
[de paroles et de consolations et de sacrements.
C'est Lui qui va refaire le monde et il sait comment !
Gardez vos théories, vous autres, vos disputes et votre gouvernement.
Mol j’ai tout ce peuple d’enfants autour de moi qui grandit et qui apprend
[le Bon Dieu avec moi.
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Tout ce peuple avec moi qui apprend à lire et à se servir de ses doigts.
« Mon père ne cesse point de travailler en moi, ¡e travaille en Lui. »
Ecoutez cela mes enfants car ce sont les paroles de Jésus-Christ.
Le travail est cette chose personne ne peut se passer de tous les autres.
Cette tâche à tour de bras tous ensemble de continuer la création, elle
[est la nôtre.
« Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui avez charge sur vous », dit le
[Seigneur.
La croix et mon corps, quand vous le voudrez à manger... Je vous l’aurais dit
[s'il y avait eu quelque chose de meilleur.
Et c'est pourquoi, quand la journée est finie et que la semaine est finie et
[que c'est demain dimanche,
L ouvrier plein de fer et d’huile se lave, il a mis sa chemise blanche,
Et plein de la réclamation de ce qu'on lui a appris qui est comme du pain et
[de l’eau.
Comme un fils et comme un petit garçon, Il se jette dans les bras de Saint
[Jean Bosco.
Père, voici entre vos bras cet homme plein de simplicité et de confiance et
[de mécanique !
Dites, c’est vrai que nous irons tous au Ciel et que nous posséderons la
[République ?
Père, parce que je sais maintenant travailler et parce que j’ai barbe au menton,
Ce n est pas une raison pour que jamais entre vos bras je cesse d'être un
[petit garçon !
J'ouvre le cœur, j’ouvre la bouche, et vous, Père, dites à Dieu qu'il me donne
[le pain quotidien.
Et qu'il donne à tous les camarades la justice, parce qu’on est chrétiens!
On a recommencé de croire en Dieu, on a retrouvé à l'Eglise quelqu'un qui
[est le plus fort.
On a recommencé de jurer quelque chose à la vie et à la mort.
Parce qu’on est vieux ce n'est pas une raison pour qu’on cesse d’être des
[enfants.
Les enfants, les hommes, les femmes, tout cela tient d’un seul tenant.
Tout cela bouge et cela pousse et tout cela colle et tout cela veut ensemble,
[et tout cela commence.
Priez pour nous, Jean Bosco, Patron de l'éternelle Adolescence.
Un poème de Paul Claudel.
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Ie visage
de don bosco

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J.-B. HALNA
maman marguerite
A côté de sainte Monique, mère de saint Augustin, de la mère de saint
Bernard et de tant d'autres moins connues, l'humble paysanne des Becchi
mérite notre vénération affectueuse. Collaboratrice généreuse et sans calcul
de son fils aux premières heures héroïques de l’Oratoire du Valdocco, elle
l'avait éduqué, enfant et adolescent, avec une rare intuition et une virile
affection selon l’Evangile; qui recensera en Don Bosco tout ce qu'il doit
à sa mère et, conséquemment, tout ce que nous lui devons ? Morte le
25 novembre 1856 (et. Memorie Biografiche V, p. 560), elle est chère à tous
les membres de la Famille Salésienne qui aiment à découvrir en elle le
« rappel » de leur famille humaine et nous « annonce » ce que sera son fils.
A u hameau des Becchi, sis sur la paroisse de Castel-
nuovo d'Asti, à une trentaine de kilomètres de Turin,
Jean Bosco naquit au soir du 16 août 1815. Son père
s'appelait François Bosco ; demeuré veuf, il avait épousé en
secondes noces Marguerite Occhiena. Avec Antoine, du pre­
mier mariage, puis Joseph, puis Jean, cela faisait une famille
heureuse la fidélité chrétienne allait de pair avec le courage
au travail. Hélas! le 11 mai 1817, François Bosco était emporté
par une pneumonie, à l’âge de 34 ans. Tout le poid du foyer
retombait sur les épaules de la jeune veuve, celle que l’Histoire
connaîtra sous le nom de «Maman Marguerite».
Le petit Jean navait pas deux ans. Nous ne voulons indi­
quer ici que quelques traits rapides, qui marqueront linfluence
de la mère sur ce fils, que le Seigneur destinait à de si grandes
choses. Sans la formation première reçue sous le toit familial,
le petit pâtre des Becchi ne serait pas devenu saint Jean Bosco.
«Dieu te voit», telle était la parole de foi quelle répétait
presque sans cesse, à ses trois garçons pour les exciter à
suivre la loi de la conscience. De plus, toutes les circonstances,
heureuses ou pénibles, de la vie quotidienne lui étaient une
occasion d'élever leur cœur vers le Seigneur qui veille sur les
siens, qui récompense les bons mais sait aussi punir les mé­
chants. On respirait aux Becchi une atmosphère surnaturelle,
dont lempreinte restera ineffaçable.
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A chacun, dès l’âge le plus tendre, elle enseignait les prières
quotidiennes ; matin et soir, on sagenouillait pour la prière et
pour le chapelet. Elle les prépara à leur première confession,
et à celles qui suivirent, jusquà ce qu'ils fussent capables de
se passer d'elle. Chaque dimanche, on allait ensemble à la
messe, et l'on communiait aussi souvent que le permettait l’usage
de cette époque, encore fortement influencée par le Jansénisme.
C'est d'elle que les trois garçons apprirent leur catéchisme,
que complétèrent, par la suite, les sermons du chapelain, sur
lesquels on réfléchissait en famille.
Avec l'instruction religieuse et la prière, le travail jouait
un rôle important aux Becchi. Il le fallait bien car on était
pauvre ; mais on travaillait à la fois par nécessité et par vertu.
Le travail restera une des pièces maîtresses de léducation salé-
sienne. Ajoutons que si Don Bosco fut un apôtre de la douceur
et de la bonté, si son souci constant fut de gagner le cœur de
ses enfants, cest que sa mère était un exemple, vivant de cette
pédagogie ; la rigueur de lobéissance senveloppait d’une af­
fection très chaleureuse, tout ensemble virile et maternelle.
A neuf ans, le petit Jean eut un songe le premier parmi
tant d’autres. La Madone semblait lui ouvrir les portes mysté­
rieuses de l’avenir. Que deviendra cet enfant ? Sa mère pensa
que, peut-être, il deviendrait prêtre. De fait, avec sa vive intel­
ligence et ses dons d'acrobate et de prestidigitateur, le petit
Jean exerçait sur ses camarades du village une influence aussi
extraordinaire que bienfaisante. Mais, lorsquil déclara sa volonté
de se consacrer au Seigneur, tant dobstacles se dressaient sur
la route que cette montée vers le sacerdoce sembla une légende
venue du fond des âges. Or, cest bel et bien une histoire vraie,
dont il faut lire les détails dans la vie du grand éducateur que
l’Eglise a canonisé en 1934. Le doigt de Dieu est là.
Le 5 juin 1841, Jean Bosco recevait l'ordination sarcedo-
tale ; il avait 26 ans. Il célébra sa première messe à Turin,
dans l'église Saint-François d’Assise : « Je demandai ardem­
ment lefficacité de la parole pour pouvoir faire du bien aux
âmes. Il me semble que le Seigneur a exaucé mon humble
prière.» Et voici ce que, un soir, lui dit sa mère : «Te voici
prêtre, tu célèbres la messe ; désormais tu seras donc plus pro­
che du Christ. Souviens-toi pourtant que commencer à dire la
messe, c'est commencer à souffrir. Tu ne t'en apercevras pas
tout de suite, mais, peu à peu, tu verras que ta mère ta dit
la vérité. Je suis sûre que chaque jour tu prieras pour moi,
vivante ou morte ; et cela me suffit. A partir de ce jour songe
uniquement au salut des âmes et ne te préoccupe pas de moi. »
Emouvantes et saintes paroles.
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« Seigneur, donnez-moi des âmes, le reste ne m'importe
pas », telle sera la devise du nouveau prêtre ; il la tenait de
sa maman Marguerite. Telle mère, tel fils. Ensemble, ils se
dévoueront à la «jeunesse pauvre et abandonnée». Il s'agit
uniquement de la jeunesse masculine. Toute sa vie, Don Bosco
manifestera une réserve, parfois exagérée, dans ses rapports
avec les personnes de l'autre sexe. Un mouvement d'éloigne­
ment de la femme peut, peut-être, s'expliquer en partie par « la
formation par la fuite » quil reçut au séminaire de Chieri, et
qui ressemblait sans doute à celle distribuée à cette époque
dans presque tous les séminaires européens. « Fuyez non seu­
lement le commerce mais jusquà la vue des femmes, car com­
mencer à les regarder et à brûler, c'est tout un », pouvait-on lire
dans le livre du Père Antonio Foresti : « La strada al santuario
mostrata ai chierici », livre réédité en 1884 à Turin, à l'imprime­
rie salésienne (A. Labatut). Ce n'est quen 1872, sur les ins­
tances réitérées de la Vierge, quil fonda l'Institut des Filles de
Marie-Auxiliatrice, avec Mère Mazzarello. Ses relations avec
cette dernière ne sont en rien comparables avec celles de saint
François de Sales et de la baronne de Chantal, ni même avec
celles de saint Vincent de Paul et de Louise de Marillac. Il
faudra les conseils et l'autorité de Pie IX pour amener Don
Bosco à accepter des femmes dans les rangs de ses Coopéra­
teurs.
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Jeanne-Marie
maman marguerite
Lors d'une récollection mensuelle des Volontaires de Don Bosco, l’une
d'elles a proposé au groupe de ses soeurs la méditation qui suit. La haute
figure de Maman Marguerite si attachante est sans doute l'un des meil­
leurs chemins pour approcher Giovanni Bosco, enfant et adolescent, et
dans la vérité de ses premières initiatives et décisions apostoliques.
eresio Bosco écrit :
«15 novembre 1856.
« Maman Marguerite tombe malade. La pneumonie, violente se
« manifeste tout de suite, mortelle, pour les 68 ans usés par
«tant de travail. Pendant un moment, la vie de l'Oratoire semble
« s’arrêter. Comment va-t-on faire pour continuer sans elle ?
« Autour de son lit, les abbés de Don Bosco et les garçons les
« plus âgés se succèdent. Combien de fois sont-ils entrés dans
« la cuisine en disant :
« Maman, vous me donnerez une pomme ?
« Maman, la soupe est-elle prête ?
« Maman, je nai plus de mouchoir.
« Maman, j'ai déchiré mon pantalon.
« L’héroïsme de cette grande dame qui va mourir est unique-
« ment à base de guenilles à rapiécer, de foin et de blé à fau-
« cher, de lessives, de marmites. Mais dans cette humble exis-
« tence, il y une force qui jamais ne se décourage : la confiance
« en la Providence. Au milieu des pommes de terre à éplucher,
« de polenta à remuer, se manifestent les leçons de foi, le bon
« sens pratique, la douce bonté de la maman. »
Oui, la vie de Maman Marguerite nest-elle pas dépouille­
ment, oubli de soi, disponibilité, pauvreté, obéissance, service,
don total, foi... ?
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Dépouillement
Maman Marguerite songe à un repos, bien mérité, après les
durs labeurs de la ferme, dans la paix solitaire des Becchi. Pro­
jet vite évanoui...
Pour ses enfants, Don Bosco n'a-t-il pas besoin d'une ma­
man ? Cette maman ne peut être que Maman Marguerite. Déci­
sion difficile à prendre, aussi douloureuse pour la mère que
pour le fils.
« Si tu crois que Dieu le veut, tu peux compter sur moi. »
Sa vie, désormais, sera liée, donnée à ces mal-aimés de
la société. Et sans laisser entrevoir sa souffrance, son déchi­
rement, avce sérénité elle laisse tout : la maison, le calme des
champs, la douceur des amitiés, sa liberté pour une vie de
tracas, de bruit, d'inquiétude. Oui, même sa liberté. Jusqu'à ce
jour elle avait commandé ; désormais il lui faudra obéir, se taire,
se plier à de multiples exigences malgré l'âge et la fatigue.
Renoncement total
Pour subvenir aux nécessités pressantes de sa nouvelle
famille, la vente de son petit lopin de terre, d’objets auxquels
sont liés tant de beaux et bons souvenirs : sa montre, sa bague,
sa robe de mariée. N'est-ce pas déjà le commencement de son
don total aux autres ? Point de demi-mesure.
Sa disponibilité
A toute heure du jour, de la nuit, toujours prête à soigner,
soulager, guérir, encourager, consoler, à donner ce bien le plus
précieux pour un enfant : laffection maternelle. Son cœur de
maman, ouvert à toutes ces détresses, mettait dans ces cœurs
meurtris un peu de joie et despoir.
Un jour, découragée par les étourderies, les espiègleries,
les méfaits, les légumes et les lessives piétinés, les vêtements en
lambeaux, Maman Marguerite veut partir et rejoindre Les Bec­
chi. au moins, elle aura la possibilité, en évoquant les sou­
venirs dautrefois, de retrouver la tranquillité. Elle manifeste
son désir à Don Bosco qui, dun geste de la main, lui montre
le Crucifix :
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«Tu as raison, dit-elle, tu as raison.»
Sans plus, courageusement, elle se remet à l’ouvrage. Non,
elle ne peut abandonner ces enfants et Don Bosco. Vaillante,
Maman Marguerite ! Quelle énergie ! quelle abnégation ! quelle
grandeur d'âme ! Ta vie est bien toute « service », toute « priè­
re ». Qu'importe, fatigues, peines, nuits sans sommeil! Tu restes
toujours présente.
Et tout en vaquant à ses occupations, elle continue à égre­
ner des «Ave». Si quelque enfant lavait entendue parler seule,
lui demandait-il : « Maman, après qui donc en aviez-vous ? »
« Après personne. Il faut bien que je dise mes prières, pour
vous autres qui êtes si méchants », et tendrement elle lembras­
sait. Tous les enfants de l'Oratoire n’étaient-ils pas ses enfants ?...
Maman Marguerite, il m'arrive de regarder ton visage ! Ton
regard énergique, autoritaire même, tempéré par une grande
sérénité, une grande tranquillité d'âme, par une confiance totale
au Seigneur, inspire une grande sécurité en ceux qui sappuient
en Dieu. Ton accueil maternel, ton sourire engageant, ta bonté
sont pleins de la tendresse de Dieu, de cette tendresse que
Dieu donne à ceux qu'Il aime.
Maman Marguerite, paysanne illettrée, tu as répondu serei­
nement aux invitations du Seigneur.
Nes-tu pas lexemple parfait, de toute âme donnée, consa­
crée, par ton dépouillement, ta disponibilité, et le Fiat journa­
lier? Plus ton corps susait «au service des pauvres», plus
grandissaient ta foi, ta confiance, ta sérénité, ton don total.
Peu importe nos fonctions, nos travaux, notre savoir, ce
qui compte aux yeux du Seigneur, c’est notre réponse à son
appel, c'est notre qualité damour à Dieu et aux autres.
Oui, Maman Marguerite, tu es bien la femme forte, dont
parle l’Evangile.
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M. MOUILLARD
souvenirs
autobiographiques
Pour connaître et pénétrer la riche personnalité de Jean Bosco, une
lecture s'impose : celle des « Souvenirs Autobiographiques » relatés par
Don Bosco lui-même témoin de sa propre histoire... Parmi les chances que
nous avons, il y a celle-ci qui reste une source irremplaçable.
/Aà n connaît Don Bosco et... on ne le connaît pas !
(/ On se figure le connaître parce qu’on sait de lui quel­
ques traits savoureux qu'on a répandus sur lui, surtout
ce qui allait «accrocher», parce qu’on avait peut-être trop pré­
senté de sa vie le côté merveilleux, extraordinaire, prodigieux,
sinon miraculeux.
Pour dépasser la façade, pénétrer au plus profond de lêtre
et rejoindre toutes les données de cette très riche personnalité,
pour l’approcher de lintérieur, ce livre vous offre un document
inappréciable : un récit portant sur ses quarante premières an­
nées, écrit de la main même de Jean Bosco à la demande par
trois fois réitérée du Pape en personne.
C'est ce regard de Saint Jean Bosco sur lui-même, petit
garçon de la campagne piémontaise, épris de Dieu et des au­
tres déjà... adolescent garçon de café ou soigneur de chevaux
pour gagner de l’argent afin détudier... jeune homme aux pri­
ses avec ses problèmes d’orientation... jeune prêtre découvrant
le désarroi comme les ressources des jeunes de Turin, et se
dévouant à eux sans repentance... que nous trouvons là.
Œuvre inachevée, qui donne envie daller plus loin et laisse
entrevoir la prodigieuse suite quil poursuivit et accomplit de
1855 à 1888, année de sa mort.
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La traduction du texte original italien a été menée à bien
par le Père André Barucq, salésien, licencié en Ecriture Sainte
et Docteur en Théologie, tandis que le Père Francis Desra-
maut, professeur dHistoire de l'Eglise aux Facultés catholiques
de Lyon et spécialement d'Histoire salésienne, a écrit une éclai­
rante et nécessaire introduction.
Voici donc un être criant de vérité, inattendu, pittoresque
et attachant que vous allez découvrir dans ces lignes autobiogra­
phiques dont la saveur n'a d'égale que l'attrait rayonnant de Don
Bosco prêtre de Jésus-Christ, serviteur des petits, ami des jeunes.
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3.3 Page 23

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N. BARRACO
le visage
de don bosco
Le « Bolletino Salesiano» de mars 1982 a publié la méditation de l'au­
teur contemplant des photographies authentiques de Don Bosco. Ce qui l'a
happé dans ces portraits c’est, en particulier, la «plénitude d'humanité » qui
s’en dégage.
lénitude d’humanité, voilà le visage de Don Bosco.
Le visage d’un homme qui sait, qui connaît, qui a de
la pitié, qui écoute, qui répond, qui révèle le fond de
son être, son authenticité, sa compréhension, sa connaissance
de l'homme.
A cent ans de distance, nous pourrions en faire la « une »
du Concile daujourd'hui, du décret « Gaudium et Spes », de la
condition humaine, de la mission de l'Eglise dans le monde
contemporain.
Sur le visage de Don Bosco, il y a cette union intime de
la joie, de lespérance, des angoisses des hommes de notre
temps, des pauvres surtout, de tous ceux qui souffrent.
La capacité dêtre avec les autres hommes, dexpérimen­
ter avec eux la même destinée terrestre. Sans duplicités. Sans
angélismes. Sans anathèmes.
Son visage est une leçon damour partagé, une prédication
tonique, une communion de solidarité avec la famille humaine
tout entière.
Intensité du regard, voilà le visage de Don Bosco !
Le visage dun homme fort, qui exprime la seigneurie de la
paternité. Un visage plein d'assurance, qui ne craint rien, qui
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te donne des certitudes. La largeur d'un front ouvert, intelligent.
La perspicacité d un regard qui voit à l’intérieur, qui émeut le
dedans de l'être, qui appelle et persuade de l’intérieur.
Il y a dans ce regard un appel aux ressources intimes, aux
capacités les plus vitales de la liberté et de l'amour.
La richesse qui vient de cette intensité est beaucoup plus
etendue que les images qui, du point de vue physique et consta­
table, se dessinent sur notre rétine. C’est un regard dans le­
quel se reflètent ou se rencontrent la lumière venant de Dieu et
celle venant du fond de l'être.
Tempérance de la vie, voilà le visage de Don Bosco!
Je me rappelle toujours les paroles de ce mystérieux per­
sonnage qui indique à Don Bosco le travail et la tempérance :
« Il faut que tu fasses imprimer ces paroles qui seront votre
blason, votre devise et votre signe distinctif... Ces paroles, tu
les feras expliquer, tu les répéteras, tu y insisteras. Tu feras
imprimer un manuel qui les explique... »
Don Bosco les a imprimées dans les livres ces paroles.
Mais il les a aussi imprimées sur son visage.
Un visage qui manifeste l'exemple de l’obéissance à Dieu,
l'amour de la pauvreté volontaire, le triomphe de la chasteté.
Tout le don de sa vie s'explique au prix de cette tempérance.
La prodigalité de son cœur naît de cette maîtrise de lui-même.
La virilité de son courage, du renoncement à toute préoccupa­
tion de lui-même.
Expérience de lutte, voilà le visage de Don Bosco !
Il y a les traits de la fatigue, de l'homme qui a grandi dans
la pauvreté et l'absence dun père.
Là, c'est du concret, cest du réel, c’est du construit.
Il y a le poids du temps qui presse et qui fait travailler
davantage. Il y a l’horreur du verbalisme, la fuite de tout alibi,
de toute tromperie intellectualiste.
C’est un visage qui t'arrête et qui te renvoie à tes frères.
La douceur miséricordieuse du bon pasteur, qui te donne la
paix et, qui pourtant te l'enlève, qui temporte dans le dynamisme,
dans I ardeur missionnaire, dans l'humilité du serviteur qui a
renoncé à tout pour se laisser programmer par Dieu sans ar­
rêt : « Je cours devant moi jusqu'à la témérité. »
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3.5 Page 25

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Don Bosco à son bureau, au Valdocco {environ de 1890.)
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3.6 Page 26

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Pendant un de ses voyages en France.
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3.7 Page 27

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Détail d'une photo faite par Gustave Luzzati (non datée).
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Photo par Gustavs Luzzati, à Sampierdarena, en 1886.
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3.9 Page 29

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Ls secret d'un sourire, voilà le visage de Don Bosco !
Confiance absolue en Dieu, sympathie pour le monde, refus
de décrier l'homme. La compagnie dune mère extraordinaire,
Marie. Proposition de la sainteté comme idéal séduisant et
réalisable.
Et joie.
La ¡oie qui crée amour, qui crée paternité, qui crée patience,
qui crée confiance, qui crée dialogue, qui crée foi.
Le Recteur Majeur a dit : « Salésiens, c’est beau ! »
Cest changer la qualité de la vie. Le visage de Don Bosco
est la preuve la plus rigoureuse de cette nouveauté, de cette
alternative de joie pendue aux clous de la croix.
Choix de sainteté, voilà le visage de Don Bosco !
Une mission juvénile et populaire, en communion avec
l'Eglise.
Une unité avec Dieu qui le fait prêtre.
Un besoin des âmes, une soif dadoration en vertu de quoi
Don Bosco est déjà, véritablement, Concile, affirmation pré-
conciliaire de tout ce qui fait vraiment Eglise : l'autel, les âmes,
la table, la pauvreté, la résurrection.
Présence adorante. Présence cachée. Présence qui témoi­
gne des sources de sa fièvre du travail.
Cette mèche frisée de cheveux, abondante sur les tempes,
cette barrette à trois cornes, comme un simple prêtre, sur la
tête, ce sourire qui effleure le silence des lèvres : c'est le visage
de Don Bosco saint.
Il y a tout un plan de vie dans son visage. Il est la trace
dune préférence, il est le privilège des petits, des pauvres, la
capacité de dépenser tout dans lamour et pour cela de devenir
défi, contestation, folie pour les autres.
Un visage qui a une adresse, l'autel. Qui a une passion :
l'amour de la vie. Qui a une joie.
La joie de rencontrer, encore, l’homme daujourd'hui.
27

3.10 Page 30

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4 Pages 31-40

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4.1 Page 31

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C. LHOTE
morphologie
d’un visage
L'étude morphologique du visage de Saint Jean Bosco que nous publions
a été conduite par Mme Claude Lhote, professeur de morpho-psychologie à
l’Ecole des Psychologues Praticiens de l'Institut Catholique de Paris, en mars
1568. Cette analyse, communiquée par Sœur Colette Louvieaux, a été faite
dans l’ignorance la plus complète de la vie du fondateur des salésiens.
our cette étude, nous utiliserons la méthode morpho-
f) psychologique du docteur Corman. Le vocabulaire mor-
pho-psychologique utilisé est celui qui est employé par
le docteur Corman dans ses différents ouvrages, et notam­
ment dans le dernier en date : « Nouveau manuel de morpho­
psychologie » (1966).
Suivant la technique habituelle, nous irons du général au
particulier, rapprochant ce visage d'une des grandes synthèses
morpho-psychologiques, qui permettra de la comprendre dans
son ensemble, et passant ensuite à l’interprétation des traits de
détail.
La largeur de ce visage, le relief de son modelé dans le­
quel alternent creux et bosses, la structure des récepteurs sen­
soriels, permettent de le classer sans hésitation dans les Dilatés-
Rétractés-Bossués.
Les Dilatés-Rétractés-Bossués ont en eux deux aspects
opposés : adaptation au monde extérieur, d’une part, adapta­
tion à la vie sociale, besoin de réaliser une œuvre et, d’autre
part, vie personnelle, pensée intériorisée qui peut aller jusquau
repli sur soi.
Chacune de ces tendances est vigoureuse : aussi la per­
sonnalité des Dilatés - Rétractés - Bossués est-elle riche et
complexe. Ils doivent lutter pour atteindre leur équilibre. Ce ne
sont jamais des personnalités falotes : dans ce groupe coexistent
des hommes de valeur et des déséquilibrés.
29

4.2 Page 32

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Ici, étant donné l'équilibre des étages du visage, la prédo­
minance des forces d'expansion sur les forces de rétraction et
la sérénité de la mimique, il est certain que l'équilibre a été
acquis et que les tendances opposées ont contribué à enrichir
la personnalité.
Puisqu'il s'agit d'un Dilaté-Rétracté-Bossué, nous pouvons
nous attendre à trouver à la fois la grande réserve de vitalité,
la capacité de large expansion et de rayonnement à lextérieur
des Dilatés, ainsi que leur bonne adaptation au domaine concret,
leur intelligence pratique et réalisatrice, et la capacité de
concentration, l’individualité originale des Rétractés.
Ce qui caractérise ces types dhommes est la puissance
et l'économie de cette puissance.
Grande résistance physique, donc, bonne concentration de
l'effort, possibilité de dominer la fatigue .Dans le domaine affec­
tif, les sujets de ce type gardent la maîtrise de leurs impulsions,
mais ce sont des passionnés, aux sentiments concentrés et très
durables. Ils sont faits pour commander et pour bâtir durable­
ment. Leur personnalité intellectuelle est forte : ils mettent au
service de leurs idées toute la puissance de leur forte person­
nalité. Capables de créer de grandes oeuvres, bien adaptés au
monde des affaires, ce sont des réalisateurs et des chefs.
Si nous étudions maintenant, non plus lensemble du visage,
mais ses caractéristiques particulières, nous nous trouvons
en face des traits suivants :
Grande sthénie générale, indiquant persévérance, activité,
tonus.
Equilibre approximatif des trois étages du visage, le front
étant toutefois un peu plus élevé que les autres étages et la
zone moyenne un peu plus large, ce qui indique une activité
prépondérante dans les domaines intellectuel et social. Mais le
menton tonique et carré indique de bonnes possibilités aussi
dans le domaine de l'action pratique, voire même physique.
Modelé particulier du front et des yeux : La zone supérieure
et la zone inférieure du front sont toutes deux développées.
Nous pouvons en déduire que l'intelligence est concrète et réa­
liste, qu'elle est méthodique et observatrice. En même temps,
l'imagination, l'invention ne font pas défaut : le sujet trouve
aussi son épanouissement dans la méditation ou la philosophie.
Mais il cherche toujours à garder léquilibre entre le domaine
30

4.3 Page 33

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pratique et le domaine spéculatif, il allie le réalisme et le sens
du gratuit, il ne se laisse pas enfermer dans l'opposition : hom­
me d'action ou penseur.
Les tempes, très creuses, associées aux rides verticales
intersourcillières, aux yeux très enfoncés et au sillon horizon­
tal, partageant le front, indiquant une grande intériorisation,
une tendance au doute et au scrupule (sans doute dominée par
la volonté, qui est grande), mais qui peut être une source de
souffrance. Dans le cas de décisions importantes à prendre, la
réflexion a pu être douloureuse, le sujet voyant le pour et le
contre et hésitant à choisir, non par manque dactivité ou
d'énergie, mais à cause de ces tendances au scrupule.
Dans le domaine intellectuel, l'adaptation est moins facile
que dans les autres domaines : alors que le sujet est à l'aise
et accueillant en face des personnes, à laise aussi quand il
sagit d'exécuter ce qui a été décidé, il semble y avoir chez lui
un certain manque de réceptivité, une obstination dans le do­
maine des idées, une moins grande ouverture que sur les autres
plans. On pourrait le qualifier de très ouvert aux personnes,
mais moins aux idées.
Les yeux très enfoncés, rapprochés, aux sourcils bas sur
lœil et fournis indiquent la concentration, la possibilité d'une
attention soutenue, le goût de la précision et des détails, la re­
cherche de la logique.
L'étage moyen du visage, aux joues larges et pleines, au
nez fort, traduit la bonne adaptation dans le domaine de la
vie affective et sociale, l'élan vers autrui, l’intérêt et la sympa­
thie portés aux personnes, louverture du cœur contrôlée par
la maîtrise de soi. Cette ouverture de cœur est confirmée par
la mimique, très accueillante et très bonne.
Létage inférieur, solide, tonique, aux lèvres fermées et ser­
rées, confirme la bonne adaptation pratique déjà indiquée par
le cadre large. Aucune recherche de jouissance ne s'exprime à
cet étage : mais un goût du concret et du solide. Cette bonne
insertion dans le réel compense et équilibre la grande imagina­
tion.
En conclusion, ce visage traduit une personnalité puissante,
qui a réussi à équilibrer des tendances opposées et qui alliait
une intelligence originale à de grandes capacités affectives, et
des dons de bâtisseur.
31

4.4 Page 34

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Si, dans un deuxième temps, nous tentons d'établir une
correspondance entre morphologie et caractérologie de Le
Senne, nous aboutissons aux conclusions suivantes :
L'ACTIVITE est certaine, dans tous les domaines.
LA SECONDARITE est dominante, et forte surtout dans
les domaines intellectuel et actif, le contact avec autrui étant
plus spontané et d'une improvisation plus facile.
L'EMOTIVITE, toujours difficile à discerner sur une photo­
graphie, est probable.
Nous pouvons donc classer le sujet parmi les PASSIONNES.
Voici une description succincte du type Passionné (d'après Grie­
ger). Pour une étude plus approfondie, se reporter au Manuel
de Le Senne : « Traité de Caractérologie » :
Dans l'ensemble, chez tous les PASSIONNES, l'activité est
continue ; ils sont persévérants, réalisateurs, comprennent vite,
disposent d'une imagination féconde, d'une intelligence ample
et souvent d'une extraordinaire mémoire ; ils restent en général
indifférents aux plaisirs vulgaires, sintéressent aux problèmes
sociaux, religieux, philosophiques. Ils se montrent compatis­
sants, serviables, économes, naturels, méthodiques dignes de
confiance, polis et simples dans leurs manières. En résumé,
la considération du type Passionné nous laisse une impression
de puissance ; et ce qui domine ses intérêts est la considéra­
tion de l'œuvre à réaliser, plus importante à ses yeux que son
bonheur personnel. D’ailleurs, cest dans cette œuvre elle-même,
qui le prolonge, quil trouve son accomplissement, et donc son
épanouissement.
32

4.5 Page 35

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J. BOSCO
don bosco
autoportrait
A la fin de mai 1868, Don Bosco est prié par l'évêque de Alba Torinese
de prêcher le panégyrique de saint Philippe Neri, devant un auditoire de
prêtres. C'est un saint, ami des ¡eunes, qu'il aimait beaucoup. Il livre ici son
âme d'apôtre et d'éducateur à travers l'âme de son héros.
1. Don Bosco commence par raconter, sous une forme
dialoguée, la vocation du Saint, assez semblable à la sienne.
« Sans nom, sans avoir, sans argent et sans maison, comment
voulez-vous entreprendre une oeuvre aussi gigantesque (se
consacrer au salut du peuple et des enfants pauvres de
Rome) « Cest vrai, c'est précisément le manque de
moyens qui mentretient dans cette pensée : Dieu lui-même
m'en donnera le courage. Dieu qui des pierres suscite des fils à
Abraham. » « Ce pauvre jeune homme, Messieurs, est Philippe
Neri, en train de méditer la réforme des mœurs romaines. Il
regarde la grande cité, mais, hélas ! comme il la voit ! Depuis
tant dannées, esclave des étrangers, horriblement travaillée de
pestilences, de misères, assiégée pendant trois mois, combat­
tue, vaincue, saccagée et, peut-on dire, détruite. » Que de bien
à faire !
Voilà la vertu majeure ! S’appuyer sur Dieu.
2. L'œuvre la plus urgente : catéchiser.
« Cette ville doit être le champ dans lequel ce jeune homme
recueillera des fruits très abondants. Voyons-le à l'œuvre. Il
commence par étudier philosophie et théologie ; il devient prê­
33

4.6 Page 36

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tre. Il est persuadé quaucun sacrifice nest aussi agréable à
Dieu que le zèle pour le salut des âmes. Toutes les âmes, celles
des enfants en particulier, qui n’ont personne pour leur rompre
le pain. » Les pécheurs pèchent par ignorance de la loi divine.
Il faut les instruire. Et voilà Philippe, à l'exemple du Christ qui,
quand il commença sa prédication, ne possédait au monde que
le grand feu de la charité divine qui lavait poussé à venir du
ciel sur la terre ; à l'exemple des apôtres qui étaient démunis
de tout moyen humain, quand ils furent invités à prêcher l'évan­
gile aux nations de la terre, voilà Philippe qui se met à par­
courir la ville, les places, les rues, les ateliers, les établisse­
ments publics et privés, les hôpitaux et les prisons. Avec ama­
bilité, avec aménité, avec cette douceur que suggère l'amour
vrai envers le prochain, il commence à parler de vertu, de
religion à ceux qui ne voulaient rien savoir ni de l'une ni de
l'autre. Imaginez tout ce que l'on pouvait dire sur son compte.
Stupide, ignorant, ivrogne et fou même ! Mais lui, courageuse­
ment, laisse dire, certain quil travaille pour la gloire de Dieu.
Car tout ce que le monde appelle sagesse est folie pour Dieu...
Le fou de Dieu.
3. Le champ le plus précieux : la jeunesse.
Ce fou de Dieu, la Providence lappelait à réserver à la
jeunesse une sollicitude toute particulière. « Il considérait le
genre humain comme un immense champ à cultiver; si le bon
froment est semé à temps, la récolte sera abondante, sinon on
aura que paille et balle. 11 savait que dans ce champs mystique
est caché un grand trésor, à savoir les âmes de tant dado­
lescents innocents pour la plupart, et pervers sans le savoir.
Ce trésor, disait Philippe, est entièrement confié aux prêtres
et cest d’eux que dépend leur salut ou leur perte. Sans doute,
il savait que ce devoir incombe dabord aux parents et aux
maîtres, mais à leur défaut faut-il abandonner ces jeunes ? Ce
qui au premier abord semble avoir découragé lapôtre des pau­
vres enfants, cest leur instabilité, leurs rechutes dans le même
péché, sinon dans un péché plus grand. Toutefois, se conso­
lait-il, il y avait les persévérants plus nombreux que les au­
tres et les récidivistes eux-mêmes qui, avec la patience et la
grâce du Seigneur, pouvaient revenir sur le bon chemin. La
parole de Dieu est un germe qui, tôt ou tard, produira le fruit
désiré ! Alors, à lexemple du Sauveur, « chaque jour il ensei­
gnait » (Le 19-47) le peuple, et, de préférence, les jeunes les
plus polissons. Les petits enfants, s'écriait-il, venez à moi, je
Vous dévoilerai comment devenir riches des vrais richesses qui
ne trompent jamais. Je vous enseignerai le saint amour de
Dieu (Ps. 33, 12). »
34

4.7 Page 37

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4. La méthode : imiter la douceur du Sauveur.
« Accompagnées de sa grande charité et de lexemple d'une
vie brillaient toutes les vertus, ces paroles attiraient vers le
Saint une multitude de jeunes. Il s'adressait à chacun. Au lettré
il pariait des lettres, au forgeron du feu, avec le menuisier et
le barbier il se faisait menuisier et barbier. Et maçon ou cor­
donnier. C'est ainsi que, tout à tous, il les gagnait tous au
Christ... Tâche difficile avec des garçons amateurs du boire,
du manger et du jeu, que de parler de l'Eglise et de la piété !
Son secret ? La douceur du Sauveur. Philippe prenait tout « à
la bonne»... Chaque dépense, disait-il, chaque fatigue, chaque
ennui, chaque sacrifice est peu de chose quand il s’agit de
gagner les âmes au Christ Alors que même pour un moment
cela nous paraîtrait peut-être insupportable, ce fut, pendant
plus de soixante ans de vie sacerdotale, le travail et les déli­
ces de saint Philippe. Jusqu’au jour où, dans ses quatre vingts
ans, il fut appelé à recueillir le fruit de tant de longues
fatigues. »
Ainsi parlait Don Bosco. L'avez-vous reconnu dans cet au­
thentique autoportrait? Il avait 53 ans.
Vous trouverez dans les M.B. IX, pp. 215-221, le texte complet de cette
homélie dont le Père Halna a tiré ces lignes.
35

4.8 Page 38

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4.9 Page 39

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lettres
de
saint jean bosco

4.10 Page 40

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5 Pages 41-50

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5.1 Page 41

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J. BOSCO
charité
tout azimuts
Les lettres de Don Bosco, fort nombreuses, sont généralement très
simples, qu’elles soient adressées à des membres de la hiérarchie catho­
lique, à des autorités civiles ou politiques, à des curés ,des amis, des
adversaires ou des bienfaiteurs.
Souvent, elles expriment la reconnaissance du Saint, donnent quelques
brefs conseils d'ordre spirituel, sans aucune recherche de style, avec peu
de développement doctrinal, mais non sans pensée surnaturelle et cordiale
qui va droit à l'essentiel, éclaire et réconforte...
Un certain nombre des documents qui suivent sont extraits des « Ecrits
Spirituels de Saint Jean Bosco», présentés et traduits par J. Aubry, Edi­
tions Nouvelle Cité, Paris.
® Conseils à un nouvel évêque.
Mgr Edoardo Rosaz fut nommé évêque au dernier Consis­
toire de Pie IX, le 31 décembre 1877. Plein d’affectueuse estime
pour Don Bosco, il reçut de lui ces conseils dictés par lex­
périence. La lettre est écrite de Rome, au ¡our précis de la
mort de Pie IX (Epist. III, 293-294) :
Très Cher et Révérendissime Monseigneur,
En son temps, jai appris de Turin, puis de votre chère lettre,
comment le grand pontife Pie IX a porté sur vous sa pensée
paternelle et vous a nommé évêque de Suse. J'en ai été très
étonné, car je sais quelle humble idée vous avez de vous-
même et comment vous devez prendre une attitude nouvelle
«verbo et opéré». Mais ¡ai bien vite béni le Seigneur parce
que jétais convaincu, et je le reste, que l’Eglise avait acquis
un évêque selon le cceur de Dieu et que vous auriez fait très
bien pour le diocèse de Suse.
39

5.2 Page 42

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Je m'en réjouis beaucoup, et avec toute laffection de mon
coeur, je vous offre toutes les maisons de notre Congrégation
pour quelque service qu'elles puissent rendre à votre person­
ne vénérée ou au diocèse que la divine Providence vous a
confié.
Je n ai pas la prétention de vous donner des leçons. Mais
je crois que vous aurez sans tarder en vos mains le cœur de
tous
1. Si vous prenez un soin spécial des malades, des vieil­
lards et des enfants pauvres.
2. Aller très doucement pour faire des changements dans
le personnel établi par votre prédécesseur.
3. Faire votre possible pour vous gagner l'estime et laf­
fection des^ quelques personnes qui tenaient ou tiennent des
postes élevés dans le diocèse, et qui pensent avoir été oubliées
tandis que vous-même avez été préféré.
4. A prendre des mesures sévères contre quelque mem­
bre que ce soit du clergé, soyez prudent, et dans la mesure
du possible écoutez laccusé.
Du reste, j'espère qu'en mars nous pourrons nous parler
personnellement.
Aujourd'hui, à trois heures et demie environ, s'éteignait
le grand et incomparable astre de l'Eglise, Pie IX. Les journaux
vous donneront les détails. Tout Rome est dans la consterna­
tion et je pense quil en est de même dans le monde entier.
Dans très peu de temps il sera sûrement sur les autels.
Je pense que Votre Excellence me permettra de lui écrire
toujours, avec la même confiance que par le passé. En priant
Dieu quil vous éclaire et vous garde en bonne santé, je me
recommande à la chanté de vos saintes prières et me professe
avec la plus grande vénération de Votre Excellence révérendis-
sime et très chère
Lami très affectionné
Gio. Bosco, prêtre
Rome, 7 février 1878, Torre deSpecchi 36.
40

5.3 Page 43

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A la maman Vespignani : « Je prends la place de Joseph. »
Le plus illustre des Vespignani fut Giuseppe (Joseph). A
peine ordonné à 22 ans (1876), il vint à Don Bosco qui le guérit
et l’envoya en Argentine avec la troisième expédition mission­
naire, tandis que son frère Ernest le clerc ») continuait sa
formation à Turin. Don Bosco eut soin de rassurer la maman
(Epist. Ill, 246) :
Très estimée Madame Vespignani,
Que Dieu nous bénisse tous !
Don Giuseppe est parti : il va conquérir des âmes et par
assurer la sienne et celle de ses parents. Il est à Lisbonne.
Il va très bien, et il est plein de joie. Il embarquera avec les
autres le 2 décembre. La mer est calme. Marie Auxiliatrice les
tient tous sous sa protection et nous espérons quils feront
bon voyage.
Don Giuseppe va en Amérique, Don Giovanni(1) prendra
sa place : le permettez-vous ? Je prierai tant pour vous !
Nous avons le clerc ici : sa santé est fort bonne et je
suis très content de sa conduite. J'espère quil suivra les traces
de son frère aîné.
Que Dieu bénisse votre personne et le bon papa, et vous
conserve tous en sa grâce, Priez pour moi qui serai toujours
en J.-C.
Votre ami très affectionné
Gio. Bosco, prêtre
Turin, 30 novembre 1877.
A Don Bonetti : étrenne spirituelle pour 1875.
Don Bosco navait pas le temps d'écrire de longues lettres.
Par son style même comme par son tempéramment et par son
âme d'apôtre, il invitait à l'action et au courage... Cette lettre
(1) Don Bosco lui-même.
41

5.4 Page 44

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s'adresse au Père Jean Bonetti, dabord «catéchiste» (père
spirituel), puis directeur de la maison salésienne de Mirabello.
Très cher Don Bonetti,
A toi : Fais en sorte que tous ceux à qui tu parles devien­
nent tes amis.
Au préfet : Amasse des trésors pour le temps et pour léter­
nité.
Aux maîtres et aux assistants : In patientia vestra posside-
bitis animas vestras.
Aux garçons : La fréquente communion.
A tous : Exactitude dans le devoir d'état.
Que Dieu vous bénisse et vous accorde le don précieux
de la persévérance dans le bien !
Prie pour ton
Affectueux ami dans le Christ
Gio. Bosco, prêtre
Turin, le 30 décembre 1874.
Epistolario II, p. 434.)
® Au Comte Ugo Grimaldi Bellino.
Cette lettre est adressée au comte Ugo Grimaldi di Bellino,
dAsti, Celui-ci avait l’habitude de rencontrer Don Bosco au
cours des Exercices de Saint Ignace. Don Bosco répond ici à
ses demandes de direction spirituelle.
Nous le suivons ici dans son rôle de directeur, dami et de
père.
En envoyant cette lettre, la fille du comte écrivait que son
père aimait à s'entretenir joyeusement avec Don Bosco de cette
perspective de « parvenir jusquau troisième ciel »... Ainsi s'ex­
plique l’allusion de la fin de la lettre.
42

5.5 Page 45

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Mon très cher dans le Seigneur,
Que la grâce de N.-S. J.-C. soit toujours avec vous. J'ai
reçu les deux lettres que vous avez eu la bonté de m'envoyer,
et je n’ai pas répondu parce que ¡ignorais vous vous trou­
viez...
En reprenant votre première lettre, jadmire beaucoup l'élan
de votre cœur à suivre aveuglément les conseils d'un pauvre
prêtre tel que moi. Il y a une tâche difficile pour tous les
deux, mais essayons.
Comment dois-je faire, me disiez-vous, pour mener une vie
qui détache mon cœur du monde et le donne au Seigneur au
point d'aimer constamment la vertu ?
R. : La bonne volonté aidée par la grâce de Dieu produira
ce merveilleux effet. Mais pour y réussir vous devrez vous ef­
forcer de connaître et de goûter la beauté de la vertu et la
joie qu'éprouve le cœur qui cherche Dieu.
Considérez ensuite la nullité des choses de ce monde. Elles
ne peuvent nous donner la moindre consolation. Mettez ensem­
ble tous vos voyages, tout ce que vous avez vu, lu et observé.
Comparez tout cela avec la joie quéprouve un homme après
sêtre approché des sacrements, vous découvrirez que les pre­
mières ne sont rien, que la seconde démarche est tout.
Le fondement ainsi établi, venons-en à la pratique. 1) Cha­
que matin, messe et méditation. 2) Laprès-midi, un peu de lec­
ture spirituelle. 3) Chaque dimanche, prédication et bénédiction
du Saint-Sacrement). 4) Doucement, me criez-vous, peu à la
fois ! Vous avez raison. Commencez par mettre en pratique tout
ce que je vous écris ici en passant, et si vous consentez à
suivre mon pas, jespère, avec l’aide du Seigneur, vous conduire
au troisième ciel.
Quand vous viendrez à Turin, nous parlerons de projets un
peu plus en grand. En attendant, ne manquez pas de prier le
Seigneur pour moi, qui de tout cœur vous souhaite beaucoup de
bien et me dis
votre serviteur très affectionné,
Jean Bosco, prêtre. Turin, 24 septembre 1862.
(Epist. I 238-239)
43

5.6 Page 46

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A M"'’ Anne Dubouchet, de Lyon.
Cette lettre de Saint Jean Bosco, « alla buona », nous a
été communiquée, en janvier 1983, par la fille de la destina­
taire, alertée par les fêtes du centenaire se préparant à Lyon
(voyage en France de 1883), qui nous écrivait : « Cette lettre de
Saint Jean Bosco a été adressée à MUe Anne Dubouchet, secré­
taire de rédaction à "L’Echo de Fourvière”. Le mariage de mes
parents a eu lieu à l’église Saint-François-de-Sales, le 6 juin
1887. Mon père était au bureau de la Propagation de la Foi, 12,
rue Sala, Lyon. Il y est resté jusqu'à 80 ans comme trésorier.
Mon père Joseph Mathis,
ma mère Anne Dubouchet,
mon frère Georges Mathis étaient aussi bien connus des
Pères Salésiens.
Madame Basson Mathis
18, rue Lamartine, Lyon»
Madame,
Avec la plus grande reconnaissance jai reçu la somme de
f 450 C) que votre charité a réussi recueillir à la gloire de
Dieu et pour nos orphelins, qui deviennent tous les jours plus
nombreux.
Je vous prie de vouloir bien agréer mes respectueux hom­
mages et assurer nos oblateurs que nos enfants ont prièrs et
faits des communions à leur intention. Nous espérons que le
Bon Dieu, qui a dit : donnez et on vous donnera, récompen­
sera largement leurs charité dans la vie présente et dans la
future. Ma reconnaissance sera toujours plus grande pour les
rédacteurs de l'Echo de fourvière ; et le Sacré cœur de Jésus,
qui est la source de toutes les grâces, répandera ses grâces et
ses bénédictions sur toutes leur œuvres et leurs familles. Que
Dieu vous benisse, o charitable Madame, que la Ste Vierge
vous protège et veuilles bien aussi prier pour moi qui serai à
jamais avec la plus grande gratitude en J.Ch.
Turin 13 juin 83.
Humble Serviteur
Abbé J. Bosco
(sic)
(1) Le chiffre 5 n’est pas très sûr...
44

5.7 Page 47

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Reproduction de lo lettre de Don Bosco à Mlle A. Dubouchet :
45

5.8 Page 48

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46

5.9 Page 49

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Comment un saint répond à un adversaire.
Non seulement le « teologo » Angelo Rho a soutenu son
frère, «proviseur des études de la Province de Turin», respon­
sable de la fermeture des classes du Valdocco, mais il a écrit
sur cette question des lettres aigres. Notez que les deux frères
sont des camarades de classe de Don Bosco.
Ami toujours très cher,
Lhomme honnête, quand il nest pas cru, doit s'imposer un
rigoureux silence. Tu ne m'as pas compris et tu n'as pas
répondu à ce que je t'ai exposé dans ma lettre. Et puis, le mé­
pris avec lequel tu as parlé des prêtres de cette maison min­
terdit de m'expliquer dans les termes qui simposent. Aussi,
sur cette affaire, mieux vaut se taire... Quant au reste, nous
serons toujours de bons amis. Je compterai toujours sur ta
bienveillance et sur celle de tous tes frères, du «Chevalier» O,
le proviseur spécialement. Et je serai toujours heureux si je
puis te rendre quelque service, à toi ou aux tiens.
Aime-moi dans le Christ et crois-moi inaltérablement ton ami
très affectionné.
Jean Bosco, prêtre.
Turin, 24 juillet 1879
(EpiSt. Ill, 499-500)
A M. L. Consanego Merii, de Gênes, Président de la Confé­
rence Saint-Vincent-de-Paul :
Très cher dans le Seigneur,
Dieu soit béni en toute chose !
Ne vous inquiétez pas du fait que vous ne pouvez faire
beaucoup. Devant Dieu il fait beaucoup celui qui, capable de
peu, fait sa sainte volonté ; prenez donc de la main du Seigneur
les incommodités auxquelles vous êtes sujet, faites le peu que
vous pouvez, et soyez parfaitement tranquille.
( 1 ) « Cavaliere » : distinction honorifique officielle.
47

5.10 Page 50

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En ces temps se fait grandement sentir le besoin de pro­
pager la bonne presse. Cest un vaste champ. Si chacun fait ce
qu’il peut, on obtiendra beaucoup.
Je ne manquerai pas de prier pour vous et pour tous vos
compagnons (des Conférences).
Remerciez-les beaucoup de ma part dans le Seigneur. Priez
vous aussi pour moi qui, avec une égale affection, me professe.
Turin, 13 juillet 1870.
Votre ami très affectionné
Gio Bosco, prêtre.
A Mmo Vernon-Bonneuil, de Paris.
Madame la Marquise,
J'ai reçu votre excellente lettre avec la consolante nou­
velle que l'opération qui vous inspirait tant d'inquiétude s'est
fort bien passée et que maintenant vous êtes parfaitement gué­
rie. Que Dieu soit béni et remercié pour cette grâce.
Dans la même lettre vous avez inclus la somme de 500 francs
pour l'église du Sacré-Cœur à Rome. Que Marie-Auxiliatrice
vous les rende comme il convient, dautant plus que, dans vo­
tre charité, vous me dites que c'est seulement le début de
vos offrandes.
Deo gratias ! Je ne manquerai pas de prier particulièrement
pour que, Dieu aidant, le mariage dont vous me parlez puisse
se faire, pourvu que ce soit à la gloire de Dieu. Mais vous leur
direz que ¡'accepte loffrande promise de 25.000 francs. Toute­
fois, il faut remarquer avec soin que l’Evangile dit clairement :
« Donnez et on vous donnera » et non pas : « Promettez et on
vous donnera ». Je pense donc que ce serait une excellente
chose de commencer par donner cette somme à lavance.
Je n'oublierai jamais de faire chaque jour à la sainte messe
un « memento » pour vous et pour toutes vos intentions, et spé­
cialement pour que vous-même, vos parents et vos amis puis­
siez avancer sur la route du paradis.
48

6 Pages 51-60

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6.1 Page 51

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Que Dieu vous bénisse, charitable Madame la Marquise, et
veuillez vous aussi prier pour moi, qui serai toujours en Jésus-
Christ
Votre humble serviteur
Gio Bosco, prêtre.
San Benigno Canavese, 8 septembre 1881.
A une maman qui désirait que son fils devînt prêtre.
Cest un fait que Don Bosco a orienté beaucoup de jeunes
hommes vers le sacerdoce, pourtant non sans discernement.
Les deux lettres que nous publions ici le prouvent. Dans leur
brièveté, elles témoignent de la lucidité, du bon sens et de la
délicatesse de notre Père. Elles nous ont été communiquées par
la supérieure de l'Institution Sainte-Thérèse de Chieri, tenue par
les Filles de Marie Auxiliatrice (salésiennes). Elles y sont précieu­
sement conservées.
Très honorée Madame,
Turin, 10 mal 1849
Voilà votre Joseph qui arrive à la maison avec la bonne
volonté de travailler, mais qui continue à affirmer qu'il ne se
sent plus appelé à létat ecclésiastique. Voilà pourquoi je crois
inutile de lexhorter à garder la soutane ; je dirais plutôt qu'il
faut l'aider à entreprendre cette profession qui semble plus
propre à son état.
Jai dit à votre fils tout ce qu'un ami peut dire à un ami ;
usez, vous aussi, de patience : j'espère que si le Seigneur n'a
pas voulu satisfaire votre sainte intention d'avoir un fils prê­
tre, il voudra vous consoler avec un fils qui soit un bon
chrétien.
Recommandons toute cette affaire à Dieu, et pendant que
de notre côté nous faisons tout ce qui dépend de nous, prions
pour qu'en toute chose s'accomplisse la Divine volonté.
Si je puis vous être utile en quoi que ce soit, disposez de
moi et vous me trouverez tel quel, de cœur, je maffirme
Très humble Prêtre,
D. Bosco Gio.
49

6.2 Page 52

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Très estimée Madame,
(non datée)
Votre fils s’est présenté ce matin à l'examen et le résultat
a été si peu concluant qu'il devrait se préparer à une autre
épreuve.
Personnellement pourtant je serais de l'avis d'abandon­
ner l'idée des diplômes et de commencer aussitôt les cours
de théologies soit ici, soit à Turin, sous la tutelle du prof, du
Séminaire ou à Chieri.
Votre fils penche pour rester ici, étant donnée la connais­
sance quil a déjà de son professeur.
En ce qui touche à sa conduite morale, je nai rien à lui
reprocher, il sest toujours bien comporté.
Attendons son consentement pour prendre une décision.
Permettez, en attendant, que je vous souhaite tout le bien
possible du Seigneur pendant je me dis
Votre très dévoué Prêtre
D. Bosco Gio.
® A des religieuses.
Voici deux documents aimablement communiqués, en août
1985, par Sœur Marie-Etienne, alors Supérieure de la Commu­
nauté du Foyer Saint-Charles de Nice, tenu par les Religieuses
du Saint-Sacrement. L'original de ces lettres de Don Bosco se
trouve à la maison généralice de la congrégation, à Valence
(113, avenue Victor-Hugo - 26000 Valence1. La Supérieure Géné­
rale dont il est question était Mère Saint-Joseph, décédée au
Cannet en 1897.
53

6.3 Page 53

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ORATORIO
?ittt
iti ^alf$
Torino, Via Cottolengo, N. 32
¡’rièro d't'rriro tnnjonM (rèa lIMhlòmonl
son noni et son arrosso sur chaquo lettre.
o ponvoir rópoiKlro'huii
IS.irn
H-cnsiciiiK!—
FTio quol-
«innos qui

6.4 Page 54

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52

6.5 Page 55

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yyicb
cÂÁjL.
53

6.6 Page 56

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6.7 Page 57

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ss

6.8 Page 58

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6.9 Page 59

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flashes
sur
une existence

6.10 Page 60

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7 Pages 61-70

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7.1 Page 61

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voilà
ma maison
Au verso, la photo de la « cascina » des Becchi, en 1885, trois ans
avant la mort de Don Bosco. Celui-ci avait l'habitude de dire : « Voilà ma
maison ! » (Questa è la mia casa). C’est, en réalité, la maison paternelle
et non la maison natale de Don Bosco. Jean Bosco est dans la ferme
Bighone, rasée quand on construisit le sanctuaire (tempio) en l'honneur du
saint... Si on avait su, à ce moment-là !... Le père de Jean, qui n'était qu’em­
ployé de ferme, n'avait acquis la maison des Becchi que peu de temps avant
sa mort.
59

7.2 Page 62

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g
VOILA MA MAISON (Don Bosco)
COLLE DON BOSCO (Asti)

7.3 Page 63

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Henri BOSCO
le premier
pensionnat salésien
Dé/à un certain nombre de Maisons salésiennes ont fêté leur cente­
naire. Il peut être opportun de raconter l'histoire du premier pensionnat
salésien ; c'est un récit non exempt d’humour.
ne nuit, par un temps horrible, un orphelin miséreux, sans
travail, en loques, nayant rien mangé, frappe à sa porte.
Vous imaginez comme il est reçu !... On le sèche, on le
chauffe, on lui donne la soupe, on lui fait un bon lit dans la cuisi­
ne. Il tombe de sommeil, le pauvre ! Maman Marguerite le borde
et gentiment à son oreille lui murmure, avant qu'il ne dorme, quel­
ques bonnes pensées qui seront peut-être utiles à ses songes.
Petite allocution maternelle, efficace, création de la pauvre fem­
me, et dont la coutume persiste depuis lors chez les salésiens.
Des paroles tendres et de bon aloi, après la journée de travail.
Cest le pont léger quon glisse dans lombre, entre le jour fini
et la nuit qui commence à s'ouvrir à ses rêves...
Or, comme des petites choses naissent souvent les gran­
des, cet adolescent égaré dans la nuit et logé, nourri, consolé
de ses peines, fut en quelque sorte le fondateur involontaire de
l'Internat de l'Oratoire. Cette fois, Don Bosco avait eu la main
heureuse. L'hôte parla. Comme il n'était pas le seul orphelin
sans logis, il en amena d'autres. Il en vint sept. Et on loua des
chambres.
Mais encore, dès les premiers pas, Don Bosco sentit
quil allait falloir, grâce à Dieu ! en faire d’autres. Et de grands
pas probablement, des pas plus longs que n'en pouvaient hu­
mainement faire ses jambes. Car, en fin de compte, cétaient
toujours de ces pas de géant quil faisait.
61

7.4 Page 64

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Ici noublions pas que nous sommes en 1851, il y a plus dun
siècle. Les valeurs ont changé. Quand on parlait de 1.000 francs
à Don Bosco, c'était comme si, à nous, on eût dit au moins
300.000.
Ceci posé, voici la scène. Les deux personnages en sont
Don Bosco et le sieur Pinardi, son propriétaire :
Le sieur Pinardi (qui probablement le guettait). Alors,
vous allez nous quitter? Vous cherchez ailleurs un local, pa­
raît-il ?...
Don Bosco. Et ! il faut bien nous agrandir.
Pinardi. Et si vous achetiez simplement ma maison ?
Don Bosco. C'est une idée, si le prix toutefois est conve­
nable.
Pinardi. 80.000, ça les vaut.
Don Bosco (sans hésitation). J'en offre 30. (Donc 50 de
moins dun seul coup ! En affaires il sait marchander, Don
Bosco ! Et il na pas dit « 30 » à la légère.)
Pinardi. 30 !
Don Bosco. —• Oui ! Cest quatre de plus que n’en vaut la
maison bien payée.
Pinardi. Et vous réglerez comptant, en une seule fois,
dans la quinzaine ?
Don Bosco. Parfaitement.
Pinardi. Et le dédit? 100.000, cela vous convient?
Don Bosco. 100.000, cela me convient. Tope là, la vente
est conclue.
Don Bosco sen va vers sa mère.
Voilà ce que j'ai fait. Maintenant nous sommes chez
nous.
62

7.5 Page 65

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Effroi de Maman Marguerite !
Mais l'argent, vas-tu le prendre ? Tu n’en a pas le
premier sou. Bien pis ! nous sommes écrasés de dettes...
—• Raisonnons un peu, chère mère... Suppose que tu aies
la somme, me la donnerais-tu pour cet achat ?
Si je l'avais, certainement...
Alors Dieu nous la donnera. Crois-tu qu'il soit moins
généreux que Maman Marguerite ?
Argument majeur, auquel il n'y avait rien à répondre, sinon
pour acquiescer. Et c'était voir juste...
Car Dieu trouva l’argent en huit jours. Ses amis en prirent
la peine. Et Don Bosco devint propriétaire. Désormais, terrain
et maison, l'Oratoire, le patronage possédaient quelque chose
sous le ciel (19 février 1851).
63

7.6 Page 66

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7.7 Page 67

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Henri BOSCO
voyage
en france
Le petit cousin de Don Bosco raconte le dernier voyage du Saint Fon­
dateur en France. C'était en 1883. « La Croix » publia cet article le 19 avril
1963.
I y a maintenant quatre-vingts ans que Don Bosco entreprit
son dernier et plus triomphal voyage à travers la France.
Triomphal, n'est-ce pas un mot qui jure avec la pauvreté,
l’humilité et la bonhomie souriante de cet homme, tel qu'il appa­
rut alors aux Français ?
Mais cette apparition pourtant fut un triomphe. Triomphe
d'autant plus étonnant que les apparences du bon Don Bosco
n'avaient rien semble-t-il qui pût bouleverser à ce point
un peuple que l'on dit léger et trop spirituel pour ne pas sauter
immédiatement sur les moindres défauts, afin d’y exercer son
ironie...
Or, Don Bosco pouvait prêter flanc à cette ironie, tant par
sa familiarité populaire que par son français, dont les mots,
l'accent, le débit devaient naturellement faire sourire des gens
assez férus alors de beau langage, surtout en chaire, il
prêcha. Et il prêcha beaucoup...
Il arriva pourtant tout le contraire. Don Bosco surprit, émut,
toucha, enthousiasma et finalement conquit les Français. Jy
vois un miracle... Car cet élan se manifesta non seulement par
des mouvements de la foule (on se rua vers Don Bosco), par
des appels à une sainteté déjà pressentie, par des gestes
d'amour, quelquefois excessifs, mais aussi par des dons dar­
gent considérables.
65

7.8 Page 68

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En somme, un succès sur tous les fronts.
En 1883, Quand Don Bosco entreprit son voyage, il avait
68 ans et sa santé était déplorable. Mais, de sa santé il n'eut
jamais cure. Aussi sengagea-t-il sans penser à elle dans cette
« mission » (nous verrons que cen était une), qui devait durer
quatre mois.
Parti de Turin, en effet, le 31 janvier, il y revenait le 31 mai
seulement, après avoir séjourné en France trois mois et deux
semaines, du 13 février au 30 mai.
Tourné depuis longtemps vers la Provence
En France, ce n'était pas la première fois qu'il y venait.
En 1875, il y avait fondé sa première maison à Nice, et la
première hors de l'Italie. Dès lors, il était revenu à peu près
chaque année dans le Midi, à Nice, à Toulon, à Marseille.
H y avait été aussitôt populaire. A Marseille surtout.
Marseille, dès quelle connut Don Bosco, manifesta pour
lui une extraordinaire ferveur. Marseille laima, le désira, espéra
en lui au point de lui demander des miracles. N'était-ce pas
lui-même, comme le proclamait la presse : « Un miracle de
zèle et de charité ? A Marseille, il fonda deux établissements :
¡’oratoire de Saint-Léon, le noviciat de Sainte-Marguerite. Près
de Toulon, il organisa un grand domaine agricole, La Navarre.
Ces fondations ont prospéré. Don Bosco bâtissait solidement.
Ainsi, à cette époque, sa vocation française semblait avoir
pris uniquement une orientation provençale. Quoi de plus na­
turel ? Entre son Piémont natal et la Provence, un voisinage
séculaire, des affinités de race et de langue facilitaient les
contacts et les échanges. Sa charité navait qu'à étendre la
main pour toucher la Provence au cœur. Elle et lui étaient faits
pour se comprendre.
Mais, ailleurs, trouverait-il un terrain aussi naturellement
favorable ? Paris n'est pas Marseille. Il le savait. La conquête
de la capitale, il le savait aussi, était une nouvelle et plus dif­
ficile aventure. Et cependant, il allait la tenter, lui, pauvre petit
abbé piémontais à la soutane râpée, à la mine chétive, au lan­
gage fait pour surprendre. La tenter intrépidement et la
réussir...
66

7.9 Page 69

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Par amour du Sacré-Cœur
Mais pourquoi cette tentative ? Pour son œuvre ?...
Pas précisément, du moins à son point de départ. Elle en
profita. Mais la raison de son voyage n'est pas une quête de
charité pour ceux qu'il appelait « ses enfants ».
Il partit par amour du Sacré-Cœur.
Le culte du Sacré-Cœur, ranimé, au XVIIe siècle, par Marie
Alacoque, avait été étendu en 1859 à l'Eglise uinverselle. Il
avait connu aussitôt l’immense faveur des fidèles. A Paris, une
église imposante avait été mise en construction sous ce voca­
ble. En 1878, à Rome, Pie IX avait patronné le dessein d'éle­
ver une basilique à ce culte. Lannée suivante, on en posa la
première pierre. Mais les fonds manquèrent bien vite et Pie IX
mourut.
Son successeur Léon XIII fut douloureusement peiné de la
suspension des travaux, et il ne savait pas comment on pour­
rait les poursuivre. Un seul homme pouvait l’y aider, Don Bosco.
Cest pourquoi il l’appelle. Et il lui propose, une fois de plus,
d'entreprendre une quête pour trouver les fonds nécessaires.
Or, Don Bosco était déjà fortement endetté par la construction
de Saint-Jean-l'Evangéliste, à Turin. On lui demandait l’impossi­
ble. Cependant, contre tout bon sens humain, Don Bosco ac­
cepta. Mais, hélas ! l'Italie, harcelée depuis si longtemps par
sa sainte mendicité, n’y pouvait plus guère répondre. Chez qui
frapper ?... Alors Don Bosco jeta un regard par-dessus la fron­
tière des Alpes, sur la France. La France était vouée au Sacré-
Cœur.Cest vers elle qu'il fallait aller.
Vers Don Bosco, un élan extraordinaire
Et voilà notre Don Bosco parti courageusement outre-monts,
pauvre corps accablé de maux, mais grand cœur soulevé d’es­
pérance.
Voyage aussitôt triomphal, et fructueux.
Et cela tout le long de son itinéraire : Nice, Marseille, Avi­
gnon, Lyon, Paris, surtout Paris, but principal de sa « mission »,
avec une pointe sur Lille.
Mais, Midi mis à part, en France le connaissait-on ? Oui,
déjà Don Bosco avait su conquérir les cœurs au-delà des
67

7.10 Page 70

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Alpes, par la renommée de son œuvre. Son nom évoquait un
saint cher aux Français, saint Vincent de Paul, et en fait tout
le monde lattendait.
Car, dès les premières étapes, un élan extraordinaire se
manifesta.
Paris se jette sous les pas dun saint...
« C’est un saint », disait-on. Et Paris attendait un saint,
messager d'espoir...
Les mêmes scènes que l'on avait vues en province s’y
reproduisirent. Et le concours y fut plus grand, plus impétueux,
si possible.
Instruits par les péripéties dun voyage trop mouvementé,
les amis parisiens de Don Bosco organisèrent avec précaution
son séjour dans la capitale.
Il descendit chez les de Combaud, avenue de Messine, mais
alla siéger chaque après-midi chez les Oblates du Sacré-Cœur.
Et aussitôt on eut ce spectacle imprévu « d'une ville se
jetant sous les pas d'un saint». Jamais on n'avait vu autour
d'un prêtre, depuis larrivée de Pie VII, une foule si vaste, si
ardente. Déjà le bruit courait qu'il faisait des miracles !... La
presse, catholique ou non, s’empara de lui. A l'affluence irré­
sistible de la foule, s’ajouta un déluge de lettres. Il ne fallut
pas moins de six secrétaires pour les dépouiller... Et les visi­
teurs !...
Comment recevoir tout ce monde ?... Don Bosco se levait
à 5 heures, se couchait à minuit... Tout le monde veut lui par­
ler, le toucher, tailler dans sa soutane et, si on ne peut l'appro­
cher, tout au moins le voir. Pour le protéger contre les excès
dune multitude exigeante, il faut organiser tout un service
d’ordre. On l'arrête, on l'assiège dans une antichambre, dans
un escalier, à la porte des sacristies et même en pleine rue.
Lui, cependant, officie, prêche, tantôt dans une paroisse, tantôt
dans une autre. Aussitôt qu'on le sait, la foule surgit. Mais ce
n’est pas tout. Les établissements religieux le réclament. Jen
compte plus d'une vingtaine quil a visités longuement. L'Eglise
entière, émue par tant deffervescence, va spontanément à lui.
Le cardinal Lavigerie lui fait la surprise de l'attendre à Saint-
Pierre du Gros-Caillou et d'y présider une réunion il recom­
68

8 Pages 71-80

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8.1 Page 71

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mande avec feu à la générosité des fidèles l’œuvre de Don
Bosco, quil appelle «le saint Vincent de Paul de l'Italie».
Dans la rue, le peuple lui tend ses offrandes
Cet appel et bien dautres furent entendus, et non seule­
ment des familles riches, mais encore des pauvres gens. Tous
donnaient. Il reçut des billets, de l'or et même des bijoux, a
ne plus savoir les mettre. Même dans la rue les gens lui
tendaient leurs offrandes. Faute de place dans ses poches, ne
fourra-t-il pas, un jour, des tas de louis dans le bas de ses
pantalons quil avait nouer d'une ficelle ?
Mais quels trésors de charité ne donnait-il pas en échange ?
Partout il écoute doléances, souhaits, cas de conscience,
appels au miracle. Chaque peine émeut son vieux cœur aimant,
chaque détresse lui inspire un mot qui console. Et s'il touche
les âmes, c'est que lui-même en est touché. Il soulage, il guérit,
il répand avec attendrissement ses bénédictions paternelles.
Comme toujours, sil parle, sa parole va au fond des cœurs.
Et pourtant son mauvais français met terriblement à lépreuve
les oreilles les plus délicates. Mais il est là. Il est tout seul.
C’est lessentiel. Une pauvre soutane, une vieille figure. Mais
là-dessous, lamour inlassable des hommes, et derrière lui le
soutien du ciel...
Il donne sa bénédiction à « La Croix »
Mais la tête ne lui tourne pas. Sa lucidité, son génie pra­
tique restent intacts. Il va chez les Assomptionnistes sur le
point de lancer un nouveau quotidien catholique, «La Croix».
Ils sont inquiets. Cette feuille, pourtant nécessaire, connaitra-
t-elle le sort de tant d'autres ?... D'un mot, Don~ Bosco balaie
les doutes et donne sa bénédiction de vieux prêtre imprimeur
à l’entreprise. Bénédiction qui a porté les fruits que l'on sait.
Or, cela ne l’empêche pas de vivre intensément et au
même moment dans un autre monde, le monde du surnatu­
rel. Il a des visions. Témoin cette messe dramatique du 28 avril
à Notre-Dame des Victoires. Au plus beau de 1 office divin, I ado­
lescent Louis Colle lui apparaît à la minute même il va com­
munier les fidèels. Il doit interrompre la fonction sacrée, saisi
quil est par la toute-puissance de l'extase. Il s'ensuit un éton­
nant colloque entre lui et l’adolescent, tous deux parlant devant
lautel...
69

8.2 Page 72

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Qu on ne sétonne pas d'un comportement si étrange. Don
.sco était coutumier du fait. Cet homme, qui a tant bâti, et
bâti si solidement, était aussi homme de songes. Et il a bâti ses
songes. S'ils ont si bien tenu, c'est qu'ils lui étaient fournis
par le ciel.
Trop d'agitation et du corps et de l'âme pendant cette
longue « mission » l’avaient épuisé quand il dut partir. Cepen­
dant, il fit un voyage de plus à Amiens et à Lille. Il fut aussi
fructueux que les autres, aussi bien pour cette « mission » que
pour son oeuvre. Mais il était à bout de forces quand il prit le
chemin du retour par Dijon et par Dole, haltes qui lui valurent
de nouvelles fatigues, mais aussi de nouvelles joies.
Le 30 mai, pendant la nuit, il passait la frontière. Le 31
il était chez lui à Turin.
Il y a de cela quatre-vingts ans, presque un siècle.
Il nous a paru qu'il était utile de commémorer cet éton­
nant voyage. Les témoins en sont presque tous disparus. Le
souvent pourtant s'en est perpétué par les oeuvres que Don
Bosco a implantées en France et aussi par tous ceux qui, amis
d'une sainteté familière, sans avoir connu le saint, le sentent
encore près d'eux.
Car c’est un saint d'une si vivante présence qu’il parle et
conseille toujours ceux qui l'aiment, et ils sont nombreux à
laimer...
70

8.3 Page 73

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témoignage inédit
sur «dom» (sic) bosco
Charles X...
Lo plère John P. Le Garignon, mariste, nous a écrit, le 2-9-1981, la
lettre que vous allez lire, accompagnée du témoignage de Charles, jeune
abbé canadien faisant son séminaire à Rome, et ayant eu, en mai 1887,* la
/oie de rencontrer notre fondateur et la conscience que c'était un privilège.
Dakar, 2 septembre 1981
Bien cher Père,
Je vous fais parvenir ci-joint copie d'une lettre d'un grand
séminariste du diocèse de Québec adressée à l'un de ses on­
cles, fameux docteur canadien du siècle dernier. Le contenu
de cette lettre étant principalement dédié à Jean Bosco, sa
vie et son oeuvre, j’ai cru quelle serait d'intérêt pour votre
publication.
Je me présente : Je suis le Père John Le Garignon, père
mariste, historien de formation, missionnaire au Sénégal dans
le domaine de l'éducation au Collège Cours Sainte-Marie de
Hann, collège en banlieue de Dakar et à vocation internationale.
Je ne suis pas venu en contact de façon fortuite avec cette
lettre Cest dans le cadre de ma recherche de thèse de maî­
trise ès arts en histoire, il y a déjà six ans de cela, que, fouillant
et dépouillant des archives familiales privées quon venait
dexhumer des poussières d'un grenier, je découvris, brosse par
71

8.4 Page 74

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un contemporain a lui, le Dom Bosco des illustrés de mon en-
.nc®: Je n ai eu de cesse depuis de faire publier ce texte très
signifiant pour moi. Mais mon travail et le peu de contact avec
des salesiens m'en ont régulièrement empêché. Mais la semai­
ne dermere au sortir de la messe dominicale, j'ai eu le bonheur
de rencontrer un de vos scolastiques sud-africains, de pa-
. ^ranqa's qui retournait en Irlande pour sa formation.
a donc pu me communiquer votre adresse. Il s'appelle Fran­
çois Dufour. Si lon tient compte que je suis Canadien anglo­
phone de base et que ma famille paternelle vit à Jersey, dans
les îles anglo-normandes, tout cela n'est pas une histoire banale
mais reflete bien l'affirmatoin du célèbre sociologue Marshall
McLuhan : « Le monde est un village. »
Si cette publication vous intéressait, j'aimerais simplement
recevoir de vous quelques copies pour les archives de ma com­
munauté. Sinon, auriez-vous lobligeance de me faire savoir
que vous ne pouvez publier ce texte que ¡'essaierai alors de
faire parvenir à un autre bulletin chrétien.
Avec tous mes remerciements.
John P. Le Garignon s.m.
Rome, le 2 juin 1887
Au Docteur F.E. Roy
Québec
Mon bien cher Oncle,
On vient de me montrer un « Courrier du Canada » qui an­
nonce la mort de ce pauvre cousin Narcisse. Bon Dieu que les
membres de la famille disparaissent rapidement ! Soyez assez
bon, sil vous plaît, d’être mon interprète auprès des chères
cousines pour leur offrir mes sentiments de sincères condo­
léances. Je prie avec elles, de tout mon cœur, pour que Nar­
cisse aille le plus tôt possible, rejoindre au ciel, les êtres si
chers qui lont précédé, et j'espère aussi le revoir, un jour.
J’espère que tous les autres membres de la famille sont
en bonne santé.
Quant à moi, je suis très bien, et malgré l'ennui que font
toujours éprouver les tristes nouvelles quand on est loin de
72

8.5 Page 75

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son pays et de ceux que l’on aime, ¡e travaille toujours comme
un bon.
J’ai eu, il y a deux semaines, le bonheur de voir un saint.
Vous connaissez Dom Bosco, que lon compare à St. Vincent de
Paul. Il y a une quarantaine dannées qu'il a commencé à se
dévouer aux enfants et aux jeunes gens qui vivent dans l’igno­
rance et l'abandon au sein des villes d’Italie. Et vous savez
sil y en a de ces pauvres malheureux ! —< Sans autre ressource
que son zèle et sa confiance en Dieu, Dom Bosco se mit à les
réunir, à les instruire, à quêter pour les nourrir et les loger.
Puis il bâtit des collèges, des églises, des ateliers, pour appren­
dre quelque métier honnête à ceux qui n'étaient pas assez
bien doués pour n'avoir une instruction plus complète. Aujour­
d'hui, Dom Bosco a des établissements partout, et il donne
l’instruction et la vie a plus de deux cents cinquante mille en­
fants. Il vient de bâtir au milieu de Rome un orphelinat consi­
dérable, et on est à mettre la dernière main à une très belle
église construite pour cet orphelinat, bel édifice dédié au Sacré-
Cœur, et tout resplendissant de marbres, de sculptures et d'or
est estimé à plus dun million. Et tout cela sentreprend, se
bâtit sans que l'on sache, du jour au lendemain, d'où viendront
les ressources ; et les ressources ne manquent jamais. Il est
vrai que Dom Bosco a des secrets que tout le monde na pas.
Par exemple, quand il na plus un sou pour payer ses ouvriers,
il s’en va frapper à la porte d’un riche millionnaire, perclus de
ses membres, et cloué sur son lit depuis des années, le prend
par la main, le guérit, le fait lever et le conduit dans une ban­
que pour se faire donner quelques centaines de mille francs pour
ses orphelins. Cest un secret que le procureur du Collège
de Saint-Anne aurait été fort heureux de connaître, dans bien
des circonstances.
Vous comprenez que j’avais grand hâte de voir ce person­
nage dont le nom et les œuvres resteront certainement parmi
les choses les plus remarquables de l'histoire de l’Eglise dans
notre siècle. Je voulus profiter, pour cela, de sa présence
à Rome. Le saint vieillard est dans un état de faiblesse qui serait
fort inquiétant pour un homme ordinaire ; il peut à peine se
soutenir sur ses jambes, ne parle même que difficilement. Mais
je suis sûr que les prières de ses orphelins vont lui conserver
la vie bien des années encore. J’avais promis, avant dentrer
dans la chambre du malade de ne pas dire un mot, me conten­
tant de lui baiser la main et de demander sa bénédiction ; c'était
même la consigne de ne laisser pénétrer personne. Mais, il a
bien fallu laisser parler Dom Bosco ,qui pendant vingt minutes,
73

8.6 Page 76

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dune voix défaillante, mais avec l'accent et l'onction d'un
saint ma parlé de la mission du prêtre, de son rôle divin dans
le monde et dans l'Eglise. Jamais je n’oublierai cette entrevue.
Je ne puis, sans dépasser les limites convenables et abuser
de votre patience, vous parler de mon excursion à Ostie et à
Tivoli, pendant les deux jours de vacances que nous avons eus
à la Pentecôte. Ce sera pour la prochaine fois.
Mille baisers à tous.
Charles.
N. B. :
Orthographe et ponctuation conformes à l’original.
Espacement et mise en page du copiste.
Le Docteur F.E. (François Elzéar) Roy est fondateur du premier hôpi­
tal psychiatrique de la ville de Québec. La clinique Roy-Rousseau de
Québec est aujourd'hui nommée en son honneur.
Le collège Saint-Anne est le collège Saint-Anne de la Pocatière, la
famille Roy-Painchaud-Le Boutillier a fait ses études.
Ce texte est mis gracieusement à notre disposition par M. Louis Pain-
chaud, de Québec, propriétaire des Archives privées connues sous le
nom de Fonds Painchaud.
74

8.7 Page 77

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J. B. HALNA
la récompense
est proche (1)
On sait que Don Bosco mourut le 31 janvier 1888. Les « Memorie Bio­
grafiche » relatent jour par jour, et même heure par heure, les dernières se­
maines de sa vie. Jusqu'au bout, l'admirable vieillard demeura fidèle à lui-
même.
1 oici quelques notes sur la fin de lexistence tourmentée
(/ de Don Bosco. Pendant les mois doctobre, novembre et
les deux tiers de décembre, il put ne pas s'aliter, au prix
dune indomptable énergie. Il continua à célébrer la sainte messe
chaque jour, aussi longtemps quil le put, dans sa chapelle pri­
vée, avec lassistance dun prêtre. Il donnait des audiences,
assis dans son fauteuil ; deux fois par semaine, il confessait,
dans la soirée, les élèves des classes supérieures et, chaque
jour, les confrères de la maison qui désiraient s'adresser à lui.
Il respirait et parlait de plus en plus difficilement et, cepen­
dant, recevait chacun avec son calme et sa sérénité habituels.
Parfois, ne se sentant plus en mesure de soutenir la conver­
sation, il plaisantait avec ses visiteurs : « Pourriez-vous min­
diquer un fabricant de soufflets ? Auriez-vous l’intention de
faire réparer un orgue ou un harmonium ? Oui, l'orgue que
jai mis dans la poitrine ne veut plus fonctionner, il me faudrait
des soufflets neufs... » Et le visiteur comprenait, et prenait
congé.
De temps à autre, il recevait des Français. Le 11 octobre,
on lui présenta un monsieur français qui était sujet à
des aliénations mentales, dont, en ses moments de lucidité, il
était parfaitement conscient. Don Bosco l’invita à assister à
sa messe, au cours de laquelle il prierait pour lui. Ce qui fut
fait ; il communia. Au sortir de la messe, il se déclara complè­
tement guéri. En effet, à la dame (une parente) qui accompa­
gnait le malade, Don Bosco confirma que la grâce avait été
obtenue.
75

8.8 Page 78

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Mgr Grolleau, évêque dEvreux, qui avait pour diocésain
le Comte Charles de Maistre, grand ami de Don Bosco, dési­
rait ouvrir une école professionnelle et agricole. La chose traî­
na en longueur et, finalement, le projet n’aboutit pas. Mais
lévêque, par une lettre datée de fin octobre 1887, remercia
Don Bosco de son accueil hospitalier, de sa bénédiction, et
lui envoya cinq cents francs en qualité de nouveau coopéra­
teur, tout en convenant que, pour le moment, il fallait surseoir
à toute fondation.
Le même jour arrivaient en gare de Turin, entre 16 h 30 et
17 h, deux trains de pèlerins français conduits par Léon HarmeL
Ces 953 personnes, dont une cinquantaine de prêtres, se ren­
daient en pèlerinage à Rome pour célébrer le jubilé sacerdo­
tal de Léon XIII. Désolé de ne pouvoir avoir la joie et l’hon­
neur dhéberger tant de monde à lOratoire, Don Bosco délégua
quelques salésiens français pour saluer les pèlerins et sollici­
ter pour Don Bosco une entrevue avec eux. Léon Harmel accepta
et proposa 19 h, après le dîner au restaurant Sogno, situé dans
le parc magnifique du Valentino. A l'heure dite, Don Bosco arri­
va, accompagné de Don Rua. Sur-le-champ les pèlerins fran­
çais l'entourèrent avec une telle attention que Don Bosco en
fut ému. Léon Harmel et l'assistant ecclésiastique de la Société
de Saint-Vincent-de-Paul le prirent chacun par le bras pour
laider à marcher. Don Bosco sassit à la porte de l'hôtel et
bénit les ouvriers quand ils se furent tous groupés autour de
lui. Grand était son désir de leur adresser quelques mots, mais
sa voix était si faible quil ne pouvait se faire entendre même
des plus raoorochés ; il invita Don Rua à prendre la oarole en
son nom (cf. Bulletin salésien fronçais de novembre 1887). Aorès
quoi tous les pèlerins défilèrent devant Don Bosco en lui bai­
sant la main et. à genoux, reçurent chacun une médaille de
Marie Auxiliatrice avec une parole aimable. Aux laïcs, il redi­
sait de temps en temps : « Que Marie Auxiliatrice vous orotèae
et vous conduise au Paradis ! ». Aux prêtres, dont les petits
groupes se succédaient près de lui. il disait : « Que le Seigneur
vous fasse la grâce de lui donner beaucoup d’âmes. » Un prê­
tre de Chartres lui dit auil connaissait Don Bellamy: Don Bosco
le retint un instant et lui répondit : « Alors, si Don Beilamv est
votre ami, vous êtes aussi mon ami, parce que Don Bellamy
est mon grand ami ». On lui remettait en mains des pièces
d'araent, auil passait à Don Rua. La profonde vénération ma­
nifestée à Don Bosco bar ces catholiques français édifia fort les
Turinais qui en furent témoins.
Ces démonstrations eurent le don de mettre en fureur la
« Gazetta operaia», qui, le 15 octobre 1887, publiait un article
76

8.9 Page 79

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venimeux intitulé : « Furbo Don Bosco!». Don Bonetti protesta
près du Roi, mais en vain.
Les forces continuaient de décliner. Cependant, le 20 octo­
bre, Don Bosco se rendit à Foglizzo pour la prise d’habit des
novices. Ce fut son dernier voyage. Le 24 octobre, il raconta
avoir vu en songe Don Cafasso, en compagnie duquel il visita
toutes les maisons de la Congrégation, y compris celles d'Amé­
rique ; il vit les conditions de chacune delles et de chacun de
ses membres. Malheureusement les forces lui manquèrent pour
raconter en détail tout ce quil avait vu.
Dans ses brèves conversations, il parla fréquemment de
sa mort. Ainsi, Don Sala n'aboutissait pas dans lachat d'un ter­
rain au cimetière pour la sépulture des Salésiens qui mouraient
à Turin. «Si, à ma mort, lui dit un jour Don Bosco, le terrain
nest pas prêt, je me ferai porter dans ta chambre ; avec cet
outil sous les yeux, tu te dépêcheras de le trouver». Cela fut dit
si paisiblement que, malgré la gravité du propos, les assistants
ne se retinrent pas de sourire. Lui-même plaisantait avec ses
fils, et assurait que la Congrégation naurait pas à souffrir de
sa mort et qu'elle connaîtrait même un développement extra­
ordinaire.
(Daprès M.B., XVIII, p. 538)
77

8.10 Page 80

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9 Pages 81-90

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9.1 Page 81

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J.-B. HALNA
la récompense
est proche (2)
Don Bosco célèbre sa dernière messe le 11 décembre 1887... Pour la
aernière fois, il confesse ses grands graçons dans la soirée du 17 décem­
bre... Parmi les dernières lignes qu'il a tracées : « O Marie, protégez la
France et tous les Français ! »... Le 24 janvier 1888, le Cardinal Richard, ar­
chevêque de Paris, après avoir reçu la bénédiction de Don Bosco, lui dit :
« ... Et moi, je parlerai de Don Bosco à ma cité et ¡'annoncerai à Paris que
/o lui apporte votre bénédiction. »... Le fait que Don Bosco fût moribond
avait provoqué une grande émotion en France, comme en témoignent « LE
GAULOIS » sous le titre : « L'agonie de Don Bosco » /23-12-1887), ou « LE
NOUVELLISTE» de Lille.
A vec Mgr Caglierò étaient revenues en Italie Sœur Angèle
Æ Vallese, de Patagonie, et Sœur Thérèse Mazzarello, de
l'Uruguay ; elle amenaient avec elles une petite Fuégien-
ne, que leur avait confiée Mgr Fagnano. Don Bosco les reçut le
9 décembre.
Il avait, avec beaucoup de peine, célébré la messe pour la
dernière fois le dimanche 11 décembre. Ce fut pour lui un gros
sacrifice de ne pouvoir célébrer pour la fête de l’Immaculée. Ce­
pendant, toujours calme et serein, il plaisantait sa pauvre échi­
ne et ses vieilles jambes. Dans la soirée du 17 décembre
c'était un samedi il eut encore la force de confesser une
trentaine de garçons des classes supérieures, mais ce fut la
dernière fois. Sur une image, pour la dernière fois aussi, il
réussit à tracer quelques lignes ; celles-ci entre autres : « O
Marie, protégez la France et tous les Français ». Au retour de
sa dernière promenade en voiture, le 20 décembre, il dit à Don
Viglietti : « N'oublie pas d'écrire en mon nom ces paroles pour
tous les Salésiens : que les supérieurs salésiens aient toujours
une grande bonté envers leurs inférieurs, et, particulièrement,
qu'ils traitent avec bienveillance et charité les personnes de
service. »
79

9.2 Page 82

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Noël était proche. Les lettres, pleines de bons vœux, s’en­
tassaient sur le bureau ; elles venaient d'un peu partout ; beau­
coup venaient de France. Telle celle-ci de M,le Louvet dAire :
« Je profite de loccasion (elle envoyait un billet de 500 F) pour
vous présenter aussi mes vœux de bonne et heureuse année.
Mais pour vous, Révérend Père, toutes les années sont bonnes
et méritoires pour le Ciel... ce qui, hélas ! n’est pas mon cas. »
(cette coopératrice française fut aussi la fille spirituelle de Don
Bosco. Avec quelques autres, elle mérite d'échapper à l'oubli.)
Don Bosco garda le lit pendant quarante-deux jours consé­
cutifs. Du 20 décembre au 1er janvier, il alla de mal en pis ; du
1" au 20 janvier, il y eut un regain d'espoir. A partir de cette
date, la fin sannonça inévitable et rapide.
Au dire du coadjuteur qui, chqaue nuit, veillait à son che­
vet : « Sa résignation était très grande ; il mettait en pratique
ce quil me répétait souvent quand il était en bonne santé :
fare, patire, tacere. Alors, ne pouvant plus rien faire, il souf­
frait et se taisait. » Naturellement, c'est sur ses souffrances quil
se taisait. Le docteur estimait qu'il pouvait vivre encore, au
maximum, quatre ou cinq jours ; mais un autre se montra moins
pessimiste. Comme de coutume, une petite circulaire, signée
Don Bosco, invita les fidèles à la Messe de Minuit. A l'église,
étudiants et apprentis se relayaient par groupe, chaque demi-
heure, devant le Saint-Sacrement. Le 23 décembre, vers midi,
il commença à parler du sacrement des malades, mais le mé­
decin traitant et deux consultants ne jugèrent pas le danger
imminent. Ici se place un épisode curieux. L’un des docteurs,
voulant éprouver la force du malade, lui demanda de lui serrer
la main aussi fort qu’il le pourrait. En souriant, Don Bosco laver­
tit qu'il allait lui faire mal. Mais l’autre répétait : « Fort... fort. »
Et soudain, il retira sa main en sexclamant : « Oh ! il ne songe
pas à mourir. Avec une force pareille, il pourrait encore me
défier à la lutte. »
La lutte prit fin le 31 janvier 1888. Le saint éducateur alla
recevoir sa récompense. Sous la direction de Don Rua, ses fils
continuèrent la tâche commencée.
« Par l'Oratoire Saint-François-de-Sales, de sa phase am­
bulante à son installation définitive au Valdocco, des ado­
lescents, de jeunes adultes, proies faciles de la misère et
de la solitude, par milliers, reçurent une formation de "fils
de Roi", comme nombre d'entre eux le reconnurent. Parce
qu’ils étaient aimés, parce que peu à peu ils se découvri­
rent capables à leur tour d'être utiles à la Société, ils
80

9.3 Page 83

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sortirent de "chez Don Bosco" un métier ou une profes­
sion en main, des raisons de vivre solidement ancrées au
cœur, préparés à une vie chrétienne d'homme de leur
temps.
« A travers temps et contretemps nombreux, obstacles in­
croyables, soutenu par sa foi en Dieu, sa passion des jeu­
nes, Don Bosco avait tenu bon et bâti sa maison d'amour.
Bien vite ceux du dedans comme ceux du dehors s'y ­
chauffaient. Maintenant encore, les maisons salésiennes,
éparses sur les cinq continents et sous des formes telle­
ment diverses (de la hutte plus que rudimentaire de la
Patagonie à l'école technique la plus perfectionnée de
l'Europe ou du Japon), continuent leur mission despéran­
ce invincible, dans un monde qui a froid. » Arlette
Labatut.
(D'après les M.B., XVIII, chap. 22 et sq.)
81

9.4 Page 84

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9.5 Page 85

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J.-B. HALNA
la récompense
est proche (3)
Particulèirement émouvantes, ces lignes l'on voit côte à côte notre
confrère Noël Noguier de Malijay et le Prince Auguste Czartoriski (dont la
cause est introduite à Rome) ; les Filles de Marie Auxiliatrice, le Saint-
Siège, la Vierge Marie, la communion fréquente, les Missions et les maisons
ae formation, pêle-mêle, sont confiés, comme en testament, au cher
Mgt Caglierò.
Ce récit a été composé à partir des « Memorie Biografiche » ; vol. XVIII,
en particulier du chap. XXI.
sj e fait le plus notable du mois de novembre 1887 fut une
J' prise d'habit peu ordinaire. Il sagissait d'un Polonais,
~ Victor Grabelski, titulaire de nombreux diplômes ; un an­
cien officier fronças, Noël Noguier de Malijay ; un jeune Anglais,
qui ne persévéra pas ; et, les dominant tous par sa haute taille et
sa position sociale, le Prince Auguste Czartoriski. Jusquau bout,
ce dernier eut à résister aux pressions diverses des siens qui,
finalement, firent de nécessité vertu et assistèrent à la céré­
monie. Celle-ci se déroula dans l'église Marie-Auxiliatrice de­
vant une foule nombreuse. Le cardinal Alimonda, empêché,
s'était fait excuser. Don Bosco remit donc la soutane aux
quatre aspirants et Don Rua commenta excellemment le tex­
te : « Filii tui de longe venient. ». Après quoi, le père du Prince
Auguste revint à l'assaut et eut même recours au Saint-Siège
—- mais vainement pour que son fils ne fut pas autorisé à
se lier pour toujours à la Congrégation. Avant de retourner à
Valsalice, qui était le noviciat, le Prince Auguste reçut la ­
nédiction de Don Bosco, qui lui dit : « Aujourd’hui, nous avons
remporté une belle victoire. Vous deviendrez prêtre un jour, et,
par la volonté de Dieu, vous ferez beaucoup de bien à la Polo­
gne. »
En réponse à sa Circulaire du 4 novembre pour les mis­
sionnaires, il recevait beaucoup' de lettres et doffrandes, no­
tamment de France. Cétait pour lui une grande joie. Une au­
tre joie lui était réservée : celle de larrivée de Mgr Cagliero,
83

9.6 Page 86

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qui entra à l’Oratoire le soir du 7 décembre 1887. Il accourait
du fond de la Patagonie. Assis dans son fauteuil, près de la
fenêtre, Don Bosco l'attendait. L'évêque tomba à genoux, tan­
dis que Don Bosco lembrassait, le tenait serré sur son cœur,
puis, en pleurant, baisait son anneau. C'est Don Bosco qui
rompit le premier le silence, en s’enquêtant de la santé de l’évê­
que, qui avait été victime d'une chute de cheval. Mgr Ca­
glierò le rassura. Mais lui, comme il trouvait vieilli, depuis trois
ans quil ne lavait vu, son Père bien-aimé ! Après la fête de
l'Immaculée, on fut plus tranquille pour sentretenir dans lin­
timité. Mgr Caglierò se confessa à Don Bosco qui, dit-il, lui
donna de précieux conseils. Une autre fois, Don Bosco lui
manifesta la crainte que lon pût mal interpréter l'affection pa­
ternelle qu'il témoignait aux enfants qui venaient se confesser
à lui ou s'entretenir avec lui. L'évêque le rassura pleinement.
Voici queqlues notes prises par Mgr Caglierò à la suite de
ses conversations avec Don Bosco :
« Aide à la Congrégation et les Missions. Il faut étendre cel­
les-ci aux côtes d'Afrique et en Orient.
Au Saint-Père tu diras que jusqu'à présent cela a été tenu
secret, mais que la Congrégation et les Salésiens ont pour
but spécial de soutenir l’autorité du Saint-Siège, partout
ils se trouvent et partout ils travaillent.
Je désire que, présentement, tu restes en Italie aussi long­
temps que, après ma mort, les affaires de la Congrégation
ne seront pas réglées.
Prends à cœur la Congrégation et les Missions ; aide les
autres supérieurs selon toutes tes possibilités.
Que ceux qui désirent des grâces de Marie-Auxiliatrice ai­
dent nos missions, et ils sont sûrs de les obtenir.
Ne craignez rien : le Seigneur vous aidera. Ayez confiance.
Je demande une seule chose au Seigneur : que je puisse
sauver ma pauvre âme (en pleurant).
Je te recommande de dire aux Salésiens qu'ils travaillent
avec zèle et ardeur : travail, travail.
Travaillez toujours et inlassablement à sauver les âmes.
Je bénis toutes les maisons des Filles de Marie Auxiliatri-
ce ; je bénis la Supérieure Générale et toutes les sœurs ;
qu'elles se soucient de sauver beaucoup dâmes.
84

9.7 Page 87

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Mettez vos affaires en ordre. Vivez tous comme de vrais
frères. Aimez-vous, aidez-vous, supportez-vous.
Je bénis les maisons dAmérique : Don Costamagna, Don
Lasagna, Don Fagnano, Don Rabagliati et les confrères du
Brésil ; Mgr Aneyros de Buenos Aires, Mgr Espinoza, Quito,
Londres et Trente.
Alter alterius onera portate ; exemplum bonorum operum.
Propagez la dévotion à Marie Auxiliatrice en Terre de Feu.
Oh ! Que d'âmes nombreuses sauvera la Madone par le
moyen des Salésiens !
Dans les maisons de formation, que les Supérieurs prati­
quent l'obéissance et la fassent pratiquer. Etrenne : dévo­
tion à Marie Auxiliatrice et communion fréquente. »
Il recommanda deux fois le travail aux Salésiens, en répé­
tant : «Travail, travail.»
85

9.8 Page 88

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9.9 Page 89

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testament
spirituel
G. BOSCO
D'un précieux carnet, appelé « Testament Spirituel », qui comprend 138
pages écrites de la main de Don Bosco, entre ¡anvier et septembre 1884.
nous présentons quelques extraits qu’une idée peut résumer : « Conditions
de la prospérité future de l’Œuvre Salésienne ».
1. A tous mes fils en Jésus-Christ.
Avant de partir pour mon éternité, je dois remplir certains
devoirs auprès de vous et apaiser ainsi un vif désir de mon
cœur. Tout dabord, je vous remercie avec ma plus vive af­
fection de lobéissance qui a été la vôtre et de tout votre
travail pour soutenir et propager la Congrégation.
Je vous laisse ici sur la terre, mais seulement pour un peu
de temps. J'espère que l'infinie miséricorde de Dieu fera
que nous puissions nous retrouver un jour dans la bienheu­
reuse éternité. C'est que je vous attends.
Je vous recommande de ne pas pleurer ma mort. C'est une
dette que nous devons tous payer, mais après nous rece­
vrons une large récompense de toutes fatigues endurées par
amour de Jésus, notre bon Maître.
Au lieu de pleurer, faites de fermes et efficaces ^résolutions
de demeurer solides dans votre vocation jusquà la mort.
Veillez et faites en sorte que ni lamour du monde, ni laffec­
tion pour vos parents, ni le désir dune vie plus aisée ne vous
poussent à trahir vos vœux sacrés et ainsi à trahir ta pro­
fession religieuse par laquelle nous sommes consacres au
Seigneur. Que personne ne reprenne ce que nous avons
donné à Dieu.
87

9.10 Page 90

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Si vous m’avez aimé dans le passé, continuez à m’aimer dans
! avenir par l'exacte observance de nos constitutions.
Votre premier Recteur Majeur est mort. Mais notre véritable
supérieur, le Christ Jésus, ne mourra pas. Il sera toujours
notre Maître, notre guide, notre modèle ; mais rappelez-vous
que, le moment venu, il sera aussi notre juge et nous récom­
pensera de notre fidélité à son service.
Votre Recteur Majeur est mort, mais un autre sera élu qui
aura soin de vous et de votre salut éternel. Ecoutez-Ie, ai-
mez-!e, obéissez-lui, priez pour lui, comme vous l'avez fait
pour moi.
Adieu, mes chers fils, adieu. Je vous attends au ciel. nous
parlerons de Dieu, de Marie, mère et soutien de notre Congré­
gation ; nous bénirons éternellement notre Congrégation,
dont l'observance des Règles a contribué puissamment et
efficacement à nous sauver. « Que le nom du Seigneur soit
béni maintenant et toujours et jusquaux siècles futurs ! En
toi, Seigneur, j'ai espéré, je ne serai pas confondu. » (pp. 42-
2. Avis spéciaux pour tous.
a) Je recommande chaudement à tous mes fils de veiller à
ne jamais parler ni écrire sur moi, et à ne pas affirmer que
don Bosco a obtenu des grâces de Dieu ou, en quelque ma­
nière, a fait des miracles. Ce serait commettre une erreur
dangereuse. Bien que la bonté de Dieu se soit montrée ­
néreuse envers moi, cependant je n'ai jamais prétendu
connaître ou faire des choses surnaturelles Je n’ai fait que
prier et faire demander des grâces au Seigneur par des
âmes bonnes. Puis, j’ai toujours expérimenté l’efficacité des
prières et des communions de nos jeunes.
Dieu miséricordieux et sa très Sainte Mère nous sont venus en
aide dans nos besoins. Et cela s'est vérifié spécialement
chaque fois qu'il fallait pourvoir aux besoins de nos enfants
pauvres et abandonnés, et plus encore quand leur âme se
trouvait en danger.
b) La Sainte Vierge continuera certainement à protéger notre
Congrégation et les œuvres salésiennes si nous continuons
devoir confiance en Elle et de promouvoir son culte. Ses
fêtes et, plus encore, ses solennités, ses neuvaines, ses tri-
88

10 Pages 91-100

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10.1 Page 91

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duums, le mois qui lui est consacré, que tout cela soit chau­
dement recommandé en public et en privé ; avec des feuilles,
des livres, des médailles, des images ; en publiant ou sim­
plement en racontant les grâces et les bénédictions que notre
céleste bienfaitrice obtient à chaque instant à lhumanité
souffrante.
c) Il y a pour nous deux sources de grâces : avoir soin de
recommander à nos jeunes élèves en toute occasion propice,
de s'approcher des sacrements ou de faire quelque oeuvre de
piété en l’honneur de Marie.
Ecouter avec dévotion la Sainte Messe, faire la visite au
Saint Sacrement, la communion sacramentelle, ou au moins
spirituelle, sont choses très agréables à Marie et constituent
un moyen puissant pour obtneir des grâces spéciales (pp. 44-
48).
3. Recommandations pour la pastorale des vocations.
Dieu appelle la pauvre Congrégation salésienne à promou­
voir les vocations ecclésiastiques parmi la jeunesse pauvre
ou dhumble condition. Les familles aisées sont en général
trop imprégnées de l'esprit du monde, dont malheureusement
leurs fils restent très souvent marqués, et qui leur fait per­
dre la vocation que le Seigneur avait mise dans leur cœur.
Les journaux, les mauvais livres, les compagnons, les
conversations trop libres en famille sont souvent l'occasion
funeste de la perte des vocations, et il nest pas rare malheu­
reusement qu'ils occasionnent dégât et infidélité pour ceux
mêmes qui ont déjà fait le choix de leur état.
Rappelons-nous que nous faisons un grand cadeau à l’Eglise
quand nous lui procurons une bonne vocation ; que, d’ailleurs,
cette vocation ou ce prêtre aille dans un diocèse, dans les
missions ou dans une maison religieuse nimporte pas. Cest
toujours un grand trésor que l'on offre à l'Eglise de Jésus-
Christ.
Mais que l’on ne conseille pas à un jeune (de se faire prêtre
ou religieux) si lon n’est pas sûr quil conserve la vertu
angélique comme le réclame la théologie. On peut transiger
sur la médiocrité de lesprit mais jamais sur l'absence de la
vertu dont nous parlons (pp. 48-51).
Trad. : J.-B. Halna.
89

10.2 Page 92

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10.3 Page 93

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G. BOSCO
les dernières pensées
de don bosco
La « Testament Spirituel » de notre Père fut confié, le 24 décembre 1887,
â son secrétaire, Don Viglietti (cf. M.B. XVIII, 492), sous la forme d'un petit
carnet relié de 308 pages. 138 seulement sont écrites. Elles le furent à partir
de 1884. Les lignes qui suivent, traduites par le père Halna. se trouvent
aans les dix dernières pages...
Ces pensées, d'une écriture tourmentée, ont été confiées au carnetl
probablement en 1887. « Le ton devient solennel, suppliant et prophétique »
IJ. Aubry). Pour se documenter davantage : cf. « Ecrits Spirituels n, Jean
Bosco. Ed. Nouvelle Cité Paris, p. 28 et pp. 485-504.
1 - Profession de foi et dhumilité
Jai exprimé les pensées d’un père pour ses fils bien-aimés ;
maintenant je me tourne vers moi-même pour invoquer la mi­
séricorde de Dieu sur moi dans les dernières heures de ma vie.
Jentends vivre et mourir dans la sainte religion catholique
qui a pour chef le Pontife romain, le Vicaire de Jésus-Christ sur
la terre.
Je crois et ¡e professe toutes les vérités de foi que Dieu
a révélées à la sainte Eglise.
Je demande humblement pardon à Dieu de tous mes péchés,
spécialement de tous les scandales donnés à mon prochain en
toutes mes actions, et en toutes les paroles proférées en temps
inopportun. Je demande aussi tout particulièrement excuse des
soins excessifs usés à mon égard sous le prétexte spécieux de
conserver la santé.
Je dois également mexcuser si l’on a remarqué que plu-
siuers fois ¡'ai fait une préparation ou une action de grâces
trop courte pour la Sainte Messe. En un certain sens, j'y étais
91

10.4 Page 94

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contraint par la foule des personnes qui mattendaient à la sa­
cristie et m'ôtaient la possibilité de prier soit avant soit après
la Sainte Messe.
Je sais que vous, mes fils aimés, vous m'aimez et que cet
amour, cette affection ne se bornent pas à pleurer après ma
mort, mais que vous priez pour le repos éternel de mon âme.
Je vous recommande de faire des prières, des œuvres de
charité, des mortifications, de saintes communions en répara­
tion de mes négligences commises pour faire le bien et em­
pêcher le mal.
Que vos prières soient tournées vers le ciel à cette fin spé­
ciale que je trouve miséricorde et pardon à l'instant je me
présenterai devant la redoutable Majesté de notre Créateur
(pp. 267-270).
2 - L’avenir
Notre Congrégation a devant elle un avenir heureux préparé
par la divine Providence, et sa gloire durera aussi longtemps que
l’on observera fidèlement nos Règles. Quand on commencera
parmi nous à rechercher ses commodités et ses aises, notre
pieuse Société aura terminé son cours.
Le monde nous accueillera toujours avec plaisir tant que
nos sollicitudes seront dirigées vers les païens, les enfants les
plus pauvres, les plus en danger dans la société. C'est cela la
véritable aisance que personne ne nous enviera et ne voudra
nous ravir.
Que l'on ne fonde pas de maisons si l’on n'a pas de per­
sonne) nécessaire pour les diriger.
Une fois une mission commencée à l'extérieur, qu'on la
continue avec énergie et sacrifice. Que notre effort soit toujours
de créer des écoles et den tirer des vocations pour l'état ecclé­
siastique, ou des sœurs pour les jeunes filles.
Au moment voulu, nous ouvrirons des missions en Chine
et, précisément, à Pékin C). Mais que l'on n'oublie pas que
(1) Missions ouvertes, en effet, à Pékin, à Noël 1946 (création d’un patronage et
et d’une école professionnelle). Quatre ans plus tard, le régime Mao chassait
les salésiens.
92

10.5 Page 95

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nous y allons pour les enfants pauvres et abandonnés. Là, parmi
des peuples inconnus et ignorants du vrai Dieu, on verra des
merveilles incroyables jusqu'alors, mais que le Dieu puissant
rendra manifestes au monde.
Que l’on ne conserve pas de propriétés immobilières en
dehors des maisons dont nous avons besoin.
Lorsque, dans une entreprise religieuse, viendront à man­
quer les moyens pécuniaires, qu’on la suspende, mais qu’on re­
prenne les travaux commencés dès que nos économies et sa­
crifices le permettront.
Quand il arrivera quun salésien succombe et cesse de
vivre en travaillant pour les âmes, alors vous direz que notre
Congrégation a remporté un grand triomphe, et sur elle descen­
dront abondantes les bénédictions du ciel (pp. 271-276).
Don Bosco expira, à 4 h 45, le 31 janvier, pendant que la
cloche de l'église Marie-Auxiliatrice sonnait iAngelus.
93

10.6 Page 96

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10.7 Page 97

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A. GARNIER
don bosco
roi populaire
Avec l'autorisation de l'auteur, nous publions ces lignes inédites qu'An-
gelmont Garnier avait jetées sur le papier au moment de la préparation de
lune des BD récentes sur Don Bosco. L’originalité et la culture de l'auteur
éclairent toujours avec saveur te sujet qu'il traite, et quand le sujet est...
Don Bosco!...
Le titre est de la rédaction...
La personnalité et l'œuvre de don Bosco
La personnalité de don Bosco est une énigme pour tous
ceux qui se penchent sur la biographie d'un prolétaire rural,
dans la misère, mort dans une pauvreté complète et qui a
géré des millions du XIX8 siècle avec une efficacité quasi mé­
canique : « Quand est-ce que nous avons entrepris quoi que
ce soit en ayant l'argent pour le faire ? »
Donnez-moi ça, et je vous donne ça !
C'était « ça » les termes de l'échange entre Dieu et don
Bosco.
L'histoire des billets de la Madone est la plus impression­
nante.
Pour les fêtes de Noël 1861, don Bosco est malade. Il a
46 ans. Il subit une douloureuse érésipèle. Tout le monde craint
une aggravation du mal mais le soir du 31 décembre, il descend
au parloir pour y saluer les jeunes rassemblés et leur donner
ses conseils comme étrennes de 1862.
95

10.8 Page 98

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Létrenne que je vous donne nest pas la mienne. Que
diriez-vous si la Madonne elle-même venait dire quelque chose
à chacun dentre vous, un par un ? Si elle avait préparé pour
chacun un billet pour lui indiquer ce dont il a le plus besoin
et ce quelle veut de lui ? Eh bien, les choses en sont là...
Sur les 20 pages « du premier cahier qui lui tomberait
sous la main »... don Bosco écrivit 573 sentences : le texte et
le nom du destinataire.
D’après les Mémoires biographiques (Vil.6), les vingt pages
de texte furent couvertes dans la nuit. C'est inexplicable puis­
que les noms ne sont pas par ordre alphabétique ni classés
par section. Comment peut-il avoir tout ce monde à l'esprit ? Il
y avait parfois le prénom et des précisions comme Damiano 1,
Damiano 2, Prerazza (externe). L'abbé Dominique Ruffino es­
saya de récupérer le maximum de sentences. Il n'en récupéra
que 48. Lui-même avait sur son billet : « Pratique et cultive la
vertu d’humilité». A Mona : «Des actes, et moins de paroles».
A Mantu : « Tu es petit mais ta méchanceté est grande ». Trente
garçons n'allèrent pas prendre leur billet qui est toujours dans
le cahier. Don Bosco recommanda : « Si quelqu'un ne veut pas
y croire, qu'il déchire son billet et n'y donne pas suite ; mais
que personne ne s'en moque et qu'on se garde de le tourner
en ridicule. »
Fieffés rationalistes que nous sommes, nous disons : « Il
y a un truc ! » Le truc, cest que don Bosco voulait connaître
personnellement tous ses jeunes dont il remplaçait les parents
défunts ou lointains. H n'avait pas le temps de questionner ;
il voulait lire en direct à lintérieur pour que l'encouragement, le
conseil, parfois le remède tombent sur les bonnes dispositions,
l'hésitation, la faute. Lui-même s'étonne : « C'est une chose
extraordinaire ! Il y a plusieurs années que je demande cette
grâce et, finalement, je l'ai obtenue. »
A quel prix? «Donnez-moi ça, et je vous donne ça.»
Dieu l'aimait parce que c'était un pauvre de bonne volonté
qui aimait les jeunes pauvres de bonne volonté. Dieu obéit aux
hommes vivants qui sont sa gloire, mais il prédilectionne ceux
que Jésus appelle « les bénis de mon Père » : ce petit troupeau
des gens du partage qui, non seulement donnent généreuse­
ment à la quête de la misère humaine, mais participent physi­
quement au portement de croix.
96

10.9 Page 99

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Il est devenu fou ! disaient ses amis auxquels nous res­
semblons parce que, comme eux, nous préférons les termitières
ostentatoires aux ruches sans prétentions gorgées de miel.
Il raconte : « On commença à faire quelques classes à la
sacristie, derrière lautel ou en d'autres endroits de léglise...
Durant l'hiver 1846-1847, nos classes obtinrent dexcellents ­
sultats... Elles comptaient en moyenne trois cents élèves cha­
que soir... Ma mère vendit son anneau de mariage et une petite
chaîne en or... Toujours de bonne humeur, elle me chantait en
riant : « Malheur au monde sil se moque de nous, étrangers
qui navons pas un sou ! (Souvenirs autobiographiques. Troisiè­
me décennie 1846-1865, 5°. Don Bosco.)
Francis Desramaut écrit dans lintroduction à ces Souve­
nirs Autobiographiques de Jean Bosco, trad. A. Barucq, page 19 :
« Quand le futur saint nous assure qu'il était, dans sa jeunesse,
absolument dénué des "vertus nécessaires" à létat sacerdo­
tal, nous hésitons à le prendre au sérieux». Personnellement,
je n'hésite pas. Dailleurs, le père Francis termine la page 19
en sautant à la perche par-dessus son hésitation. Il y a beau­
coup plus de vérité dans la crudité des aveux que dans les in­
terprétations que nous en donnons ; c'est ce qui rend toutes
nos confessions bizarres. C’est pourquoi don Bosco voulait
« lire ses enfants » à cœur ouvert.
Quels aveux tardifs sous les formules comme « Monoculus
rex in regno coecorum » : « Le borgne est roi au royaume des
aveugles ». Le roi, cétait lui ; il létait parmi les ruraux de sa
cambrousse.
Antoine, son frère aîné, nétait ni aveugle ni borgne. Nous
oublions de lire derrière le texte quand nous prenons à notre
compte les accusations : «jaloux, cruel, envieux, médisant»...
J'ignore à qui peut servir le dénigrement systématique de ce
brave garçon qui navait aucune raison de s’abaisser devant
ce moutard insupportable et insolent. Nous rions en nous tapant
sur les cuisses quand Jean compare Antoine au bourricot de
la ferme. Don Bosco nous raconte qu'il ne voulait pas, à l’âge
de deux ans, sortir de la chambre de son père défunt. Mais,
entre le 8 mai 1817 (peut-être le 6 ou même le lundi 5) qui dou­
terait que, dans sa neuvième année, Antoine nait reçu les
consignes de son père mourant, lui confiant les personnes et
les biens dont il aurait désormais la charge. Si Jean se rap­
pelle très bien le rêve de ses neuf ans sur les bêtes changées
en agneaux pleins de douceur, Antoine nétait-il pas le premier
auquel il aurait appliquer la leçon de son rêve ?
97

10.10 Page 100

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Et don Bosco avoue avec le culot de ses 58 ans (les pre­
mières pages des souvenirs autobiographiques datent de 1873) ;
je l'entends rire d'ici : « D’après ce que ¡e faisais les jours fériés,
vous pouvez imaginer ce que je faisais les autres jours ». Ça
veut dire quil faisait, les autres jours, ses répétitions. Pendant
qu'Antoine, par tous les temps, travaillait dans les champs,
«l'artiste», caché dans les bosquets ou dans la grange d'un
voisin, préparait son show dominical, recommençait pour la en-
nième fois ses exercices de saltimbanque ou de prestidigitateur
professionnel... « jusqu'au moment je pouvais rivaliser avec
eux »... Qui aurait eu un autre comportement que celui d'An­
toine quand le comédien se pointait le soir pour la minestra et
quil haussait les épaules quand on lui demandait : « D'où est-
ce que tu viens ? » Mais Antoine, c'était la boule de pétanque
qui voulait écraser une bille de mercure.
Maman Marguerite elle-même finit par en avoir assez et
met Jean dehors, sans doute après une bagarre homérique en­
tre Antoine, 19 ans, et cette petite peste de 12 ans que personne
ne voulut prendre en charge dans le secteur alors qu'il avait
de la famille un peu partout. Il partit un matin de février 1827,
orphelin, cette fois-ci, de père, de mère et de tous ses oncles
et tantes. La mise au rancart à la Moglia de Moncucco va durer
33 mois.
Don Bosco était par nature violent, autoritaire et domina­
teur. Les efforts pour se maîtriser lui couvraient le corps de
sueur froide. A Turin, il immobilise un cheval excité en le sai­
sissant par les naseaux. Il arrache les clous dans les murs
avec ses doigts. Il défit un jour un emballage de piano sans se
servir d’aucun outil. Que de violence, de turbulence, daffronte­
ment et de bagarres dans ses songes. Mais il est significatif
quil ne se sert pas de sa force pour se défendre lui-même ; ce
sont les garçons qui l'accompagnent qui sen charge. Avant les
compétitions intellectuelles scolaires il vaincra tous les
concurrents, il veut être le plus fort, lui, le petit qui ne mesurera
jamais plus de 1 mètre 62, selon son passeport.
Néanmoins, une sensibilité presque féminine, en tout cas
très maternelle, irrigue cette énergie intense ; c'est le signe
dune grande maîtrise de soi. Ne faut-il pas qu'il soit le père
et la mère de ces gosses ? Car Maman Marguerite est tout le
contraire d'une sentimentale. Lui, il dit : « Il faut aimer nos en­
fants et il faut quils se sentent aimés ». Quel beau terrain d’en­
tente avec Jésus qui rabrouait les disciples parce qu'ils écar­
taient les gosses : « Laissez les enfants venir à moi, ne les
empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui sont
comme eux. En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas
98

11 Pages 101-110

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11.1 Page 101

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le royaume de Dieu comme un enfant ny entrera pas. » Et il les
embrassait et les bénissat en leur imposant les mains. (Marc
10. 13-16)
Jai trouvé dans « Le Divan occidental et oriental » de Gœthe
la scène suivante : une troupe d'homme est rassemblée autour
d'un chien mort déjà presque entièrement décomposé; chacun
lui donne un coup de pied en iui adressant une injure...
« Lorsque ce fut le tour de Jésus,
Celui-ci, bon comme il était, ne lui adressa aucune
injure, il écouta la voix de son cœur compatissant et
dit : "Ses dents sont blanches comme des perles."
Cette parole fit sur ses assistants le même effet quun
feu dans lequel on jetterait des moules. »
(Nisami)
Il faut dire que tous les saints, à quelque religion qu'ils
appartiennent, ont aussi les défauts quelquefois bien accentués ;
cela n'arrête pas le choix de Dieu.
Il ne s'agit pas de discréditer ces amis de Dieu qui nous
sont si précieux dans la société, ni de chercher des excuses à
nos propres déficiences. Les Saints sont beaucoup plus nom­
breux qu’on ne le pense. Pour le devenir, il suffit parfois, pour
commencer, de prendre au sérieux des versets évangéliques
qui entraînent toute la suite : « Jai eu faim et vous mavez don­
à manger ; j'étais sans vêtement et vous m'avez vêtu ; ¡'étais
malade, en prison et vous êtes venus à moi. » (Mat. 25. 35-36)
® L’époque de don Bosco
La nouveauté viendrait plutôt, tout au long de l’histoire du
vacher des Becchi, de sa sensibilité socio-politique. Il est resté
homme du peuple jusquau bout, affirmant ou rappelant, sous
des formes diverses, son appartenance au monde du travail.
En arrivant à la maison de Nice, il fait ôter le tapis que les
confrères avaient cru bon de placer dans sa chambre pour
l'honorer. Au lieu de se laisser posséder par les riches à la gé­
nérosité desquels il devait beaucoup, cest lui qui les entraînait
sur son terrain. A une dame qui l'avait beaucoup secouru et qui
lui demandait ce quelle devait faire maintenant que sa vie se
terminait, il répondit : « Devenir pauvre comme Job ! » Et ce
99

11.2 Page 102

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n'était pas une boutade intéressée comme on serait tenté de le
croire ; il ne jouait pas à ce jeu-là.
Mais l'hommage le plus insolite qui lui ait été rendu est
celui du terrible Giuseppe Garibaldi (Nice : 4-7-1807 - Caprera :
2-6-1882), gros mangeur de curés : « Le pape est la gangrène de
l'Italie ! Les prêtres sont le plus grand fléau de notre pénin­
sule ! »... Quand Garibaldi se rendit à Milan, la première semaine
de novembre 1880, il y fut reçu en triomphe. On lui demanda
pourquoi il n'allait pas aussi à Turin. Il répondit :
A Turin, je n'y vais pas parce quil y a don Bosco.
Une autre fois, il déclara :
Celui-là, c’est vraiment un bon curé et un vrai prêtre de
Dieu, préoccupé d’humilité. Il fait du bien à la jeunesse et c'est
le seul en Italie.
En fait, don Bosco savait quil était en plein dans le sens
de l'histoire de son siècle en créant des foyers d'accueil pour
les jeunes travailleurs, puis des écoles professionnelles, puis des
collèges afin dassurer la relève de ses collaborateurs.
Il savait, en créant son oeuvre à Turin, que c'était cela dont
l’Italie avait besoin, puis l'Europe, puis le monde entier, pour que
les jeunes du monde du travail entreprennent la longue marche
de leur libération.
Un an après l'achat de la casa Pinardi (12-4-1846), sait-il,
don Bosco, quà Londres Karl Marx (29 ans en 1847), chassé de
France en 1845, a rejoint Friedrich Engels (28 ans) et qu'il jette
les bases d'une fédération, la Ligue des Communistes. En 1864,
à Londres, naît la «Première Internationale des Travailleurs».
En 1870, l'année du Concile du Vatican I, Vladimir lllitch Ou-
lianov voit le jour. On l'appellera Lénine et il conduira la révo­
lution russe de 1917.
La machine à vapeur se répand ; un Anglais, James Watt
en avait pris le brevet d'inventeur en 1769. Le relais sera pris par
Zénobe Gramme, électricien belge (1826-1901), inventeur de la
dynamo électrique.
Je ne crois pas que don Bosco ait lu l'Essai sur le principe
de la population, de Robert Malthus (1766-1836). Pourtant les
drames de son enfance prolétarienne y étaient décrits : « Un
homme qui est dans un monde déjà possédé, s'il ne peut ob­
100

11.3 Page 103

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tenir de ses parents la subsistance quil peut justement leur
demander et si la société na pas besoin de son travail, n’a au­
cun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture et, en
fait, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n'y a pas
de couvert pour lui... » Et chaque adolescent quil accueillait à
partir ae 1841 était sous le coup' de cette condamnation. La po­
pulation de l'Italie est passée de 18 millions en 1800 à 24 mil­
lions en 1848 et à 27 millions en 1870. En 1914, elle avait dou­
blé : 36 millions. En 1881, l'espérance de vie d'un Italien était
de 35 ans ; elle est passée à 65 ans en 1950...
L'Italie était divisée. Entre le Nord et le Sud, comme une
sorte de garrot qui empêche le sang de circuler de haut en bas,
on trouve les Etats de l'Eglise, avec Rome, dont on ne sait par
quel moyen elle deviendra la capitale de l’Italie unifiée. Déjà
Nicolas Machiavel (1469-1527) avait écrit dans «Le Prince» :
« L’Eglise est trop faible pour faire l'unité et trop forte pour la
permettre. »
Au seuil du XIXe siècle, un vieil évêque de Strasbourg, émi­
gré, déclarait au sujet de l'Eglise : « L’immobilité est son divin
caractère. » Presque simultanément, le soir de la bataille de
Valmy, le 20 septembre 1792, le grand poète allemand Gcethe,
qui suivait en curieux l’armée prussienne du prince de Brunswick,
s’écriait : « En ce lieu et à partir de ce jour commence une nou­
velle époque de l’histoire du monde. Tout va se précipiter. » « Je
crois que de Saint Pierre jusquà nous, dit don Bosco, il n’y a
jamais eu de période aussi difficile. » (M.B. XIII. 288)
En 1870, en France, l'empire de Napoléon lll s'effondre. En
Italie, le 20 septembre de la même année, la ville de Rome se
rend au roi Victor-Emmanuel. Les excommunications pleuvent
mais elles n'arrêtent plus personne car cest plus que la rup­
ture avec l'ancien régime ; cest la fin de l'Antiquité : la fin d un
monde de pouvoirs absolus, au plan civil et au plan religieux.
Le désarroi est total. Félicité de Lamennais (1782-1854), qui a
marqué de son empreinte tout le XIX' siècle spirituel, qui fut très
probablement nommé cardinal « in petto » en 1826 par le pape
Léon XIII, est ensuite excommunié par Grégoire XVL
La déstabilisation de la société, intensifiée par la bousculade
à lentrée de l’ère industrielle, laisse opérer les hommes daffai­
res de tout acabit. Une aristocratie bourgeoise monte à l'as­
saut des titres et des privilèges ; ce n'est plus le sang qui rend
noble mais lor. Le peuple : hommes, femmes, enfants à partir
de 4 ans et demi se retrouvent condamnés aux travaux forcés
par une nouvelle classe de profiteurs qui feignent dignorer ou
combattent les droits et revendications des travailleurs. Un slo-
101

11.4 Page 104

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gan commence à circuler : « La bourgeoisie produit ses propres
fossoyeurs ! » Et la réalité justifie le slogan. Les révoltes de
novembre 1831 à Lyon et d'avril 1834, puis la révolution de 1848
furent les répétitions de l'horrible tragédie de la Commune de
1871 à Paris.
C est la nuit des rois et le crépuscule des dieux, mais pour
le petit paysan des Becchi, après le songe d'une nuit d’été...
«car que faire en ce gîte à moins que lon ne songe»«1), il
comprit que Dieu n'est pas dans le vent fort et puissant, ni dans
le feu, mais dans le bruissement dun souffle ténu <2>.
« Le bruissement d'un soufflle ténu », c'est le style de la
pédagogie de Jean Bosco, premier saint populaire de l’ère
démocratique.
( 1 ) La Fontaine, « Le lièvre et les grenouilles ». 11, 14.
(2) I Rois 19. 9, 12. TOB.
102

11.5 Page 105

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quelques
traits
de vertu

11.6 Page 106

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11.7 Page 107

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M. MOUILLARD
madame !
cest tout choisi !
Ce cri du cœur qu'il adressa, jeune prêtre, à la Marquise Barollo, tra­
duit et trahit la constance de Don Bosco dans sa vocation personnelle. Il
tut fidèle à l'Appel qu'il crut percevoir clairement à neuf ans et il n'en
démordit jamais. C'était en même temps fidélité à Dieu qui oropose et à
lui-même qui accueillait au jour le jour... Cest bien cette fidélité-là qu'il
avoua, à sa manière, à son secrétaire, dans le train qui le ramenait à Turin
de ce fameux et long voyage de 1883 en France, évoquant malicieusement à
la fois les luxueuses crinolines parisiennes et ta piteuse masure de son
enfance d’où pourtant tout était parti.
epuis le sacre de Napoléon, en 1804, on na jamais vu
à Paris de telles foules autour d'un prêtre !...
Ce prêtre, cest Don Bosco, en 1883.
Ce que les feuilles écrivent ne lui tournent pas la tête : cet
homme prodigieux et prestigieux, à la fantastique popularité,
demeure, jusqu'à son dernier souffle, fidèle serf de sa glèbe
natale.
« Ah ! Sainteté, j'aurais de l'allure en cardinal au milieu de
mes gosses ! »
La jeunesse qui le tiraille, cest comme un miroir de sa pro­
pre jeunesse qui, à son tour le renvoie à ces êtres de chair et
de sang peu gâtés par la vie. En eux, il se réfléchit et se re­
connaît. Jusque dans les salons parisiens ou lyonnais, il se pré­
sente simplement, sans vergogne, sans provocation, comme « le
petit paysan des Becchi !... » Rappelons-nous : orphelin à deux
105

11.8 Page 108

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ans ; jeune pâtre, autodidacte ; à 13 ans, frêle chômeur qui ap­
prend l'humiliation du refus ; ventre-creux quand la famine ­
vit ; garçon de salle aux veilles difficiles et laborieuses...
Don Bosco, ça, il ne loubliera jamais, fidélissime à ses ori­
gines..
« Madame, c'est tout choisi !... » L’altière Barollo, née Col­
bert, n'en est pas encore revenue !...
Pourquoi Giovanni Bosco n'a-t-il pas tourné le dos à son
passé miséreux ?... alors que tant de médiocres parvenus se sen­
tent mal dans leur peau, rosissant s'ils doivent confesser, en
cravate bordeaux et complet gris pétrole de petits chefs, leur
modeste naissance ?
Ce n'est pas parce que quelqu'un voit autour de lui des
jeunes dans la mélasse comme il l'a été, lui, quil vole à leur
secours !... Beaucoup cherchent au contraire à s'évader et fuir
et n'y pas ou plus penser.
Le « mystère » onirique de ses neuf ans a sanctionné et an­
cré chez Giovannino, enfant vif et donnant, une prédisposition
et une orientation qui vont peu à peu devenir vocotion sous le jeu
et le feu de l'Esprit : il sera à son tour bon berger au milieu
des galopins mal léchés pour leur révéler la lumineuse nouvelle
du « voyage » insoupçonné.
Il ne voudra pas seulement éviter aux jeunes la saleté, la
faim, la ladrerie, la solitude, le chômage, la chienlit, l’humiliation,
la morgue, la misère tels quil les a connus, mais leur donner
l'ESPERANCE, même espérant contre toute espérance ; pas
d'abord l’espoir d'un plus-avoir, du bien-être, mais d'un MIEUX-
être ; car ii sait aussi et il veut faire savoir que la dignité humai­
ne s'épanouit dans la dignité de Fils et de Filles de Dieu...
Oui ! il sera berger, meneur, pilote, « maître des adoles­
cents », mais pour leur crier l'essentiel : ça vaut la peine de
vivre, car la vie est don de Dieu et Dieu comble toujours !
S’il est sans moyen, sans argent, sans appui ; s'il est montré
du doigt : « exalté » ! ou « danger public » ! ; sil est poursuivi,
harcelé, menacé ; s’il est incompris, jalousé, soupçonné... l’illu­
mination de son enfance reste toujours au moins la minuscule
braise inextinguible étincelant au coeur de son cœur toujours
assiégé, jamais dissuadé.
106

11.9 Page 109

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Sa FIDELITE senracine bien au-delà du terroir d'Asti ou des
luzernes des Becchi ou des ruelles de Chieri, bien plus profon­
dément : en une plaine les loups se font agneaux...
Ça l'a toujours habité...
Alors, ceux qui voulurent, un jour, enfermer ce doux rêveur,
un peu halluciné, vous savez ! fou même... ne savaient pas si
bien dire ou penser... C'est vrai ! Jean Bosco fut fou, fou de la
même folie que celle qui poussa le Bon Berger sur le Bois, pour
ses brebis...
Mais n'est-ce pas cette folie-là qui donne la Vie ?
« Si le grain n'est pas écrasé... »
Et Marie, leur Mère, était là...
24 mai 1983.
107

11.10 Page 110

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12 Pages 111-120

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12.1 Page 111

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G. BOSCO
dieu
sera obligé
de nous écouter
On conserve précieusement à Ressins la lettre que Don Bosco écrivit,
le 26 juin 1881, à Mme Gauthier, propriétaire du château, plus de cinquante
ans avant que les Salésiens ne s'y installent et prennent en charge ce Cen­
tre agricole de la région roannaise.
Voici ce document.
109

12.2 Page 112

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12.3 Page 113

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111

12.4 Page 114

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tf
112

12.5 Page 115

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un prêtre
non aligné
M. B.
Don Bosco et son œuvre furent mêlés de très près aux événements
politiques contemporains de leur pays... La clairvoyante intrépidité que le
saint manifeste toujours en ces circonstances sut forcer le respect de tous,
même de ses adversaires.
Garibaldi marche sur Naples. Les Marches et l'Ombrie vont être conqui­
ses. Puis, on s'attaquera à Rome et au Pape. Que va devenir l’Oratoire dans
cette tempête? Tout peut dépendre du ministre Farini.
Cf. « Memorie Biografiche, VI, pp. 670-684.
e 15 juillet 1860, Don Bosco est avisé que le ministre
f' Farini lui accorde une audience le lendemain, à 11 h. Il
met ses enfants en prière : jusqu'à son retour, ils reste­
ront tour à tour en adoration devant le Saint Sacrement. Il avait dit
un jour à Don Cagliero : « Je ne laisse jamais passer une démar­
che quand je sais qu'elle est bonne et quelle doit être faite
même si les difficultés sont nombreuses. Avant de me présen­
ter je dis un « Ave Maria », puis advienne que pourra. C'est l'af­
faire du Seigneur. »
Quelques minutes avant l'heure fixée, le « Commandeur » f1
Farini paraît, lui serre la main avec des paroles courtoises et
l'introduit. Quelques secrétaires travaillent à leur bureau.
Nous nous sommes déjà vus une fois chez l'abbé Rosmini,
à Stresa. Je suis heureux de vous rencontrer. Je sais le bien que
vous faites à la jeunesse pauvre. Le Gouvernement vous doit
beaucoup pour cette oeuvre philanthropique et sociale. Que dé­
sirez-vous ?
Je voudrais connaître le motif des perquisitions réitérées
que j'ai subies ces derniers mois.
( 1 ) « Commendatore » : distinction honorifique officielle.
113

12.6 Page 116

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Je vais vous le dire tout de suite et avec cette franchise
avec laquelle je désire que vous me répondiez. Tant que vous
vous êtes occupé des enfants pauvres, vous avez été l'idole du
Gouvernement ; mais depuis que vous avez laissé la charité pour
faire de la politique, nous devons rester sur nos gardes.
Voilà précisément ce qui me tient à cœur de savoir, dit
Don Bosco. Ma règle a toujours été de me tenir en dehors de la
politique , aussi j'ai hâte de connaître les faits qui peuvent me
compromettre.
Les articles que vous écrivez dans le journal « L’Harmo­
nie », les réunions réactionnaires qui se tiennent chez vous,
votre correspondance avec les ennemis de la patrie, voilà au­
tant de faits qui inquiètent le Gouvernement sur votre compte
(Nous rappelons que « L'Harmonie » fut le premier journal ca­
tholique du Piémont jusqu'en 1848.)
Si Votre Excellence me le permet, dit Don Bosco, je ferai
quelques observations sur tout ce que vous voulez bien me
confier. Tout dabord, il n'existe aucune loi, que je sache, qui
m'interdise d'écrire des articles ni dans « L'Harmonie », ni dans
un journal quelconque. Toutefois, je puis assurer Votre Excel­
lence que je n'écris dans aucun journal ; je n'y suis même pas
abonné.
Vous pouvez nier tout à votre aise, mais le fait est qu'une
bonne partie des articles de ce quotidien sortent de votre plume.
Cela est confirmé par des arguments que nul ne peut mettre
en doute.
Ces arguments, Monsieur le Ministre, je ne les crains pas
et je vous assure franchement qu'ils nexistent pas.
Vous voulez peut-être dire que je suis un menteur, un
calomniateur ?
Je ne dis pas cela parce que Votre Excellence avance ce
qu’on lui a rapporté ; mais si la relation quon vous a faite n'est
pas véridique, les faits que vous dénoncez sont faux. En ce cas
la calomnie tourne à la honte de...
Nos responsables sont des personnes honnêtes, ils ne
sont pas capables de dire une chose pour une autre.
lis se sont pourtant trompés.
Vous accusez le Gouvernement demployer à son service
des personnes sans honneur, capables de délations.
Je n'ai pas dit cela. J’affirme pourtant que l'on a dit sur
mon compte des choses fausses.
114

12.7 Page 117

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En somme, en parlant ainsi. Monsieur lAbbé, vous cen­
surez les fonctionnaires, vous censurez le Gouvernement lui-
même.. Je vous invite à corriger vos expressions.
Je le ferai volontiers si Votre Excellence me démontre que
je n’ai pas dit la vérité.
Ce n'est pas d'un bon citoyen de censurer et de calom­
nier les autorités publiques.
Veuillez mexcuser, Monsieur le Commandeur, je n'entends
pas censurer l'Autorité :je dis simplement la vérité avec la fran­
chise de l'homme honnête qui se défend de fausses accusations,
et avec le courage du bon citoyen qui met sur ses gardes le
Gouvernement pour quil ne se laisse pas aller à des attitudes
injustes contre des sujets fidèles en les couvrant d’infamie au­
près des gens honnêtes. Me dénoncer comme auteur d'articles
que je n'ai jamais imaginés, appeler ma maison de bienfaisance
un lieu de réunions réactionnaires, dire que je suis en relation
avec les ennemis de l'Etat, cest une calomnie. Ce sont des in­
ventions de personnes méchantes, un affront à la justice et à la
liberté.
Vous ne m’effrayez pas
Stupéfait et irrité, l'Excellence prend un ton autoritaire et
menaçant :
Monsieur l'Abbé Bosco, vous vous laissez emporter par
trop de chaleur et vous vous compromettez ; souvenez-vous que
vous parlez au ministre.
Faites ce quil vous plaira. Je n'ai pas peur.
Mais ne voyez-vous pas qu'il me suffit d'un mot pour vous
envoyer en prison ?
Vous ne m'effrayez pas.
Romeo ! Romeo ! s'écria Farini en se retournant vers son
secrétaire particulier, le Comte Borromeo, et vers les autres se­
crétaires désormais attentifs à ce dialogue, écoutez, écoutez ce
que dit Don Bosco.
Oui, continue le Saint, je ne redoute pas ce que peuvent
faire les hommes pour avoir dit la vérité ; je crains seulement ce
que Dieu peut me faire si ¡avais prononcé un mensonge. Dail­
115

12.8 Page 118

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leurs, Votre Excellence aime trop la justice et l’honneur et ne
commettra pas l'infamie de jeter en prison un citoyen innocent
qui depuis vingt ans consacre sa vie et ses ressources au bien
de ses semblables.
Et si je le faisais ?
Je ne crois pas possible que l’honneur du Commandeur
Fari i se change en bassesse ; mais si cela se produisait, jai
les moyens de faire valoir mes raisons.
C'est-à-dire ?
Imiter votre exemple.
Expliquez-vous.
Votre Excellence a écrit des livres d'Histoire et a attiré
la condamnation politique sur certains personnages que vous
jugiez coupables. Quant à moi, j'ai écrit une « Histoire dItalie »
et je n'aurais quà ajouter un chapitre, en publiant ce qui s'est
passé entre nous.
Don Bosco sourit et continua :
Je pourais bien perpétuer le souvenir des perquisitions
faites à l'Oratoire et raconter à tout le monde lattitude dun mi­
nistre du Royaume qui use de son pouvoir pour effrayer les en­
fants d'un Institut de charité et le réduire à néant.
Mais vous ne le ferez pas.
Cela dépend de moi. Mais que Votre Excellence sache
que vous n'avez pas agi comme lhomme accompli que vous êtes
réellement... mais Dieu, juste et tout-puissant, vengera à son
heure l'innocent opprimé.
Mais vous êtes fou, Monsieur lAbbé, vous êtes fou ! Si
je vous mets en prison, comment pourrez-vous faire imprimer
tout cela ?
J'ose penser que Votre Excellence me laisserait pour
ma satisfaction au moins un porte-plume, un peu de papier et
de l'encre. Même si ¡'étais privé de ces objets, voire de la vie,
il se trouverait bien quelques auteurs pour écrire à ma place.
La discussion se prolongeant, Don Bosco hausse le ton en­
core, et en labsence de toutes preuves de sa culpabilité, exige
justice et réparation. Troublé, Farini garde le silence...
116

12.9 Page 119

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Nous avons laissé Don Bosco dans une grande tension face au ministre
F-arini. Pendant ces instants de silence, voici qu'entre Cavour, ministre des
Agraires étrangères et Président du Conseil, maître d’œuvre de l'unité ita­
lienne. Il avait été l'ami de Don Bosco et connaissait l’Oratoire. La partie
était gagnée... peut-être.
Qu'y a-t-il ? demanda-t-il en se frottant les mains, et
tout souriant. Qu’on ait un peu de considération pour ce pauvre
Don Bosco, et arrangeons les choses amicalement.
Il le prend par la main et l’invite à s’asseoir.
Monsieur le Comte, cette maison du Valdocco que vous
avez si souvent visitée, dont vous avez fait l'éloge et avez été
le bienfaiteur, voici quon veut la détruire ; ces pauvres enfants
ramassés sur les places et que l'on forme à une vie honnête
de travail, on veut les rejeter dans l’abandon et le danger de
l'inconduite ; ce prêtre que souvent Votre Excellence a porté aux
nues par des éloges, certes non mérités, on le dénonce comme
réactionnaire et chef de rebelles. Sans m'en donner la raison,
j'ai été perquisitionné, molesté, déshonoré publiquement pour le
grand dommage de mon institution soutenue par la charité à
cause de son bon renom.
Cavour proteste de ses bonnes intentions, de sa vieille ami­
tié pour Don Bosco, mais il ajoute :
Vous vous êtes pourtant trompé, cher Don Bosco. Cer­
tains abusant de votre bon cœur, vous ont entraîné à suivre
une politique qui conduit à de tristes conséquences.
Quelle politique ? Quelles conséquences ? Le prêtre ca­
tholique n’a d'autres politique que celle du Saint Evangile, et
je ne crains pas les conséquences...
Puisque vous voulez mobliger à parler, je vous dis fran­
chement, réplique Cavour, que l'esprit qui domine en vous et
dans votre institution est désormais incompatible avec la poli­
tique suivie par le Gouvernement. Vous êtes avec le Pape, mais
le Gouvernement est contre le Pape, donc vous êtes contre le
Gouvernement. Vous ne pouvez y échapper.
Jy échapperai pourtant, Monsieur le Comte. J'observe
d'abord que, si je suis avec le Pape et que si le Gouvernement
est contre le Pape, il ne s'en suit pas que je sois contre le
Gouvernement mais plutôt que cest le Gouvernement qui est
contre moi. Mais laissons cela de côté. Du point de vue religieux,
117

12.10 Page 120

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je suis avec le Pape et, en bon catholique, ¡’entends demeurer
avec le Pape jusqu'à la mort, mais cela ne m’empêche pas d'être
un bon citoyen. Comme ce n'est pas mon rôle de traiter de poli­
tique, je ne m'en mêle pas. Voici vingt ans que je vis à Turin, jai
écrit, j'ai parlé, j’ai agi en public, mais je défie quiconque de
citer seulement une ligne, un parole, un fait qui puisse mériter
une censure du Gouvernement. Si je suis coupable, quon me pu­
nisse ; si je ne le suis pas, qu'on me laisse m'occuper en paix
de mon œuvre.
Ah ! Monsieur l'abbé, quelles belles paroles, s'exclame
Farini ; vous ne me ferez jamais admettre que vous partagez nos
idées, les idées du Gouvernement.
A une époque de si grande liberté dopinion, Monsieur
le Ministre voudrait-il faire grief à un citoyen de penser ce que
bon lui semble, ou lui imposer tyranniquement ses idées ? Quelle
que soi mon opinion personnelle sur la conduite du Gouverne­
ment et sur certains faits du jour, je répète que, ni à la maison,
ni au dehors, je n'ai jamais dit ou fait quoi que ce soit qui puisse
me faire passer pour un ennemi de mon pays. Cela devrait suf­
fire aux autorités. Mais je vais plus loin, Excellence. Je recueille
dans ma maison des centaines d'enfants pauvres ou abandonnés,
et je les prépare à une carrière honorable ; je diminue le nom­
bre des vagabonds, des fainéants ! ¡’augmente celui des gens la­
borieux, instruits, honnêtes ; je coopère donc au bien de beau­
coup de familles et de la société.
Comme dhabitude, Don Bosco parle plutôt lentement et sans
élever la voix. Ferme, mais toujours calme, souvent souriant, il
parle en prêtre.
Les deux ministres sont pris de court. Cavour, le premier,
tente un dilemme qu'il croit subtil :
Sans aucun doute, Don Bosco croit à l'Evangile ; or l'Evan­
gile dit que celui qui est avec le Christ ne peut être avec le
monde, donc si vous êtes avec le Pape et, par conséquent, avec
le Christ, vous ne pouvez être avec le Gouvernement. « Que votre
parole soit oui ou non. » Soyons francs : ou avec Dieu ou avec
le monde.
A Dieu et à César. Don Bosco répond :
Ce raisonnement laisse croire que Monsieur le Comte et
le Gouvernement sont non seulement contre le Pape mais contre
l'Evangile, contre Jésus-Christ lui-même. Pour ma part, sincè­
118

13 Pages 121-130

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13.1 Page 121

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rement, jai de la peine à croire que le Comte Cavour et le Com­
mandeur Farini en sont venus à un degré d impiété tel qu ils
renoncent à cette religion dans laquelle ils sont nés et ont ete
élevés, et pour laquelle ils ont plusieurs fois manifesté respect
et admiration. Quoi qu'il en soit, l'Evangile répond Votre Ex­
cellence lorsqu’il dit : « Donnez à César ce qui est à César et
à Dieu ce qui est à Dieu. » Selon l’Evangile, un sujet de n importe
quel Etat peut être un bon catholique, être avec le Pape, pen­
ser comme le Pape, faire du bien à son semblable et, en même
temps, être avec César, cest-à-dire observer les lois du Gou­
vernement, sauf le cas il aurait affaire à des persécuteurs de
la religion ou à des tyrans de la conscience et de la liberté...
Monsieur le Comte croit-il, oui ou non, que Don Bosco est un
conspirateur, un ennemi de la patrie, un menteur ?
Jamais ! Jamais, réplique Cavour. Bien plus, j'ai toujours
vu en vous le type du véritable gentilhomme et je veux que tou­
tes les histoires cessent et qu'on vous laisse en paix.
Mais, prudence, cher abbé, ajoute Farini. Nous sommes
en des temps difficiles ; un moucheron peut se transformer en
chameau. Gardez-vous de ceux qui passent pour vos amis et qui
pourtant trahissent.
_ Je vous en prie, Monsieur le Ministre, si vous avez un
conseil à donner ou quelque mesure à prendre, veuillez agir en
père, et non avec des menaces qui causeraient des dommages
irréparables à une œuvre qui donne des soucis au Gouverne­
ment et aux personnes privées.
D'accord ! Mais tenez-vous toujours loin de la politique.
Je nen ai jamais été proche, je ne suis daucun parti.
C'est entendu, conclut Cavour. Nous serons encore amis
à l'avenir. Et vous... priez pour moi.
Oui, je prierai Dieu qu’Il vous aide pendant la vie et à
I heure de la mort, conclut Don Bosco en serrant la main que les
deux ministres lui tendent.
La publicité que la presse « indépendante » avait donnée
aux perquisitions porta le nombre des garçons recueillis à I Ora­
toire de 300 à 500. Et, deux jours après ce fameux colloque,
Farini lui-même demandait une place gratuite pour un de ses
protégés. Et ce ne fut pas la seule fois.
Trad. : J.-B. Halna.
119

13.2 Page 122

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13.3 Page 123

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L. FIORA
don bosco
garant du conclave de 1878
On est loin, en lisant les lignes qui suivent, d'un Don Bosco amuseur
d'enfants ou amuseur public... C'est le Sage qui apparaît ici et à qui mê­
me les plus hautes autorités recourront maintes fois. Ainsi à l'occasion du
Conclave de 1878.
Comparer les derniers Conclaves avec celui-là, qui à la mort de Pie IX
a élu Léon XIII, apporterait certainement une impression réconfortante. Il
serait aisé, en effet, de mesurer l’évolution et les affirmations de la spiri­
tualité de l’Eglise depuis cette date. Les « Memorie Biografiche » nous ont
laissé un écho de la situation de cette époque. Nous sommes heureux de
voir Don Bosco agir en responsable dans une œuvre qu’il assumait avec
passion : te service de l'Eglise et du Pape. Cf. « Voci Fraterne », Sept.-Oct.
1978, p. 5)
Le père Luigi Fiora est l’actuel Procurateur Général des Salésiens près
le Saint-Siège et le Postulateur Général pour les Causes de béatification et
de canonisation de la Famille salésienne.
« Je viens minformer si le Gouvernement entend assurer la
liberté du Conclave.» Par ces paroles, il y a 100 ans, en février
1878, Don Bosco prenait contact avec Son Excellence Crispi ;
on état à la veille du Conclave qui allait élire le Pape Léon XIII.
La requête de Don Bosco s'expliquait par les vives préoc­
cupations qui agitaient les Cardinaux à la mort de Pie IX. Les
Eminents Electeurs pourraient-ils se réunir à Rome ? Lélection
pourrait-elle se dérouler en toute liberté, sans ingérences exté­
rieures ? L'attitude du Gouvernement était incertaine : il était
poussé par lextrême-gauche à simmiscer dans les affaires du
Vatican, en dépit des lois de garanties. La place était troublée
par les agitateurs et lon craignait des actes inconsidérés. Les
Cardinaux envisageaient même l'éventualité de tenir le Conclave
hors de Rome et de l’Italie.
121

13.4 Page 124

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En ces jours incertains, l'idée vint dune intervention de
Don Bosco, qui se trouvait à Rome. Don Bosco, toujours prompt
à rendre service à l'Eglise et au Pape, se prêta volontiers à cette
démarche. Il reçut un mandat « officieux » : s'informer des véri­
tables intentions du Gouvernement en approchant quelques
personnalités politiques.
Un premier entretien eut lieu avec le ministre de la Grâce,
de la Justice et des Cultes, Pascal-Stanislas Mancini.
Le second entretien eut lieu avec l’Honorable Crispi, minis­
tre de l'Intérieur. Il traduit l'esprit du temps et nous révèle à
la fois le tact de Don Bosco au milieu des troubles en Italie et
son habileté à orienter les événements sur la voie constructive
de la conciliation. Nous nous référons au texte même des « Me­
morie Biografiche» (M.B. XIII, 481...). Si ces pages illustrent des
situations historiques, elles gardent aujourd’hui même un vif
intérêt :
En ces jours d'incertitudes et danxiété, l'action de Don
Bosco apparut décisive. Il fut chargé «officieusement» de s'in­
former des intentions réelles du Gouvernement : le Cardinal Pecci
approuva ce choix si opportun. Don Bosco se présenta donc au
Garde des Sceaux, P.-S. Mancini, ministre de la Grâce, de la
Justice et des Cultes. Celui-ci se montra grossier au point de
ne pas même tourner ses regards vers le prêtre debout devant
lui, chapeau en main !... Aux questions respectueuses de Don
Bosco, il donnait des réponses sèches, frisant l'ironie et le mé­
pris, à tel point que le Serviteur de Dieu, au moment de orendre
congé, se crut obligé de lui dire, calme et digne : « Monsieur, je
vous en prie, ayez au moinns quelques égards pour ceux qui
m'ont envoyé. »
Sa mission concernait surtout lHonorable Crispi, ministre
de ¡'Intérieur. La première rencontre avec Crispi eut lieu dans
son bureau : elle fut peu encourageante. Quand le Saint entra,
il le trouve affalé dans son fauteuil, les jambes croisées ; il fu­
mait. Don Bosco resta devant lui, debout ; le ministre, lui, ne
rectifia pas sa position.
Qui êtes-vous ? demanda-t-il d'un ton bourru.
Je suis Don Bosco.
Quattendez-vous de moi ?
Je viens vous demander si le Gouvernement entend pro­
téger la liberté du Conclave.
122

13.5 Page 125

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Et qui êtes-vous pour me poser une telle question ? Quels
sont vos pouvoirs ?
Je dois donner une réponse ou Cardinal Camerlingue.
Eh bien, le Gouvernement fera son devoir ! répondit ­
chement le ministre.
Et qu'entendez-vous par ce mot « devoir » ?
Mais enfin, qui vous a chargé de me poser une telle ques­
tion ?
Peu importe, répliqua paisiblement Don Bosco. J'ai
besoin dune prompte réponse. Si le Gouvernement n'entend pas
assurer au Conclave une pleine et entière liberté, ¡e dois le
savoir tout de suite. Les Cardinaux veulent prendre une décision
sans délai. Ils ont déjà pris toutes les dispositions, prêts à faire
face à toute éventualité : dès maintenant et sans faute, le
Conclave pourrait se faire à Venise, à Vienne ou en Avignon, au
gré Je la conjoncture. Toutefois, je me permets de faire remar­
quer à Votre Excellence qu'il est de l'intérêt du Gouvernement
que le Pape soit élu à Rome ; cependant que Leurs Excellences
n oublient pas la loi des garanties et que les Puissances euro­
péennes observent le déroulement d'un fait qui intéresse le mon­
de entier.
Crispi resta un moment pensif ; puis il se leva, tendit la
main à Don Bosco et lui dit : « Assurez donc de ma oart les
Cardinaux que le Gouvernement respectera et fera respecter le
Conclave et que l'ordre public ne sera troublé d'aucune manière. »
Ceci dit, il s'assit de nouveau, invita Don Bosco à faire de même
et poursuivit : « Ainsi donc vous êtes Don Bosco ? » et il se mit
à parler familièrement de Turin, de lancien Oratoire de Valdocco.
Il avait connu l'Oratoire en 1852. Il habitait alors un petit appar­
tement de deux ou trois pièces, rue des Orphelins, près de la
Consolata il allait prier de temps en temps. Après avoir évo­
qué ces lointains souvenirs, il poursuivit : « Il m'est arrivé quel­
quefois de venir me confesser à vous, à l'Oratoire. Vous le
rappelez-vous. Don Bosco ? » « Je ne m'en souviens pas, répon­
dit Don Bosco en souriant, mais si vous le désirez je suis prêt
à vous entendre à l'instant même. » « Jen aurais bien besoin !... »,
fit le ministre en riant de laveu qui lui avait échappé. Il se plut
même à rappeler ces années déjà lointaines, alors quil venait
sentretenir avec Don Bosco, qu'il en recevait réconfort et non
de simples paroles. « Mes embarras passés, dit-il, étaient bien
peu de choses comparés à ceux d’aujourd'hui », et il ajoutait :
« Mais alors javais la foi ; oui, j'avais la foi ; maintenant nous
ne lavons plus. »
123

13.6 Page 126

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Puis, Crispi demanda à Don Bosco des nouvelles sur la
marche de son œuvre. Il en vint à parler des méthodes éduca­
tives, à se plaindre des désordres qui se produisent dans les
prisons pour jeunes délinquants. La conversation se prolongea
sur ce sujet.
Le ministre écouta les avis de Don Bosco. Quant aux lieux
de réclusion les jeunes prisonniers loin de samender empi­
raient, il exprima le désir quils fussent confiés à des éducateurs
formés à lOratoire de Don Bosco. Il lui demanda un projet de
son système pédagogique pour l'examiner. Le Saint saisissait
très bien que le ministre ne pouvait prendre lui-même une telle
décision ; cependant, il le laissa s'exprimer, lui promit de lui
faire parvenir son point de vue au sujet de la réorganisation des
maisons d'arrêt pour mineurs délinquants. L'entrevue ne pou­
vait se terminer en termes plus cordiaux.
Don Bosco s’empressa d aller rendre compte de sa mission
«officieuse». La réponse du ministre parut satisfaisante. Crispi
était, certes, un homme à poigne : il tint parole, et grâce à son
énergie les bruits concernant des désordres publics cessèrent
comme par enchantement.
Don Bosco, protagoniste de l’Histoire de l’Eglise et de l'Italie
L'évocation de cet épisode avec la simplicité du récit qui
fait ressortir la personnalité de Don Bosco et nous le montre
face aux Grands de son temps, nous interpelle. Ne demandons-
nous pas souvent à notre Saint des directives dans nos modestes
difficultés ?
Si nous comparons, en premier lieu, la sérénité et la liberté
dont bénéficièrent les Conclaves de 1978 avec les appréhensions
du Conclave de 1878, nous devons en tirer des conclusions dop-
timisme et d’espérance. La réalité spirituelle de l’Eglise a par­
couru un long chemin dans l'Histoire. Prenons-en acte, affermis­
sons notre confiance.
Quant à Don Bosco, notons ceci : tout absorbé quil fût par
le petit monde de ses garçons et par ses affaires, ni les évé­
nements de lEglise, ni ceux de l’Etat ne le laissaient indifférent.
Il avait conscience de ses responsabilités ; il avait le courage
de rendre service, à ses risques et périls ; il mettait lui-même en
pratique le programme civil et religieux qu’il ne cessa de pré­
senter à ses jeunes gens et aux anciens. « Bons citoyens, bons
124

13.7 Page 127

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chrétiens. » Heureuses prémices de « Gaudium et Spes » (Vati­
can II).
Enfin, nous soulignons volontiers l'esprit sacerdotal de Don
Bosco : au moment la conversation s'égarait semblait-il, il
savait la ramener dans les voies du bien spirituel. Les enfants
tant aimés, les enfants pauvres et nécessiteux étaient eux-mê­
mes toujours présents à son affectueuse sollicitude et à ses
soucis apostoliques. Ils devenaient eux-mêmes les véritables oro-
tagonistes de ses entretiens avec les hommes politiques : sa
mission au milieu des jeunes en recevait un éclairage de vérité
et en acquérait de plus vastes proportions.
Une question surgit dans notre esprit : quelle aurait été
l’insertion de Don Bosco et de ses jeunes dans la nouvelle réa­
lité des Conclaves de 1978? L'Archevêque salésien de Santiago
du Chili, le Cardinal Silva Henriquez, nous a raconté qu'au soir
du 3 septembre, sur la place Saint-Pierre, il s'approcha du Pape
Jean-Paul Ier pour l'acte d'obédience. Celui-ci, prenant les de­
vants .sadressa spontanément à lui : « Le Pape peut-il toujours
compter sur la prière des Salésiens ? » Le Cardinal Silva lui
donna au nom de toute la famille salésienne la réponse qu’aurait
donnée Don Bosco.
Traduction : P. Dunand.
125

13.8 Page 128

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13.9 Page 129

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J.-B. HALNA
si tu avais la foi
de don bosco
Pour qui connaît tant soit peu la vie de Saint Jean Bosco, c’est en­
foncer une porte ouverte que d'insister sur son esprit de foi. « Comme s’il
voyait l’invisible... » Entre mille autres, voici trois faits qui nous invitent à
réfléchir.
1. Une «Lecture» précédente nous a rappelé que, à la
mort de Pie IX, Don Bosco fut chargé de demander au ministre
Crispi des garanties pour la liberté du Conclave. C'est à cette
occasion qu'il rencontra le futur Léon XIII. D'abord distantes et
assez peu bienveillantes, les relations entre le nouveau Pape et
Don Bosco ne tardèrent pas à s'améliorer au point de devenir
chaleureuses et amicales. En mars 1879, le Pape demande à
Don Bosco de se charger de la construction de l'église du Sacré-
Cœur, à Rome, dont les travaux étaient interrompus faute de
ressoruc.es. A peine de retour à Turin, Don Bosco réunit ses
Conseillers pour les informer de la mission qui lui était confiée
et demander leur avis. Tous, sans exception, votèrent contre.
Don Bosco sourit et leur demanda de réfléchir encore. Et
voici le discours qu’il leur tint : « Vous mavez tous répondu par
un non bien rond. C'est très bien. Je sais que vous avez agi
selon la prudence qui s'impose dans les cas sérieux ; et celui-ci
est de grande importance. Mais si au lieu de me donner un
non, vous me donnez un oui, je puis vous assurer que le Cœur
de Jésus enverra les moyens nécessaires pour construire son
Eglise. Il paiera nos dettes et nous gratifiera encore d'un beau
pourboire». Alors, on prit le projet en considération, on le trouva
trop mesquin pour Rome ; on étudia et on proposa un projet
plus vaste... et, avec la bénédiction du Saint-Père, les choses
se passèrent selon les prévisions de Don Bosco. Mais le bon
vieillard y laissa sa vie, car il dut parcourir lItalie et la France
127

13.10 Page 130

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pour mendier, alors que sa santé était déjà en bien mauvais
état. Il mourut en laissant des dettes à Don Rua, tout en lui re­
commandant de ne pas en parler et en lassurant que, du Paradis,
il l’aiderait à les payer. Et Don Rua put toucher du doigt, en
cette circonstance, l'intervention de la Providence.
2. Sur ce, dès le mois d'août, Don Rua doit courir à Mar­
seille à la place de Don Bosco, dont la vue baissait de plus
en plus. Il sagissait d'organiser des retraites pour les prêtres
du diocèse pendant les vacances scolaires. En fait, il fallut s'en
tenir à celle qui avait été prévue pour les Salésiens, car la per­
sécution, déchaînée d'abord contre les Jésuites, menaçait aussi
les autres religieux. Septembre et octobre furent deux mois de
terreur, sous les coups des sectes maçonniques de lépoque, sur­
tout à cause de deux jeunes abbés qui jouèrent les « Judas », les
Salésiens ne furent pas épargnés. Mais les Coopérateurs mon­
tèrent la garde jour et nuit autour de la maison tant que dura
la tempête et, en fin de compte, on put ouvrir de nouveau l’Ora­
toire et reprendre les classes normalement.
Entre-temps, Don Bologne avait prévu et préparé le départ
de tous les Salésiens pour l'Italie. Un télégramme priait le Direc­
teur dAlassio de préparer une quarantaine de lits pour les
confrères salésiens et leurs orphelins en route vers Turin. «Ce
soir, nous serons tous parmi vous », disait le télégramme. Don
Cerutti prévint en hâte Don Rua, lequel courut chez Don Bosco.
Don Bosco sursauta : « Que dis-tu ? C'est impossible ! fis ne
seront pas chassés : je l'ai écrit à Don Bologne. » « Cependant,
insiste Don Rua en montrant la lettre, Don Cerutti nous écrit qu'ils
sont déjà à Alassio. » « Mais non ! c’est impossible... Puis­
que je te dis quils ne doivent pas être chassés... » II prit la let­
tre, puis il ajoute : « lii y a une erreur. Laisse-moi la lettre,
je vais écrire à Don Bologne. Tu verras que je dis vrai. »
Et, sur-le-champ, il écrivit à Marseille. La réponse ne se
fait pas attendre : les Salésiens n'avaient pas bougé... Le soir
du 1er décembre, alors que tous les Supérieurs se trouvaient à
San Benigno Canavese, on connut le secret de la tranquillité de
Don Bosco. Aux alentours du 8 septembre, il avait vu en songe
la Vierge Marie protéger de son manteau la maison de France
contre les assauts furieux. Il conclut en exhortant ses auditeurs
à avoir toujours confiance dans la Vierge Marie.
Don Rua objecta : « Il y a beaucoup d'autres Congrégations
qui ont de la dévotion pour la Sainte Vierge. Comment se fait-
128

14 Pages 131-140

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14.1 Page 131

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il. .. « La Madone fait ce qu'elle veut », répondit Don Bosco
(Cf. Don Favini - Vie de Don Rua).
3. Trois ans passèent du 31 janvier au 31 mars 1883 ,
Don Bosco entreprend son fameux voyage à travers ia France.
Devant quitter Turin pour plusieurs mois, il jugea convenable ae
prendre congé de son archevêque, Mgr Gastaldi, et de lui de­
mander sa bénédiction. Il se rendit donc au palais épiscopal. Il
ne put obtenir l'audience désirée. Sur le chemin du retour, il
dit : « Monseigneur n a pas voulu me recevoir. Bientôt, il me
cherchera, mais ne me trouvera pas : je serai absent. » Paroles
prophétiques. Le matin de Pâques, le glas remplaça les carillons
de fête dans les clochers de Turin : Monseigneur était mort,
alors que l’on attendait pour la messe pontificale. Au dire dun
témoin les dernières paroles que prononça l'archevêque furent :
« Ah ; Don Bosco... Ah ! Don Bosco. » (Cerio. MB XV, p. 31, note 2).
Don Bosco se trouvait à Paris. Aussitôt, il ordonna de célébrer
dans ia basilique Marie-Auxiliatrice un service solennel pour le
repos de l'âme de l'archevêque. Les parents y furent invités ;
mais très peu répondirent à l’invitation, même pas la Comtesse
Maze, nièce de l archevêque, qui était restée en excellents ter­
mes avec Don Bosco.
C'est que, d'abord ami de Don Bosco, qui le recommanda
chaudement pour l'évêché de Saluzzo, puis pour larchevêché
de Turin, Mgr Gastaldi ne tarda pas à changer totalement de
sentiments. Ce furent dix années de souffrances pour le pauvu
fondateur. Un jour que Don Albera lui demandait sa pensée à
propos de l’intervention fréquente de la Sainte Vierge dans sa
vie, dans ses œuvres, il répondit : «Tous étaient contre Don
Bosco ; il fallait bien que la Madone vienne à son aide. » Avec
le Cardinal Caglierò, au cours de sa longue déposition au pro­
cès (page 7), nous pouvons conclure : « Ce n’est pas sans la
permission de Dieu que Don Bosco, pour une plus grande sain­
teté, rencontra un opposant en celui quil pensait devoir être
son fidèle et puissant protecteur, précisément au moment le
plus glorieux et le plus fécond de son apostolat... Cette croix,
que le Seigneur lui mit sur les épaules, il la porta humblement,
sans se plaindre ni récriminer, sans perdre une seule fois la
paix intérieure, ni cesser de travailler à l'expansion de son œu­
vre. Il conserva toujours cette paix de lâme, qui lui venait de
son inaltérable union avec Dieu, qui est la caractéristique des
saints. »
129

14.2 Page 132

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14.3 Page 133

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Mgr LAVALLEE
"géant de charité"
don bosco
Même mission pour saint François de Sales et pour saint Jean Bosco :
ia charité. C'est ce qui leur donne des traits communs, un air de famille,
une véritable filiation qui rattache Don Bosco à l’évêque de Genève, entre
tous les autres patriarches dont sont issues les familles religieuses.
I est sans doute très rare de rencontrer un être pris et in-
vesti par une pensée au point Jean Bosco le fut par sa
vocation. Quand je cherche un fait analogue, je me reporte
spontanément à Jeanne d'Arc. A treize ans, elle entenduit, pour
la première fois, les voix qui lui donnaient sa mission. Ces voix
descendent dans le fond de son âme et en prennent possession
tyranniquement. A dix-neuf ans, le bûcher de Rouen la réduisait en
cendres : il faudrait dire plutôt que l'appel divin qui, à treize ans,
sétait emparé de son âme et de sa chair acheva alors de dévo­
rer sa vie.
Jean Bosco avait neuf ans quand un rêve lui signifia lap­
pel de Dieu. Je me représente un ange venant transverbérer le
cœur de cet enfant endormi. Vous avez lu, comme moi, la vie
de Don Bosco. Avez-vous lu, comme moi, que la partie la plus
formidable de sa vie, il l’a vécue entre sa neuvième année et
son sacerdoce, dans cette lutte héroïque contre les obstacles qui,
à l’envi, barraient la route, pour le détourner du but?
... Que cet adolescent, dont la délicatesse dâme se révélera
dans sa tendresse d'âme pour ses enfants, et que sa noblesse
native mettra tout naturellement en état de traiter avec la Cour
de Savoie et celle du Vatican, se soit plié à toutes les humilia­
tions que la réalisation de son rêve imposait à sa pauvreté ; quil
ait eu le courage de briser successivement toutes les entraves
qui venaient se nouer à ses chevilles pour l'empêcher d'avancer,
ne disons pas que ce soit une préparation à la vie héroïque : c'en
est peut-être le sommet.
131

14.4 Page 134

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Or, quelle était la nature du rêve qui s’était emparé si sou­
verainement de sa vie ? Jose dire que cétait de tenter une ex­
périence de la vertu miraculeuse de la charité sur les maux dont
souffrent les hommes. Léclair qui avait jailli un jour dans l'esprit
de Pasteur, qu'il pourrait écarter de l'humanité l’horreur des
convulsions de la rage, avait suffi pour lenfermer dans son labo­
ratoire comme dans une prison, et pour subordonner toute son
activité au succès de son expérience. Ainsi en fut-il de Jean
Bosco. Dieu lui avait donné un cœur tendre. A l’âge que La Fon­
taine dit être sans pitié, il avait vu son merle apprivoisé dévoré
par un chat ; pendant plusieurs jours, il vécut dans une tristesse
morne.. Un peu plus tard, il séprit c'est le mot dune af­
fection exquisement pure pour son camarade Comolo, dont la
piété douce le séduisait.
On devine si ses expériences personnelles de la misère hu­
maines affinèrent encore cette sensibilité native... Je me aarde-
rai bien de donner des rêves de Don Bosco une explication sim­
plement naturelle... Les avertissements divins trouvaient dans la
nature de Don Bosco, ouverte à la pitié, une puissance toute
prête à s'orienter à leur souffle. De toute sa nature, et de toute
sa foi, il croyait que le grand remède pour l'âme de la société,
c'était la charité.
... Le jour, comme la nuit. Don Bosco rêvait ; il rêvait de
transformations sociales pour la société. Il croyait que beaucoup
de ceux que nous appelons des coupables sont, surtout, des mal­
heureux, qui n'ont jamais rencontré sur le chemin ce thaumatur­
ge : la charité ; quelle est capable de faire des miracles ; que
si on l'étendait sur le monde, on verrait se produire des merveilles.
Pie XI a dit que Don Bosco fut un « géant de la charité ». S'il
a mis au service de la charité des forces gigantesques, c'est
que, dabord, il a eu foi en elle ; il a cru que, comme elle fut la
source de la vie du monde et en sera la consommation, ainsi
est-elle, pour le monde, comme pour chacun de nous, la voie
du salut
132

14.5 Page 135

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un cœur
de prêtre
J.-B. HALNA
Don Bosco n'avait rien d'un naïf. Aumônier des prisons, il fait I appren­
tissage de l'efficacité de la bonté évangélique. Non point d'ailleurs par
simple tactique : c'est un fait que Don Bosco était bon. Mais à la bonté
et à la patience, il joignait, quand il le fallait, une détermination résolue.
A certains de ses garçons, il savait qu'il ne pouvait accorder qu’une confiance
limitée.
e qui ne lempêchait pas de s’efforcer de les amener aux
pieds du Christ. A lire son emploi du temps, nous consta-
tons qu'il avait les nerfs solides. Le dimanche et les jours
de fête, « je me trouvais de bonne heure au confessionnal ; célé­
bration de la messe, à 9 heures, avec prédication. Cours de chant,
de littérature jusquà midi. A 13 h, récréation, puis catéchisme, ­
pres, instruction, salut du Saint Sacrement. De nouveau, récréa­
tion,chant et classe jusqu'à la tombée de la nuit ». En semaine,
en plus de ses visites à ses jeunes sur les chantiers et dans les
usines, de ses multiples démarches et de son travail d’information
auprès déducateurs, patrons, ouvriers, etc., la vie nouvelle de
l'Oratoire l'accaparait d'une façon incroyable... « Durant la se­
maine, je devais travailler pour mes apprentis, faire la classe
à une dizaine de jeunes : le soir, leçon de français, d arithmé-
tique, de oplain-chant, de musique vocale, dae piano, dunhuam rmuo-
nium Je ne sais comment j'ai pu tenir». Ses premiers colla­
borateurs le lâchent ; il en forme d'autres, et se voit poussé a
fonder sa famille religieuse.
Avec le recul de l’Histoire, on est tenté didéaliser le « cli­
mat familial » de l'Oratoire. Lesprit de famille, certes ! Mais l'in­
dispensable discipline donnait pas mal de fil à retordre a I équipe
improvisée des premiers temps.. De quoi nous consoler de nos
tâtonnements de «jeune assistant!». En dépit davis répétés,
Don Bosco ne pouvait pas toujours empêcher ses collaborateurs
de traiter les élèves avec rudesse, soit parce que certains de
ses assistants étaient de nature plutôt grossière et impérieuse,
133

14.6 Page 136

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soit parce que leur courte patience était souvent mise à rude
sPécla!ement à l'église (!), distribuaient-ils de
ortes taloches aux quelques-uns qui dormaient ou qui déran­
geaient pendant le sermon ou les prières. Cest pour cela que
quelquefois, il y eut du mécontentement (nous disons : du mau­
vais esprit) a l’intérieur et à l'extérieur de l'Oratoire. Quant à
on Bosco craignant de décourager certains surveillants qui
étaient tout de meme pleins de bonne volonté, il feignait de ne
rien voir en prêchant, et il sefforcait de se maîtriser. Toutefois
résolu a mettre un terme à ce désordre, il sentendit avec le jeu-
ne Bosio qui, des 1841, avait commencé à l'aider à Saint-Fran-
cois d Assise. Bosio, qui pendant quarante-six ans resta ami­
calement fidèle, fut tout joyeux de tirer Don Bosco d’embarras.
Lorsqu avaient pris fin les prières qu'il dirigeait au choeur, il cir­
culait dans I eglise pour empêcher tout acte de violence de ses
compagnons assistants. De temps à autre, il secouait légèrement
ceux qui dormaient et, parfois, sil voyait qu'ils faisaient exprès
e se laisser aller au sommeil, avec la désagréable surprise
(PM B66!^!!^00 danS 16 n6Z" 'eS ob,igeait à se œdres-
« En fait, assure le jeune Chiasso, qui se trouvait à l'Ora­
toire a cette époque, Don Bosco ne punissait jamais, sauf en
de très rares occasions, il avait affaire avec quelqu'un d'in­
solemment rebelle, ou un blasphémateur, ou quelquun qui tenait
des conversations immorales. Et la punition nintervenait que
dans les seute cas où, tout scandale évité, le renvoi de l'Ora­
toire aurait été fatal pour lâme de ce jeune inexpérimenté Les
camarades ne sapercevaient que difficilement de la punition
in.hgee ; mais, quelquefois, ils s'en rendaient compte; tous pre­
naient parti pour Don Bosco et disaient : « Il a bien fait». Par
la suite les coupables en convenaient aussi, parce que Don
Bosco ne se laissait pas guider par son amour-propre blessé
il continuait a les traiter avec douceur.
Toutefois, ce serait une erreur de croire que chez Don Bosco
une teHe amabilité pût devenir faiblesse ou négligence. Il savait
se fâcher, parce que la colère, elle aussi, est l’instrument de
la vertu ; mais seulement à bon escient, et seulement quand
il s agissait de lhonneur de Dieu outragé. »
134

14.7 Page 137

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donnez le superflu
DON BOSCO
Nous retranscrivons, tel quel, ce texte des Mémoires Biographiques...
Ainsi parla Don Bosco, à Marseille, le 17 février 1881, dans une conférence
aux Coopérateurs.
Comment s'exprimerait-il, aujourd'hui mis à part style et orthogra­
phe —, sur le fond ?
Il y a gros à parier que « prenant la tête de rInternationale des Jeunes »
jHelder Camara, parlant de Don Bosco, à Récite, le 10 juillet 1968), il sau­
rait interpeller courageusement et évangéliquement notre Société de profit
et de consommation.
« ... Mon Dieu, ¡e dis, pourquoi vous mavez pas créé riche,
pourquoi vous me donnez pas de l'argent pour recevoir chez
nous tous les pauvres garçons et en faire des bons citoyens sur
la terre et des bon chrétiens pour le ciel en préparant aussi un
bon avenir à la société civile !
Cest vrai, je n'ai pas le bonheur des richesses, mais j ai
l'incomparable bonheur davoir des coopérateurs et des coopé­
ratrices qui sont bien riches de bonne volonté, de charité, qui
ont déjà fait, qui font et qui feront toujours tous les sacrifices
pour venir en aide à accomplir et à soutenir lœuvre de Dieu,
lœuvre protégée par notre grande Mère la très Sainte Vierge
Marie.
Courage donc, à lœuvre, ô charitables coopérateurs, cou­
rage à l'Œuvre. Mais comment faire à trouver l'argent ? Dieu nous
le dit « Quod superest, date eleemosynam » ; tout le superflu
donnez-le aumône. Maintenant, donnez votre superflu pour l’or­
phelinat Beaujour, et lorphelinat sera terminé.
Mais vous me dites : Quelles choses entendez-vous oar su­
perflu ? Ecoutez, mes respectables Coopérateurs ; tout le bien
temporel, toutes les richesses vous ont été donnés par Dieu ;
mais, en les donnant, il nous donne la liberté de choisir tout ce
qui est nécessaire pour nous. Pas plus. Mais Dieu qui est maî­
tre de nous, de nos propriétés et de tout notre argent, Dieu de­
135

14.8 Page 138

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mande un compte sévère de toutes choses qui ne nous sont
pas necessaires, si nous ne les donnons pas selon son comman­
dement. Je suis sûr que si nous, avec une bonne volonté, nous
mettons dans un côté notre superflu, nous aurons sans doute les
moyens necessaires pour notre œuvre.
Vous direz : Est-ce une obligation de donner tout le super­
flu en bonnes œuvres ? Je ne peux pas vous donner dautre ré-
ponoe hors de celle-là, que le divin Sauveur nous commande de
donner : Donner le superflu. Il n’a pas voulu fixer des bornes
et moi je nai pas la hardiesse de changer sa doctrine.
Je vous dirai seulement que notre Seigneur, dans la crainte
que les chrétiens n’auraient pas bien compris ces paroles et
qu il lui ne veut pas donner une grande importance, il a ajouté
que c est plus facile qu’un chameau entre dans le trou d'une
aiguille, qu un riche se sauve. Cest-à-dire qu'il faut un miracle
et un grand miracle, dit Saint Augustin, qu'un riche se sauve
s H ne fait pas un bon usage de ses richesses en donnant
super.lu aux pauvres. Entrons donc dans nos maisons et on trou­
vera quelque chose de superflu dans les habillements, dans les
meub.es, dans la table, dans les voyages, dans les frais et dans
la conservation de largent, et dans des autres choses qui ne
soient pas necessaires.
Aube moyen encore pour venir en aide aux pauvres, c'est
de nous constituer comme des quêteurs et des quêteuses en
faisant connaître à nos parents, à nos amis l'importance de faire
I aumône. C'est Dieu qui nous le dit. Donnez et on vous donnera
« Date et dabitur vobis... »
i- Mais dans l'autre vie, quelles choses nous gagnerons avec
I aumône ? On goûtera le bonheur éternel ; et les âmes que nous
avons soignées, mises dans lorphelinat, habillées, nourries, se­
ront des^ puissantes protectrices chez Dieu au moment que nous
nous présenterons au tribunal de Dieu, pour Lui rendre compte
des actions de la vie... »
(M.B., XV, 693)
136

14.9 Page 139

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R. LOSS
don bosco
et les riches
Raymond Loss, salésien, est directeur de l’Institut San Zeno de Vérone,
école professionnelle et technique, et supérieur d'une communauté salé-
sienne qui compte, en 1987, 39 confrères dont 22 coadjuteurs.
Ces lignes nous aideront, dans leur contexte historique, à éclairer et
mieux saisir l’attitude de Don Bosco et sa pensée (cf. ANS., Février 1987,
P- 2).
on Bosco fut certainement un homme parmi les plus
jA-j doux, les meilleurs et les plus accommodants. Le fait
même quil ait choisi saint François de Sales comme
modèle, le saint de la douceur, affirme que cette qualité avec
toutes ses conséquences constituait pour Don Bosco un pro­
gramme de vie.
Toutefois il se trouve des sujets, des points cruciaux sur
lesquels, comme homme et surtout comme prêtre et comme chré­
tien, il devient intransigeant et ferme jusqu'à sembler «dur»,
en l’une ou l’autre circonstance.
Lun de ces points est son attitude, évangéliquement exi­
geante en face des riches. A son époque, lEtat était encore
loin de devenir, comme aujourd'hui chez nous, un appareil so­
cio-économique welfare state garant dune plus équitable
distribution des services et des biens. S'étonner que Don Bosco
n'ait pas parlé en termes de « justice sociale » équivaudrait à
se scandaliser quil n'ait pas eu la mentalité de notre époque :
une ingénuité dans laquelle ne pourra tomber que celui qui n'a
pas une sensiblité historique. Ceci pourtant n'enlève pas à Don
Bosco le mérite d'avoir « travaillé » selon la justice « évangé­
lique ».
L'abondance et la distribution des biens, aux temps de Don
Bosco, étaient encore, de manière déterminante, aux mains des
propriétaires terriens ou industriels. Si Don Bosco na oas pris
d’attitude contestataires vis-à-vis des institutions, il a su par
137

14.10 Page 140

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contre les adopter face à ceux qui détenaient le pouvoir écono­
mique, c'est-à-dire les riches.
C'est à eux qu'il sadressait avec insistance pour demander
de l'aide pour ses jeunes et ses œuvres, au point d’en devenir
objet de critiques. Il avait le sentiment que ses requêtes même
devenaient une « charité » faite aux riches ; alors il les faisait
avec Délicatesse, avec gratitude, mais aussi avec liberté évan­
gélique.
Dans la longue série d'épisodes qui pourraient documenter
ces affirmations, nous choisissons deux petits faits survenus
en 1887.
Le premier se rapporte à un moment du voyage qu'il entre­
prit le 20 avril 1887 pour aller à Rome assister à la consécration
de la basilique du Sacré-Cœur. Un voyage par petites étapes,
durant lequel il rencontra de très nombreuses personnes.
« Dans l'après-midi du 22 avril raconte Don Ceria, dans
les M.B , XVIII, 306-307 , monté en voiture en compagnie de
Don Beimonte et Don Viglietti, il se dirigea vers Sestri Ponente
pour rendre visite à une bienfaitrice : Louise Cataldi. Sur le
point de le quitter, Mme Cataldi lui demanda : ’’Dites-moi, Don
Bosco, que dois-je faire pour assurer mon salut éternel ? » Il est
fort probable que cette personne sattendait à quelque conseil
spirituel de vie ascétique et sans doute aussi à une parole ras­
surante ; mais Don Bosco, de manière appuyée, lui répondit :
"Pour être sauvée vous devrez devenir pauvre comme Job.
Sous une forme hyperbolique, il répétait la conception bien connue
quil avait sur la mesure de laumône que les riches sont tenus
de faire, s'ils ne veulent pas faillir à la mission sociale à eux
confiée par la Providence.
La bonne dame fut toute déconcertée par cette répartie au
point den être sans voix ni geste. Don Beimonte, qui était de­
meuré dans ¡'antichambre et, au moment la porte s'ouvrait,
avait saisi les derniers mots de Don Bosco, lui demanda comment
il avait pu avoir le courage de tenir un tel langage à une per­
sonne qui faisait si abondamment l'aumône. "Vois-tu, lui ré­
pondit Don Bosco, aux gens de condition il n'y a personne qui
ose dire la vérité." »
Une deuxième anecdote met en lumière combien la pensée
du salut des riches était constante et enracinée dans le souci
pastoral de Don Bosco.
138

15 Pages 141-150

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15.1 Page 141

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Le 4 juin 1887, il racontait lui-même : "Il y a quelques nuits
j'ai rêvé de la Madone me reprochant mon silence sur lobli­
gation de laumône... Elle insista en particulier sur le mauvais
usage des richesses." "Si l’on donnait aux orphelins le super­
flu disait-elle , le nombre des sauvés serait plus grand ; mais
beaucoup amassent à leur désavantage..." "Et elle se plaignait
que du haut de la chaire le prêtre craigne de s’expliquer sur le
devoir de donner son superflu aux pauvres, tant et si bien que
le riche accumule lor dans ses coffres.»
Don Ceria note à ce sujet : « Depuis plusieurs années, Don
Bosco allait répétant son désir pressant de voir écrit un opus­
cule sur l'emploi que les riches doivent faire de largent... Le
langage qu’il tenait du reste, en certains cas, à des personnes
pourvues, semblait trop hardi aux salésiens eux-mêmes : il avait
tout lair de vouloir écarter les opinions bienveillantes des théo­
logiens concernant la manière de comprendre le superflu des
richesses... Se voyant contesté, il cessa finalement de revenir
sur la nécessité de cette publication ; mais cette pensée lui
trottait toujours dans la tête et ne la lâcha jamais. » (M.B., XVIII,
361)
Comme tous les saints de la charité, Don Bosco voyait le
problème socio-économique de manière très concrète : il en
découvrait la racine, non pas tellement dans les structures que
dans l'égoïsme qui tend à croître chez ceux qui ont davantage,
justement parce qu'ils possèdent. Le premier assaut à cet égoïs­
me, il le donne en lui-même, avec ce choix de vie fait de don
gratuit sans limite aux plus pauvres ; et puis il travaillera afin
que celui qui a plus donne davantage.
Certes, Don Bosco a eu, parmi les riches, des amis très
chers, avec qui il a entretenu une familiarité profonde et fidèle.
Mais son amitié à leur égard a toujours produit, en ces per­
sonnes, une « conversion » frappante sur le point de la généro­
sité : une vraie guérison de conscience.
Aujourd'hui, beaucoup de structures sont changées et le
rôle de l’Etat sest précisé. Mais quen est-il de l'égoïsme ? Il
est toujours là, à la racine des problèmes.
139

15.2 Page 142

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15.3 Page 143

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J.-B. HALNA
don bosco
communiste
Don Bosco se disait à juste titre le « bienfaiteur de ses bienfaiteurs ».
Il les mettait en garde contre les dangers de l'argent, et leur rappelait la
aoctrine de l’Eglise sur l’emploi de leur superflu. Il rencontra quelques
contradicteurs...
ans sa conférence du 17 février 1881 aux coopérateurs de
Marseille, Don Bosco disait : Dieu nous a dit : tout le
_ superflu, donnez-le en aumône. Mais vous me dites :
quentendez-vous par superflu ? Tout le bien temporel, toutes les
richesses qui vous ont été données par Dieu. Mais, en les donnant,
il nous donne la liberté de choisir tout ce qui est nécessaire pour
nous. Pas plus... Vous direz : est-ce une obligation de donner tout
le superflu en bonnes œuvres ? Je ne peux pas vous donner d'au­
tre réponse hors de celle-là, que le Divin Sauveur nous comman­
de de donner. Donnez le superflu. Il n'a pas voulu fixer de bor­
nes, et moi je n'ai pas l'hardiesse de changer sa doctrine. »
(M.B., XV, 694)
Aux coopérateurs de Lucques (8 avril 1892), il tenait, pour
lessentiel, le même langage. Il ajoutait : « Celui qui ne donne
pas son superflu vole le Seigneur». Le texte de cette conférence,
paru dans le Bulletin Salésien de mai 1882, déconcerta un digne
archiprêtre de Bologne, Don Raffaele Veronesi. Celui-ci prit la
plume et dans une lettre très respectueuse, confia ses impres­
sions à Don Bosco. Sans doute, écrivait-il, Don Bosco, emporté
par son élan oratoire, était sorti des limites de la vérité ; son
grand amour des pauvres n'est pas une excuse. En somme, venant
d'une personne si considérée, doctrine dangereuse sous plu-
seurs rapports, et qui ne concorde pas avec l'enseignement des
moralistes les plus autorisés, et, notamment, saint Alphonse.
(Lettre du 26 mai)
141

15.4 Page 144

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Don Bosco lui répondit le 30 juin, en s’excusant de son
manque de temps, et promettant un ou plusieurs articles dans
le Bulletin Salésien sur la question controversée. De fait, un très
long article du Bulletin Salésien de juillet 1882 s'intitulait : Ré­
ponse à une observation courtoise sur le devoir et la mesure
de l'aumône. Article écrit par Don Bonetti, directeur du Bul­
letin, mais certainement revu par Don Bosco. La doctrine déve­
loppée dans la conférence de Lucques sy trouvait confirmée,
appuyée sur les principes et sur les Pères de l'Eglise : « Nous ne
cesserons jamais de prêcher et d'écrire avec saint Ambroise...,
avec saint Augustin..., avec saint Basile le Grand : « Les biens
temporels que Dieu nous donne sont bien la propriété de celui
qui les possède ; mais, quant à l'usage, ils ne sont pas seule­
ment à lui, mais à tous ceux qui en ont besoin. » (p. 115)
Une année passa, et l'archiprêtre reprit la plume : « Il y a
peu de temps, je me trouvais en compagnie de quelques prêtres
respectables, et le hasard voulut que la conversation se portât
sur les doctrines et les maximes que le Bulletin soutient sur
l'obligation de faire l'aumône. L'un de ces prêtres, connu et res­
pecté pour sa science et sa piété dans notre diocèse et même
en dehors, nhésita pas à affirmer que sur ce point les idées du
Bulletin Salésien n’étaient pas soutenables et que l'on finirait
par être d'accord avec les communistes, quoique ces doctrines
soient écrites et publiées dans un tout autre but... etc. »
La lettre était très longue ; malgré quoi, Don Bosco ne modi­
fia ni sa pensée ni sa manière de faire.
(M.B., XV, 525-526 - P. Aubry : « Ecrits spirituels de Don
Bosco, p. 239. Ed. Nouvelle Cité, Paris.)
142

15.5 Page 145

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L. FIORA
courageux
don bosco !
Tous ceux qui connaissent tant soit peu Don Bosco savent l'importance
qu'il accordait à la presse, et qu'il fut un infatigable ouvrier de la plume.
Les « Lectures Catholiques » lui attirèrent des haines violentes de la part
des ennemis de l’Eglise.
Je me ris de vos menaces !
Un dimanche d’août 1853, vers 11 h, se présentent à l’Ora­
toire deux messieurs qui demandent à parler à Don Bosco. Quoi­
que fatigué, il les reçoit dans sa chambre.
Monsieur l'abbé, lui dit l'un, vous avez reçu de la nature
un don précieux, celui de vous faire comprendre et lire par le
peuple ; aussi venons-nous vous prier d'employer ce grand ta­
lent à des choses utiles à la science, aux arts, au commerce.
C’est précisément, dans la mesure de mes faibles moyens,
ce que j’ai fait jusquà présent. J’ai publié un résumé de l’His­
toire Sainte, de l'Histoire de l'Eglise, un opuscule sur le système
métrique, et divers autres petits ouvrages qui nont pas été inu­
tiles, si ¡'en juge par la faveur avec laquelle on les a accueillis.
Actuellement, je travaille aux « Lectures Catholiques » dont ¡'en­
tends moccuper de toute mon âme parce que je les juge très
bienfaisantes pour la jeunesse et pour le peuple.
Il vaudrait beaucoup mieux composer de petits ouvrages
pour les écoles ; par exemple, un livre d'Histoire ancienne, un
traité de géographie, de physique, de géométrie, et non pas des
Lectures Catholiques.
143

15.6 Page 146

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Et pourquoi pas ces « Lectures » ?
Parce que ce sujet dont vous traitez est du ressassé, du
réchauffé, dont beaucoup se sont occupés.
C'est vrai ; mais ces questions se trouvent dans de gros
volumes d'érudition, qui sont écrits pour les gens instruits et
non pour le menu peuple, auquel je destine précisément ces
petits et simples opuscules des « Lectures Catholiques ».
Mais ce travail ne vous procure aucun avantage. Au
contraire, si vous vous intéressiez aux ouvrages que nous vous
proposons, il en résulterat un grand avantage matériel pour l’ad­
mirable Institut que la Providence vous a confié. Voici une of­
frande (quatre billets de 1.000 francs) et ce ne sera pas la
dernière.
Pour quelle raison tant d'argent ?
Pour entreprendre les travaux que nous vous proposons
et pour aider votre Institut, que l'on ne saurait assez louer.
Que ces messieurs veuillent bien mexcuser si ie leur
rends leur argent, mais pour le moment je ne puis moccuper
de travail scientifique autre que celui qui concerne les « Lectu­
res Catholiques ».
Mais cest un travail inutile !
Sil est inutile, que vous importe ? S'il est inutile, pourquoi
cette somme en vue de lempêcher ?
Vous ne prenez pas garde à ce que vous faites. Ce refus
cause un préjudice grave à votre Institut. Et puis... vous exposez
votre personne à certaines conséquences, à des dangers...
Messieurs, je comprends ce que vous voulez me signi­
fier, mais je déclare haut et ferme que pour l'amour de la vérité
je ne crains personne. En me faisant prêtre je me suis consacré
au bien de l'Eglise Catholique et au salut des âmes, spéciale­
ment des jeunes. Cest dans ce but que jai commencé et que
jentends continuer la publication des « Lectures Catholiques », et
j'y emploierai toutes mes forces.
Ils se mirent debout tous les deux, et, changeant d'air et de
ton : « Vous agissez mal et vous nous offensez. Que deviendrez-
vous ? Si vous sortez de la maison, êtes-vous sûr de rentrer?»
144

15.7 Page 147

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Don Bosco, imperturbable : « Je vois bien que ces mes­
sieurs ne connaissent pas les prêtres catholiques parce quils ne
se laisseraient pas aller à ces menaces. Qu'ils sachent aue les
prêtres de l'Eglise Catholique, tant quils sont en vie, travaillent
pour Dieu de grand cœur. Et si dans l’accomplissement de leur
devoir ils venaient à succomber, ils considéreraient la mort
comme le plus grand bonheur. Je me ris de vos menaces. »
La colère des deux visiteurs était telle qu’ils allaient se jeter
sur lui. Mais Don Bosco saisit une chaise : « Si vous voulez user
de la force, je me sens en mesure de vous montrer combien
coûte cher la violation du domicile d'un citoyen libre.. Mais
non : la force du prêtre réside dans la patience et le pardon.
Allez-vous en ! »
Il fit demi-tour près de la chaise et ouvrit la porte. Il aper­
çut le jeune Joseph Buzzetti et lui dit : « Conduis ces deux mes­
sieurs jusqu'à la sortie, ils ne connaissent pas bien l'escalier. »
« Nous nous reverrons », dirent-ils en partant.
(Cf. M.B., IV, 626 et suiv.)
Tirez donc !
En janvier de l'année suivante 1854 reparurent, en
effet, deux messieurs élégamment vêtus qui se dirigèrent direc­
tement vers la chambre de Don Bosco. La cour était déserte. Les
enfants étaient à la chapelle pour les offices du dimanche après-
midi.
Sans être vu, Jean Cagliero, âgé de 16 ans, monta lui aussi
les escalers quatre à quatre et se mit en embuscade derrière
une porte.
Sur-le-champ, il n'entendit rien de la conversation mais, à
un certain moment, un des visiteurs éleva la voix :
En fin de compte, que vous importe que nous prêchions
une chose ou l'autre ?
Mon devoir, répondit Don Bosco, est de défendre la ­
rité et la religion de toutes mes forces.
Donc, vous ne cesserez pas d'écrire les « Lectures Ca­
tholiques » ?
145

15.8 Page 148

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Caglierò entendit un « Non » résolu de Don Bosco, suivi de
paroles de menaces. Il sut plus tard que lun des deux dirigea son
pistolet contre le saint, en disant :
Décidez-vous à obéir ou vous êtes mort.
Tirez donc ! fut la réponse.
Cagliero ne put en supporter davantage.
Il donna quatre coups de poing dans la porte et courut cher­
cher de l'aide.
Quand il revint avec Buzzetti, les deux hommes sortaient
visiblement agités, tandis que Don Bosco les saluait la barette
à la main
(Cf. M.B., IV, 706 et suiv.)
Traduction : J.-B. HALNA.
146

15.9 Page 149

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la «prudence»
de don bosco
M. B.
C'était un dimanche matin du mois d'avril 1854, vers les 10 heures et
aemie. Les garçons de l'Oratoire, ainsi qu’un grand nombre d'externes, se
trouvaient à l'église... Don Bosco prit la parole et, avec son habituelle et
charmante simplicité, se mit à raconter un trait de l'Histoire de l'Eglise.
C’est alors que, par la porte extérieure de l’église, entre un monsieur que
personne ne connaissait, même pas Don Bosco. S'apercevant que l'on prê­
chait, il s'assit dans l'un des bancs qui se trouvaient au fond de l'église
à la disposition des fidèles et y demeura jusqu'à la fin de la prédication.
Le dimanche précédent, Don Bosco avait entamé le récit de la vie de saint
Clément, et, ce matin-là, il racontait comment, en haine de la religion
chrétienne, le Pape avait été envoyé en exil par l’empereur Trajan en Cher-
sonèse, appelée aujourd'hui Crimée. (M.B., V, 48...)
'entretien terminé. Don Bosco, pour susciter un plus
f/ grand intérêt, demanda à l'un des externes s'il avait
quelques questions à poser, et quelle conclusion morale
on pouvait tirer de ce fait historique. Celui-ci, contre toute at­
tente, s'écarta du sujet et posa une question qui, certes, ne
manquait pas d'à-propos, mais qui, vu le lieu et l'époque, compor­
tait quelque danger. Et voici ce qu'il dit : «Si l'empereur Trajan
a commis une injustice en chassant de Rome saint Clément et
en l'envoyant en exil, peut-être aussi notre Gouvernement a-t-il
mal agi en exilant notre achevêque, Mgr Franzoni A cette
question inattendue, Don Bosco répondit sans se troubler le
moins du monde : « Ce nest pas ici le lieu de dire si notre Gou­
vernement a bien ou mal fait d’envoyer en exil notre archevêque
très vénéré ; c'est un événement dont nous parlerons en temps
opportun. Le certain est que, à toutes les époques, et depuis
le début de l'Eglise, les ennemis de la religion chrétienne ont
toujours visé les chefs de cette Eglise, les papes, les évêques,
les prêtres ; ils s'imaginent que, en ôtant les colonnes, l'édifice
sécroulera et que, en frappant le pasteur, les brebis se disper­
seront et deviendront une proie facile pour les loups rapaces.
Quant à nous, lorsque nous entendons dire ou que nous lisons
que tel ou tel pape, tel ou tel évêque, tel ou tel prêtre a été
147

15.10 Page 150

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condamné à une peine, que ce soit lexil, la prison ou même la
mort, nous ne devons pas ajouter foi, les yeux fermés, à leur
culpabilité ; il pourrait bien se faire, en effet, que, en la circons­
tance, il soit une victime du devoir, un confesseur de la foi,
un héros de l'Eglise, comme ce fut le cas des apôtres, des mar­
tyrs, et de tant de papes, dévêques, de prêtres et de simples
fidèles. Et puis, souvenons-nous toujours que le monde, le peu­
ple juif, Pilate, ont condamné à la mort de la croix notre divin
Sauveur lui-même, en le faisant passer pour un blasphémateur
et un révolutionnaire, alors qu'il était le Fils de Dieu, quil avait
recommandé l’obéissance et la soumission aux pouvoirs établis,
et quil avait ordonné de rendre à César ce qui appartient
à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Don Bosco ajouta quelques mots sur le devoir de demeurer
courageux dans la foi, de respecter et d’honorer les ministres
de la sainte Eglise ; on récita quelques prières et lon sortit de
la chapelle par la porte latérale. Derrière eux sortit le monsieur
inconnu qui, ayant gagné la cour, demanda à parler à Don Bosco ;
Don Bosco était monté dans sa chambre. Le monsieur fut ac­
compagné d’un des garçons. On fit les présentations d'usage
entre Don Bosco et le visiteur. Alors sengagea un bref dialogue,
que le garçon entendit fort bien, car suivant l'habitude orise en
ces années dangereuses., il était demeuré sur le palier, pour parer
à toute éventualité. Voici ce dialogue :
Don Bosco. Puis-je savoir à qui j’ai l’honneur de parler?
Avec Ratazzi.
Don Bosco. Avec Ratazzi ! le grand député Ratazzi, le
Président de la Chambre, devenu le Ministre du Roi ?
Précisément.
Don Bosco (souriant). Je dois donc préparer mes poignets
pour les menottes, et me disposer à me rendre à lombre de la
prison ?
Et pourquoi donc ?
Don Çosco. A cause de ce que Votre Excellence vient
d’entendre au sujet de Mgr Franzoni.
Ratazzi. Aucun rapport. Mise à part la question de sa-
vor si la demande du garçon était ou non opportune, je dois
148

16 Pages 151-160

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16.1 Page 151

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dire que vous vous en êtes parfaitement tiré, et quil nexiste pas
un Ministre au monde qui puisse trouver le moindre sujet de
blâme. D’ailleurs, bien que je sois d'avis quil ne convient pas
de parler de politique à l’église, et surtout pas avec des petits
jeunes qui ne sont pas encore capables dune appréciation rai­
sonnée, on ne doit pas pourtant renier ses convictions person­
nelles en présence de qui que ce soit. Et j’ajoute que, dans un
régime constitutionnel, les Ministres sont responsables de leurs
actes, lesquels peuvent être jugés par nimporte quel citoyen,
et, par conséquent, par Don Bosco lui-même. Quant à moi, quoi­
que je n'approuve pas toutes les idées et tous les actes de Mgr
Franzoni. je me réjouis que la mesure sévère prise contre lui
ne l'ait pas été sous mon Ministère.
Don Bosco. Sil en est ainsi, conclut plaisamment Don
Bosco, je puis donc être assuré que, pour cette fois, Votre Ex­
cellence ne me fera pas mettre en prison, et me permettra de
respirer lair libre du Valdocco. En ce cas, passons à autre
chose.
Et cet exorde humoristique préluda à une conversation
d’environ une heure...
Ratazzi devint le défenseur et le protecteur de Don Bosco.
149

16.2 Page 152

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16.3 Page 153

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tenir sa langue
M. B.
Derrière la simplicité de ce titre se révèle la maîtrise que Don Bosco
avait acquise peu à peu sur lui-même dans sa quête de la sainteté grâce
sans doute à ce sens de la présence de Dieu qu'il cultivait constamment
et le rendait si délicat vis-à-vis de l’autre. (Cf. M.B., VI, 1005...)
Chacun pouvait constater combien Don Bosco pratiquait
constamment la mortification de la langue. Toujours
maître de lui-même, il parlait avec calme, doucement,
et avec une aimable gravité. Il évitait toute parole inutile, les
conversations profanes, les manières trop vives et les expres­
sions passionnées. Il parlait peu, donnant à chaque parole son
importance, si bien quil instruisait toujours et édifiait. Quand par­
fois il lui arrivait de dire quelque chose de plaisant ou de spi­
rituel, pour se détendre lui-même ou ses interlocuteurs, c'était
toujours avec mesure, et en y mêlant une note surnaturelle. Il
mettait un tel frein à sa langue qu’il ne se laissait jamais aller
à la causticité, à l’ironie, ni à des facéties plus ou moins conve­
nables dans la bouche dun prêtre.
Il ne pouvait souffrir les manquements à la charité, et lune
de ses recommandations les plus fréquentes était précisément
déviter toute impolitesse dans le geste ou la parole. Il ne per­
mettait pas que l'on s'abandonne aux critiques, et sans que ses
interlocuteurs s'en rendent compte, il détournait adroitement la
conversation sur dautres sujets. Ce n est pas que, lorsqu il le
fallait, il ne sexprimât pas longuement, mais, si tel nétait pas
le cas, il savait garder le silence, notamment pour vaquer à son
travail.
Il se montrait très calme avec les gens qui, soit à dessein,
soit par erreur, le contrariaient ou le traitaient injustement. En
ce cas, plus étaient dures et insolentes les paroles de ladver­
saire, et plus celles de Don Bosco étaient douces et aimables.
« Je me souviens, raconte Mgr Cagliero, que quelquun lui ayant
151

16.4 Page 154

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parlé dans lescalier sur un ton inconvenant et irrespectueux,
la réponse de Don Bosco fut empreinte d'une affabilité et d’une
courtoisie telles que I autre lui fit des excuses en présence des
garçons qui se trouvaient là. » Si, d'aventure, il ne pouvait per­
suader son contradicteur, alors il se taisait.
Cette aimable modération ne le quittait pas, même lorsqu'il
recevait des lettres d'injures. Ou bien il n'y répondait pas ou
bien, plus ordinairement, il répondait avec gentillesse. Que de
fois il échangea les injures contre des bienfaits.
A celui qui ne savait pas conserver son calme en répon­
dant, il donnait ce conseil : Ne pas écrire des paroles offensan­
tes. « Scripta manent. »
Il disait souvent à son entourage : « Je vous recommande
instamment déviter de parler sur un ton âpre et mordant ; sa­
chez être compatissants les uns pour les autres, comme des frè­
res pleins de bonté. »
Un prêtre, qui s'apprêtait à publier un livre sur lenseigne­
ment et l’éducation, lui demandait quelques conseils : «Je te
recommande particulièrement une chose : ne pas offenser la
charité. » Lui-même gardait dans ses écrits cette même pondé­
ration : tout y est calme, limpide, sans ombre dacrimonie.
(M.B., IV, p. 207)
Il va sans dire que, sur les questions politiques. Don Bosco
se montrait dune réserve extrême, étant donné surtout les évé­
nements qui opposèrent au pape Pie IX le Piémont qui, avec
Cavour, était en train de réaliser l'unité italienne. Mais il ne sen
tenait pas là, et recommandait à chacun de peser les jugements
portes sur les événements et sur les personnes. « Beatus qui lin-
gua sua non est lapsus» (Ecclésiastique 25...).
Un jour, il se trouvait à table avec de nombreux prêtres.
L un d entre eux, très plaisant, avait une adresse manuelle ex­
traordinaire qui lui permettait de réaliser un grand nombre de
¡eux intéressants. Il prenait un roseau, le plaçait sur son pouce
et le faisait circuler de telle sorte quil émettait un son sembla­
ble à celui d'une petite trompette. Tous étaient dans l'admira­
tion, d outant plus que, en même temps, le joyeux commensal
chantait, et certaines notes du roseau sharmonisaient avec la
152

16.5 Page 155

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voix du chanteur. Mais il abandonna bientôt ces chansons, qui
nétaient que joyeuses, pour aborder les leçons de Job dans
lOffice des Défunts, et, ce qui est pire, il parodiait les paroles.
Jusque là, Don Bosco avait ri de bon cœur, mais, alors, il cessa
de rire et prit une attitude sérieuse tandis que les autres riaient
de plus belle et applaudissaient le jongleur. Quelquun remar­
qua l’air sévère de Don Bosco et lui demanda : « Ces jeux ne
vous plaisent pas ? » Alors que tous les visages se tournaient
vers lui, il répondit : « Dites-moi un peu : si saint François de
Sales se trouvait parmi nous, que dirait-il en entendant profaner
ainsi les paroles de la Sainte Ecriture ? Lui qui réprimandait son
médecin d'employer abusivement, quoique non dune manière in­
convenante, des textes scriptuaires...
Voici ce que raconte Don Rua : « Avec Don Bosco, et lab­
Anfossi, je me trouvais à déjeuner à la paroisse de la Cro-
cetta, qui est un faubourg de Turin. Les invités étaient nom­
breux. L'un d'eux se mit à dire du mai des chanoines de la Ca­
thédrale et du vicaire général. Entre autres choses, il disait qu'ils
se rendaient au chœur uniquement pour percevoir les fruits de
leur bénéfice. Don Bosco le laissa parler quelque peu, puis se
tourna vers lui. « Savez-vous que vous êtes méchant ? Pourriez-
vous, avec preuves à l'appui, me citer un seul de ces chanoines
qui ait les intentions que vous leur prêtez ? A supposer quil y
en ait un ou deux, ou même davantage, qui aient l'état desprit
que vous dites, croyez-vous que sur dautres points ils ne méri­
tent pas les plus grands éloges ? Vous ne savez pas ce que dit
saint François de Sales ? Ceci : si une action de notre prochain
présente quatre-vingt-dix-neuf aspects mauvais, et un seul qui
soit boi, nous devons juger cette action comme bonne à cause
de ce seul bon côté. »
Don Dalmazzo rapporte que, un jour que Don Bosco se trou­
vait dans une famille, on vint à dénigrer Mgr Ghilardi, évêque
de Mondovi. Il en prit simplement la défense en racontant divers
faits qui étaient dignes d'éloges et témoignaient de sa vertu
et de sa charité. A la suite de quoi, personne n'osa plus conti­
nuer l'attaque.
... « Du prochain, disait-il, il faut ou bien parler ou ne point
parler. » Si la critique émanait de personnes qui lui étaient supé­
rieures ou sur lesquelles il n'avait pas autorité, il avait lart de
le faire cesser en aiguillant l'entretien sur un autre sujet. Et s’il
n’y réussissait pas, il prenait courageusement la défense de ceux
que lon critiquait et il faisait remarquer l'injustice qu'il y a
d'attaquer ceux qui, étant absents, ne peuvent se défendre.
153

16.6 Page 156

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« Les murmures, disait-il, sont un des plus grands ennemis
de la maison. » Quant à la médisance, cest une des choses qui
le peinait le plus et il la combattait sévèrement. Il ne permettait
pas que l'on rapporte des paroles ou des faits de nature à léser
la réputation d’autrui ; au contraire, il se plaisait à signaler, soit
de vive voix, soit par écrit, les mérites de qui que ce soit. Si ce
n'est lorsque les faits étaient évidents et notoires, il se aardait
de mal ¡uger le prochain ; encore est-il que, en pareil cas, il
attribuait la faute à l’ignorance, à la faiblesse humaine, aux
conseillers imprudents plus qu'à la méchanceté. Aux autres et
à lui-même il rappelait Je mot de saint Paul : « Qui stat videat
ne codât. »
Traduction : J.-B. Halna.
154

16.7 Page 157

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don bosco
saint
du peuple de dieu
H

16.8 Page 158

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16.9 Page 159

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M. MOUILLARD
sens
dune canonisation
Le 3 avril 1984, le Pape Jean-Paul II reçut en audience le 22* Chapitre
Général des Salésiens de Don Bosco à l'occasion du 50e anniversaire de
la canonisation de leur fondateur, le 1er avril 1934, jour de Pâques. Une
canonisation, c'est bien autre chose qu'une cérémonie liturgique dans la
gloire du Bernin...
-y egardez Don Bosco, sa vie, son dévouement total aux
âmes ! Lisez ses écrits ; écoutez son enseignement qui
*
est toujours valide; priez-le avec insistance et dévotion
pour que son "esprit" soit toujours vivant et présent en vous et
dans vos activités... »
Jean-Paul 11 sadresse ainsi, le 3 avril 1984, au chapitre ­
néral vingt-deuxième du nom en un lieu l'on a le goût
du passé et des racines... aussi la « maison » est à la fois
phare et môle construits sur roc et... Pierre.
Selon la pensée de Jean-Paul II en cette même audience, ce
retour à notre source fondatrice possède aussi une vertu cura­
tive, car ainsi persévérerons-nous sans découragement mais avec
ferveur, puisant dans le modèle le ferme attachement à la vo­
lonté de Dieu, sans que les narcoses d'une société sécularisée
ne nous engourdissent.
« Regardez Don Bosco... Lisez ses écrits... Ecoutez-le... »
Il vous enseignera la sagesse.
... la sainteté sans doute, qui est la pâque renouvelée, re­
vécue chaque jour, pied à pied, cœur à cœur, corps à corps... un
retournement de tout l'être, une conversion. C'est évident pour
Jean Bosco qui, un jour de résurection de 1934 fut glorifié, lui
le petit berger du « colle » grimpé aux voûtes de l'universelle
157

16.10 Page 160

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basilique... Et Dieu sait mais il le sait et le sanctionne en lais­
sant accomplir cette canonisation si Jean a se « retour­
ner comme un gant » depuis ses neuf ans fatidiques ! Pas d'un
coup, certes ! mais sûrement avec l'entêtement de sa race et la
grâce de Dieu !
Et attention ! A la congrégation qui vient dachever un cha­
pitre accouchant de la règle «définitive», le successeur de notre
saint réfléchissant et réélu cinquante ans après l'exaltation de
son éclatant prédécesseur, nous déclare : « Dans une famille
religieuse la canonisation du fondateur a même plus d'impor­
tance ecclésiale que lapprobation des règles... La canonisation
de Don Bosco est l'une des principales interventions par laquel­
le l'Eglise reconnaît officiellement les initiatives du Seigneur
dans la fondation de notre société ; « nous croyons » donc raison­
nablement « avec un sentiment dhumble gratitude, qu elle est
née non pas d'un simple projet des hommes, mais par l’initiative
de Dieu. »... (Actes du Conseil supérieur 310, p. 5.)
Les yeux du cœur braqués sur ce saint si proche et si pres­
tigieux, c'est en lui que nous avons à lire la règle qui nous est
donnée comme Don Bosco aujourd'hui...
A l’aube de cette aventure qu'il allait achever en accrochant
son auréole aux faîtes de Saint-Pierre la romaine, endormi sur
sa paillasse de maïs piémontais, un songe étonnant agite son
sommeil... Une femme celle qu'il élucidera peu à peu comme le
« secours » va l'apaiser, lui qui bouillonne de régler son comp­
te à ce grouillement de voyous déchaînés ou de loups féroces
il ne sait plus trop... Quil l'écoute !
Réveillé, elle le mènera, jour après jour, en sept décennies,
aux sommets mystiques de l'union au Père, au Fils, à l'Esprit,
et elle y conduira, de même et encore, des foules de disciples,
pour autant quils la prieront du même cœur que lui.
Saurons-nous en être ?
24 mai 1984.
158

17 Pages 161-170

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17.1 Page 161

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JEAN XXIII
"il caro santo"
Jean XXIII aimait à rappeler que, encore enfant, il lisait les « Lectures
Catholiques » de Don Bosco, qui furent « le premier et le plus efficace complé­
ment à sa formation religieuse et civique » ; et que, âgé de 7 ans, il apprit
la mort de Don Bosco par « Le Bulletin Salésien » qu'on recevait à la
maison ; enfin, que l'image de Marie Auxiliatrice, découpée dans un numéro
du « Bulletin Salésien », était accrochée au mur près de son lit. Don Bosco
est « il caro santo le saint qui lui est cher ».
A u terme des célébrations romaines en l'honneur de Pie X
et de saint Jean Bosco (canonisé vingt-cinq ans plus
tôt), Jean XXIII prononça un grand discours sur la place
Saint-Pierre. C'était le 11 mai 1959.
« A côté de Pie X, nous apportons aussi notre tribut affec­
tueux de vénération et de joyeux transports, dans une admirable
unanimité de sentiments, à saint Jean Bosco. Un heureux
concours de circonstances a préparé son retour dans la Ville
Eternelle cent ans après son premier séjour. L’humble prêtre des
faubourgs de Turin n'était pas connu quand il débarqua à Rome
pour la première fois. Qui est-il ?
« Pour le peuple, Don Bosco fut toujours le prêtre des jeu­
nes, tout entier dévoué à leur instruction religieuse, à leur édu­
cation morale, les formant aux vertus civiques et au travail. En
cela, avec une sage prévision de l’avenir, il voyait la prospérité
future de l’Eglise et de la société, et il s'y donnait avec une
douceur conquérante et une ferme direction. Mais pour qui sa­
vait lire au fond des choses. Don Bosco se révéla tout de suite
comme le prêtre du Pape, en même temps que celui de la jeu­
nesse. Il est le prêtre romain, dont on disait dans sa propre cité,
avec une pointe de jalousie : Rome t'admire - Turin taime.
Après tant d'années écoulées dans la lumineuse irradiation de
sa figure et de son Œuvre, cest avec raison que l’on peut cor­
riger la fameuse phrase : « Tout le monde t'admire, tout le monde
t’aime ».
159

17.2 Page 162

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« Prêtre du Pape et prêtre des Jeunes. Don Bosco est vi­
vant tout entier dans le charme quil exerce sur la jeunesse dont
il eut réellement le rare privilège de comprendre et de recueillir
les aspirations. Il n'est pas vrai que celle-ci veuille toujours bri­
ser les barrières, regimber contre la lumière de la doctrine et l'ac­
ceptation d'une saine discipline. Au contraire, elle veut être
comprise avec une bienveillante intelligence, guidée avec un
bras robuste et une parole sincère ; elle veut trouver des coeurs
qui l'aiment et l'estiment, en laidant avec douceur et fermeté
dans la recherche de ce qui est vraiment important dans la vie ;
dans la vie présente et dans la direction vers la vie future.
« C'est bien ce qui nous est apparu, pour notre profonde
satisfaction, en cette journée radieuse du dimanche 3 mal (lors
de l'inauguration du temple de saint Jean Bosco, à Rome). Parmi
la centaine de milliers de gens qui avaient envahi le quartier, la
plus grande partie se composait de jeunes qui vibraient et qui
acclamaient le Pape, et, dans le Pape, l'éternelle jeunesse de
l’Eglise. En songeant à cette magnifique réalité, nous redisons
aux jeunes les paroles de Pie IX, qui fut le Pontife de l’époque
de Don Bosco : « Nous sommes avec vous ». La Papauté, par
laquelle le Christ dirige les âmes, en son fondement non pas
dans les dimensions territoriales d'un Etat, mais dans l'expres­
sion diverse d'une activité missionnaire, apostolique et caritative,
dans des formes de vie se façonnent pour demain les âmes
des jeunes. »
En conclusion du premier Synode de Rome, dans la Basi­
lique Saint-Pierre, le 31 janvier 1960 :
« Aujourd'hui, dimanche 31 janvier, c'est la commémoraison
liturgique de saint Jean Bosco. Ce nom est un poème de grâce
et d'apostolat. D'un petit bourg piémontais, il a porté la gloire et
le succès de la charité du Christ jusqu'aux plus lointains confins
du monde. »
160

17.3 Page 163

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trois secrets
de saint jean bosco
PIE XI
Le 3 avril 1934, deux jours après la canonisation de saint Jean Bosco,
Pie XI accordait une audience extraordinaire aux membres de la Famille
Salésienne. Elle eut lieu dans la Basilique Saint-Pierre, qui est, comme dit
le Pape, « la plus belle et la plus grande salle du monde ». Voici l'essentiel
de son allocution :
sy e Rédempteur nous a dit : Vivez la vie chrétienne, et
f' vivez-la abondamment. Voici qu'aujourd'hui saint Jean
~
Bosco nous dit : Vivez la vie chrétienne comme je l'ai
vécue et vous l'ai enseignée. Mais il nous semble que, pour vous
aider à mieux suivre sa route, il vous redit un triple secret :
Le premier secret est l’amour de Jésus-Christ Rédemp­
teur. Ce fut, sans conteste, l’une des pensées, l'un des senti­
ments dominants de toute sa vie, comme l’exprime sa devise :
« Da mihi animas ». Il s’agit dun amour fondé sur la méditation
continuelle de ce que sont les âmes, non pas considérées en
elles-mêmes, mais en ce qu'elles sont dans la pensée, l'œuvre,
le sang et la mort du Divin Rédempteur. Don Bosco a compris le
trésor inestimable que sont les âmes. Sa prière Da mihi ani­
mas est l'expression de son amour du Divin Rédempteur ;
lamour du prochain, par la force des choses, devient amour du
Rédempteur, et l'amour du Rédempteur devient amour des âmes
rachetés par son sang.
Votre Père vous livre un autre secret. Il vous enseiane le
secours, le plus grand secours, sur lequel on doit compter pour
mettre en pratique cet amour du Rédempteur qui se transforme
en amour des âmes, en apostolat pour les âmes. Entre tous les
titres dont la Mère de Dieu est honorée, il a préféré celui de
Marie Auxiliatrice. C’est sur le secours des chrétiens qu'il comp­
tait pour rassembler toutes les forces de combat pour le salut des
âmes. Marie Auxiliatrice est votre héritage, mes très chers fils,
un héritage que le monde entier pourrait vous envier s'il n’avait
pas dautres chemins pour vous rejoinde... Lun des fruits les
161

17.4 Page 164

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plus précieux de la Rédemption est la Maternité universelle de
Marie, et l'on ne peut célébrer le (19e) centenaire de la Rédemp­
tion sans nous souvenir de la Croix, sur laquelle le Christ, au
milieu de terribles souffrances, nous a donné pour Mère sa pro­
pre Mère : «Voici ton fils». «Voici ta Mère». C'est le Divin Ré­
dempteur qui nous a donné Marie pour notre Mère universelle.
Tel est le nœud intime qui unit la Rédemption et la Maternité hu­
maine de Marie.
On dirait que Don Bosco a saisi, très particulièrement, ce
lien intime, qu'il la apprécié à sa juste valeur ; c'est pourquoi
il a voulu placer Marie près du Sauveur et confier à Marie, sous
ce titre d'Auxiliatrice, toutes les œuvres que son grand cœur lui
suggérait pour le salut des âmes. Vous aussi, retenez le grand
secours sur lequel vous pouvez compter ; un secours dont la
puissance n'a pas de limites, parce quil vient de Marie, notre
Mère, qui ne désire rien plus que d'apporter son aide aux œu­
vres qui ont pour but la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Mais votre Père sage et aimant, qui est aussi votre chef,
a voulu vous confier à un autre Guide dans les grandes batail­
les du salut des âmes, ces batailles qui doivent sétendre au
monde entier. Don Bosco a manifesté un dévouement une
dévotion sans limites à l'Eglise, au Saint-Siège, au Vicaire du
Christ. C'est un programme admirable, comme il nous l’a dit
à Nous-même de sa propre bouche, dans une intimité véritable
qui a duré de nombreuses années et qui était à la fois celle du
cœur et celle de l'intelligence. C’est un programme ininterrompu,
qui s'imposait à lui, dans toutes les directions, en toute clarté,
en pleine lumière ; et cela, plus encore dans les faits qu'en paro­
les, lui dont l’Eglise, le Saint-Sège, le Vicaire du Christ remplis­
saient la vie. Cela, Nous le savons par la connaissance directe
que nous avons eue de lui, par le témoignage de sa propre parole,
par l’expression des pensées qu'il Nous confiait dans sa véritable
et paternelle amitié, malgré la différence de nos âges. La Provi­
dence divine a conduit les événements de telle sorte aue ces
paroles qui le définissaient le mieux fussent confiées personnel­
lement à celui à qui il revenait, dans les desseins de Dieu, de
l'élever à la gloire suprême des autels.
162

17.5 Page 165

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M. MOUILLARD
ce saint
très homme
Si une certaine hagiographie a donné longtemps dans le merveilleux,
insistant en tout cas davantage sur tous les aspects extra-ordinaires ou
« miraculeux » comme la marque de la sainteté, nos contemporains la bou-
aent aujourd'hui, préférant découvrir le travail de la grâce et la correspon­
dance à celle-ci dans une femme ou un homme aux prises avec le réalis­
me d'une vie sans trompe-l’œil...
A près la vénération enthousiaste et pas trop regardante
~ /S qui nous fit voir en Don Bosco un être exceptionnel, un
super-saint quand ce ne fut pas un superman ,
nous voilà devenus forts sensibles à ce qua été, dans la vie de
chaque jour, l'abbé Jean Bosco, avec ses problèmes les siens
et les innombrables que soulevait sa mission... Nous nous ­
fions dune sainteté si sublime qui gomme taches et ratures et
rejette dans l'éther mystique cet homme de chair et d'os, fou­
gueux et têtu, même s'il est obstiné dans une mission aui vient
de lEsprit... Il eut ses coups durs, il ne fit pas toujours plaisir
à tout le monde, il rencontra léchec dans les Hautes Sphères
vaticanes comme à la base, il souffrit le mépris et le qu'en-dira-
t-on calomnieux, il fit souffrir parfois (il l'a dit), il a manqué de
Foi (il la re-dit...), il eut ses accès damour-propre...
On en arrive presque, le découvrant, comme un chacun, hap­
et mâché par la vie de tout le monde et de tous les jours, à
le trouver d'autant plus attachant...
Franchement, aujourd'hui, à apprendre ou ré-apprendre
quil fut traité de « révolutionnaire » par la « Bonne Société »
d'alors, par la Police et le Pouvoir... ça vous lui donne un petit
goût d'actualité drôlement savoureux et sympathique !... Dans le
même temps, « goûtez » la photocopie d'une publication plutôt
163

17.6 Page 166

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Les livres secrets des Confesseurs
DOM BOSCO, religieux thaumaturge.
Les livres secrets des Confesseurs, par Léo TAXIL
Librairie Anticléricale, 1884.
164

17.7 Page 167

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« bouffe-curés » ! (cf. illustration ¡ointe) : il se trouve être accuse
dexploiter odieusement la crédulité populaire... Il fut le jeune prê­
tre qu'on déclara dérangé parce quil... dérangeait, casse cou, il­
luminé, rêveur et terriblement pratique et ça cest embêtant !
quand il voulait protéger ses jeunes apprentis quil plaçait,
du péché, sûr ! (ce ne serait plus Don Bosco I) mais aussi des
exploiteurs et des spéculateurs de tout poil.
Ce saint très homme, cet homme si saint... cest « lui » qui
arrive à Nice et en Amérique du Sud en 1875... Sa fidélité totale
à l'Esprit lui a fait franchir toutes les barrières et tous les obsta­
cles... En commémorant ce double Centenaire, puissions-nous
surtout souhaiter la même docilité incarnée.
9 septembre 1975.
165

17.8 Page 168

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17.9 Page 169

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saint jean bosco
et
saint françois de sales
H

17.10 Page 170

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18 Pages 171-180

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18.1 Page 171

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Mgr LAVALLEE
saint françois de sales
et saint jean bosco
Sans doute pense-t-on encore trop qu'être salésien chez Don Bosco
n'était qu'affaire de dévotion. C'est vrai qu’en Piémont, saint François de
Saies était très populaire parmi le peuple chrétien et Don Bosco n'y fut
point insensible. Mais le choix qu’il fit de l'Evêque de Genève comme Da­
tion de son cœur et de ses disciples a une très profonde signification :
en particulier la pastorale de l’Apôtre du Chablais a frappé Don Bosco qui
a voulu s’en inspirer et l'interpréter pour le service des ¡eunes. La famille
salésienne de Jean Bosco ne peut qu’y gagner à approfondir le rapport en­
tre les deux saints.
i nous juxtaposons leur portrait physique, même
contraste. Nous avons des portraits de l’un et de lau-
tre. Ils avaient, sur cette question de se laisser peindre,
la même pensée : ils se sont volontiers prêtés au pinceau au à
lappareil photographique. Il peut y avoir de la vanité à se faire
peindre, mais il peut y avoir de l'humilité aussi, quand on na
pas une idée avantageuse de son visage : ce qui est rare évidem­
ment, mais ce qui n'est pas au-dessus de la vertu des saints.
Mme de Granier, pénitente de l'évêque de Genève, voulait avoir
l'image de son père spirituel. Elle mit dans son jeu le confesseur
du Saint, Michel Favre, qui fut chargé de représenter à son illus­
tre pénitent quil était cause de plusieurs péchés véniels de mur­
mure, par son obstination à ne pas se laisser peindre. Il nétait
pas si obstiné qu'elle le croyait, car nous avons une vraie petite
galerie de portraits du saint évêque. Quant à Don Bosco, il se
laissait tirer et dévorer par les photographes comme par tout
le monde. Il nattachait pas assez dimportance à sa tête pour
se défendre.
169

18.2 Page 172

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Or, sauf révélation, ici et là, d'une personnalité une im­
pression de puissance et de bonté ¡e ne messaierai pas à
trouver dans leur visage, ce miroir de l'âme pourtant, cette pa­
renté d'âme que je prétends exister entre eux. L'évêque a le front
chauve, et tout le bas de son visage se perd dans une barbe de
patriarche. Il nous regarde de biais, pour corriger le strabisme
de ses yeux ; car cet homme simple et droit louchait ; je trouve
quil a ainsi lair un peu défiant et sévère. Lui qui voulait que l'on
mit un sourire même sur ses souffrances, il ne sourit pas.
Il y a beaucoup de souplesse et de vie dans les images de
Don Bosco. Et cest le mérite d'abord de la photographie... Je
sais bien que par elle les choses ne sont que ce qu'elles sont,
mais c'est précisément ce dont je lui sais gré. Elle nous montre
les mèches rebelles de la luxuriante chevelure frisée de Don
Bosco, tombant sur son front, sans les relever d'un coup de pei­
gne. Les yeux profonds, cernés par la fatigue et avivés par la
flamme de la vie intérieure, sourient doucement ; et les rides
mêmes, dont le travail a sillonné ce visage rasé de prêtre romain,
s'harmonisent à ce sourire qui semble apporter aux hommes un
message de bonté. Le portrait, en somme, est très peuple, com­
me celui qui en est lobjet. Et voilà encore le contraste dont ¡'ai
parlé.
Les ressemblances
Mais peuple, seigneur ; fortune, pauvreté ; distinction héritée
de la race et abandon des allures, tout cela est à la surface de
nous-mêmes ! C'est l'habit qui enveloppe l’homme, ce nest pas
l'homme. Il y a autant de différence qu'il est possible entre le
hennin superbe des dames du XVe siècle et le « polo » plat dune
« jeune fille 39 ». Pourtant, je suis persuadé que, par-dessous ces
différences des modes, les familles d'âmes se continuent, et que,
qui pourrait établir une comparaison trouverait parmi nous des
femmes qui ressembleraient, à s'y méprendre, aux contemporai­
nes des manuscrits enluminés de Froissart. « Vous ne couvez
pas, dit l’Evangile, ajouter un doigt à votre taille. » Comme c’est
vrai ! Dans un berceau de dentelle quelle pauvreté humaine peut
se trouver couchée ; et, dans le « crouet » de la ferme, quelle ri­
chesse ! Les classements sociaux sont superficiels. La nature s'en
moque. Pas plus qu'elle je veux dire Dieu ne départit aux
fleurs écloses dans le parc d'un château plus déclat qu'à celles
qui s’épanouissent dans le potager clos par une haie de buis­
sons, pas davantage elle ne tient compte de nos classements
pour distribuer la force et la beauté du corps, ou la noblesse et
les qualités de la conscience et du caractère. Elle ne connaît que
des familles dâmes.
170

18.3 Page 173

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« L’optimisme est la conséquence et la condition même de l'amour. »
«. L'amour croit tout, dit l'apôtre ; il espère tout, il porte tout. » Et l'Imitation
a/oute : « qu'il n’allègue ¡amais qu'une chose soit impossible parce qu'il croit
que tout lui est possible ».
e ne sais, disait saint François de Sales, ce que ma
fait cette pauvre vertu de prudence, jai de la peine à
laimer ; et, si je l'aime, ce n’est que par nécessité. »
C'est que la prudence est une défiance ; elle limite sa confiance.
Tandis que sa confiance était illimitée. Il se sentait plein d'indul­
gence pour ses ennemis. « Mais qui ne l'aimerait ce cher enne­
mi, écrit-il. A dire la vérité, nous ne sommes pas obligés le
mot est plaisant d'aimer son vice, sa haine ni l'inimitié quil
nous porte. Mais il faut séparer le péché du pécheur. » Et voilà
comment, à condition de protester silencieusement contre le
mal, il pouvait, en sûreté de conscience, céder à son désir dem­
brasser le malfaiteur. «Je ne sais pas comme j'ai le cœur fait,
j'ai un tel plaisir à aimer mes ennemis, jy ressens une suavité
si délicieuse et si particulière, que si Dieu mavait défendu de
les aimer, ¡’aurais eu bien de la peine à lui obéir. » Heureuse­
ment que l'Evangile sétait mis, par avance, daccord avec lui ;
sans cela, il aurait eu bien de la peine à se mettre d'accord avec
l'Evangile
« Optimiste impénitent », a-t-on dit de Don Bosco. Il na
jamais désespéré de ses enfants. Quand ils coupaient les dha-
lias de ia Marquise de Barolo, quand ils épouvantaient la poule
couveuse de la gouvernante de Don Tesio, laquelle les traitait
de garnements et de voyous, quand les meuniers de la Doire
signifiaient à la police municipale d'avoir à les débarrasser de
ces escarpes, quand Maman Marguerite elle-même, devant ses
légumes écrasés et l'herbe de ses lapins pilée, devant les chaus­
ses trouées, et les chemises en loque, voulait, découragée, sen
retourner aux Becchi, lui, il disait les paroles et faisait les ges­
tes de consternation que les circonstances commandaient ; mais
son optimisme rêvait de bâtir une grande église qui pourrait re­
cevoir toute sa famille qui se multipliait, et d'une loterie qui en
couvrirait les dépenses. «J'aime, il faut que jespère», disait un
poète. L'optimisme qui est commun à nos deux saints ne fut que
leffloraison dans leur vie de leur commune charité.
Cet optimisme rayonnait sur leur visage. Saint François de
Sales disait qu'un saint triste est un triste saint. Son style,
dailleurs, est tout fleuri, ce qui est la gaîté du langage : « Ma
171

18.4 Page 174

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sœur Paul Hiéronima est une très bonne fille, propre à tout, de
bon esprit et de meilleur cœur, elle a autant de propriétés que
la sauge. » Il n'en est pas tout à fait de même de « Ma sœur N...,
qui a un moule à part, auquel elle fait des péchés mortels ». C’est-
à-dire quelle est scrupuleuse, incorrigible, qu'il traite par la mo­
querie et aussi par des corrections il met, dit-il, « autant de
vinaigre que dhuile ». Voilà un moraliste en belle humeur.
Quant à Don Bosco, c'est un boute-en-train des jeux du pa­
tronage ; et même quand sa réputation de sainteté aura mis au­
tour de sa tête une auréole de sainteté, il ne perdra ¡amais le
sourire. Une dame qui lui reconnaît toutes les vertus, lui demanda
conseils pour ses placements d'argent, il tend ses deux mains
ouvertes pour lui indiquer le meilleur des placements. Une autre,
plus désintéressée, lui présente une carte en le priant dy écrire
une pensée ; elle veut emporter un autographe. Il écrit : « Reçu de
Mnie X... la somme de deux mille francs pour mes œuvres. » Et
il lui remet le reçu contre le versement de la somme.
Revenons à saint François de Sales. Il ne voulait de mal
quau péché. Et encore, il lui trouvait une vraie utilité pour qui
savait en profiter ; et l'on a pu écrire, d'après saint François de
Sales, un «Art dutiliser ses fautes».
172

18.5 Page 175

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P. PICAN
connivences
"salésiennes "
C'est dans le cadre de la visite du Valdocco ¡maison mère de l'Œuvre
ae Don Bosco) accomplie par les religieux salésiens au cours de leur
« Retraite aux Sources », en 1980, que le Père Pican, alors Provincial de
la Province de Paris, prononça l'homélie dont le texte suit. L'église Saint-
f-rançols-de-Sales (construite par Don Bosco même) eut lieu l'Eucha­
ristie était tout à fait propice à cette méditation « salésienne ».
Accueil
Don Bosco extériorise sa dévotion à saint François de Sales
de bien des manières et il en concrétise les formes :
Vers 1842 : son oeuvre de Turin fut placée dès lorigine
sous le patronage de François de Sales.
En 1852 : Don Bosco bâtit sa première église et la ­
die à saint François de Sales après la chapelle Pinardi.
Dès 1854 : les premiers disciples de Don Bosco reçoivent
le titre de « salésiens ».
En 1859 : lorsquil lance sa congrégation, il l’appelle la
pieuse Société de Saint-François-de-Sales, qui demeure
le patron principal de notre Institut.
En saint François de Sales, Don Bosco a voulu voir un mo­
dèle et un maître ; il conseillait à ses disciples de toutes condi­
tions et de tous âges, jeunes, élèves et religieux, de l’imiter et
de l'écouter.
1 Jn 4, 7-16 Jn 15, 9-17
Homélie
En m'invitant à « présider » cette eucharistie de retour aux
sources, le Père Mouillard me demande de laisser l’Esprit sem­
parer de son serviteur pour actualiser au profit de lauditoire
173

18.6 Page 176

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quelques composantes actuelles de l'esprit salésien, tel que nous
le transmet en l'incarnant saint Jean Bosco.
Les deux textes de saint Jean nous convient à ressaisir les
connivences spirituelles et apostoliques existant entre François
de Sales et Jean Bosco. Je n’en retiendrai que deux, aujourd’hui,
vous laissant le soin, au cours de la ¡ournée, den rechercher
d'autres plus directement adaptées à la diversité de vos démar­
ches personnelles.
Etre « salésien » aujourd'hui, à la manière de Don Bosco, ne
serait-ce pas, tout simplement, parier pour Dieu et prendre le
parti de l’homme à la manière de Dieu, accompli en Jésus-
Christ ?
1. « Opter pour Dieu »
Cela va de soi, me direz-vous, lorsque l’on a accepté d'or­
ganiser sa vie concrète en laissant Dieu demeurer le oôle de
référence ultime et permanente de son existence. C'est encore
à voir. Je suppose qu'un parcours spirituel comme celui que
vous vivez vous découvre des pans d'existence que l'Evangile
pénètre encore difficilement.
Opter pour Dieu, consiste à vivre sous régime de « voca­
tion ». L’Evangile nous rappelle le propos du Christ, assumé par
sa réponse : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi
qui vous ai choisis. » François de Sales et Jean Bosco ont laissé
Dieu les choisir, les modeler, les former dans les profondeurs
de leur être, les pénétrer de l’intérieur au point de les doter d'une
perspicacité spirituelle étonnante, dune sagacité évangélique
inédite, d'un don de discernement prestigieux.
Leur option pour Dieu les a constitués dune façon pri­
vilégiée, à des époques sons doute fort différentes, bénéficiaires
et destinataires de la bonté, de la tendresse, de la proximité de
Dieu. Pour François comme pour Jean, Dieu est accessible, il
a part liée avec la vie, il bascule du côté de l'homme. Il abolit les
distances entre les personnes et se fait communion en Jésus-
Christ.
Cette expérience accomplit l’homme. L'homme est amputé
tant quil n'est pas en communication vitale avec sa source.
Opter pour Dieu c'est remonter à sa source, accueillir le dyna­
misme de son accomplissement, réussir pleinement son existen­
ce, en un mot : VIVRE.
174

18.7 Page 177

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« Cette rencontre du Dieu vivant les a tous les deux, à leur
manière singulière, préparés à traduire cette proximité de Dieu,
à la communiquer. Apôtres de Jésus-Christ, salésiens, mes frè­
res, nous avons à regarder du côté de François et de Jean pour
apprendre à « dire » Dieu aux hommes, pour oser parler du
Christ aux jeunes, de l’intérieur, comme par un mouvement de
respiration vitale. Dire Dieu, oser transmettre Dieu, avec passion,
avec amour.
2. Prendre le parti de l’homme au nom de Jésus-Christ.
Prendre parti pour l'homme, l'homme qui peine, souffre, connaît
lisolement, vit écartelé, loin de Dieu, aux prises avec des condi­
tions de vie exténuantes, déboussolé et meurtri par la vie. Fran­
çois, évêque, sécorche les pieds et les mains pour rencontrer
les brebis de son troupeau, prêcher la proximité et la tendresse
de Dieu, l’accomplissement de l'homme en Christ.
Jean Bosco, à partir de la rencontre bien concrète de Bar­
thélemy, se porte vers les jeunes en situation, mordus par la
détresse, blessés par la vie, désorientés. Il va vers eux, pour
les aimer ; c'est le mouvement inédit et déconcertant de l’incar­
nation déclenché par Dieu, répercuté par les saints, véhiculé par
ceux qui se disent du Christ et qui ont mission de rendre présente
cette tendresse du cœur de Dieu. Prendre le parti de l'homme
c'est se porter de tout son cœur, de tout son esprit, vers ces
zones d'humanité parmi les jeunes qui sont menacés de dériver
vers ¡'Inhumain, l'incomplètement humain. « Nous savons que
nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous ai­
mons nos frères. Qui n'aime pas demeure dans la mort. »
Eriger l’amour en système éducatif, c'est le défi fou et
insolite relevé par Jean Bosco à l'origine de son œuvre, au mo­
ment il y croyait déjà, à l'heure nous, nous y croyons en­
core. Ce défi est ressaisi par des corps vieillis, taraudés par
l'existence, qui s'emploient à accueillir et à transmettre les mer­
veilles du cœur de Dieu pour les jeunes. « N'aimons pas en
paroles et de langue, mais en actes et dans la vérité. »
A partir de ce 8 décembre 1844, Don Bosco a trouvé un nom
pour son oratoire; il s'appellera «de Saint-François-de-Sales ».
Pourquoi ? Don Bosco s'en explique lui-même : « Parce que la
marquise avait fait peindre le portrait de ce saint à l'entrée du
local. Et parce que notre activité exigeait un grand calme et de
la douceur. Nous étions placés sous la protection de saint Fran­
çois de Sales pour qu'il nous obtienne son extraordinaire man­
suétude et sa passion des âmes. » (Cf. « Souvenirs autobiographi­
ques », p. 146)
175

18.8 Page 178

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Pour lui révéler Jésus-Christ, présent à sa vie, aimable et
accessible. Ce Jésus transmis par Jean et François accomplit
l'homme en joie durable, l'instaure en dignité, lui permet dassu­
mer son histoire, ses projets, ses responsabilités, sa vocation
d'homme.
En Jésus-Christ, l’homme se réalise.
C'est ce Jésus-Christ-là que nous avons l’exaltante mission
d'accueillir et de transmettre, pour demeurer et redevenir, en
permanence, dardents disciples de ce Jésus quon appelle le
Christ, à la manière de Jean Bosco pénétré par la suave manière
de François de Sales.
Amen.
176

18.9 Page 179

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don bosco
et
la jeunesse

18.10 Page 180

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19 Pages 181-190

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19.1 Page 181

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M. WIRTH
les signes
de lexode
L'histoire du peuple de Dieu commence par une expérience de libéra­
tion : l'Exode. A plus d'un signe, on se rend compte que c'est une expé­
rience de ce type qu'a vécue Don Bosco à Turin, entre 1841 et 1846, avec
un peuple de jeunes travailleurs du bâtiment, des déracinés provenant de
la région de Biella et de la Lombardie.
O « Jai vu, oui jai vu la misère de mon peuple » (Ex 3,7)
Ce jour-là, Don Bosco prit la défense d'un opprimé, mais
que s'est-il passé dans la tête et dans le cœur de Bartolomeo ?
On dit qu'il a repris courage et qu'il est allé rejoindre ses co­
pains pour leur proposer de faire ensemble quelque chose de nou­
veau. C'est ainsi qu'ils commencent à «s’en sortir». Don Bosco
est pour leur révéler le Dieu qui est à l'action dans cette
«sortie». «Gardez le souvenir de ce jour-là! (Ex 13,3)
« Ce jour-là, il se préparait à célébrer la messe dans l'église
Saint-François-d'Assise. Pendant qu'il revêtait les ornements à
la sacristie, quelqu'un était entré furtivement : un adolescent,
sans doute intrigué par ce décor inhabituel et qui se tenait coi
dans un angle de la pièce. Arrive le sacristain. Pensant avoir trou­
le servant de messe qu'il cherchait, il l'interpelle vivement.
Don Bosco c'est vraisemblable sappêtait lui aussi à l'abor­
der, mais il n'en eut pas le loisir : en un tournemain, le sacristain
avait saisi son plumeau pour mettre à la porte cette « grosse
bête » incapable de répondre aux prières de la messe. Le jeune
prêtre intervient alors avec énergie : « Que faites-vous ? (...)
Cest mon ami ! Allez me le rappeler : j'ai à lui parler. » Le gar­
çon revient en tremblant. Rassuré par Don Bosco, il consent à
179

19.2 Page 182

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attendre la fin de la messe pour « parler d'une affaire qui (lui)
fera plaisir». Après l'action de grâces, la conversation reprend
dans un climat de confiance. Le jeune homme sappelait Barto­
lomeo Garelli. Orphelin de père et de mère, sans instruction ni
scolaire, ni religieuse, ce jeune travailleur de seize ans, disait
François Veuillot, « surgit à ses yeux comme l'appel de toute
l'enfance misérable et délaissée». L'entretien s'acheva ce matin-
sur une première leçon de catéchisme.
« Don Bosco n'oublia jamais cet épisode. Il en nota le jour :
8 décembre 1841, fête de l'Immaculée Conception. Pour lui, qui
était attentif aux « élégantes "combinazionide la Providence »,
cette coïncidence était à coup sûr pleine de signification. Il
considéra le 8 décembre 1841 comme la date de naissance de
lOratoire et comme le point de départ de toute lœuvre salésien-
ne. »
Don Bosco et les Salésiens » - M. Wirth,
p. 34 : Origine de l'Oratoire.)
« Ils marchèrent... sans trouver le point d’eau » (Ex 15,22)
De la « maison de servitude » à la maison Pinardi, la route
est longue et dure. Des obstacles de toutes sortes entravent la
marche en avant : éléments naturels, ennemis extérieurs, usure
interne. Mais au cours de la marche errante dans le désert, le
Dieu de l'Exode devient le Dieu de l'Alliance : il reste fidèle au
peuple qu'il a libéré, il le guide dans une traversée difficile.
(Cf. ibid., pp. 36-38 : A la recherche d'une
implantation.)
«Allez donc en prendre possession!» (Dt 1,8)
Si Dieu «fait sortir» son peuple, ce n'est pas pour le laisser
errer sans fin mais pour le « faire entrer» quelque part, pour qu'il
prenne possession d’un « chez soi » et qu'il l'organise en se sou­
venant de la Pâque du Seigneur.
« Le dimanche suivant, fête de Pâques, 12 avril, nous em­
portâmes tous les objets du culte et les instruments de ¡eux, et
nous allâmes prendre possession de notre nouveau local. » Bien
que de construction récente, cet appentis navait été jusque-là
quune « simple et pauvre remise » servant dentrepôt à quelques
180

19.3 Page 183

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lavandières du faubourg encore peu habité du Valdocco. Pour
remédier à la hauteur (le toit tombait à un mètre du sol), Pinard!
avait accepté de creuser la terre battue du hangar. Avec quel­
ques aménagements indispensables, la "tettoia(une grande piece
de quinze mètres sur six qui servit de chapelle et deux petites)
devenait utilisable. Tout à côté, une bande de terrain pouvait
servir de lieu de récréation. L'ensemble n'était guère fameux,
mais le fait davoir trouvé un endroit fixe on n'avait pas man­
qué cette fois détablir un contrat de location en bonne et due
forme constituait pour loratoire un avantage tout à fait appré­
ciable.
« Sans tarder, Don Bosco recueillait les fruits de l'ooération.
’Avec un lieu stable et les signes d'approbation de l'archevêque,
voilà que les cérémonies religieuses, la musique et la rumeur
d'un lieu de récréation attiraient la jeunesse de tous les coins de
la ville. Plusieurs ecclésiastiques commencèent à revenir.Il est
vrai que ie marquis persistait dans son intention d'interdire les
réunions, mais le roi Charles-Albert était de I avis opposé. Du­
rant six mois, on imposa à Don Bosco la présence de "gardes
civils, ce qui n’était nullement pour lui déplaire : "Ils me ren­
daient' tellement service dans la surveillance des jeunes, alors
quils venaient pour me surveiller moi !"
« C’est à ce moment que la santé de Don Bosco céda. Au
mois de juillet de la même année, il tomba très dangereusement
malade. Cette grave épreuve permit du moins à ses garçons de
lui manifester avec éclat leur profond attachement. Il guérit. Après
plusieurs semaines de convalescence aux Becchi, il revint à Turin,
mais en compagnie de sa mère. Le 3 novembre 1846, tous deux
sinstallèrent très pauvrement dans les deux chambres de la
maison Pinardi que Don Bosco venait de louer. Au bout de quel­
que temps, il pourra en louer trois autres. »
(Cf. ibid., pp. 38-39 : L'installation chez
Pinardi.)
Vers de nouveaux Exodes
Lentrée en Terre Promise na pas comblé toutes les attentes
du Peuple de Dieu et na pas mis fin comme par enchantement à
l'oppression et à l’injustice. Le péché est tenace, ainsi que la
tentation de se croire «arrivé». Aujourd'hui comme hier^ Dieu
ne nous provoque-t-il pas à de nouveaux Exodes ? Est-ce à cela
que pensait Don Bosco, quand il parlait daller de lavant?
181

19.4 Page 184

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19.5 Page 185

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M. MOUILLARD
encore
un centenaire !...
L'Institution « Don Bosco » - Saint-Cyr fêtait, les 3 et 4 mai 1980, le
CENTENAIRE de sa fondation par Don Bosco et Mère Marie-Dominique
Mazzarello.
A cette occasion, beaucoup de jeunes de fa maison se sont exprimés...
I' est curieux et intéressant de noter que leur pensée glisse souvent, sans
crier gare, de « Don Bosco », école, à la personne de Don Bosco.
Spontanéité et fraîcheur pleines de vérité !...
'aime bien la réflexion de Guylaine, une fille de cinquième
/ de Saint-Cyr... : « Puis pourquoi on ne fêterait^ pas ses
cent ans car il Don Bosco » - Saint-Cyr) est âqé et ça
fait déjà un siècle... On fête bien chaque année notre anniver­
saire et je ne vois pas pourquoi pas le sien... Et il mérite forte­
ment qu'on le lui fête ! »
Elle est venue cette réfilexion à l'encontre de mes pro­
pres tiédeurs devant ce « Don Bosco de Saint-Cyr » encore cen­
tenaire ! Cest-à-dire qu'elle m'a aidé à me placer du point de
vue de I’... usager...
Certes on finira bientôt par avoir fêté une centaine de... cen­
tenaires, depuis celui des Constitutions, en passant par celui du
Bulletin Salésien ou du Système préventif et tous ceux de nos
maisons dont celui de Saint-Cyr (1880-1980) est le dernier en
date...(1)
Mais quand on se rend compte de tout ce que celui-ci en­
gendre de ¡oie, d'amitié, de ferveur, de générosité, de désir, de
poésie, d'admiration, on se dit que « faire dans les centenaires »
n’est pas forcément œuvre de croque-mort...
(1) Au moment l’article a été écrit...
183

19.6 Page 186

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Parce qu'enfin la fille ou le garçon de 15 ans pour qui
« C'est l'âge de l'adolescence...
Cest l'âge le plus beau...
Entrant dans la vie d'un nouveau pas...
Cest l'âge du premier regard... » (Céline, 3°) n’y découvre
pas des tentatives nostalgiques de survivance à tout crin de
vieux pédagogues grincheux et amers, mais la naissance d'un
bourgeon gonflé de vie et luisant de sève, promesse d'une splen­
deur future.
« ... Ah ! comme la vie est belle !
Les nuits sont peuplées d'étoiles nouvelles.
Chaque jour se renouvelle
Depuis cent ans déjà
Depuis que Don Bosco
Est venu y semer les graines de la vie. » (Symphorien)
Une manière de voir le centenaire...
Et une autre : « Cela représente beaucoup pour moi, cela me
fait grand plaisir que pour cette fête je puisse dire que je suis
ancienne C est comme si on mettait sur la tête une couronne
de Duchesse ou de Marquise... » (Thérèsa)
FOLKLORE démobilisateur ! dira-t-on. Ça pourrait l'être côté
salésiennes et salésiens... Mais pas côté JEUNES. « Fête de joie,
d'amitié, de liberté, de partage... » « Nous allons nous rencontrer...,
partage^' nos joies, nos jeux... » ; « renouveler sa présence (celle
de Don Bosco) représente pour moi la joie et la fête» « C'est une
bonne idée de fêter Don Bosco, et la maison qui a cent ans »...
« dabord c’est qu'elle a tenu sans faire faillite, c'est-à-dire que
l'école a toujours été comblée d'enfants »...
Ainsi, les Sabine, Jeanne, Valérie, Véronique, Cécile, Doro­
thée, Sophie, Jénifer, Laurence, Laure ou... Michel qui écrit :
« Don Bosco sera avec nous dans la joie et la liberté comme
il était avant, quand il samusait avec les garçons de son âge. »
FOLKLORE ! sûrement, mais au sens vrai du mot (FOLK :
peuple, LORE : science)... Célébrer un centenaire bien sûr!
en en faisant autre chose quune commémoration sinistre ou guin­
dée ça peut être du vrai folklore si ça rejoint les racines de
184

19.7 Page 187

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tout un peuple même un petit peuple rassemblé pour vivre
matériellement et spirituellement quelque chose... Alors, vive le
folklore !
Emmanuelle, de quatrième, nous le dit à sa manière :
« Aujourd'hui, tout disparaît :
Mensonges et méchancetés.
Nous avons, tous, apporté
Un peu de vérité.
Voulez-vous former cette Amitié,
Rêver dune ronde à inventer
tout le monde se donne la main,
Essayant d'affronter ce dur chemin ?
Quand à nous, du soleil plein la tête,
Nous vous souhaitons : BONNE FETE ! »
Et Sophie, à son tour :
« Nous voici, nous voilà,
Bientôt nous ne serons plus
Dans le monde éparpillés.
Mais jamais nous n'allons oublier
Que lallégresse nétait jamais de trop
Dans cette école de Don Bosco. »
La vocation de JEAN BOSCO a été de faire apparaître que
la NOUVELLE qu'il apportait était bourrée de JOIE... la « JOYEU­
SE NOUVELLE»...
Et si de toutes nos FETES pour occasion d'anniversaires ou
autre tous nos jeunes assemblés emportaient pour leur vie
l’ALLEGRESSE comme un « trésor-bagage » ou comme une « vo­
cation-signe » ?
Cela vaut bien la peine que nos Sœurs aient à leur tour
« concocté » leur centenaire !
3-4 mai 1980.
185

19.8 Page 188

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19.9 Page 189

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M. MOUILLARD
don bosco
homme de dieu
Un trait de la sainteté de Don Bosco depuis longtemps souligné : l’union
à Dieu. Sous ce titre d’ailleurs, dès 1929, le père Eugène Ceria l'avait dé­
crit et développé dans une oeuvre désormais classique Don Bosco con Dio »,
Ed. S.E.I., Turin)... C’est publié, en français, aux Editions de l’Apostolat des
Editions, Paris, sous le titre « Don Bosco avec Dieu ».
Sans doute un aspect à ne pas omettre quand on explore avec des
/eunes, en particulier, la figure de Don Bosco.
e me suis souvent demandé pourquoi les jeunes d'aujour-
L dhui, qui viennent en contact vrai avec Don Bosco, en
reçoivent une sorte de coup de foudre, comme une fasci­
nation ? N’en sommes-nous pas régulièrement témoins ?
Il me semble, après y avoir bien réfléchi, que cest pour deux
raisons conjuguées.
Don Bosco fascine les jeunes par son sens de l'avenir, ses
projets, son dynamisme communicatif... Et puis sa bonté virile
et réaliste, son cœur toujours ouvert, son respect du petit et du
sans-voix, sa manière d'éduquer, sa volonté de partager dans
tous les domaines rayonnent de cette figure et de ses yeux et
de son sourire au point de subjuguer et de créer tout de suite la
sympathie...
Et personnellement, jai longtemps pensé que c'était à cause
de tout cela parce qu'il était « super » ou « vachement sym­
pa » que Don Bosco se trouvait d'emblée sur la longueur don­
des des jeunes...
Je pense maintenant quil y a plus. Une première lecture de
la vie de Don Bosco ne fait apparaître presque cest vrai !
que cet aspect de la stature de notre personnage. Ce qui, soit dit
en passant, correspond assez bien à l'attitude même de Jean
187

19.10 Page 190

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Bosco qui, nous dit lauteur de « DON BOSCO AVEC DIEU », prit
toutes sortes de précautions pour dissimuler les manifestations
extérieures de sa vie mystique (p. 212).
En fait, au contact de cet homme prodigieux, les jeunes ont
l'intuition que toute cette façade brillante, cette activité sociale
et pédagogique débordante, ces dons et talents multiples... ca­
chent quelque chose, mieux QUELQUUN ! Ils sentent que Don
Bosco a réussi à être, dans sa vie offerte aux jeunes, comme
l'image même de Jésus, compréhensif aux jeunes, l'image hu­
maine contemporaine de la tendresse de Dieu pour ce monde
fragile de la jeunesse. « Comme le Père vous a aimés, moi aussi
je vous ai aimés »... Comme Jésus vous a aimés, moi, Jean
Bosco, j'ai essayé de vous aimer... au point que ses garçons ont
pu affirmer : «Don Bosco ressemble à Notre Seigneur».
Les jeunes ont le sentiment, en face de Don Bosco, que Dieu
n’est pas loin... Comme le disait une fille, dans un carrefour de la
Rencontre Régionale de Lyon, en 1982 : « Chez Don Bosco, dans
les fêtes, j'ai appris à vivre la joie de l'Eucharistie : la joie de
découvrir Quelqu'un. » Dans sa synthèse écrite, un groupe écri­
vait : « Don Bosco, cest la route qui nous conduit à Jésus-
Christ. » Et nest-il pas symptomatique de constater quun autre
carrefour donnait comme lun des traits principaux de la figure
de Don Bosco « sa foi rayonnante » ?...
De manière plus ou moins explicite ou implicite, les jeunes
sentent, reconnaissent et affirment que Jean Bosco c'est autre
chose qu'un clown de génie, autre chose qu'un fin psychologue,
autre chose que le roi de la débrouille ou que le rusé diplomate,
le musicien ou le prestidigitateur doué, autre chose quun finan­
cier de talent ou un self-made man prodigieux, autre chose qu'un
sportif acrobate et tout ce que vous voulez... mais véritablement
« HOMME DE DIEU » au sens profond de l'expression .
Et c'est vrai ! Ils rejoignent en cela ce que les jeunes qui
vivaient près de Don Bosco, qui le voyaient et l'entendaient, pen-
saient de lui. Un grand adolescent de la première maison de
Don Bosco, l'Oratoire du Valdocco, écrivit plus tard : « A nous,
qui n'étions plus des enfants, il ne se présentait d'autres expli­
cation raisonnable et plausible devant tout ce que Don Bosco
faisait et était que celle de dons extraordinaires accordés à
Don Bosco par le Seigneur.» {«Don Bosco avec Dieu», p. 201)
Et un prêtre de la mission, évêque d'Aoste, ancien de lOratoire,
a déposé au procès de canonisation : « ... Je me souviens que,
parmi nous, ses élèves, on était convaincu qu'il parlait directe­
ment avec le Seigneur... ».
188

20 Pages 191-200

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20.1 Page 191

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Voilà bien qui nous intrigue et... nous intéresse au plus haut
point. Comment Don Bosco a-t-il pu allier si royalement, pres-
qu'en se ¡ouant apparemment, ces deux dimensions : le vertical
et l'horizontal, la contemplation et l'action, l'engagement et l'union
à Dieu, « l'extension dans le temporel et la concentration dans
le spirituel » (P. Varillon), alors que cela nous semble si ardu
et si contradictoire ?
Au-delà du profit personnel et communautaire que nous au­
rions à approfondir, en notre Fondateur, ce filon trop peu exploité,
nous y gagnerions, aujourd'hui, « sur le marché », à souligner cet
aspect. Ne nous trouvons-nous pas là, beaucoup plus qu'ailleurs,
au cœur même de sa sainteté ?
24 mai 1982.
189

20.2 Page 192

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20.3 Page 193

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E. BOCQUET
la première rencontre
OU
lexpérience fondatrice
Lors de la session de Forgeassoud (6-11 mars 1982) destinée aux ¡eunes
salésiens du post-noviciat, Etienne Bocquet, prêtre salésien, a tenu une
conférence intitulée : « Comment éduquer salésiennement ? », dans le cadre
au thème général de la session : «Eduquer avec Don Bosco au/ourd'hui »...
La première partie de la communication analyse la rencontre de Barthélemy
Garelll et de Don Bosco, « expérience fondatrice ».
Éducation salésienne et rencontré
« Si ¡’étais prêtre, je mapprocherais des enfants, je les grou­
perais autour de moi, je voudrais les aimer, me faire aimer deux,
leur dire de bonnes paroles, leur donner de bons conseils et me
consacer tout entier à leur salut éternel. » Don Bosco avec
Dieu », Ceria, p. 135.)
Nous avons ici en un résumé lumineux toute la pédagogie de
Don Bosco dans son fondement et sa perspective proprement
théologiques, sacerdotales même, et son actualisation spécifi­
quement relationnelle et affective.
Ce cri du cœur des 9 ans, en quelque sorte programmatique,
dessine tout l'arc de vie et d'action de Jean Bosco dont il ne
se départira jamais au cours de son long itinéraire d'éducateur.
Est-ce trop de dire que son originalité profonde, Jean Bosco la
tire de sa présence particulièrement intense et simultanée à
Dieu et au jeune dans un même mouvement d'amour à recevoir
et à partager ?
Convenons dès le début de la difficulté de (re) lire aujour­
dhui le discours et la pratique pédagogiques de Don Bosco en
1S1

20.4 Page 194

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dehors de l’expérience faite par chacun de l’unité de l'Amour de
Dieu et de l'Amour de l’homme. Force nous est de confesser que
le présent travail n'évite pas (encore) une certaine lacune en ne
réconciliant pas en un même acte pédagogique la double pré­
sence tout juste indiquée. Mais il est en même temps libérant de
souligner que l'unité invoquée relève plus d'un travail personnel
que d'une simple démonstration sur papier.
1. Si nous regardons comment Don Bosco rencontre les
jeunes, nous sommes amenés à dégager plusieurs attitudes et
principes qui ont trait à l'amorevolezza, cette bonté cordiale et
bienveillante qui empreint toute son action et sa vie de prêtre
et déducateur.
Il n'est pas exagéré de parler pour Don Bosco d'accueil et
daffection inconditionnels du jeune du simple fait que celui-ci
est jeune : « Je vous aime de tout mon cœur et il suffit que
vous soyez jeunes pour que je vous donne toute mon affection. »
(Braido, 1965, 571)
L'exemple de Garelli est criant. En plus, il constitue une sorte
de prototype tant du destinataire que de la pédagogie d'accueil,
de compréhension et d'éveil chez Don Bosco.
Certes, Don Bosco sait ce que représente de souffrance de
n'être pas compris ni reconnu par son demi-frère. Il connaît aussi
le prix de l'affection maternelle et même paternelle, dans le chef
de plusieurs prêtres amis.
Il accueille d'emblée Garelli, sans condition ni étiquette, ni
questions sur son passé.
Pas de dramatisation ni d’affolement de la part de Don
Bosco.
Pas non plus de « réduction » de la solitude et de la souf­
france du jeune. Il le reçoit tel quel, sans rejet ni inquiétude. Il
est à, ce jeune ; alors Don Bosco lui prête attention et lui offre
de son temps.
Un dialogue commence Don Bosco cherche ce point ferme
en l’autre il y croit fermement, fut-ce une simple tête d’épin­
gle ! l'un et lautre puissent se reconnaître partie prenante
dune même quête. Et cela lui suffit pour rompre la glace et en­
gager une véritable transaction. Admirable docilité à l'événement
192

20.5 Page 195

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de l'autre, sans accaparement ni abandon de ce qu’il tient chaud
au cœur : son désir d’être près du jeune et sa confiance en un
Dieu concret.
Quelle humilité aussi pour le prêtre qu'il est !
Jean Bosco sait regarder et voir, écouter et entendre. Qua­
lités exceptionnelles de l'éducateur qui lui font comprendre sans
arrêter la marche avec l'autre ; aimer l'autre sans le forcer ou le
retenir dans quelque piège ou miroir idéologique ou autre. Don
Bosco, on le sait, a depuis longtemps cette perspicacité qui lui
donne un certain ascendant naturel sur les autres. Mais il y a
bien plus ici. Le jeune prêtre et éducateur est et possède cette
corde précieuse qui vibre à la joie comme à la douceur de l'au­
tre, secrète ou exprimée.
L'éducation est vraiment affaire de cœur. On a tôt fait de
le déclarer ; il y faut une vie, celle de chacun, pour en pratiquer
la voie. Parce quil est libre, Jean Bosco peut aimer l'autre puis­
qu'il n'a pas besoin de lui pour exister ou se « confirmer » lui-
même.
La rencontre de Garelli est un poème vécu, une parabole de
l'amour qui sauve en mettant l'autre debout.
Don Bosco réalise ici qu'évangéliser c’est conscientiser. Si
l'accueil est profond et vrai, si la rencontre a lieu, si la parole
est dite qui devance l'appel et dénoue les peurs ou les nœuds,
alors l'autre se met debout et se prend en main. Il a fait l'expé­
rience que la vie appelle la vie, quil a dorénavant prise sur la
vie, sur la sienne propre, qu'il n'est pas seul sans père ni mère.
Il devient artisan de son propre chemin d'homme, avec les au­
tres hommes. Expérience fondatrice, peut-on dire, dans la me­
sure Don Bosco découvre que pour évangéliser il faut entrer
en relation. Respecter l'autre, apprendre sa langue et découvrir
de l'intérieur ce qui le meut ou le laisse inerte. Don Bosco décou­
vre quen éducation, comme pour évangéliser, le porte-greffe est
aussi important que le greffon. Que seul l'autre peut être l'agent
de son propre développement.
« Si tu veux... »
Cette rencontre nous pose les questions parmi les plus ur­
gentes sur notre mission et les moyens employés. Eduquer, cest
toujours inviter l’autre et lui dire d'une façon ou l’autre : « Lève-
193

20.6 Page 196

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toi et marche », ¡e suis à tes côtés mais je ne te retiens pas. Alors
l'homme, libéré, devient missionnaire et prophète. Il en appelle
dautres à rêver puis à créer un monde plus habitable pour tous.
2. La relation de Don Bosco avec le jeune comporte d'au­
tres aspects que nous reprenons en les développant quelque peu.
® Ce qui frappe chez Don Bosco en premier, c'est, dans
la rencontre directe, une confiance préalable dans le réel de l'au­
tre et de ia situation. Devant Garelli, par exemple, on voit Don
Bosco mettre entre parenthèses toute référence personnelle préa­
lable Surpris, il ne se crispe pas ni ne se rabat sur quelque
chose dextérieur à la ¡encontre mais s’ouvré et se libère pour
laisser exister lautre devant lui. Ce dernier trait n'est pas si
fréquent dans nos relations habituelles assez souvent « préorien­
tées » et donc biaisées, déviées vers une certaine finalité, par­
fois extérieure aux personnes en présence (règlement, appré­
hensions, peurs...).
C'est cependant cette liberté ou confiance de base en l'au­
tre et en soi aussi qui permet à Don Bosco de saisir l'appel, la
demande de l'autre au creux de la rencontre, demande souvent
pudiquement voilée ou à peine esquissée dans une autre de­
mande prétexte.
Centré sur le vécu de lautre, il est disponible et activement
disposé, dans une vibration que l'on devine poignante, à lui offrir
sa présence et son aide, non sans une tendresse franche. Chacun
peut ici mesurer la liberté intérieure à conquérir, le travail de
démolition de préjugés défensifs, l'assurance humble en soi pour
rester sans crainte devant l'inconnu et la différence de l'autre. Et
cette disponibilité n’est pas indifférente. Au contraire, elle im­
plique une pésence sentie à soi-même, au niveau de ses propres
attentes et références diverses face à l'autre...
La confiance au réel cest loptimisme foncier reçu ou
conquis. Elle permet d'affronter lautre dans une certaine nudité,
une réelle chaleur aussi, une authentique empathie, non feinte ni
obligée, mais qui reflète sincèrement le don de soi à lautre.
Quand Don Bosco rencontre le jeune, il le croit capable de bou­
ger. Sollicité par l'appel intérieur de la relation vivante avec
un Adulte qui le comprend et l'invite à s'interroger, à voir autre­
ment ce qui labat ou le révolte (cf. Magon), le jeune peut évo­
luer et travailler peut-être à sa propre guérison. Toutefois, n'idéa­
lisons pas trop Don Bosco sur ce point. Il semble bien quil fai­
sait très vite la proposition concrète d'un engagement dans le
sens reconnu valable par lui.
194

20.7 Page 197

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® Donner son temps dans l’écoute et l’accueil répété, mal­
gré les failles, les mises à l'épreuve, les trahisons parfois, c'est
assurément offrir au jeune le témoignage peu banal d’amour et
une chance unique de libération et d’évangélisation.
Jean Bosco a, semble-t-il, appris très vite et tôt la grâce de
recueillir le secret de nombreux coeurs. Il connaissait leur bles­
sure secrète, celle qui réellement fait crier ou saigner les cœurs
et les corps, sans vice ni vertu le plus souvent. Il était convaincu
que lamour très concrètement donné et manifesté est seul digne
de foi pour le jeune sans liens épanouissants. Cet amour, chez
Don Bosco, n'est pas complaisant, ni réparateur, ni maternel ; il
n'est pas non plus, à l'opposé, dur, froid et distant, suffisant ou
condescendant. Je crois que Don Bosco a accepté lui aussi d'être
aimé par ses jeunes. Il n'ignorait pas qu'il n'existe pas d'amour
qui ne soit aussi désir d'être aimé dans léchange du don.
Il semble bien que nous risquons de ne pas comprendre Don
Bosco si nous ne reievons pas la dimension proprement spiri­
tuelle de son cœur paternel.
C'est Marcel Légaut qui dit que « plus les relations avec au­
trui se multiplient et plus elles demandent d'approfondissement
spirituel pour être réellement humaines et susciter, quand l'heure
en est venue, jaillissement créateur et lumière intime».
L'enracinement spirituel de l'amour pédagogique de Jean
Bosco est bien l'expérience personnelle de la Charité Prévenante
de Dieu. Celle-ci confère à ¡'affection de l'éducateur un horizon
et une tonalité particuliers qui dépassent les tentations de ­
couragement. Elles peuvent aussi inspirer, dans la question mê­
me du jeune, une timide indication du goût de Dieu. Il nous suf­
fit ici d'épingler quelques traits bien connus de cette amorevolez-
za cordiale et prévenante.
Elle constitue bien le principe qui structure et motive la ­
thode pédagogique de Don Bosco. Rien à voir avec l'Eros péda­
gogique de Socrate ou de Platon pour qui le rapport éducatif
consiste à instaurer une relation intime entre Educateur et Edu­
qué.
Rappelons également que Don Bosco s'inscrit ici aussi dans
la sensibilité pédagogique de son époque. C'est ce que montre
fort bien Braido quand il écrit que pour Kolping, par exemple,
prêtre et éducateur de Cologne pendant les années 1813-1885,
« l'amour effectif guérit toutes les blessures, les paroles seules
ne font quaggraver la douleur» (Braido, 1981 b, 288).
195

20.8 Page 198

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Affaire de cœur, l'éducation chez Don Bosco, comme nous
avons déjà relevé en reprenant l'expression de Caviglia, est ce
défi constant à la fragilité et à la solitude affective et existen­
tielle de la jeunesse.
On pourrait dire que cest pas amorevolezza que l’éducateur
va au-devant du jeune acceptant d'être vulnérable. Le CGS et
le CG 21 le répètent à loisir, notant qu'il faut rencontrer les jeu­
nes ils sont. Mesure-t-on toujours dans les faits ce qu’une
telle recommandation implique comme exode tant personnel
qu'institutionnel ?
Sur la cour de récréation, Don Bosco est non seulement pré­
sent physiquement en permanence mais on ie voit encore qui
regarde, écoute, s'avance, lance un jeu, remonte le moral de
celui qui est seul, souffle un mot à l'oreille... Il a un flair rare
pour détecter celui qui souffre ou ne se sent pas à l'aise. Bien
avant les paroles, son regard et sa voix incitent à la confidence,
appellent la parole qui libère et s'abandonne à l'aveu.
Certes, aujourd’hui, les conditions de rencontre des jeunes,
en général, ont largement changé pour de nombreuses raisons
que nous n'analyserons pas ici.
Il semble toutefois que la communication sociale, plus ­
veloppée et répandue, tende à négliger, voire à estomper le vécu
et le retentissement existentiel de chacun. Dans ce cas, une cer­
taine qualité de réciprocité, condition de toute rencontre effective,
se fait plus rare ou même se perd. Car elle exige plus de temps
d'apprivoisement que bien des rencontres ne ie permettent sou­
vent.
Cette situation n’est pas sans appeler un nouvel art de vivre
ensemble, Jeunes et Adultes. Pour ce qui regarde l’éducateur,
¡'avancerai volontiers que rencontrer les jeunes, ils sont,
requiert aujourd'hui plus découte, de tact aussi, de renoncement
et d'amour. Dans la mesure effectivement lamour seul ou­
vre à l'autre, dans le respect de la distance indépassable entre
deux êtres, l'éducateur entreprend chaque fois une nouvelle aven­
ture, à rassembler à chaque coup ses forces pour un nouvel élan
vers l'autre. Pur et simple élan. Simple présence l'un à lautre
dans le temps donné. Sans message, ni garantie, sans plan ni
récupération, sans motif, à la rigeur... Cette présence à l'autre
exige, je crois, bien plus de gratuité et de liberté intérieure, dhu­
mour et d’amour. Car il est vrai que de nombreux jeunes aujour­
dhui se savent non aimés pour eux-mêmes, gratuitement, depuis
leur conception !...
196

20.9 Page 199

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la chasse
aux fauves
M. B.
Ou dimanche matin au dimanche soir, on ne connaissait pas le chômage
à l'Oratoire. Don Bosco se livrait même quelquefois, l'après-midi, à un exer­
cice qui vaut la peine d'être conté.
sy es catéchismes battent leur plein. Don Bosco, qui se ré-
f' serve les aînés, a pu se faire remplacer ; le voici qui sort
de l'Oratoire et bat le terrain aux alentours à la recher­
che d'ouailles vagabondes auxquelles il n'est pas facile de faire
entendre raison. Ignorants, peu soucieux de leur paroisse, des
garçons se rassemblent dans les prés, les chemins, sous les
portiques des maisons éloignées et se livrent furieuement aux
jeux de cartes ou à d’autres jeux interdits par la loi et dange­
reux. Il nest pas rare que cela se termine par des coups de
couteau
Don Bosco sapproche gentiment et, dun air indifférent,
observe le jeu. Au milieu du groupe, sur un siège ou sur une
pierre, est étendu un mouchoir ; sur celui-ci les sous de la partie,
parfois vingt ou vingt-cinq. Une fortune, si l'on songe qualors un
kilo de pain coûte quelques sous. Il s'intéresse au jeu ou même
y prend part lui-même jusqu'au moment il voit les joueurs
échauffés et le mouchoir bien garni de lires. Alors, d'un geste
rapide il saisit les quatre coins du mouchoir, avec l'argent et les
cartes, et s'enfuit à toutes jambes.
Abasourdis, les garçons détalent à ses trousses. « L'argent !
Rendez-nous largent ! »
Attraper Don Bosco à la course, il n'en est pas question.
Lui, se retourne en criant : «Courez! Prenez-moi ! Je ne veux
pas vous voler. Je vous le rendrai, je vous en donnerai même
d'autre... Venez ! Courez ! » La poursuite se termine à la porte
de l'Oratoire ou à l'intérieur de la chapelle bondée de garçons
attentifs à la prédication de Don Borel ou de Don Carpano.
197

20.10 Page 200

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C'est alors que ça devient difficile : il s’agit de calmer les
joueurs, irrités par la désagréable surprise, et de les faire rester
à la prédication, déjà commencée.
Don Bosco prend l'allure dégagée, voire burlesque, d'un com­
merçant ou d'un voyou envoyé par sa mère, contre son gré, à
l'Oratoire, ou encore d'un vendeur ambulant. Il entre en criant :
« Nougat ! Nougat !... Qui veut du nougat ! »
Eclat de rire général... Tous les garçons sont debout pour
regarder. Et le prédicateur en chaire : « Oh ! polisson, sors de
l'égfse ! Tu te crois peut-être sur la place du marché?...»
« En voilà une bonne ! Moi, je fais mes affaires... J'ai vu ici des
tas de jeunes et jai pensé à vendre mes nougats. »
Le dialogue continue, dans un piémontais plein de bons mots
piquants sur le respect à l'Eglise ou sur la sanctification du
dimanche, sur le jeu, le blasphème, le sacrement de pénitence...
A la « prise de bec » inattendue des deux prêtres, les
joueurs sarrêtent, prêtent attention, se mettent à rire, finissent
par s'asseoir, sil y a de la place, et par écouter. Le savoir-faire
et lesprit de Don Borel et de Don Bosco les retiennent pendant
une heure, une heure et demie... Après la prédication, il y a les
litanies à la Sainte Vierge. Les « merles » sont toujours là, près
de Don Bosco, au fond de léglise. Lun ou l'autre lui demande
à voix basse : « Quand allez-vous me rendre mon argent
« Attends un moment... Il faut que je donne la bénédiction du
Saint Sacrement. »
On finit quand même par sortir, chacun retrouve ses sous,
reçoit un joli cadeau.. .La certitude de n'avoir rien à débourser
pour s’amuser toute l’année, les manières aimables de ce prêtre
si rapide à la course et si adroit à voler les cœurs, tout cela
fait que les joueurs, enchantés, promettent de revenir, de no
plus jouer aux jeux de hasard. Et, le plus beau, c'est quils
tenaient parole.
(M.B., III, Chap. XL)
198

21 Pages 201-210

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21.1 Page 201

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A. BARUCQ
deux regards
qui se croisent
A qui part à la trace de la sainteté de Don Bosco, inévitablement se
présentent aussi les sentiers de celle de Dominique Savio. Les routes du
pays de Jean Bosco croisent celles du pays de Dominique... Les divers
« Retours aux Sources » (1980-1983) conduisaient les pèlerins ou les retrai­
tants à San Giovanni Riva di Chieri (maison natale), à Riva pressa Chieri
¡baptême), à Murialdo (huit ans de la vie du garçon) 2 km des Becchi,
à Mondonio (mort)...
En préparation à ce périple, on avait proposé une réflexion priante sur
/influence que l'élève et l'éducateur ont exercée l'un sur l'autre. Vous lirez
ici la méditation que le P. Barucq a composée et présentée aux retraitants
de Caselette.
Deux regards qui se croisent : Don Bosco et Dominique
ésus le regarda au fond des yeux et l'aima (Mc 10,21).
Z Marc a bien voulu dire qu'il le regarda «en profondeur»,
quil « plongea en lui son regard ». Nous retrouvons le mê­
me terme, employé par saint Jean cette fois, à propos de la ren­
contre de Jésus et de Simon en Jn 1, 42. Dans les deux cas, le
regard de Jésus est suivi d'un appel mais la réponse est diffé­
rente chez le « jeune homme riche » et chez Simon qui devient
Pierre.
En un autre continent et en un autre siècle, nous retrouvons
un regard du Christ, un regard de prêtre jeté sur l'âme d'un ado­
lescent, celui de Don Bosco sur le jeune Dominique Savio : «Je
reconnus en ce garçon, dira Don Bosco, une âme tout entière
selon lEsprit de Dieu » (Vie..., p. 50).
Notre retraite, avec ses «visites», ses «montages audio­
visuels», fait large place au « regard ». Nous cherchons, nous, un
regard qui soit encore éloquent, qui nous révèle quelque chose
que notre conscience ne perçoit peut-être plus que faiblement,
confusément, nous cherchons le regard de Don Bosco. En allant
contempler les sites qui remplirent ses yeux, en priant devant les
199

21.2 Page 202

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horizons qu il aima, parfois dans les mêmes sanctuaires que
lui, nous attendons que son regard nous parle, nous invite. Au
fond des yeux de Dominique, il avait perçu quelque reflet de
l’Esprit de Dieu, pour nous c'est au fond des yeux de notre Père
que nous serons heureux de contempler quelque chose de cet
Esprit.
Le regard de Don Bosco, nous pouvons en percevoir une
lueur à travers ce qui nous est parvenu de ses portraits les plus
authentiques : celui que reproduit la couverture de la récente
édition des « Souvenirs autobiographiques » et que nos montages
audio-visuels évoquent si souvent, ou celui de Barcelone, avec
Don Rua, de 1886. En ce dernier surtout le regard du vieillard
s'est intériorisé. Les yeux donnent une expression de vivacité plus
pénétrante dans le portrait plus jeune. Ils confèrent au visage,
dans les deux, une attitude dinterrogation bienveillante sans
curiosité captative. nous apparaît un homme d'accueil, qui
quête l’attention et sollicite la confiance. C'est le regard de quel­
qu'un qui est prêt à aimer quiconque en qui il verra poindre un
besoin d’amour, une aptitude à correspondre. C'est sans nul doute
un regard plus vif que celui du portrait de Barcelone que ren­
contra Dominique Savio à Murialdo, plus précisément devant la
chapelle du Rosaire sur le coteau des Becchi, un jour doctobre
1854. Mais déjà s'y dessinait, à n'en pas douter, le même sourire,
la même attente, le même appel à la générosité dune réponse
oblative.
Mais il nous est utile, pour notre propos d'une quête dappro­
fondissement spirituel, de chercher à découvrir une autre direc­
tion du regard de Don Bosco : son orientation intérieure, cachée
aux curiosités humaines, mais révélée par le comportement
constant de notre cher Père tout au long de sa vie. Je veux par­
ler du regard qu'incessamment, peut-on dire, il portait sur Dieu.
Si Jésus aima le jeune homme riche en quête de vie éternelle,
Don Bosco aima le Christ Jésus parce que journellement il tour­
nait vers lui son regard sachant que était la source de la vie
éternelle : son oraison, son office, sa messe, son action de grâces
furent pour lui des moments d'authentique contemplation et, vous
I avez peut-être remarqué, dans une de ses lettres récentes (Atti,
n' 295, p. 29, Ed. franç.), puis dans le mot d'introduction à la ­
cente édition française du livre de Don Ceria « Don Bosco avec
Dieu » (p. 5 sq.), Don Vigano' nous a rappelé notre devoir de
redécouvrir la dimension « contemplative » de notre spiritualité,
tout salésiens que nous sommes. Ce faisant, il ne croyait pas
trahir la pensée de notre Fondateur. La contemplation, en effet,
est un regard. Et c'est dans la rencontre de son regard avec
celui du Christ que Don Bosco munissait le sien de cette charge
200

21.3 Page 203

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de profondeur, de douceur et de force qui firent sa puissance de
fascination sur des regards bien divers qui croisèrent le sien et,
souvent, ne purent sen détacher.
Si nous en revenons au Maître, nous pouvons évoquer d'au­
tres de ses regards, diversement perçus ailleurs. Celui quil jeta
sur le jeune homme encombré de ses biens ne sera que d'une
rencontre fugitive. Mais il y eut aussi celui qu'il porta sur Simon
près du Jourdain. Les deux ont servi de point de départ à cette
méditation. Plus tard, il y eut le même regard, insistant, qui dut
accompagner la triple interrogation : Simon, fils de Jean, mai­
mes-tu ? Nous connaissons la réponse et son retentissement. Il
y eut le regard jeté sur la Samaritaine, combien troublant par sa
pénétration, tout au long de l'entretien au puits de Jacob : il
révolutionna une âme qui se croyait blasée. Il y eut le regard
plein de tendresse posé sur les enfants qui se frayent un passage
jusqu’à lui, et tant d'autres quune relecture des Evangiles ne
pas omettre en ces jours de retraite) nous fera redécouvrir. On
peut dire que Jésus regarda le monde et laima, quil aima en lui
toutes les potentialités de bien et de conversion que tant de re­
gards lui dévoilaient.
Don Bosco, prêtre du Christ, ne pouvait jeter sur le monde
qui l’entourait que le regard même de Jésus puisque, nous y reve­
nons, Il avait bien soin d'y accorder la qualité du sien.
Pour reprendre contact avec Dominique, puisque cette jour­
née nous y invite, relisons quelques passages de sa « Vie » telle
que notre Fondateur a voulu la proposer à l'attention et à la
réflexion de ses salésiens.
Et d'abord la première rencontre. « C'était le premier lundi
d’octobre (2 octobre 1854), de bon matin, quand je vis un enfant,
accompagné de son père, qui approchait pour me parler. Son
visage joyeux, son air souriant mais respectueux, attirèrent sur
lui mon regard.
Qui es-tu ? lui dis-je, d’où viens-tu ?
Je suis Dominique Savio, celui dont vous a parlé mon maî­
tre Don Cugliero, et nous arrivons de Mondonio.
« Je le pris alors à part, et, nous étant mis à parler de ses
études et de la vie qu’il avait connue jusqualors, nous sommes
aussitôt entrés en pleine confiance, moi avec lui.
« Je reconnus en ce garçon une âme tout entière selon
l'Esprit de Dieu et je ne restais pas peu stupéfait en découvrant
l'œuvre que la grâce divine avait déjà accomplie en un garçon
si jeune.
201

21.4 Page 204

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« Après une assez longue conversation... il me dit textuelle­
ment : "Alors, qu'est-ce que vous en pensez ? Vous me condui­
rez à Turin pour étudier?"
! Je pense qu'il y a une bonne étoffe.
A quoi peut-elle servir, cette étoffe ?
A faire un bel habit que nous offrirons au Seigneur.
Je suis donc létoffe. Vous, soyez le tailleur. Prenez-moi
donc avec vous et vous ferez un bel habit pour le Seigneur. »
Plus tard, autre conversation après un sermon sur la sain­
teté (cf. Vie, p. 47 sq., Ed. franç : entre nous, les mots « voca­
tion », « sainteté » cette vocation de tout chrétien, ne sont-ils pas
devenus quelque peu étrangers à notre vocabulaire homiiétique ?).
Laissons la parole à Don Bosco : « Ce sermon fut pour ainsi
dire l'étincelle qui embrasa son cœur d'amour de Dieu. Pendant
quelques jours il ne dit rien, mais il était moins enjoué que
d'habitude, si bien que ses camarades s'en aperçurent et moi
aussi. Je supposais quil avait de nouveaux ennuis avec sa santé
et je lui demandais sil souffrait de quelque maladie.
Au contraire, me répondit-il, je souffre plutôt d'un bien.
Quest-ce que tu veux dire ?
Je veux dire que je sens en moi le désir et le besoin de
« me faire saint » : je ne croyait pas que cétait si facile ; mais
maintenant jai compris que l'on peut y arriver même en restant
joyeux. J'y tiens absolument, et jai absolument besoin de me
faire saint. Dites-moi comment je dois m'y prendre pour me lan­
cer dans cette entreprise. »
Don Bosco lui apprend alors à bannir toute inquiétude, à
continuer à faire son devoir et à garder sa gaieté habituelle. Puis,
il poursuit :
« Je lui dis un jour que je voulais lui faire un cadeau de son
goût, mais que je voulais le laisser choisir.
Le cadeau que je vous demande, déclara-t-il spontané­
ment, c'est de faire de moi un saint. Je veux me donner au Sei­
gneur tout entier et je sens le besoin de me faire saint, et, si
je ne me fais pas saint, je ne fais rien. Dieu me veut saint et
j'y arriverai. »
Un autre passage de la « Vie » me paraît aussi digne de
réflexion. La lecture de ces lignes ne nous sera sans doute pas
202

21.5 Page 205

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inutile en notre monde envahi par le «visuel »... Il s'agit de nota­
tions de Don Bosco à propos de la retenue des yeux chez Domi­
nique (cf. Vie, p. 105 sq.).
« Ses yeux étaient extrêmement vifs et il devait simposer
une violence non minime pour les garder recueillis... Les yeux,
aimait-il à dire, sont deux fenêtres. Par les fenêtres passe ce
quon y fait passer. Et nous, par ces fenêtres, nous pouvons faire
passer un ange ou bien aussi le démon avec ses cornes, et lais­
ser l’un ou lautre devenir le maître de nos cœurs. »
Ne nous hâtons pas de classer tout cela parmi les beaux
souvenirs dun passé révolu : autre temps, autres mœurs ! Par
ces attitudes de sainteté vécues en son Eglise, comme par ses
propres attitudes relues dans son Evangile, le Seigneur veut en­
core nous faire passer un message. Captons-le !
Une question se pose à nous en cet endroit de notre entre­
tien : de quelle qualité sont « nos regards » ? De quelle qualité
« notœ regard sur les autres », sur nos confrères, sur nos jeunes
surtout ?
Savons-nous regarder avec le regard du Christ dont cette
méditation a pu évoquer quelques aspects ?
Savons-nous regarder avec le regard de Don Bosco ? Nous
avons évoqué un regard privilégié, celui qu'il porta sur lâme de
Dominique. Il y en eu d'autres, jetés eux aussi sur des jeunes :
Magon, Besucco, etc.
Le regard dont nous considérons les jeunes a-t-il toujours la
même pureté, la même transparence, la même générosité, le
même désintéressement que celui de Don Bosco? Dans leurs
yeux, savons-nous lire leurs appels, leur confiance ? Par les
nôtres, savons-nous faire passer quelque chose de notre contem­
plation de Dieu, de notre vie de l'Esprit, de notre appel à la sain­
teté ? Certes, c'est la bouche qui parle, mais que de choses ne
se comprennent bien, ne se partagent profondément, quen
l’échange de deux regards !
Puisse saint Jean Bosco nous faire participants de la qualité
de son regard sur un monde il était avide de déceler le moin­
dre indice de la présence sanctifiante de Dieu ou tout au moins
d'un appel à son amour !
203

21.6 Page 206

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21.7 Page 207

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M. JOURJON
vivre avec eux
en familiarité
Voici une homélie pour le jour de la fête de Don Bosco (1963), pronon­
cée par le Père Maurice JOURJON, qui fut Doyen de la Facuté de Théologie
ae Lyon. Il prit comme thème « l'amorevolezza » de Don Bosco.
fl n prêtre ne paraîtrait-il que pour prêcher, on dit qu'il
//[ ne fait ni plus ni moins que son devoir. » En préparant
cette homélie, je me suis heurté à ce mot de Don Bosco
et il ma paru me convenir spécialement. En venant vous prêcher,
je ne fais que mon devoir et Don Bosco ne me fait pas ajouter
que, lorsqu'on parle à ses fils, ce devoir est spécialement
agréable.
Toutefois, dans cette lettre que vous connaissez bien, il
dit ce mot qui doit nous rappeler à lhumilité, il a ajouté beau­
coup dautres choses qui m'ont paru intéressantes. Vous le savez
bien : il veut que le prêtre ne soit pas seulement un prédicateur
mais aussi celui qui est «sur cour». Et pour définir les rap­
ports que le prêtre-éducateur doit avoir avec ceux quil est chargé
d’éduquer à la foi, il a un mot magnifique, presque impossible
à traduire : « il faut vivre avec eux en familiarité ». Gardons ce
mot, il évoque si bien la façon de se comporter de Jésus avec
ses apôtres et des apôtres avec Jésus. Ce mot rend si bien
compte aussi de l'accueil que recevait Jésus à Béthanie. Il évo­
que si bien cette admiration simple quavait saint Irénée lorsqu'il
écoutait saint Polycarpe lui parler avec familiarité de ceux qui
avaient vu et entendu le Seigneur, quil convient de garder ce
mot « familiarité ». Il me semble qu'il a sa définition, son expli­
cation non seulement dans des scènes évangéliques ou de l'his­
toire de l'Eglise, mais que réellement un mot de Paul l'explique
et le justifie (Phi., IV, 8). Voilà la source biblique et paulinienne de
la « familiarité ». Saint Paul dit : « Dieu mest témoin... ». Comme
Don Bosco, il ose aimer ses frères tendrement. Certes, ce nest
pas par une espèce d'affadissement de l'être qui gagne seule­
ment ceux qui ne sont pas encore les capitaines de leur âme,
205

21.8 Page 208

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cest tendrement, dans le cœur de Jésus. En vérité, il n'y a pas
d'autres moyens d'aimer tendrement, de vivre dans la familiarité
avec ceux qui nous entourent que de le faire dans le cœur de
Jésus. Pourquoi ?
1" Parce que notre familiarité et notre tendresse ne doivent
pas venir dune sympathie toute humaine (les païens nen font-ils
pas autant?). Elles doivent venir d'une lucidité sur l'homme, et
Jésus seul peut être lucide sur l'homme, car lui seul sait ce
qu'il y a dans le cœur de l'homme.
Jésus seul qui nous connaît peut nous comprendre et nous
pardonner comme il la fait sur la croix. Alors, si nous nous éta­
blissons dans la connaissance intérieure du Christ, si nous médi­
tons en son cœur, nous aurons sur nos frères et sur nous assez
de lucidité pour les aimer avec tendresse, car il n’y aura plus
dans notre vie un optimisme trop facile ni un pessimisme injus­
tifiable. « Quelqu'un a dit que si un optimiste était un imbécile
heureux, un pessimiste était un imbécile malheureux»; mais il
y aura, au lieu de ces sentiments trop faciles, il y aura, à cause
de la lucidité, espérance et patience. L'espérance, parce que
notre semblable, quel quil soit, fût-il le pire des hommes, n'est
jamais que, comme le dit saint Augustin, l'espérance dun bon,
la possibilité dun bon, un membre au moins en espérance du
corps du Christ, un racheté, comme nous, de Jésus, et, selon le
mot de saint Paul, ce frère pour qui le Christ est mort. A cause
de cela, notre tendresse sera, à son égard, une tendresse despé­
rance et notre familiarité, une vie dans l'espérance avec Lui ; et
notre espérance ne sera jamais choquante, elle ne voudra pas
hâter le travail de Dieu, enjamber sur la providence. Au contraire,
nous penserons à la patience de Dieu pour nous, il agit douce­
ment, il nous attache à lui, à lhumanité ; il nous mène paisible­
ment et à l'égard des autres, nos frères, nous aurons la même
patience. Nous établir dans le cœur du Christ, cest aimer les
autres avec tendresse, c'est vivre avec eux dans la familiarité,
car cest les connaître et nous connaître lucidement.
2Et puis, nous établir dans le cœur du Christ, cest nous
établir dans la parole de Dieu ; et pourquoi Dieu nous a-t-il parlé,
sinon parce quil nous aime tendrement ?... Avez-vous réfléchi à
la tendresse de la parole de Dieu pour qu'ayant tant de force,
elle ne nous violente jamais ? Avez-vous réfléchi que cette parole
doit être pleine damour, de tendresse, de délicatesse, pour
qu'elle ne violente pas nos dirigés, mais, au contraire, qu'elle
nous fasse libres et que, nous libérant, elle nous permette d'adhé­
rer de tout nous-mêmes à tout ce que Dieu nous demande ?
Avez-vous réfléchi à la tendresse de Dieu pour nous, pour que,
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21.9 Page 209

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non content de nous parler, Il nous ait parlé par son Fils, et
que cette parole se soit faite chair, et qu'il ait vécu parmi nous,
et que, grâce à cette présence du Verbe parmi nous, nous nous
soyons accoutumés à Dieu : « Nous vivions en familiarité avec
le Verbe » «saint Irénée) et nous puissions dire comme saint
Jean : « Ce que nous avons vu et entendu du Verbe de vie,
nous vous le communiquons » ? Alors, cette force de Dieu, cette
tendresse de la parole qui sinsinue en nous, qui nous transforme
peu à peu sans jamais nous bousculer, cette tendresse nous la
trouverons si nous vivons avec le cœur du Christ... Car Dieu,
personne ne la jamais vu, mais Jésus nous l'a fait connaître et
saint Jean ne nous a révélé d'une façon bouleversante cette
tendresse que parce qu'il a reposé sur le cœur du Christ et puisé
à cette source.
3" Une troisième raison nous invite, pour vivre dans la fami­
liarité, à résider dans le cœur du Christ : cest que nous sommes
sûrs d'y trouver les petits et les humbles. A sa façon de faire,
si pittoresque et pleine de malice, Don Bosco d’un trait, d'une
remarque faite en passant, nous en dit l’importance. C'est une
leçon toute spéciale de Don Bosco, et cette leçon, lévangile vient
de nous la rappeler. Je n'ai pas à y insister et pourtant il me
semble qu'il est important d'insister. Je pense à cette scène de
sa vie, au songe de ses neuf ans. Don Bosco, quand il explique
son rêve, nous donne cette réflexion sur sa grand-mère : « Elle
qui connaissait bien la théologie, elle était illettrée ». C'est cette
connaissance de la théologie et ce caractère ¡¡lettré que je vou­
drais relever, parce que, en pariant ainsi, Don Bosco retrouve
une tradition de l'Eglise. Exemple chez saint Irénée déjà qui
nous disait qu'il était plus avantageux que toutes les spéculations
d'être simple et de connaître Dieu par l'amour. Tradition trouvée
aussi dans saint Bonaventure qui disait qu’une bonne vieilie dans
son jard.n, si elle a la charité, en sait plus que tous les théolo­
giens du monde.
Alors cet homme qui, d'après saint Irénée, sapproche de
Dieu dans la simplicité, alors la grand-mère de Don Bosco, alors
cette vieilie de saint Bonaventure, nous les trouvons dans le
cœur du Christ, et, face à leur présence, nous vivons nous aussi
dans la simplicité et dans l'amour.. Non pas que nous devions
être des illettrés, nous en sommes incapables ; mais pousser jus­
qu'au bout la lettre et faire absolument que la lettre ne reste
pas lettre morte, quelle devienne en nous parole vivante, que
dans notre théologie nous trouvions l'amour de Dieu, que nous
mettions cet amour au départ dans le cœur du Christ. Saint Paul
conclut ce passage de l'épître aux Philippiens : « Dieu m'est ­
moin... » par cette exhortation : « Que notre charité sépanche en
207

21.10 Page 210

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science, en connaissance, avec ce tact délicat qui vous fera dis­
cerner le meilleur». Il me semble, pour nous, apprentis théolo­
giens, qu'il faut que notre charité sépanche dans cette connais­
sance de Dieu. Après tout, le Seigneur nous appelle non « ser­
viteurs » mais «amis», car il nous a fait connaître ce quil tient
de son Père et nous l'ayant fait connaître, nayons pas peur de
donner à notre familiarité cette coloration théologique. C'est
notre façon à nous de nous unir au cœur du Christ et de rejoin­
dre tous ceux qui s'attachent à lui avec amour.
Dans un instant, le chant de communion, d'une façon splen­
dide, va oser nous dépeindre Don Bosco sous les traits d'Abraham.
Certes, c'est splendide, enthousiasmant, mais cest presque
un peu gênant parce que Abraham, c'est l'épopée (je sais bien
qu'il y a une épopée salésienne...), mais il me semble que dans
toute épopée c'est sa loi même il y a un peu de démesure
et dans Don Bosco jamais de démesure, parce qu'il y a familiarité.
Bien sûr, de toute évidence, sa foi est celle d'Abraham et son
obéissance aussi, mais il me semble que dans sa finesse un peu
rusée il se soit vite aperçu quun bélier remplacerait avantageu­
sement. Il y a donc en lui cette familiarité puisée à bonne source
qui nous empêche de trop le voir sous les traits d'Abraham. Ne
préférons le voir autrement. Il me semble que ce visage la
charité assumait un tact délicat qui lui permet de cesser d'être
rude et rester viril car la familiarité n’empêche pas la virilité,
au contraire, elle est une alliée il me semble que ce visage
est fait pour être celui du bon accueil qu’on voit sur les tableaux...
Vous me permettez de voir ainsi votre fondateur au pied de Marie,
blotti sous son manteau, nous disant : "Dieu mest témoin que
je vous aime tendrement dans le cœur du Christ." »
208

22 Pages 211-220

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22.1 Page 211

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G. GUIGOU
en forme de fioretti
une vocation :
a. malan
Il faut penser au Père Gilbert Guigou, notre ami, en lisant ce texte et
se rappeler la simpicité de son âme d’enfant. G. Guigou avait ainsi écrit une
série de récits «édifiants» inspirés dse «Mémoires Biographiques ». Celui
qui suit se réfère au quinzième volume, p. 564.
remier tableau : 29 octobre 1882. A la conciergerie de lOra-
f j toire, à Turin, un jeune homme de 20 ans attend depuis une
/ demi-heure pour voir Don Bosco. Ce matin, de bonne heu­
re, il est arrivé par le train. Tout à l’heure, en passant, il est entré
quelques minutes à la basilique de Notre-Dame Auxiliatrice. Don
Bosco finissait d'y célébrer la messe. Et maintenant, il attend
impatiemment. Il vient de loin, ce jeune homme, de Toulon...
Comme il venait en Italie pour passer le Conseil de révision, sa
patronne, la bonne Madame de Combaud, l'a envoyé à Don Bosco,
et le voiià. Une masse d'enfants entoure Don Bosco, c'est à qui
se pressera pour approcher de lui. Antoine aussi s'approche et
baise sa main... Mais quoi ! le saint, comme s’il le connaissait
depuis longtemps, pose sur lui son regard et profère une excla­
mation : Oh ! puis, en français : « Montons chez moi, ici nous
ne serons pas tranquilles. » Et l'autre, stupéfait : « Mais, vous
me connaissez?» Oui, montons.»... Dans sa chambre, Don
Bosco va commencer par lire attentivement les lettres qu'Antoine
vient de lui porter, puis il y répond posément, une par une... Et,
pendant ce temps, ce pauvre Antoine est tout troublé, tout an­
goissé. Il aimerait tant parler à Don Bosco, et il n'ose pas... De­
puis l'âge de 7 ans il rêve du sacerdoce, et jamais il n'a osé
en parler à personne. Il était aîné de cinq enfants et ses parent-
étaient pauvres ; quand il voyait des camarades étudier pour être
prêtres, il pleurait en songeant : « Je n'y arriverai jamais. » Et
puis, vers 14 ans, il avait été placé comme jeune domestique
chez Madame de Combaud, et là, bien choyé, il n'avait plus guère
songé au sacerdoce. Mais vers 20 ans, l'idée lui était revenue.
209

22.2 Page 212

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Que faire ? Il aurait voulu essayer d'entrer chez les Capucins
pour faire quelques études, mais... persécution religieuse en
France impossible !... Et puis, un jour, en confession, il avait
reçu une réponse peu encourageante... Et maintenant le voilà
devant Don Bosco. Parlera-t-il ? Ne parlera-t-il pas ?... Après avoir
écrit ses lettres-réponses. Don Bosco se tourne vers lui : « A
présent, parlons un peu de toi... Tu viendras vite pour rester avec
moi, n'est-ce pas Eh ! quoi..., Don Bosco, qu'il n'a jamais vu,
semble le connaître ainsi, par le dedans, il lappelle à être Salé-
sien, Antoine éclate en sanglots, il pleure de surprise et de joie.
Mais voyons, est-ce possible ? C'est un pauvre jeune homme qui
a à peine fréquenté lécole... « Sais-tu écrire ton nom ? », de­
mande plaisamment Don Bosco avec un bon sourire... « Alors,
ça va bien... » Don Bosco, ce matin, à la fin de sa messe, avait
vu sur la tête d'Antoine Malan une petite flamme. Antoine Malan,
dans quelques jours, quand il se retirera souvent dans un bois
pour prier devant une statue de la Vierge, verra lui aussi se
détacher des mains de la Vierge une petite flamme qui viendra
se poser sur lui.
Deuxième tableau... Tu peux le contempler en photographie,
authentique photographie. Elle est prise au Brésil. Une joyeuse
bande d'enfants s'accrochent à une soutane : une soutane lon­
gue, mince ; sur cette soutane, un cordon et une croix pectorale.
C'est Mgr Antoine Malan. Nouveau Don Bosco au milieu des
enfants, il sourit, et son sourire reflète une âme inondée de joie.
Consécration de sa profession de salésien, consécration de son
ordination, consécration épiscopale. Son cœur de consacré est
offert, comme le Cœur du Christ. Il déborde de joie...
210

22.3 Page 213

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don bosco
aujourd'hui

22.4 Page 214

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22.5 Page 215

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M. MOUILLARD
un arbre
aux milles rameaux
«Il bosco», en italien, signifie le bois... Que de variations alors ne
peut-on taire sur ce mot lorsqu'on rêve à Don... Bosco!...
/S
oseo, sans trop forcer, ça nous fait penser à l'arbre...
Et c’est vrai que DON BOSCO a été un arbre merveil-
leux, jailli d'une petite graine de vraiment rien du tout,
plantée en terre piémontaise, étendant bien vite ses rameaux im­
menses à la rose des vents, accueillant par la fraîcheur de son
feuillage luxuriant, chargé de fleurs innombrables et lumineuses
et de nids joyeux de leurs pépiements, offrant ensuite des fruits
appétissants et succulents, solidement enraciné aussi, et au cœur
tendre et inépuisable...
Mais cet arbre-là me fait songer au sycomore ou au cèdre
ou à l'olivier de ZACHEE...
Ce grand escroc petit de taille intrigué par Jésus, se­
crètement inquiété par tout ce qui se dit de Lui cest sa
grâce ! décide de Le voir... Seulement voilà ! il n’a que son
mètre-quarante handicapant... Alors, ni une ni deux ! il saute sur
le premier arbre venu et le voilà aux premières loges !... Zachée
qui regarde, regarde, et, surtout, se sent regardé, pénétré, et
même, compris : c'est vrai que je ne suis pas que truand !... On
connaît la suite... Eh ! oui, par la vertu de cet arbre, Zachée a
rencontré Jésus...
C’est bien ça ! Notre JEAN BOSCO, tout au long de sa vie,
a été cet arbre qui a pris dans ses branches sur ses épau­
les épaulé un tas de jeunes LES AUTRES afin qu'ils
puissent croiser le regard du Seigneur, rencontrer Jésus. LES
AUTRES : ceux dont le nom nous a été transmis : Barthélemy,
213

22.6 Page 216

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Michel, Jean, Dominique, Louis... et ceux dont le nom est perdu :
par centaines, des apprentis, des écoliers, des gosses des rues,
des étudiants, des adolescents paumés, des jeunes inquiets ou
affamés ou au désespoir..., des grappes et des grappes..., tous
grimpés dans l'arbre... accrochés à l'arbre.
Nous avons été nous-mêmes parmi ces garçons et ces fil­
les, puisque nous lisons ces lignes. DON BOSCO, qui nous a dit
Jésus, poussé vers Jésus, montré Jésus, réconcilié avec Jésus,
a été plus d'une fois, dans notre vie, cet arbre-refuge, cet arbre-
appui, cet arbre-guet, sous lequel on repose, contre lequel on
s’appuie sur lequel on monte pour retrouver qu'on espère...
Et si, a mon tour, ¡essayais dêtre, moi aussi, arbre pour
ceux que je croise... un peu BOSCO, à mon tour? Ne suis-je pas
de sa graine ?
Mars 1981.
214

22.7 Page 217

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L. RICCERI
pour une stratégie
de la fidélité
« Toute transformation qui porterait atteinte à l’essence concrète de
la société de Saint François de Sales, telle que l’a voulue Don Bosco et
telle que l'a voulue l'Eglise, ne serait pas un progrès de croissance, mais
une déviation suicide. » Ainsi parle le père Ricceri, ancien Supérieur général
aes salésiens, sixième successeur de Don Bosco.
I n'échappe à personne qu’entre les deux mouvements
J centripète et centrifuge présents dans le processus de
décentralisation, se développe une dynamique de « ten­
sion ». Et chaque «tension» peut dégénérer en «conflit» quand
un des pôles du mouvement prévaut sur lautre... Le pôle de l’unité
est exposé à la tentation de l'uniformité, provoquant un « centra­
lisme » qui fait abstraction des différences topographiques, qui ne
s'occupe pas des diverses exigences socio-culturelles, qui ignore
le principe de subsidiarité, et qui ne donne pas le poids voulu
aux nouvelles dimensions de la coresponsabilité et du dialogue.
D’autre part, nous sommes en train d'assister, ces années-ci,
à une véritable réaction en chaîne contre tout type duniformité.
Mais la violence de cette réaction est telle que, non seulement
on se préoccupe de détruire le grave défaut du « centralisme »,
mais il semble que l'on veuille tout simplement supprimer le « cen­
tre » lui-même. Il est dangereux d'agir uniquement par réactions ;
les conséquences d'une telle attitude sont évidentes, des exem­
ples particuliers ne sont pas nécessaires... Je vous invite à mai­
der mieux, à nous aider à devenir les serviteurs constants
de cette haute et indispensable fonction, en prenant soin de l’uni­
vitale de la Congrégation et en surmontant les tentations de
l'uniformité... Le pôle de décentralisation est exposé, à son tour,
au risque de la « myopie » en s'enfermant dans un horizon trop
étroit et en surestimant les caractéristiques locales particulières.
215

22.8 Page 218

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Ils ne sont pas imaginaires aujourd’hui, même dans la Congré­
gation, les dangers suivants : nationalisme religieux et ecclésias­
tique, complexe de supériorité culturelle, démocratisation collec­
tiviste, indépendance complète de l’autorité centrale, affaiblisse­
ment pratique des liens de coresponsabilité mondiale.
Le Chapitre général spécial (1971-72) a insisté, par exemple,
sur l'insertion dans la pastorale locale (n° 185), il a indiqué un
service salésien possible en dehors des œuvres de la Congréga­
tion (n° 392), il a formulé de nouveaux critères sur la manière de
réaliser la formation (n° 106) ; tout cela apporte bienfait et vita­
lité sil est vu et réalisé selon les exigences de l’identité ; dans
le cas contraire, il pourrait apporter un relâchement des liens
avec le Centre et des valeurs vitales de notre unité. Il n’est pas
absurde donc de parler de « danger de scission » pour un groupe
centré sur des raisons sociologiques et des exigences culturel­
les. Comme le fait remarquer le P. Congar, « le lieu du schisme
dans l’Eglise, c'est-à-dire le point d'ambiguïté et le danger, est
précisément le lien trop étroit entre le Christianisme et une
culture, un intérêt national, une entreprise humaine, personnelle
et surtout sociale» (Santa Iglesia, Barcelone - 1965, p. 113).
En bref, «dans un organisme vital, léquilibre n’est pas un
élément qu'on puisse donner pour acquis une fois pour toutes,
ni une situation qu'on puisse fixer au moyen d'une règle. Il est
le produit existentiel de la concurrence de forces vives ; il re­
quiert donc une attention patiente et un engagement continuel
de stimulants, de modifications, de corrections, dinitiatives. En
un mot, l'équilibre doit être construit et soigné chaque jour. »
Connaître davantage Don Bosco
« Le retour souhaité aux origines fera refleurir l'enthousias­
me... Mais je comprends quil y a beaucoup à faire pour que
Don Bosco soit connu dans sa réalité et sa totalité : c'est une
action qu'il faut organiser avec méthode et graduellement, en y
intéressant avant tout les nouvelles générations, et en créant
dans ce but les instruments les mieux adaptés. La personne de
Don Bosco, son œuvre, sa parole vivante, étudiées avec amour,
ont une puissance dunité et d’attraction. Malheureusement, beau­
coup de salésiens en restent éloignés, surtout les jeunes, peut-
être en raison d’une réaction, explicable d'une certaine façon,
mais désormais anachronique, et peut-être aussi par manque de
moyens adaptés et adéquats... Il est urgent de trouver les ma­
nières concrètes pour rafraîchir cette connaissance et faire vi­
216

22.9 Page 219

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brer les confrères par ce contact. On ne peut apprécier ce qu on
ne connaît pas. Et la connaissance de Don Bosco est un moyen-
clé, un élément fondamental d'unité. »
Don Ricceri ajoute : « En regardant bien au fond, on ne peut
pas considérer comme véritable amour de Don Bosco celui qui
serait séparé de lamour de la Congrégation, qui est dans
son ensemble la projection de Don Bosco et sa continuité
dans l'histoire et dans le monde. »
217

22.10 Page 220

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23 Pages 221-230

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23.1 Page 221

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M. MOUILLARD
fidélité
à don bosco
Ecrites à la veille d'un pèlerinage qui vit près de 800 personnes venues
ae Suisse, de Belgique et de France «explorer» le pays de Don Bosco, les
lignes qui suivent veulent, à grands traits, évoquer quelques étapes de la
vie de Saint Jean Bosco. L'occasion en était le Centenaire du Voyage en
France de notre fondateur, en 1883.
A ce sujet, nous rappelons que le fascicule 3 - Octobre 1980 des
«Cahiers Salésiens, publiés par F. Desramaut, est consacré à ce voyage.
Il est d'un grand intérêt.
n 1883, Don Bosco est venu chez nous...
En 1983, nous irons chez lui...
Il interpellera chacun sur sa fidélité autre que sentimen­
tale.
Peut-être que, face à la petite ferme des Becchi, à la fon­
taine du Valdocco ou aux rues historiques du vieux Torino et aux
collines du Montferrat, se lèvera, au fond de moi, la question :
aujourd’hui, je vis, quelles sont mon attitude, ma mentalité,
ma sensibilité, mes réactions de « fidèle » de Don Bosco ?
Ce < Retour aux Sources » que nous allons ensemble accom­
plir va faire revivre, à ses racines, sous nos yeux, un être vi­
vant...
Giovannino, le gamin des Becchi ; tout petit : orphelin de
père, ventre creux plus d’une fois ; il n'habite pas un palais : c est
une masure faite de matériaux récupérés... Mais sa maman, Mar­
guerite, lui cheville au cœur l'Espérance...
219

23.2 Page 222

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Giovanni ladolescent rêve de grandes études ; pourtant
il part, chômeur dérisoire, « faire les fermes » de la région et il
connaît I humiliation du pauvre à qui on refuse le travail et la
polenta... Mais létoile de son rêve au cœur, il serre les dents et
s acharne...
® Ce ieune homme' Gianni Bosco, qui débarque à Chieri
en 1831, trouve une cité industrieuse du textile mijote l'émeu­
te : a-t-il pu demeurer insensible au sort des douze « jeunes ­
publicains » de Mazzini, fusillés à laube d’un lugubre jour de
1833, ou aux conditions de travail des ouvrières ou des enfants
trimant dans de sombres ateliers de tissage ? Et le jeune étu­
diant miséreux, pour payer ses études, se fait tailleur au choco­
latier, et s'exténue à la bougie...
Don Bosco, en 48 il a 33 ans alors que Marx et En­
gels publient « Le manifeste du parti communiste » affronte le
problème de I exploitation des jeunes hommes par lhomme ou
du chômage déprimant et avilissant..., des bandes de rue et des
mineurs, pensionnaires de prisons... Il disserte peu sur ces ques­
tions tragiques : il retrousse les manches. Il sermonne et secoue
ses concitoyens de « bons chrétiens », il force la porte des mi­
nistres, du maire et de l'Administration, sensibilise les jeunes qui
lui courent après, dégote des emplois pour ses adolescents
parmi les tout premiers, il imagine le Contrat de Travail pour la
protection de l'apprenti ; il se campe devant ses garçons avec
plus d'autorité que le plus fabuleux des chefs de bande ; il leur
communique le goût et l'envie et le désir de se tenir debout dans
la vie, de la dignté des fils de Dieu, « citoyens du monde et ci­
toyens du ciel ». Il aime...
Quand encore, le 31 janvier 1883, il prend son billet de
w--n00^ de Porta N!JOva à Turin Pour passer la frontière de
yintimille, il vient, têtu et serein, répéter sans se lasser aux fou-
les Qui vont lassaillir et boire son «méchant petit français»
(«LEcho de Fourvière», 12 avril 1883) que le salut de la jeu­
nesse et la solution sociale ouvrière sont entre leurs mains et
non dans les nuages...
En 1983, la délinquance, le chômage, la drogue, l'inflation, la
violence, I egoisme, linjustice... empoisonnent une vie de société
ou trop de jeunes se suppriment, le manque de travail qan-
grene le corps social, le sourire se fait très rare...
Jean Bosco a plongé dans la mêlée des situations de crise
de son temps.
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23.3 Page 223

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Réaliste, il a fait face et payé de sa sueur et de sa matière
grise.
Utopiste, il a su mobiliser des milliers de bonnes volontés
décidées pour un grand dessein...
A l'été prochain, au cœur de son beau pays piémontais, sua­
vement exigeant et gentiment contraignant à sa manière, tiens
donc ! il nous mettra, nen doutons pas, au pied du mur...
Viendrons-nous quand même ?
31 janvier 1983
221

23.4 Page 224

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23.5 Page 225

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E. VIGANO
mettez
les couleurs
Le 8 février 1987, le père Vigano’, septième successeur de Don Bosco,
présidait, à Nice, la fête de Saint Jean Bosco, dans cette maison même
fondée par celui-ci en 1875; il n'a pas chômé. Au cours de la célébration
religieuse, en l'église Notre-Dame Auxiliatrice, il prit deux fois la parole :
lors du /eu scénique précédant l'Eucharistie, pour répondre aux questions
oes /eunes ; pendant la messe pour prononcer l'homélie.
Au cours du ¡eu scénique, avant l'Eucharistie du 8 février, ré­
ponse aux interpellations des jeunes
Un jeune dans la foule :
« Bon ! D'accord ! C'est bien joli tout ça ! Bien beau de rêver...
Bien sûr ! Don Bosco voulait tout cela, la paix des cœurs, l'ami­
tié, la confiance, et tout et tout !... Mais vous, P. Vigano, vous
qui êtes son Successeur, le septième je crois, dites-nous en
est ce grand mouvement quil a déclenché et dont vous êtes res­
ponsable, dites-nous si ce grand ébranlement continue, et
comment ?... »
Questions de quatre jeunes :
« Est-ce que le mal nest pas différent aujourd’hui. Du temps
de Don Bosco, par exemple, il n’y avait ni drogue, ni bombe ato­
mique ?...
«Pour imiter Don Bosco ne faudrait-il pas savoir ce qu’il
ferait aujourd'hui ?...
«Qui peut nous aider? On ne voit que du mal dans la
société : attentats, crimes, laisser-aller, divorces, bagarres, avor­
tements, disputes...
«— Comment vaincre le mal aujourd'hui ? »
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23.6 Page 226

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Réponse du P. Vigano' :
« Toutes vos questions nécessiteraient beaucoup de temps,
car il faudrait préciser, dialoguer, discuter. Mais vos observa­
tions mont inspiré quelques idées que je veux vous transmettre
simplement et rapidement. C'est vrai que notre époque a des
aspects qui n'existaient pas au temps de Don Bosco et il y a des
formes nouvelles du Mal. Mais Don Bosco n'est pas un homme
qui vend des recettes... Il veut donner envie aux gens et aux jeu­
nes d'être des hommes debout, capables daffronter toutes les
situations, avec, au cœur, l'Espérance, dans l'esprit, le goût de
la Vérité, et l’Amour comme une flamme...
« C'est vrai souvent que notre société est dure, inhumaine,
robotisée, avec trop de violence, de haine, de mensonge... Mais
le mal n'est pas propre à notre temps et Don Bosco, face à la
calomnie, à lexploitation, à la misère, à la méchanceté, aux at­
tentats, à tout le mal qui l'agressait ou agressait ses garçons,
s'efforcait de voir toujours ce quil y avait de positif autour de
lui et, surtout, dans le cœur des jeunes.
« Et sil y a, malheureusement, des menteurs, des truands,
des terroristes, des violents, des « maffiosi », des voleurs, des
égoïstes..., il y a aussi des femmes et des hommes qui sont
pour nous aider, par leur vie, leurs exemples, leurs conseils...
« Ce qui a toujours soutenu et motivé Don Bosco, cest ­
sus et lespérance qu'il plaçait en Lui. Certes, à certains mo­
ments, il fut sur le point de jeter le gant, de renoncer, d'abandon­
ner : alors il se retourne, comme lorsque sa maman meurt, vers
notre Mère à tous, la Vierge Marie, le Secours, l'Auxiliatrice...
« Je vous pose une question à mon tour : priez-vous ? Dans
le fond de vos cœurs, demandez-vous à Dieu, à Notre-Dame, à
Saint Jean Bosco, d'être des chrétiens pour votre temps, à
vous ?...
« Enfin, vous vous adressez à moi. Oui, d'accord, je suis res­
ponsable, mais pas tout seul. Je voudrais vous le dire avec les
mots même de Don Bosco ; les voici : « Moi, Jean Bosco, jai fait
le brouillon, jai crayonné l'esquisse... A ceux qui viendront après
moi de mettre au propre, de poser les couleurs... » Alors, je vous
laffirme : « Don Bosco, aujourdhui, c’est vous, cest moi, C’EST
NOUS TOUS ENSEMBLE ! »
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23.7 Page 227

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Homélie au cours de l’Eucharistie
Chers amis,
1. Quelle ¡oie et quelle grâce de fêter saint Jean Bosco en
cette ville de Nice, la ville de France qu’il a le mieux connue et
le mieux aimée, lui-même a fondé sa première œuvre hors
d’Itabe.
Entre Nice et Don Bosco, il y a, depuis plus de cent ans,
un secre' d'amitié. Nous sommes ici ensemble pour resserrer en­
core ces liens.
2. Deux choses en Don Bosco sont étonnantes : il a été le
saint des jeunes, ii a fondé la grande Famille salésienne. Oui,
parmi tous les saints. Don Bosco a aimé et aidé les jeunes au
point de devenir un saint avec eux et pour eux. Ce qui a dé­
clenché son action, cest la visite qu'il fit, jeune prêtre, dans les
prisons de Turin : il y découvre alors ce que jusque il navait
vu quen rêve ou soupçonné à peine : des centaines d’adolescents
tenaillés par la faim, la solitude, la honte et la révolte.
« J’ai promis alors à Dieu, dira-t-il un jour, que toute ma vie,
jusqu'à mon dernier soupir, serait donnée aux jeunes ». Et il tint
sa promesse : il réalisa sa tâche de « libérateur » : oui, libérer
les jeunes de toutes les prisons, des prisons matérielles et de
celles de la solitude, de l'ignorance, de la délinquance, du
désespoir, en faire des hommes compétents, libres, responsables,
désireux d'être utiles, ouverts à Jésus-Christ.
3. Mais cette tâche ne pouvait s'arrêter avec lui. Il fallait
l’étendre dans l'espace et le temps. Alors il devient aussi le créa­
teur d'une vaste « entreprise » de salut des jeunes.
Des aaultes, hommes et femmes, viennent l'aider : parmi ses
jeunes eux-mêmes, plusieurs viennent lui offrir leurs énergies. Il
peut alors fonder ce quil appellera lui-même une grande Famille,
aux ramifications diverses, aux engagements d'intensité varia­
ble : les Salésiens, les Sœurs salésiennes, les Coopérateurs et
Coopératrices, tous ceux qui travaillent à divers titres dans ses
œuvres éducatives, tant d'amis qui soutiennent et encouragent.
Cette Famille existe depuis plus de cent ans. Elle s'est agran­
die. Elle a envahi le monde. Elle est ici : à Nice, bien vivante...
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23.8 Page 228

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4. Alors vous tous, mes chers amis, jeunes et adultes, en
cette fête qui nous rassemble dans une ¡oie profonde, entendez
à nouveau lappel de Don Bosco vous lance, non pas tellement
d'ailleurs en son nom personnel, mais au nom de Jésus et de
son évangile. Cet appel je le résume en trois mots : accueillir,
progresser, donner.
ACCUEILLIR. La personnalité de Don Bosco est marquée par
un sens très profond de laccueil, basé sur la confiance. C'est
extraordinaire ce quon réussit à accomplir lorsqu'on sort de soi
pour s’ouvrir dans le Christ aux autres.
PROGRESSER. Don Bosco a commencé son œuvre humble­
ment, dans la pauvreté et les difficultés. Chacun de nous doit al­
ler de l’avant, faisant confiance à l'avenir comme hypothèse de
succès. Se corriger, s'adapter, persévérer dans leffort entrepris
avec un grand courage, être dynamique et joyeux.
Enfin,
DONNER. Don Bosco a donné toute sa vie aux jeunes, jour
par jour.
Le monde actuel nous invite au profit, à la consommation,
au confort, au plaisir.
Mais la vraie joie se trouve ailleurs : dans le don, dans ce
qui est offert gratuitement, dans ce qui est «hors de prix», par­
ce que ça ne se vend pas et ne s'achète pas. Donner de son
temps, donner un sourire ou une fleur, donner sa fatigue pour
rendre service, donner son amitié, son cœur, ce sont les sour­
ces de cette joie authentique à laquelle nous invitait saint Paul :
« Oui, je vous le répète, réjouissez-vous dans le Seigneur ! »
Ce Seigneur est le modèle parfait et la source de tout don.
Et c'est ce Don total que nous célébrons en cette Eucharistie !
Puisse-t-elle ouvrir en nous, par l'intercession de saint Jean
Bosco, de nouveaux espaces de courage, d'amitié profonde et
d'espérance.
AMEN !
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23.9 Page 229

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M. MOUILLARD
don bosco
de retour
198S ! Cent ans que Don Bosco nous a quittés pour entrer dans le
Royaume des Cieux ! Les fêtes commémoratives se multiplient. Mais leur but
est bien davantage de renouveler un élan que de donner dans la nostalgie.
m la veille d'une année jubilaire qui verra la « salésianité »
- // existante sémouvoir et vibrer au souvenir centenaire de
'vl'un de ses meilleurs témoins, la visite du septième suc­
cesseur de saint Jean Bosco à Nice fut tout à la fois une chance
et une grâce ni ignorées, ni refusées...
Et la chronique ne dira plus que Don Bosco n'était venu que...
quatorze fois aux rives du Paillon ! Une fois de plus il était
repassé !
Voilà bien sans doute la signification première de cette visite.
Un peu pour tout le monde, à commencer par les jeunes, cétait
Don Bosco qui revenait parmi nous... Il fut accueilli comme Don
Bosco, écouté comme Don Bosco, approché comme Don Bosco,
ovationné comme Don Bosco... Ce fut une grande joie familiale,
sans ombre, chacun pouvait y trouver son compte de ferveur,
de courage, d'espérance, d'allégresse...
Oui, une grâce !
Parce que 1988 verra le branle-bas international en général
et la « messe télévisée » du 31 janvier, chez nous, à Notre-Dame-
Auxiliatrice, en particulier..., nous pouvions bien essayer de pré­
tendre, comme première fondation transalpine de Don Bosco, à
un « coup d'envoi » spécial des fêtes du centenaire... La visite
promise, remise, et toujours espérée, s’est finalement réalisée,
nous permettant, avec le P. Vigano', de dire notre MERCI à Dieu
pour ¡'œuvre magnifique accomplie par Don Bosco en faveur des
jeunes, et ici même... Pour que des jeunes trouvent un sens à
leur vie, il sut déclencher sur place un mouvement très concret,
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23.10 Page 230

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très sensible, un réseau très serré de bonnes volontés, un dyna­
misme créateur... L'événement que nous avons vécu signifiait
alors la « reconnaissance » du travail accompli après Don Bosco
jusqu'à auiourd'hui compris, dans la foulée... Le père Evêque,
rencontrant Don Vigano', en ce 8 février,'« appréciait », ecclésia-
lement, tandis que celui-ci « authentifiait », salésiennement... Cet­
te visite si elle se voulait miroir et examen, constituait aussi un
encouragement formidable pour tous ceux qui travaillent à lœu­
vre salésienne de Nice... Au garçon qui l’interpella, en pleine
assemblée, comme responsable mondial de ce grand élan dans
l’Eglise, le P. Vigano' répondit, en s’adressant à tous : « Oui,
d'accord ! je suis responsable, mais PAS TOUT SEUL. Je vou­
drais vous le dire avec les mots mêmes de Don Bosco : "Jai
fait le brouillon, j'ai crayonné lesquisse... A ceux qui viendront
après moi de mettre au propre, de poser les couleurs. Alors, je
vous l'affirme : Don Bosco, aujourd’hui, c'est vous, c'est moi,
c'est NOUS tous ensemble ! »
Quelques esprits chagrins auront sans doute pensé qu'on en
faisait trop, que c'était encore et à nouveau du triomphalisme
ou que le culte de la personnalité renaissait de ses cendres...
Il n'y eut guère Ud'adulation, de «compliments» ou de faux-
semblants... Don Vigano' nous renvoyait à Don Bosco, et c'était
cela que nous désirions en l'accueillant.
A peine débarqué, samedi, avant même de reconnaître le
lieu il logerait, il « pèlerina » jusqu'à « la chambre de Don
Bosco»... prendre le vent, sans doute! C’était en tout cas com­
me le «signe de reconnaissance » de son court mais intense
séjour parmi nous.
24 mai 1987
(1) Traduire : pas du tout!
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